UNE QUESTION DE DIGNITE NATIONALE
Ahmet Insel
http://www.turquieeuropeenne.eu/article4076 .html
jeudi 18 mars 2010 - 07:30
Expliquant ce qu'il convenait de faire en réponse a une résolution
de reconnaissance du génocide arménien votée par la Commission des
affaires étrangères de la Chambre des Représentants aux Etats-Unis,
le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, a déclaré la chose
suivante : " Si cela s'avère nécessaire nous prendrons contact avec
les partis d'opposition a l'assemblée nationale de Turquie. Ceci
constite pour nous une question de dignité nationale." Et puis
le Premier ministre Erdogan de rajouter : "Sur ce genre de sujets,
la Turquie est sensible. On ne joue pas avec la dignité."
Alors puisque telle semble être la question, voyons donc un peu sur
quoi s'appuient ces histoires de dignité nationale et de sensibilité.
La dignité exprime le respect qu'un homme éprouve envers
lui-même. Il se fonde sur des actes percus comme honorifiques ou
vecteurs de fierté. C'est en même temps une valeur personnelle
sous-tendue par le respect que les autres sont en mesure de manifester
a la personne concernée. C'est la raison pour laquelle de nos
jours on en fait, bien maladroitement selon moi, un équivalent de
la crédibilité.
La crédibilité est une qualité qui ne se tient que dans les rapports
avec l'extérieur, l'autre. On peut très bien parvenir a un statut
tout a fait crédible en menant des affaires déshonorantes. Vous
pouvez très bien, par exemple, devenir professeur, docteur ou même
président du Haut Conseil de l'Enseignement supérieur en ayant
réalisé de somptueux plagiats. On peut tout a fait continuer a
vous tresser des lauriers après que pareille forfaiture soit rendue
publique. Mais vous, vous saurez que cette crédibilité ne repose
que sur des actes déshonorants, et vous vivrez toute votre vie avec
cette blessure intime. C'est en écrasant les autres que vous tenterez
d'oublier, d'écraser les stigmates d'une telle blessure. Dans
le même temps, vous vous écraserez devant la puissance. Ã~Jtre
crédible n'implique pas toujours le sens de la dignité.
D'ailleurs, un sentiment que l'on nourrit pour soi-même ne correspond
pas toujours au respect que les autres vous manifestent. Vous pouvez
très bien réussir quelque chose ou bien prendre une position pour
laquelle vous ressentez de l'honneur sous l'angle de vos valeurs
personnelles. Et malgré cela, les gens qui vous entourent peuvent
ne pas définir cette chose que vous venez d'accomplir comme un
fait pour lequel on peut éprouver de la fierté. Une personne ayant
choisi, quoi qu'il arrive, de ne pas profiter des biens de ce monde
au détriment des autres, peut très bien considérer la pauvreté
qu'il s'est choisi pour lui comme un mode de vie digne. Or tous ceux
qui considèrent la richesse matérielle comme une marque d'honneur
et de dignité peuvent ne pas partager ce point de vue. Et si cette
fierté pour sa vie et ce qu'il accomplit que ressent l'homme ayant
choisi la pauvreté, correspond a une valeur que recèle l'être
humain en tant qu'être libre, sensible et doué de raison, il lui
importe alors assez peu que les autres le considèrent ou non comme
une personne digne. Mais pour cela il faut que l'action pour laquelle
on ressent de la dignité soit conforme aux valeurs humaines.
Ã~Ividemment, on peut ignorer tout ce que les autres pensent de nous.
Mais cela n'est qu'indirectement relié a une question de dignité
ou d'indignité. On peut n'accorder aucune importance au jugement
des autres en faisant siennes les valeurs humaines, ou bien en les
foulant au pied. Ã~Jtre digne ou ne pas l'être dépend avant tout de
nous. Faire une erreur n'est pas un acte indigne. Et même si parmi
nos proverbes, il en est un souvent rappelé qui dit "le déni est la
forteresse de l'homme vaillant", cacher ou nier la faute commise n'est
généralement pas percu dans le monde comme une attitude honorable.
