LE GENOCIDE ARMENIEN, TALON D'ACHILLE DE LA TURQUIE?
Jean Eckian/armenews
Revue de Presse
mercredi17 mars 2010
Alors que Nicolas Sarkozy vient de recevoir son homologue armenien,
Serge Sarkissian, la Turquie refuse toujours de ratifier l'accord
avec l'Armenie et continue de nier le genocide armenien.
Le 4 mars 2010, la commission des affaires etrangères de la Chambre
des representants americaine a adopte une resolution reconnaissant
le genocide armenien. Peu après, ce fut au tour du Parlement suedois.
Depuis la resolution de 1987 du Parlement europeen et l'adoption par
la France, en 2000, d'une première loi reconnaissant ce genocide,
nombre de pays ont fait de meme, dont la Pologne, le Canada,
la Suisse... Rappelons que le genocide armenien, le premier du XXe
siècle, qui inspira Hitler pour perpetrer celui de 6 millions de Juifs,
fut orchestre par le gouvernement ottoman entre 1915 et 1917.
Les historiens, les Nations unies et un tribunal international
constitue a la fin de la Première Guerre mondiale l'ont reconnu, ont
condamne les coupables et evalue le bilan a 1,5 million de victimes.
Casus belli
Etrangement, si l'Empire ottoman reconnut les faits, la Turquie
moderne, kemaliste, laïque et pro-occidentale, les a toujours nies. Et
l'actuel gouvernement turc islamo-conservateur, candidat a l'Union
europeenne, continue de combattre sevèrement, tant en Turquie
(par des lois) qu'a l'etranger (chantage economique et pressions
diplomatiques), ceux qui reconnaissent le genocide. C'est ainsi
qu'Ankara a rappele ces jours-ci les ambassadeurs des Etats-Unis
et de la Suède afin de protester contre les reconnaissances votees
dans ces deux pays, veritables casus belli. Si la Turquie refuse
obstinement l'evidence, c'est non seulement en vertu d'un orgueil
nationaliste d'un autre âge et de son arsenal legislatif, mais aussi
pour des raisons geopolitiques : les vraies frontières de l'Armenie,
telles que promises par le traite de Sèvres de 1920 (jamais applique),
devraient inclure une partie de l'actuelle Turquie de l'Est, berceau
des Armeniens (mont Ararat) d'où ils ont ete chasses, quand ils n'y
ont pas ete extermines par les Turcs et les Kurdes (qui revendiquent
un Etat sur le meme territoire). Conditions prealables irrealisables
Pour les Turcs donc, reconnaître le genocide armenien, comme le font
de rares intellectuels turcs persecutes tel Cengiz Aktar, impliquerait
des dedommagements et des revendications territoriales armeniennes,
puis kurdes (effet domino). Bref, un " demantèlement " de la Turquie.
D'où le fait qu'Ankara refuse de ratifier les accords turco-armeniens
hâtivement salues par l'UE d'ailleurs... La Turquie pose en effet
des conditions prealables irrealisables : silence sur le genocide et
concessions sur le Haut-Karabakh (region peuplee d'Armeniens cedee
par Staline aux Azeris et reconquise dans les annees 1990 par les
Armeniens, puis revendiquee par l'Azerbaïdjan, allie turcophone
d'Ankara). D'où aussi la volte-face de Barak Obama, qui, pour
calmer l'allie turc irascible, a dû bloquer le vote au Congrès de la
resolution sur le genocide. Le chantage comprenait aussi la menace
de ne pas ratifier l'accord turco-armenien, et donc de maintenir
l'Armenie asphyxiee economiquement par l'embargo turc qui l'empeche
d'exporter ses produits a l'etranger.
Il est clair que de tels comportements (dont l'occupation-colonisation
du nord de Chypre ou la violation des frontières de la Grèce par
l'armee turque alors qu'Ankara revendique les îles de la mer Egee)
s'opposent aux valeurs democratiques de l'Europe. Plutôt que d'accuser
les Europeens d'empecher l'adhesion turque a l'Union europeenne, les
dirigeants turcs, confrontes a leur dilemme recurrent (*), doivent
etre plus consequents : s'ils refusent les règles du jeu europeen,
alors l'UE ne leur convient pas. Mais ils ne peuvent pas reclamer le
beurre et l'argent du beurre. Ce qui n'empeche pas un partenariat
privilegie, tel que propose par Nicolas Sakozy et Angela Merkel,
seule solution geopolitiquement coherente. (*) Le Dilemme turc, ou
les vrais enjeux de la candidature d'Ankara, d'Alexandre Del Valle,
ed. Les Syrtes, 2006.
