"A PROPOS DE LA TURQUIE ET DU GENOCIDE ARMENIEN, L'ADMINISTRATION OBAMA DEVRAIT NOUS CHANTER UNE AUTRE CHANSON" PAR TANER AKCAM
Stephane
armenews
5 mai 2010
Taner Akcam est Maître de Conference en histoire et president des
Etudes sur le Genocide Armenien Kaloosdian/Mugar, au Centre Strassler
pour les Etudes sur l'Holocauste et les Genocides, Universite Clark
(Worcester, Massachussetts). Une autorite internationale de premier
plan sur le Genocide Armenien, il est l'auteur de 'Un acte honteux
: le Genocide Armenien et la Responsabilite de la Turquie." Il est
coordinateur d'un atelier a Clark pour faire le point sur l'" Etat
de la Recherche sur le Genocide Armenien" (8 avril 2010)
Quelle est la difference entre l'administration Obama et celle de
Bush ? Il n'y en a aucune, semble-t-il, lorsqu'il s'agit de regarder
l'histoire en face et de reconnaître les fautes historiques. On y
chante dans les deux la meme vieille chanson.
La Maison Blanche paraît determinee a rejeter la Resolution 252
de la Chambre que la Commission des Affaires Etrangères a vote la
semaine passee (4 mars), un pas inhabituel dans une longue histoire
de resolutions echouees sur la "Reconnaissance du Genocide Armenien".
Audiences du Congrès, resolutions en sous-commissions, promesses de
campagne appuyees, et tranquilles assurances, tout cela pour aboutir
a la meme conclusion previsible dès lors que la Turquie fait jouer les
muscles et menace ouvertement les interets americains dans la region.
Les Membres du Congrès acceptent de reculer, en fait non parce qu'ils
ne croient pas que les Armeniens ont ete victimes d'un genocide,
mais a cause d'interets nationaux percus comme tels au Moyen-Orient.
Selon la rengaine, faire face a l'histoire est une reponse morale alors
qu'aborder les erreurs historiques est conforme aux reels interets
nationaux de la region. Deux arguments semblent eternellement en
conflit : Securite Nationale contre moralite ou en d'autres termes,
realistes contre fondamentalistes moraux .
Les realistes turcs sont très concernes par la securite nationale . En
2007, une cour turque avait declares coupables deux journalistes
armeniens de Turquie, Arat Dink, fils du journaliste assassine
Hrant Dink, et Sarkis Seropyan, pour avoir use du mot "genocide" et
avoir prononce contre eux une peine de un an de prison. Le tribunal
avait declare que : "parler du genocide, a la fois en Turquie ou d'en
d'autres pays, affecte defavorablement [sic] la securite nationale et
l'interet national." Le jugement declarait en outre que la Republique
de Turquie fait l'objet d'" un siège diplomatique consistant en des
resolutions de genocide...L'acceptation de cette demande pourrait
conduire dans les siècles futurs a une remise en cause des droits
souverains de la Republique de Turquie..." Du fait de ces soucis pour
la securite nationale, le tribunal a declare que parler du genocide
de 1915 n'est pas protege. Le Tribunal a juge que "l'utilisation de
ces droits peut etre limite conformement a des objectifs tels que
la protection de la securite nationale, de l'ordre public, de la
securite publique." Les realistes , ici aux Etats Unis, devraient
se rendre compte que leur action est coherente avec les jugements
anti-democratiques du tribunal turc.
Pendant des decennies, l'etat turc a traite toute reconnaissance que
1915 etait un genocide comme une attaque contre sa securite nationale.
L'etat organisait une chasse aux sorcières contre les intellectuels et
les chercheurs qui y faisaient une reference quelconque. Orhan Pamuk,
l'auteur laureat du Prix Nobel, et Hrant Dink ont ete poursuivis,
traînes de salles d'audience en salles d'audience. L'assassinat de
Hrant Dink en 2007 etait une consequence inevitable de cette campagne.
Le Gouvernement et le Congrès des USA devraient reconnaître que la
Turquie utilise le pretexte de la securite nationale pour limiter la
liberte d'expression, un droit democratique fondamental. Assurement,
pour faire un retour sur l'histoire a present discutee, rappelons-nous
que les demandes des Armeniens pour l'egalite et la justice sociale
dans les annees de declin de l'Empire Ottoman etaient egalement
traitees comme des menaces envers l'etat. Le mantra de la securite
nationale devint un pretexte pour leur massacre et leur deportation.
Aujourd'hui, la demande pour une evaluation honnete de l'histoire
est traitee de la meme facon : comme un problème de securite.