Depuis 1975, voila la quatrième ou la cinquième tentative
de reconnaissance officielle du génocide arménien aux
Ã~Itats-Unis. Toutes les précédentes tentatives, nous les avons
repoussées "nationalement" par les voies de la menace, du chantage,
de la concussion et de l'influence. Nous avons préservé notre
dignité. Et dans cette dernière tentative, même si une résolution
a été votée par la Commission citée ci-dessus, notre dignité
nationale est cette fois-ci liée a la question de savoir si la
résolution passera ou non les portes de cette même Commission. Mais
dites-moi donc par l'accomplissement de quel acte digne, aujourd'hui
ou hier, nous aurons sauvé notre dignité nationale ?
Ahmet Davutoglu répond a cette question indirectement. " Ce sont
les peuples qui vécurent les événements de 1915 qui sauront le
mieux ce qu'il s'est passé, précise-t-il. Pour les Arméniens,
1915 peut être une période de déportation, mais pour les Turcs,
au même moment, 1915 ce sont les Dardanelles." De la, deux remarques.
Lorsqu'en 1915 les Turcs sont en train de livrer un combat capital
pour leur survie dans les Dardanelles, certaines personnes ont alors
livré les Arméniens a la déportation . Est-ce bien cela qu'a voulu
dire le ministre ? Est-ce pour cela alors que pour cette date de 1915,
les Turcs, pour différentes raisons, éprouvent de la fierté et les
Arméniens un très grand deuil ? Sinon on ne peut que se demander
d'où est sortie cette histoire des Dardanelles.
Ces Arméniens se sont-ils déportés tout seuls ou alors ce sont
les forces d'occupation qui les ont déportés ? Les Arméniens, ce
sont les Martiens qui les ont télétransportés sur un autre monde,
ou bien les dirigeants du gouvernement jeune turc ? Ou bien encore
en 1915 les Arméniens vivaient-ils loin des Turcs, sans que les
Turcs puissent savoir rien de ce qui arrivait a l'autre peuple ? Ces
questions et bien d'autres qui leur ressemblent, croyez-vous les avoir
résolues en leur donnant des réponses du genre des manigances des
forces impérialistes, du destin, de la guerre dans laquelle tout le
monde a beaucoup souffert ; etc.. ?.
Ou bien alors cette comparaison du ministre est intentionnelle et
l'on parvient a la conclusion selon laquelle les Turcs ont déporté
les Arméniens a cause des Dardanelles. Pour comprendre que la
déportation n'était pas qu'un simple déplacement, il suffit de lire
le décompte qu'en fit soigneusement Talat Pacha. Ahmet Davutoglu,
avec sa comparaison entre la déportation et les Dardanelles n'a, a
mon avis, pas même conscience d'ouvrir la porte a la thèse voulant
que ce soit un peuple tout entier qui ait a répondre des accusations
de génocide.
"Pourquoi continuer a s'humilier ?"
Ce ne sont pas les Turcs qui ont déporté les Arméniens
ottomans. C'est la direction du Parti d'Union et Progrès, le
gouvernement jeune turc, qui a pris cette décision et qui a puni toute
une commuanuté humaine, sur la base de sa religion, de sa langue et
de son origine, sans faire aucune différence entre les coupables et
les innocents, les femmes et les hommes, les enfants et les personnes
âgées. Le triumvirat jeune turc peut avoir agi ainsi pour le salut de
l'Etat. Ils peuvent très bien avoir pris une décision aussi grave
dans le but de préserver et de sauver le peuple turc. Portés par
un même élan, les responsables de la déportation ainsi que ses
exécutants ont pu agir par haine ethno-religieuse ou par appât du
gain. Mais quoi qu'il en soit, nier que les auteurs de tels actes ne
se sont pas rendus coupables de crimes contre l'humanité ou d'actes
nécessitant les plus lourdes peines correspond-il a une attitude
digne ? Si la défense de la dignité nationale passe par le déni
d'un tel crime contre l'humanité, peut-on parler de la dignité de
l'objet de cette défense ?