France-Soir : Alexandre Del Valle, lundi 15 mars 2010
Jean Eckian/armenews
Revue de Presse
mercredi17 mars 2010
Alors que Nicolas Sarkozy vient de recevoir son homologue armenien,
Serge Sarkissian, la Turquie refuse toujours de ratifier l'accord
avec l'Armenie et continue de nier le genocide armenien.
Le 4 mars 2010, la commission des affaires etrangères de la Chambre
des representants americaine a adopte une resolution reconnaissant
le genocide armenien. Peu après, ce fut au tour du Parlement suedois.
Depuis la resolution de 1987 du Parlement europeen et l'adoption par
la France, en 2000, d'une première loi reconnaissant ce genocide,
nombre de pays ont fait de meme, dont la Pologne, le Canada,
la Suisse... Rappelons que le genocide armenien, le premier du XXe
siècle, qui inspira Hitler pour perpetrer celui de 6 millions de Juifs,
fut orchestre par le gouvernement ottoman entre 1915 et 1917.
Les historiens, les Nations unies et un tribunal international
constitue a la fin de la Première Guerre mondiale l'ont reconnu, ont
condamne les coupables et evalue le bilan a 1,5 million de victimes.
Casus belli
Etrangement, si l'Empire ottoman reconnut les faits, la Turquie
moderne, kemaliste, laïque et pro-occidentale, les a toujours nies. Et
l'actuel gouvernement turc islamo-conservateur, candidat a l'Union
europeenne, continue de combattre sevèrement, tant en Turquie
(par des lois) qu'a l'etranger (chantage economique et pressions
diplomatiques), ceux qui reconnaissent le genocide. C'est ainsi
qu'Ankara a rappele ces jours-ci les ambassadeurs des Etats-Unis
et de la Suède afin de protester contre les reconnaissances votees
dans ces deux pays, veritables casus belli. Si la Turquie refuse
obstinement l'evidence, c'est non seulement en vertu d'un orgueil
nationaliste d'un autre âge et de son arsenal legislatif, mais aussi
pour des raisons geopolitiques : les vraies frontières de l'Armenie,
telles que promises par le traite de Sèvres de 1920 (jamais applique),
devraient inclure une partie de l'actuelle Turquie de l'Est, berceau
des Armeniens (mont Ararat) d'où ils ont ete chasses, quand ils n'y
ont pas ete extermines par les Turcs et les Kurdes (qui revendiquent
un Etat sur le meme territoire). Conditions prealables irrealisables
Pour les Turcs donc, reconnaître le genocide armenien, comme le font
de rares intellectuels turcs persecutes tel Cengiz Aktar, impliquerait
des dedommagements et des revendications territoriales armeniennes,
puis kurdes (effet domino). Bref, un " demantèlement " de la Turquie.
D'où le fait qu'Ankara refuse de ratifier les accords turco-armeniens
hâtivement salues par l'UE d'ailleurs... La Turquie pose en effet
des conditions prealables irrealisables : silence sur le genocide et
concessions sur le Haut-Karabakh (region peuplee d'Armeniens cedee
par Staline aux Azeris et reconquise dans les annees 1990 par les
Armeniens, puis revendiquee par l'Azerbaïdjan, allie turcophone
d'Ankara). D'où aussi la volte-face de Barak Obama, qui, pour
calmer l'allie turc irascible, a dû bloquer le vote au Congrès de la
resolution sur le genocide. Le chantage comprenait aussi la menace
de ne pas ratifier l'accord turco-armenien, et donc de maintenir
l'Armenie asphyxiee economiquement par l'embargo turc qui l'empeche
d'exporter ses produits a l'etranger.
Il est clair que de tels comportements (dont l'occupation-colonisation
du nord de Chypre ou la violation des frontières de la Grèce par
l'armee turque alors qu'Ankara revendique les îles de la mer Egee)
s'opposent aux valeurs democratiques de l'Europe. Plutôt que d'accuser
les Europeens d'empecher l'adhesion turque a l'Union europeenne, les
dirigeants turcs, confrontes a leur dilemme recurrent (*), doivent
etre plus consequents : s'ils refusent les règles du jeu europeen,
alors l'UE ne leur convient pas. Mais ils ne peuvent pas reclamer le
beurre et l'argent du beurre. Ce qui n'empeche pas un partenariat
privilegie, tel que propose par Nicolas Sakozy et Angela Merkel,
seule solution geopolitiquement coherente. (*) Le Dilemme turc, ou
les vrais enjeux de la candidature d'Ankara, d'Alexandre Del Valle,
ed. Les Syrtes, 2006.
France-Soir : Alexandre Del Valle, lundi 15 mars 2010