L'Express, France
23 Nov 2010
Robert Guédiguian: "Je suis devenu l'archiviste de Marseille''
Par L'Express, publié le 03/04/2008
Ses cheveux frisés, sa barbichette et son accent chantant confèrent à
Robert Guédiguian l'allure un peu désuète d'un instituteur
d'autrefois. D'origine arménienne et allemande, fils de docker,
réalisateur, acteur, producteur et scénariste, Robert Guédiguian a
grandi dans le quartier de l'Estaque. Quatorze de ses films prennent
pour toile de fond la cité phocéenne, dont les flots d'azur ont bercé
sa jeunesse. Sa filmographie est ancrée dans une réalité sociale,
flirtant avec le militantisme. Pour ses deux derniers films, Le
Promeneur du Champ de Mars et Le Voyage en Arménie,cet ancien
compagnon de route du Parti communiste, héritier d'un certain cinéma
populaire, s'était éloigné de Marseille. Après l'avoir désertée durant
quatre ans, il revient sur la Canebière avec son trio d'acteurs
fétiches (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan),
pour présenter son premier polar, Lady Jane, qui sort en salle le 9
avril.
Pour la première fois, vous signez un polar. Pourquoi vous lancer dans
le film de genre ?
D'habitude, je pars du sentiment assez fort de ce que je dois faire ou
dire. Au contraire, pour Lady Jane, je n'avais pas de logique, pas de
point de départ. J'avais seulement envie de revenir à mes fondamentaux
: mes acteurs fétiches et Marseille. J'avais aussi besoin de faire le
point sur ma carrière, sur ma vie. J'ai donc inversé ma manière de
travailler : plutôt que de réaliser un film en partant d'une idée,
j'en ai fait un pour découvrir ce que j'avais dans la tête. Pour ça,
il fallait que je me cale sur une forme précise.
Comment avez-vous construit votre récit ?
J'ai voulu prendre chacun des ingrédients du polar et les mettre dans
mon film. Il devait y avoir une séquence avec des coups de feu, une
autre avec des cadavres, des filatures, des billets dans le coffre
d'une banque, une scène dans une boîte de nuit avec des filles qui
dansent nues. Tous les clichés y sont. Et j'assume. On apprend en
faisant des pastiches ! Picasso a bien appris à peindre en copiant les
grands maîtres de la Renaissance...
Lady Jane parle de vengeance. D'une façon générale, vos films dressent
un tableau plutôt sombre de la société...
Le cinéma et l'art en général ont deux fonctions : dénoncer et
proposer. Je suis un excessif. Mes films sont tout noir, ou tout
blanc. La ville est tranquille, c'est un désastre ! Un catalogue
complet de ce qui ne va pas. En revanche, Marius et Jeannette montre
qu'il y a toujours de l'espoir. Je veux faire un cinéma juste, bon et
beau.
L'action de Lady Jane se déroule entre Marseille et Aix. Comment ce
vieil antagonisme a-t-il servi votre histoire ?
Dans mon film, il y a trois personnages principaux. Deux paumés, qui
viennent de Marseille, et la femme, qui a plutôt réussi et que j'ai
installée à Aix. L'opposition entre les deux villes saute aux yeux :
Aix est bourgeoise. Marseille, ça part dans tous les sens. C'est une «
ville monde », qui s'est construite sur sa diversité. Elle contient
toute la misère du monde, mais aussi toutes les cultures, tous les
commerces. Je compare toujours Marseille à New York. Ce sont des
mégapoles qui, depuis leur fondation, rassemblent le monde entier.
C'est leur vocation.
Vous vivez dans la région parisienne depuis trente ans. Pourquoi
continuer à filmer Marseille ?
Marseille donne une forme particulière à mes films. Je la choisis pour
la mer, la lumière, le climat, les constructions. Filmer Marseille,
c'est un peu comme me filmer moi-même.
C'est-à-dire ?
Il y a quelque chose de l'ordre du pillage dans le cinéma. On pique,
on vole des images, on les capture. Et ça, je m'y sens beaucoup plus
autorisé à Marseille qu'ailleurs. Je me dis que tout ça m'appartient.
Comme si je filmais ma maison. J'ai le droit de filmer ma maison, non
? Pourquoi j'irais planter une caméra dans une ville que je ne connais
pas ? J'essaye aussi de faire oeuvre de mémoire. En vingt-cinq ans et
quatorze films, je suis devenu l'archiviste en chef de Marseille !
Etes-vous nostalgique ?
J'habite Montreuil [en Seine-Saint-Denis] depuis plus de trente ans,
je ne compte pas revenir à Marseille. Mes filles sont parisiennes. Ou
marseillaises de seconde génération. Elles ne s'installeront pas ici.
En été, je loue un petit cabanon dans une calanque, près de l'Estaque,
avec un bateau. C'est tout.
Vous n'aviez pas réuni vos acteurs fétiches depuis longtemps. Est-ce
aussi un retour aux sources ?
J'ai envie de raconter ma vie et la leur dans le temps qui passe. Au
départ, il n'y avait aucune intention. Puis ça s'est développé,
théorisé. Il y a quelque chose de balzacien dans mes films et le
spectateur est entré dans cette comédie humaine. Les gens s'attachent
aux personnages. Ils ont envie de voir comment sera habillée Ariane,
si Dada [Jean-Pierre Darroussin] aura une moustache. Gérard [Meylan],
c'est mon double, l'acteur qui me représente, mon petit jouet. Quand
je tourne avec Gérard et Dada, je sais qu'il va se passer quelque
chose. Mes acteurs donnent une densité aux films, ils ont du charisme,
ils sont sensibles. Faire Marie-Jo et ses deux amours avec Isabelle
Huppert, André Dussollier et Daniel Auteuil, ça n'aurait aucun sens.