Nous pouvons discuter de la question de savoir si les événements de
1915 peuvent ou non recevoir la définition génocide. Nous pouvons
critiquer la thèse qui veut que les crimes d'une extrême gravité
commis a l'encontre des Arméniens se soient perpétués sur une
période allant de 1915 a 1923. Mais nous ne pourrons le faire
qu'après avoir dit de facon claire que les Arméniens ottomans
ont été victimes d'un crime contre l'humanité d'une extrême
gravité. Dans le cas contraire, alors que les Dardanelles est, a
juste titre, un motif de dignité nationale, nous prémunir contre
la condamnation mondiale de la déportation arménienne fera partie
intégrante de notre dignité nationale.
Laissons les autres de côté. Aurons-nous accompli un geste digne,
un geste pour lequel nous pourrions ressentir de l'honneur ?
"Nous refusons le terme de génocide parce que nos ancêtres ne peuvent
pas avoir commis de génocide", vocifère notre Premier ministre. les
Unionistes sont-ils les ancêtres communs a toute la nation turque
? Ou bien est-ce parce que nous sommes secrètement convaincus que
c'est la nation turque dans son intégralité qui a déporté un
peuple en masse, et non les Unionistes, que nous nous échinons tant
a préserver la crédibilité de cette nation de par le monde ?
La semaine dernière, Ahmet Altan posait la question suivante dans le
journal Taraf : "pourquoi nous efforcons nous a dissimuler ce terrible
crime, pourquoi nous dépensons-nous tant a défendre ces criminels,
a en cacher les crimes, pourquoi ne cessons-nous de nous contorsionner,
au risque même de nous humilier, afin que les réalités ne sortent
pas en public ?" Oui, pourquoi tenons-nous la condamnation, la
réprobation des crimes et des souffrances infligés aux Arméniens
en 1915 pour une insulte faite a nos ancêtres ? Pourquoi faisons-nous
d'un tel déni une des composantes de notre sensibilité nationale ?
Pourquoi alors l'AKP, le parti au pouvoir, ne couronne-t-il pas le
Comité Talat Pacha, composé de personnes triées sur le volet et
qui fait tout son possible pour préserver une telle dignité, de
telles valeurs ? Le 8 mars dernier, Rauf Denktas, l'ancien président
chypriote turc et l'un des responsables et porte-parole de cette
organisation a déclaré : " je salue notre véritable président Dogu
Perincek." [Dogu Perincek est l'ancien président du Parti ouvrier,
souverainiste et ultra-nationaliste, arrêté et jugé dans le cadre
de l'affaire Ergenekon, Ndr] Pourquoi l'AKP maintient-il le défenseur
d'une telle cause en prison ?
Ou bien serait-ce que derrière le drap de cette dignité se tient
une raison des plus tangibles ? De quoi nous avons peur devant
les accusations de génocide ? Des demandes d'indemnisation et de
restitution territoriale ou de propriété ? Est-ce de cela que nous
avons peur ? Dans le journal Zaman du 6 mars dernier, on rapportait
que des sources diplomatiques nous avaient mis en garde contre
la possibilité " de demandes d'indemnisations et de restitutions
territoriales suite a la reconnaissance par les Etats-Unis." Ce n'est
pas la première fois qu'on en parle.
Mais nous, en tant que nation, c'est pour ca, pour empêcher ces
demandes d'indemnisations et de restitution que nous livrons ce
combat pour la dignité nationale ? Notre dignité nationale a-t-elle
a voir avec la terre et l'argent ? Et puis qui demande des terres et
des indemnisations ? Même s'il n'était aucune demande, qu'y a-t-il
de plus honorable, verser des indemnités, même symboliques, pour
ces vies perdues, tous ces biens saisis, ou bien se battre avec le
monde entier pour nier cet immense pillage ?
Bref, parlons d'abord largement du fait de savoir si, pour nous,
ce qui fut infligé aux Arméniens en 1915 est un acte digne ou non.
Ensuite viendra le temps de se demander où et comment défendre
notre dignité nationale.