L'ironie de la situation est que criminaliser une demande historique
au nom de la securite nationale n'est pas seulement un obstacle pour la
democratie, mais entraîne en meme temps de reels problèmes de securite
pour la Turquie et la region entière. Cette "prophetie auto-realisee "
peut-etre demontree par le Genocide Armenien hier et le problème kurde
aujourd'hui. Le problème kurde actuel s'est pose a la suite de leurs
demandes democratiques pour des reformes sociales, qui ont ete classees
menaces pour la securite. Aussi longtemps que la Turquie continue de
voir les principes moraux et la securite nationale comme exclusifs
les uns de l'autre, et refuse de se reconcilier avec son passe pour
des raisons de securite nationale - en fait, aussi longtemps que la
securite nationale turque est definie comme s'opposant a une evaluation
historique honnete - les problèmes internationaux persisteront.
Lorsqu'on connaît le Moyen-Orient, on reconnaît facilement que les
injustices et la negation persistante de ces injustices par l'un
ou l'autre des etats ou des groupes ethniques ou religieux sont
des pierres d'achoppement majeures. L'histoire et les injustices
historiques ne sont pas de simples questions academiques concernant
le passe, le passe EST le present dans le Moyen-Orient. Pour que la
realpolitik reussisse dans la region, il est necessaire de s'interroger
sur la place de la reconnaissance de fautes historiques dans une
politique de securite nationale.
Les Etats Unis doivent changer leur politique envers la reconnaissance
du Genocide Armenien et reevaluer ce qui constitue la securite pour
la Turquie. Au cours du 19 ème siècle, le concept francais de "bon
pour l'Orient" [c'est suffisamment bon pour l'Orient] a legitime
le colonialisme francais et fourni une justification pour rabaisser
les pays colonises et les actes commis dans ces pays. Les Etats Unis
doivent se debarrasser eux-memes de cette vision coloniale classique.
Si la democratie et le face a face avec l'histoire sont bons pour
les Etats Unis, il en est de meme pour la Turquie.
Le Congrès et la Maison Blanche doivent etre suspicieux envers le
canard de l'interet national employe comme moyen de rejeter la
resolution sur le genocide. Un tel argument va a l'encontre des
valeurs americaines et legitime la campagne d'etat turque contre les
intellectuels. Il nous faut nous mettre a chanter une chanson nouvelle
qui ne soutienne pas les regimes autoritaires et negationnistes au
Moyen-Orient. La securite en Turquie et aux Etats Unis doit integrer
le face a face avec l'histoire et la democratisation.
Obama est venu a Washington avec une plateforme pour le changement .
Je pose a nouveau ma question : quelle difference y a-t-il entre
les administrations Obama et Bush ? La reponse pourrait-elle etre
l'acceptation de la resolution sur le genocide et la promotion d'un
changement democratique au Moyen Orient ?
Stephane
armenews
5 mai 2010
Taner Akcam est Maître de Conference en histoire et president des
Etudes sur le Genocide Armenien Kaloosdian/Mugar, au Centre Strassler
pour les Etudes sur l'Holocauste et les Genocides, Universite Clark
(Worcester, Massachussetts). Une autorite internationale de premier
plan sur le Genocide Armenien, il est l'auteur de 'Un acte honteux
: le Genocide Armenien et la Responsabilite de la Turquie." Il est
coordinateur d'un atelier a Clark pour faire le point sur l'" Etat
de la Recherche sur le Genocide Armenien" (8 avril 2010)
Quelle est la difference entre l'administration Obama et celle de
Bush ? Il n'y en a aucune, semble-t-il, lorsqu'il s'agit de regarder
l'histoire en face et de reconnaître les fautes historiques. On y
chante dans les deux la meme vieille chanson.
La Maison Blanche paraît determinee a rejeter la Resolution 252
de la Chambre que la Commission des Affaires Etrangères a vote la
semaine passee (4 mars), un pas inhabituel dans une longue histoire
de resolutions echouees sur la "Reconnaissance du Genocide Armenien".
Audiences du Congrès, resolutions en sous-commissions, promesses de
campagne appuyees, et tranquilles assurances, tout cela pour aboutir
a la meme conclusion previsible dès lors que la Turquie fait jouer les
muscles et menace ouvertement les interets americains dans la region.
Les Membres du Congrès acceptent de reculer, en fait non parce qu'ils
ne croient pas que les Armeniens ont ete victimes d'un genocide,
mais a cause d'interets nationaux percus comme tels au Moyen-Orient.
Selon la rengaine, faire face a l'histoire est une reponse morale alors
qu'aborder les erreurs historiques est conforme aux reels interets
nationaux de la region. Deux arguments semblent eternellement en
conflit : Securite Nationale contre moralite ou en d'autres termes,
realistes contre fondamentalistes moraux .
