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La Maison Blanche, le genocide armenien et les protocoles armeno-tur

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  • La Maison Blanche, le genocide armenien et les protocoles armeno-tur

    Le Monde, France
    11 Mars 2010


    La Maison Blanche, le génocide arménien et les protocoles arméno-turcs

    par Jules Boyadjian
    LEMONDE.FR | 11.03.10 | 10h47


    Le 4 mars 2010, la commission des affaires étrangères de la Chambre
    des représentants des Etats-Unis a adopté par 23 voix contre 22 la
    résolution H.Res.252 portant reconnaissance du génocide arménien. Ce
    vote traduit incontestablement une volonté légitime des congressistes
    de condamner la politique négationniste conduite par Ankara et de
    restaurer l'une des pages les plus sombres de l'histoire de
    l'Humanité. Mais l'attitude du département d'Etat américain, incarnée
    par la secrétaire d'Etat, Hillary Clinton, dévoile la réelle
    signification des deux protocoles signés le 10 octobre 2009 par les
    présidents Gül et Sarkissian censés entériner le rapprochement
    arméno-turc. Les masques sont désormais tombés.

    Tout au long de ce processus ayant aboutit au vote du 4 mars, le
    département d'Etat, hautement impliqué dans la médiation arméno-turque
    et la rédaction de ces fameux protocoles, a ostensiblement aligné sa
    position concernant la résolution H.Res.252 sur l'évolution de ce
    rapprochement. D'autant que la procédure patine faute d'avoir dissipé
    le trouble sur la question éminemment importante du génocide arménien,
    tout en ayant introduit dans ces protocoles une commission bilatérale
    à vocation historique, dont le périmètre obscur laissait penser qu'il
    s'agirait en définitive d'un énième stratagème pour enfouir la vérité
    pourtant attestée par déjà tant de recherches universitaires et
    historiques.

    La Cour constitutionnelle arménienne pensait lever les doutes en
    rappelant, dans son examen des protocoles, un article de la
    Déclaration d'indépendance arménienne faisant explicitement référence
    au génocide arménien. Elle n'imaginait sans doute pas qu'elle
    déclencherait l'ire du gouvernement turc, accusant l'Arménie de trahir
    l'esprit des protocoles et annonçant qu'elle ne ratifierait pas ces
    textes. Quant à la Maison Blanche, elle maintenait le trouble sur ce
    qu'il fallait percevoir de ces protocoles, en faisant savoir par
    l'intermédiaire de son ambassadeur en Turquie, James Jeffrey, qu'elle
    soutenait la décision de la Cour constitutionnelle arménienne.
    Beaucoup en furent décontenancés.

    Au même moment, l'administration américaine se distinguait par une
    remarquable discrétion au sujet de la résolution H.Res.252, une
    attitude qui put être considérée initialement comme un soutien à cette
    reconnaissance. Elle fut en réalité l'expression d'une sanction au
    refus par la Turquie de ratifier ces protocoles. La requête de Barack
    Obama à son homologue Abdullah Gül d'annoncer la mise sur agenda de
    ces protocoles au Parlement turc pour faire barrage au vote de la
    commission de la résolution H.Res.252 en fut la parfaite illustration,
    au même titre que l'annonce faite par Hillary Clinton, au lendemain du
    vote, de sa ferme intention de faire échouer l'adoption en session
    plénière de cette résolution au motif que les Etats-Unis
    privilégiaient le processus enclenché par la signature des protocoles.
    Dès lors le piège se referma, faisant apparaître au grand jour la
    stratégie sous-jacente à ces protocoles d'isolement et de confinement
    de la cause arménienne.

    Quant au gouvernement turc, sa réaction épidermique à l'annonce d'un
    vote en commission de cette résolution attesta une fois de plus de son
    entêtement à entretenir une politique négationniste active. Mais aux
    sempiternelles annonces de représailles économique, industrielle,
    diplomatique et militaire, auxquelles la Maison Blanche reste très
    attentive, fut ajouté un argument plus insidieux opposant à la volonté
    américaine de reconnaître le génocide l'introduction prévue par ces
    protocoles d'une commission d'historiens entre les deux pays. Mais
    concevoir cette commission, laquelle devint le meilleur argument
    opposé là où la reconnaissance du génocide arménien fut engagée, comme
    une issue vers l'admission par la Turquie du passé génocidaire de
    l'Empire ottoman relève de l'absurdité. Que les Etats-Unis s'y soient
    laissés prendre suppose un jésuitisme forcené ou, pis, une
    complaisance voire une compromission du département d'Etat envers la
    politique négationniste d'Ankara. Pour autant, l'opposition de la
    Maison Blanche à cette résolution n'est pas incohérente avec une
    certaine conception des protocoles, qui s'imposera si effectivement
    l'équipe du président américain réussit à contraindre Nancy Pelosi,
    présidente du Congrès, pourtant fidèle alliée de la cause arménienne,
    à ne pas présenter cette résolution en session plénière de la Chambre
    des représentants.

    Si cette réalité advenait, elle laisserait en suspens une
    interrogation : comment concevoir une réconciliation fondée sur un
    déni de crime de génocide ? Une hypothèse inconcevable suscitant une
    inquiétude sur la perspective de réconciliation. Là encore, Washington
    pourrait apporter une réponse efficace. En revenant sur ses intentions
    à l'encontre de cette résolution, en laissant un vote se dérouler en
    session plénière, alors l'administration américaine briserait l'étau
    dans lequel elle a précipité la cause arménienne. Mieux, Barack Obama,
    le président prix Nobel de la paix, celui s'étant fait le garant des
    valeurs humanistes, pourrait lors des prochaines commémorations du
    génocide arménien, le 24 avril, adresser un message fort à la Turquie,
    en employant enfin le terme de génocide pour définir les événements de
    1915. Dans le cas contraire, l'Arménie devrait en tirer toutes les
    conséquences et se retirer de ce processus voué à l'échec. Et la
    Maison Blanche perdrait une occasion unique de contribuer à un
    authentique mouvement de réconciliation, le seul pouvant aboutir à une
    réelle pacification et la perspective d'un avenir commun entre Turcs
    et Arméniens, celui fondé sur la reconnaissance inconditionnelle et la
    réparation légitime du génocide arménien.

    Jules Boyadjian est rédacteur en chef du journal Haïastan (Arménie)

    http://www.lemonde.fr/opinio ns/article/2010/03/11/la-maison-blanche-le-genocid e-armenien-et-les-protocoles-armeno-turcs-par-jule s-boyadjian_1317543_3232.html
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