Traduction pour TE : Marillac
Ahmet Insel
http://www.turquieeuropeenne.eu/article4076 .html
jeudi 18 mars 2010 - 07:30
Expliquant ce qu'il convenait de faire en réponse a une résolution
de reconnaissance du génocide arménien votée par la Commission des
affaires étrangères de la Chambre des Représentants aux Etats-Unis,
le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, a déclaré la chose
suivante : " Si cela s'avère nécessaire nous prendrons contact avec
les partis d'opposition a l'assemblée nationale de Turquie. Ceci
constite pour nous une question de dignité nationale." Et puis
le Premier ministre Erdogan de rajouter : "Sur ce genre de sujets,
la Turquie est sensible. On ne joue pas avec la dignité."
Alors puisque telle semble être la question, voyons donc un peu sur
quoi s'appuient ces histoires de dignité nationale et de sensibilité.
La dignité exprime le respect qu'un homme éprouve envers
lui-même. Il se fonde sur des actes percus comme honorifiques ou
vecteurs de fierté. C'est en même temps une valeur personnelle
sous-tendue par le respect que les autres sont en mesure de manifester
a la personne concernée. C'est la raison pour laquelle de nos
jours on en fait, bien maladroitement selon moi, un équivalent de
la crédibilité.
La crédibilité est une qualité qui ne se tient que dans les rapports
avec l'extérieur, l'autre. On peut très bien parvenir a un statut
tout a fait crédible en menant des affaires déshonorantes. Vous
pouvez très bien, par exemple, devenir professeur, docteur ou même
président du Haut Conseil de l'Enseignement supérieur en ayant
réalisé de somptueux plagiats. On peut tout a fait continuer a
vous tresser des lauriers après que pareille forfaiture soit rendue
publique. Mais vous, vous saurez que cette crédibilité ne repose
que sur des actes déshonorants, et vous vivrez toute votre vie avec
cette blessure intime. C'est en écrasant les autres que vous tenterez
d'oublier, d'écraser les stigmates d'une telle blessure. Dans
le même temps, vous vous écraserez devant la puissance. Ã~Jtre
crédible n'implique pas toujours le sens de la dignité.
D'ailleurs, un sentiment que l'on nourrit pour soi-même ne correspond
pas toujours au respect que les autres vous manifestent. Vous pouvez
très bien réussir quelque chose ou bien prendre une position pour
laquelle vous ressentez de l'honneur sous l'angle de vos valeurs
personnelles. Et malgré cela, les gens qui vous entourent peuvent
ne pas définir cette chose que vous venez d'accomplir comme un
fait pour lequel on peut éprouver de la fierté. Une personne ayant
choisi, quoi qu'il arrive, de ne pas profiter des biens de ce monde
au détriment des autres, peut très bien considérer la pauvreté
qu'il s'est choisi pour lui comme un mode de vie digne. Or tous ceux
qui considèrent la richesse matérielle comme une marque d'honneur
et de dignité peuvent ne pas partager ce point de vue. Et si cette
fierté pour sa vie et ce qu'il accomplit que ressent l'homme ayant
choisi la pauvreté, correspond a une valeur que recèle l'être
humain en tant qu'être libre, sensible et doué de raison, il lui
importe alors assez peu que les autres le considèrent ou non comme
une personne digne. Mais pour cela il faut que l'action pour laquelle
on ressent de la dignité soit conforme aux valeurs humaines.
Ã~Ividemment, on peut ignorer tout ce que les autres pensent de nous.
Mais cela n'est qu'indirectement relié a une question de dignité
ou d'indignité. On peut n'accorder aucune importance au jugement
des autres en faisant siennes les valeurs humaines, ou bien en les
foulant au pied. Ã~Jtre digne ou ne pas l'être dépend avant tout de
nous. Faire une erreur n'est pas un acte indigne. Et même si parmi
nos proverbes, il en est un souvent rappelé qui dit "le déni est la
forteresse de l'homme vaillant", cacher ou nier la faute commise n'est
généralement pas percu dans le monde comme une attitude honorable.
