L'Express, France
10 Septembre 2009
Chronique;
Les méandres de la paix
par Makarian Christian
Aux marches d'un Proche-Orient traversé par des impasses séculaires,
deux nations ennemies ont décidé d'en venir à la paix. Vu de loin, on
les félicite pour leur courage et leur détermination. Confirmant le
processus de normalisation amorcé il y a un an, la Turquie et
l'Arménie ont non seulement convenu d'établir des relations
diplomatiques, de parvenir à l'ouverture de leur frontière commune,
mais aussi d'aborder un passif historique traumatique pour les
Arméniens.
Vu de près, toutefois, l'accord conclu le 31 août dernier entre Ankara
et Erevan soulève, dans les deux peuples, une question
existentielle. La route est encore longue, même si un calendrier
précis est fixé, et il faudra affronter, dans chaque pays, une
opposition profonde. Du côté turc, une puissante opinion nationaliste
reste crispée sur le négationnisme d'Etat, qui rejette farouchement la
réalité du génocide perpétré par le gouvernement des Jeunes-Turcs, en
1915. Admettre que la Turquie moderne est fondée sur un crime contre
l'humanité demandera du temps et, surtout, un immense travail de
mémoire, laquelle est enfouie sous la statue martiale de Mustafa
Kemal. Tout aussi problématique est le soutien "fraternel" maintes
fois manifesté par la Turquie à l'Azerbaïdjan, pays en guerre avec
l'Arménie au sujet de la région du Haut-Karabakh. Devant tant
d'obstacles, deux signes d'assouplissement : les Turcs acceptent de
participer à une "sous-commission sur la dimension historique", ce qui
vaut mieux que la négation formelle du génocide ; et la normalisation
avec l'Arménie a finalement été acceptée, bien qu'aucune solution
n'ait été encore annoncée pour le Haut-Karabakh.
Du côté arménien, ce qui est envisageable doit préserver ce qui est
impensable. L'Arménie s'engage à reconnaître le traité de Kars (1921),
négocié par les bolcheviques sur le dos d'un peuple martyr, et à
abandonner toute revendication territoriale vis-à-vis de la
Turquie. L'ouverture de la frontière est censée offrir une
compensation à ce renoncement. Mais, par-dessus tout, l'espoir de la
diaspora doit être sérieusement respecté par Erevan. Engagée depuis
des décennies dans un combat mondial qui a abouti à la reconnaissance
du génocide par une vingtaine de démocraties, cette dernière ne verra
sa plaie ouverte se refermer que le jour où la Turquie admettra
officiellement la vérité historique. La paix des frontières ne va pas
sans la paix de l'âme.
10 Septembre 2009
Chronique;
Les méandres de la paix
par Makarian Christian
Aux marches d'un Proche-Orient traversé par des impasses séculaires,
deux nations ennemies ont décidé d'en venir à la paix. Vu de loin, on
les félicite pour leur courage et leur détermination. Confirmant le
processus de normalisation amorcé il y a un an, la Turquie et
l'Arménie ont non seulement convenu d'établir des relations
diplomatiques, de parvenir à l'ouverture de leur frontière commune,
mais aussi d'aborder un passif historique traumatique pour les
Arméniens.
Vu de près, toutefois, l'accord conclu le 31 août dernier entre Ankara
et Erevan soulève, dans les deux peuples, une question
existentielle. La route est encore longue, même si un calendrier
précis est fixé, et il faudra affronter, dans chaque pays, une
opposition profonde. Du côté turc, une puissante opinion nationaliste
reste crispée sur le négationnisme d'Etat, qui rejette farouchement la
réalité du génocide perpétré par le gouvernement des Jeunes-Turcs, en
1915. Admettre que la Turquie moderne est fondée sur un crime contre
l'humanité demandera du temps et, surtout, un immense travail de
mémoire, laquelle est enfouie sous la statue martiale de Mustafa
Kemal. Tout aussi problématique est le soutien "fraternel" maintes
fois manifesté par la Turquie à l'Azerbaïdjan, pays en guerre avec
l'Arménie au sujet de la région du Haut-Karabakh. Devant tant
d'obstacles, deux signes d'assouplissement : les Turcs acceptent de
participer à une "sous-commission sur la dimension historique", ce qui
vaut mieux que la négation formelle du génocide ; et la normalisation
avec l'Arménie a finalement été acceptée, bien qu'aucune solution
n'ait été encore annoncée pour le Haut-Karabakh.
Du côté arménien, ce qui est envisageable doit préserver ce qui est
impensable. L'Arménie s'engage à reconnaître le traité de Kars (1921),
négocié par les bolcheviques sur le dos d'un peuple martyr, et à
abandonner toute revendication territoriale vis-à-vis de la
Turquie. L'ouverture de la frontière est censée offrir une
compensation à ce renoncement. Mais, par-dessus tout, l'espoir de la
diaspora doit être sérieusement respecté par Erevan. Engagée depuis
des décennies dans un combat mondial qui a abouti à la reconnaissance
du génocide par une vingtaine de démocraties, cette dernière ne verra
sa plaie ouverte se refermer que le jour où la Turquie admettra
officiellement la vérité historique. La paix des frontières ne va pas
sans la paix de l'âme.