Le Monde, France
10 octobre 2009 samedi
Editorial; Arménie-Turquie
L'Arménie et la Turquie vont nouer des relations diplomatiques. C'est
une bonne nouvelle. La République d'Arménie, créée par l'URSS en 1920,
a accédé à l'indépendance en 1991. Mais sans normaliser sa relation
avec le voisin turc. On imagine pourquoi : le poids du passé. Erevan,
la capitale d'Arménie, se heurtait au refus d'Ankara de qualifier de
génocide les massacres dont plus d'un million d'Arméniens furent
victimes à l'aube de la dissolution de l'Empire ottoman, dans les
premières années du XXe siècle.
Sous les auspices de la Suisse, Arméniens et Turcs devaient signer,
samedi 10 octobre, à Zurich, le protocole d'accord sur l'échange de
missions diplomatiques et l'ouverture de la frontière entre les deux
pays. La version la plus banale de l'événement conduit à faire
l'observation suivante : aux confins de l'Europe, deux pays voisins
normalisent leurs relations.
C'est toujours souhaitable et, de ce seul point de vue, l'accord de
Zurich - patronné par Moscou et Washington - est le bienvenu. On salue
au passage les mérites de la diplomatie du football et les gestes de
détente qu'autorise la passion des uns et des autres pour le ballon
rond : le président turc, Abdullah Gül, s'est rendu en Arménie pour le
match aller entre les deux équipes nationales pour les qualifications
à la Coupe de monde 2010 ; son homologue arménien, Serge Sarkissian,
pourrait se rendre en Turquie pour le match retour.
Mais il y a plus. Cette normalisation, si elle est menée à bien, porte
en elle une forte charge symbolique. Quand Turcs et Arméniens signent
un accord, ce n'est pas qu'affaire diplomatique. On touche au passé.
Encore prudemment, certes : Ankara se refuse toujours à qualifier de
génocide le massacre des Arméniens ; Erevan ne cesse de revendiquer
une telle reconnaissance. Les deux pays vont créer une commission
historique. Elle devra étudier " de manière scientifique et impartiale
les données historiques et les archives " relatives au drame. C'est un
pas. Comment ne pas y voir, en filigrane, un geste important d'Ankara,
peut-être l'acceptation d'une première confrontation de la Turquie
avec un passé terrible ?
Qui s'oppose à l'accord de Zurich ? Les plus ultras des nationalistes
arméniens craignent que cette normalisation n'enterre l'exigence de
reconnaissance du génocide. Les plus ultras des nationalistes turcs
redoutent qu'Ankara abandonne au passage un de ses protégés régionaux,
l'Azerbaïdjan, avec lequel l'Arménie est en conflit. Mais quand les
modérés s'entendent sur le dos des plus extrémistes, ce n'est pas
forcément mauvais signe. p
10 octobre 2009 samedi
Editorial; Arménie-Turquie
L'Arménie et la Turquie vont nouer des relations diplomatiques. C'est
une bonne nouvelle. La République d'Arménie, créée par l'URSS en 1920,
a accédé à l'indépendance en 1991. Mais sans normaliser sa relation
avec le voisin turc. On imagine pourquoi : le poids du passé. Erevan,
la capitale d'Arménie, se heurtait au refus d'Ankara de qualifier de
génocide les massacres dont plus d'un million d'Arméniens furent
victimes à l'aube de la dissolution de l'Empire ottoman, dans les
premières années du XXe siècle.
Sous les auspices de la Suisse, Arméniens et Turcs devaient signer,
samedi 10 octobre, à Zurich, le protocole d'accord sur l'échange de
missions diplomatiques et l'ouverture de la frontière entre les deux
pays. La version la plus banale de l'événement conduit à faire
l'observation suivante : aux confins de l'Europe, deux pays voisins
normalisent leurs relations.
C'est toujours souhaitable et, de ce seul point de vue, l'accord de
Zurich - patronné par Moscou et Washington - est le bienvenu. On salue
au passage les mérites de la diplomatie du football et les gestes de
détente qu'autorise la passion des uns et des autres pour le ballon
rond : le président turc, Abdullah Gül, s'est rendu en Arménie pour le
match aller entre les deux équipes nationales pour les qualifications
à la Coupe de monde 2010 ; son homologue arménien, Serge Sarkissian,
pourrait se rendre en Turquie pour le match retour.
Mais il y a plus. Cette normalisation, si elle est menée à bien, porte
en elle une forte charge symbolique. Quand Turcs et Arméniens signent
un accord, ce n'est pas qu'affaire diplomatique. On touche au passé.
Encore prudemment, certes : Ankara se refuse toujours à qualifier de
génocide le massacre des Arméniens ; Erevan ne cesse de revendiquer
une telle reconnaissance. Les deux pays vont créer une commission
historique. Elle devra étudier " de manière scientifique et impartiale
les données historiques et les archives " relatives au drame. C'est un
pas. Comment ne pas y voir, en filigrane, un geste important d'Ankara,
peut-être l'acceptation d'une première confrontation de la Turquie
avec un passé terrible ?
Qui s'oppose à l'accord de Zurich ? Les plus ultras des nationalistes
arméniens craignent que cette normalisation n'enterre l'exigence de
reconnaissance du génocide. Les plus ultras des nationalistes turcs
redoutent qu'Ankara abandonne au passage un de ses protégés régionaux,
l'Azerbaïdjan, avec lequel l'Arménie est en conflit. Mais quand les
modérés s'entendent sur le dos des plus extrémistes, ce n'est pas
forcément mauvais signe. p