Depuis 1975, voila la quatrième ou la cinquième tentative
de reconnaissance officielle du génocide arménien aux
Ã~Itats-Unis. Toutes les précédentes tentatives, nous les avons
repoussées "nationalement" par les voies de la menace, du chantage,
de la concussion et de l'influence. Nous avons préservé notre
dignité. Et dans cette dernière tentative, même si une résolution
a été votée par la Commission citée ci-dessus, notre dignité
nationale est cette fois-ci liée a la question de savoir si la
résolution passera ou non les portes de cette même Commission. Mais
dites-moi donc par l'accomplissement de quel acte digne, aujourd'hui
ou hier, nous aurons sauvé notre dignité nationale ?
Ahmet Davutoglu répond a cette question indirectement. " Ce sont
les peuples qui vécurent les événements de 1915 qui sauront le
mieux ce qu'il s'est passé, précise-t-il. Pour les Arméniens,
1915 peut être une période de déportation, mais pour les Turcs,
au même moment, 1915 ce sont les Dardanelles." De la, deux remarques.
Lorsqu'en 1915 les Turcs sont en train de livrer un combat capital
pour leur survie dans les Dardanelles, certaines personnes ont alors
livré les Arméniens a la déportation . Est-ce bien cela qu'a voulu
dire le ministre ? Est-ce pour cela alors que pour cette date de 1915,
les Turcs, pour différentes raisons, éprouvent de la fierté et les
Arméniens un très grand deuil ? Sinon on ne peut que se demander
d'où est sortie cette histoire des Dardanelles.
Ces Arméniens se sont-ils déportés tout seuls ou alors ce sont
les forces d'occupation qui les ont déportés ? Les Arméniens, ce
sont les Martiens qui les ont télétransportés sur un autre monde,
ou bien les dirigeants du gouvernement jeune turc ? Ou bien encore
en 1915 les Arméniens vivaient-ils loin des Turcs, sans que les
Turcs puissent savoir rien de ce qui arrivait a l'autre peuple ? Ces
questions et bien d'autres qui leur ressemblent, croyez-vous les avoir
résolues en leur donnant des réponses du genre des manigances des
forces impérialistes, du destin, de la guerre dans laquelle tout le
monde a beaucoup souffert ; etc.. ?.
Ou bien alors cette comparaison du ministre est intentionnelle et
l'on parvient a la conclusion selon laquelle les Turcs ont déporté
les Arméniens a cause des Dardanelles. Pour comprendre que la
déportation n'était pas qu'un simple déplacement, il suffit de lire
le décompte qu'en fit soigneusement Talat Pacha. Ahmet Davutoglu,
avec sa comparaison entre la déportation et les Dardanelles n'a, a
mon avis, pas même conscience d'ouvrir la porte a la thèse voulant
que ce soit un peuple tout entier qui ait a répondre des accusations
de génocide.
"Pourquoi continuer a s'humilier ?"
Ce ne sont pas les Turcs qui ont déporté les Arméniens
ottomans. C'est la direction du Parti d'Union et Progrès, le
gouvernement jeune turc, qui a pris cette décision et qui a puni toute
une commuanuté humaine, sur la base de sa religion, de sa langue et
de son origine, sans faire aucune différence entre les coupables et
les innocents, les femmes et les hommes, les enfants et les personnes
âgées. Le triumvirat jeune turc peut avoir agi ainsi pour le salut de
l'Etat. Ils peuvent très bien avoir pris une décision aussi grave
dans le but de préserver et de sauver le peuple turc. Portés par
un même élan, les responsables de la déportation ainsi que ses
exécutants ont pu agir par haine ethno-religieuse ou par appât du
gain. Mais quoi qu'il en soit, nier que les auteurs de tels actes ne
se sont pas rendus coupables de crimes contre l'humanité ou d'actes
nécessitant les plus lourdes peines correspond-il a une attitude
digne ? Si la défense de la dignité nationale passe par le déni
d'un tel crime contre l'humanité, peut-on parler de la dignité de
l'objet de cette défense ?