Les realistes turcs sont très concernes par la securite nationale . En
2007, une cour turque avait declares coupables deux journalistes
armeniens de Turquie, Arat Dink, fils du journaliste assassine
Hrant Dink, et Sarkis Seropyan, pour avoir use du mot "genocide" et
avoir prononce contre eux une peine de un an de prison. Le tribunal
avait declare que : "parler du genocide, a la fois en Turquie ou d'en
d'autres pays, affecte defavorablement [sic] la securite nationale et
l'interet national." Le jugement declarait en outre que la Republique
de Turquie fait l'objet d'" un siège diplomatique consistant en des
resolutions de genocide...L'acceptation de cette demande pourrait
conduire dans les siècles futurs a une remise en cause des droits
souverains de la Republique de Turquie..." Du fait de ces soucis pour
la securite nationale, le tribunal a declare que parler du genocide
de 1915 n'est pas protege. Le Tribunal a juge que "l'utilisation de
ces droits peut etre limite conformement a des objectifs tels que
la protection de la securite nationale, de l'ordre public, de la
securite publique." Les realistes , ici aux Etats Unis, devraient
se rendre compte que leur action est coherente avec les jugements
anti-democratiques du tribunal turc.
Pendant des decennies, l'etat turc a traite toute reconnaissance que
1915 etait un genocide comme une attaque contre sa securite nationale.
L'etat organisait une chasse aux sorcières contre les intellectuels et
les chercheurs qui y faisaient une reference quelconque. Orhan Pamuk,
l'auteur laureat du Prix Nobel, et Hrant Dink ont ete poursuivis,
traînes de salles d'audience en salles d'audience. L'assassinat de
Hrant Dink en 2007 etait une consequence inevitable de cette campagne.
Le Gouvernement et le Congrès des USA devraient reconnaître que la
Turquie utilise le pretexte de la securite nationale pour limiter la
liberte d'expression, un droit democratique fondamental. Assurement,
pour faire un retour sur l'histoire a present discutee, rappelons-nous
que les demandes des Armeniens pour l'egalite et la justice sociale
dans les annees de declin de l'Empire Ottoman etaient egalement
traitees comme des menaces envers l'etat. Le mantra de la securite
nationale devint un pretexte pour leur massacre et leur deportation.
Aujourd'hui, la demande pour une evaluation honnete de l'histoire
est traitee de la meme facon : comme un problème de securite.
L'ironie de la situation est que criminaliser une demande historique
au nom de la securite nationale n'est pas seulement un obstacle pour la
democratie, mais entraîne en meme temps de reels problèmes de securite
pour la Turquie et la region entière. Cette "prophetie auto-realisee "
peut-etre demontree par le Genocide Armenien hier et le problème kurde
aujourd'hui. Le problème kurde actuel s'est pose a la suite de leurs
demandes democratiques pour des reformes sociales, qui ont ete classees
menaces pour la securite. Aussi longtemps que la Turquie continue de
voir les principes moraux et la securite nationale comme exclusifs
les uns de l'autre, et refuse de se reconcilier avec son passe pour
des raisons de securite nationale - en fait, aussi longtemps que la
securite nationale turque est definie comme s'opposant a une evaluation
historique honnete - les problèmes internationaux persisteront.
Lorsqu'on connaît le Moyen-Orient, on reconnaît facilement que les
injustices et la negation persistante de ces injustices par l'un
ou l'autre des etats ou des groupes ethniques ou religieux sont
des pierres d'achoppement majeures. L'histoire et les injustices
historiques ne sont pas de simples questions academiques concernant
le passe, le passe EST le present dans le Moyen-Orient. Pour que la
realpolitik reussisse dans la region, il est necessaire de s'interroger
sur la place de la reconnaissance de fautes historiques dans une
politique de securite nationale.
Les Etats Unis doivent changer leur politique envers la reconnaissance
du Genocide Armenien et reevaluer ce qui constitue la securite pour
la Turquie. Au cours du 19 ème siècle, le concept francais de "bon
pour l'Orient" [c'est suffisamment bon pour l'Orient] a legitime
le colonialisme francais et fourni une justification pour rabaisser
les pays colonises et les actes commis dans ces pays. Les Etats Unis
doivent se debarrasser eux-memes de cette vision coloniale classique.
Si la democratie et le face a face avec l'histoire sont bons pour
les Etats Unis, il en est de meme pour la Turquie.
Le Congrès et la Maison Blanche doivent etre suspicieux envers le
canard de l'interet national employe comme moyen de rejeter la
resolution sur le genocide. Un tel argument va a l'encontre des
valeurs americaines et legitime la campagne d'etat turque contre les
intellectuels. Il nous faut nous mettre a chanter une chanson nouvelle
qui ne soutienne pas les regimes autoritaires et negationnistes au
Moyen-Orient. La securite en Turquie et aux Etats Unis doit integrer
le face a face avec l'histoire et la democratisation.
Obama est venu a Washington avec une plateforme pour le changement .
Je pose a nouveau ma question : quelle difference y a-t-il entre
les administrations Obama et Bush ? La reponse pourrait-elle etre
l'acceptation de la resolution sur le genocide et la promotion d'un
changement democratique au Moyen Orient ?