Nous pouvons discuter de la question de savoir si les événements de
1915 peuvent ou non recevoir la définition génocide. Nous pouvons
critiquer la thèse qui veut que les crimes d'une extrême gravité
commis a l'encontre des Arméniens se soient perpétués sur une
période allant de 1915 a 1923. Mais nous ne pourrons le faire
qu'après avoir dit de facon claire que les Arméniens ottomans
ont été victimes d'un crime contre l'humanité d'une extrême
gravité. Dans le cas contraire, alors que les Dardanelles est, a
juste titre, un motif de dignité nationale, nous prémunir contre
la condamnation mondiale de la déportation arménienne fera partie
intégrante de notre dignité nationale.
Laissons les autres de côté. Aurons-nous accompli un geste digne,
un geste pour lequel nous pourrions ressentir de l'honneur ?
"Nous refusons le terme de génocide parce que nos ancêtres ne peuvent
pas avoir commis de génocide", vocifère notre Premier ministre. les
Unionistes sont-ils les ancêtres communs a toute la nation turque
? Ou bien est-ce parce que nous sommes secrètement convaincus que
c'est la nation turque dans son intégralité qui a déporté un
peuple en masse, et non les Unionistes, que nous nous échinons tant
a préserver la crédibilité de cette nation de par le monde ?
La semaine dernière, Ahmet Altan posait la question suivante dans le
journal Taraf : "pourquoi nous efforcons nous a dissimuler ce terrible
crime, pourquoi nous dépensons-nous tant a défendre ces criminels,
a en cacher les crimes, pourquoi ne cessons-nous de nous contorsionner,
au risque même de nous humilier, afin que les réalités ne sortent
pas en public ?" Oui, pourquoi tenons-nous la condamnation, la
réprobation des crimes et des souffrances infligés aux Arméniens
en 1915 pour une insulte faite a nos ancêtres ? Pourquoi faisons-nous
d'un tel déni une des composantes de notre sensibilité nationale ?
Pourquoi alors l'AKP, le parti au pouvoir, ne couronne-t-il pas le
Comité Talat Pacha, composé de personnes triées sur le volet et
qui fait tout son possible pour préserver une telle dignité, de
telles valeurs ? Le 8 mars dernier, Rauf Denktas, l'ancien président
chypriote turc et l'un des responsables et porte-parole de cette
organisation a déclaré : " je salue notre véritable président Dogu
Perincek." [Dogu Perincek est l'ancien président du Parti ouvrier,
souverainiste et ultra-nationaliste, arrêté et jugé dans le cadre
de l'affaire Ergenekon, Ndr] Pourquoi l'AKP maintient-il le défenseur
d'une telle cause en prison ?
Ou bien serait-ce que derrière le drap de cette dignité se tient
une raison des plus tangibles ? De quoi nous avons peur devant
les accusations de génocide ? Des demandes d'indemnisation et de
restitution territoriale ou de propriété ? Est-ce de cela que nous
avons peur ? Dans le journal Zaman du 6 mars dernier, on rapportait
que des sources diplomatiques nous avaient mis en garde contre
la possibilité " de demandes d'indemnisations et de restitutions
territoriales suite a la reconnaissance par les Etats-Unis." Ce n'est
pas la première fois qu'on en parle.
Mais nous, en tant que nation, c'est pour ca, pour empêcher ces
demandes d'indemnisations et de restitution que nous livrons ce
combat pour la dignité nationale ? Notre dignité nationale a-t-elle
a voir avec la terre et l'argent ? Et puis qui demande des terres et
des indemnisations ? Même s'il n'était aucune demande, qu'y a-t-il
de plus honorable, verser des indemnités, même symboliques, pour
ces vies perdues, tous ces biens saisis, ou bien se battre avec le
monde entier pour nier cet immense pillage ?
Bref, parlons d'abord largement du fait de savoir si, pour nous,
ce qui fut infligé aux Arméniens en 1915 est un acte digne ou non.
Ensuite viendra le temps de se demander où et comment défendre
notre dignité nationale.
Traduction pour TE : Marillac