Vous leur demandez leur avis sur le scénario ?
Jamais ! Je m'intéresse à ce qu'ils pensent dans la vie, pas à leur
avis sur ce que j'écris. On est en connivence toute l'année, c'est
encore plus fort.
Quels liens entretenez-vous avec le public marseillais ?
Je ne fais pas du cinéma spécialement pour les Marseillais. Les
histoires que je raconte parlent d'humanité. Peu importe le décor : il
s'agit toujours de vie, d'amour et de mort. C'est universel !
D'ailleurs, mes films ont plus de succès à Toulouse qu'à Marseille. Je
fais un « cinéma combattant » qui plaît davantage là-bas qu'ici.
Marseille ne vous rend donc pas l'amour que vous lui portez ?
Je me fous d'être apprécié de l'élite marseillaise, même si c'est par
elle que passe la reconnaissance. Je ne suis pas un petit bourgeois.
Je suis né à l'Estaque. Ce qui me flatte vraiment, c'est quand des
pauvres gens me disent « Formidable ! Continuez ! » Durant le tournage
de Lady Jane, on a filmé dans un petit bistrot, au fond d'une cité. Un
mec qui habitait là a dit à son ami : « Mais tu connais pas
Guédiguian, bon Dieu ? Tu n'as pas vu Marius ? Tu n'as pas vu A la
vie, à la mort ! ? » Que ces gens-là me reconnaissent me fait
extrêmement plaisir. C'est une belle récompense.
Votre vision n'est-elle pas un peu manichéenne ?
J'exagère exprès, mais je ne suis pas loin de penser comme ça. Pour
moi, le mec de la Société générale [Jérôme Kerviel], c'est un méchant.
C'est évident que je suis plus du côté du mec qui balaye la rue, même
s'il est con et raciste. Quelque part, il a une excuse, des
circonstances atténuantes...
Que pensez-vous des clichés qui collent à Marseille ?
Vous voulez me parler de l'OM ? Dans toutes les villes pauvres, comme
Rio de Janeiro, Buenos Aires, Naples, Liverpool, l'équipe de football
est un fantasme. Je peux le comprendre, mais je le déplore. Je
comprends qu'on ait besoin de rêver, surtout lorsqu'on n'a rien. Mais
pour moi, rêver d'une victoire de l'OM, c'est navrant ! Les salaires
des joueurs, le fonctionnement du stade, les bénéfices de l'équipe, ça
ne me fait pas rêver. Qu'une équipe de foot devienne le seul emblème
de réussite, c'est affligeant. Je pense que les jeunes étaient plus
heureux quand ils se rêvaient maçon, parce que c'est un beau métier.
Joueur de foot ou rappeur, pour gagner plein de fric, voilà les
modèles de société qu'on offre à nos gamins ! Alors que la France
manque cruellement d'ouvriers !
Y a-t-il un cinéma marseillais ?
J'ai longtemps craché sur Pagnol. J'étais en réaction contre le côté «
Marseille est un village ». Marseille n'est pas un village. Et la
trilogie, c'est une caricature. Ça m'agace qu'on se réfère sans arrêt
à cette image du gentil cinéma de Pagnol. A Paris, on me la fait tout
le temps. Mais il y a aussi des choses exceptionnelles chez Pagnol.
Angèle ou Jofroi sont des chefs-d'oeuvre. Il avait des acteurs
formidables.
Vous êtes connu pour avoir le coeur à gauche. Faites-vous de votre
engagement politique le moteur de vos films ?
Non. Mes films reflètent simplement mes préoccupations. Ils parlent de
ce que je suis. Il y a sans doute une part d'exhibitionnisme
là-dedans. Mais on ne peut pas faire de belles choses en passant ce
qu'on est sous silence.
N'avez-vous pas l'impression que ce monde ouvrier, dont vous parlez si
souvent, est en voie de disparition ?
Bien sûr que si. L'Internationale est devenue un chant folklorique !
Avant, on se battait pour le communisme en France. Pas pour une
réduction sur un ticket de bus. Il y avait une espèce de passion
générale, c'était vachement bien. Ça n'existe plus aujourd'hui. Le
cinéma est arrivé dans ma vie au moment où je lchais le Parti
communiste. J'ai eu de la chance que ce train-là passe au moment où
j'en quittais un autre. Ce que je dis dans mes films a plus de force
qu'un dialogue politique. Et mon action plus d'efficacité que lorsque
j'étais au parti.
Vous êtes célèbre, vous gagnez bien votre vie. Comment vos convictions
s'accommodent-elles de ce changement de statut social ?
Je me suis débrouillé pour ne pas être très riche. Avec ma société, on
s'est arrangé pour ne pas trop me donner d'argent. Je m'attache à bien
payer mes stagiaires et mes acteurs. Je réinvestis en permanence dans
des films sur lesquels je perds parfois de l'argent. Je ne
supporterais pas d'être très riche. L'argent n'est qu'un moyen de
vivre confortablement, mais je ne veux pas en avoir plus. C'est ma
manière à moi de vivre mes idées communistes !
Propos recueillis par Anne-Laure Camberlein et Marie Ansel
Robert Guédiguian
1953 : naissance à Marseille.
1975 : il quitte la cité phocéenne pour Paris, dans le sillage de sa
compagne, Ariane Ascaride.
1980 : premier long-métrage, Dernier Eté.
1997 : Marius et Jeannette.
2000 : La ville est tranquille, constat terrifiant de la misère sociale.
2002 : Marie-Jo et ses deux amours.
2004 : Le Promeneur du Champ de Mars, récit des derniers jours de
François Mitterrand, d'après le livre de Georges-Marc Benamou.
2008 : premier polar : Lady Jane.
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/robert-guediguian-je-suis-devenu-l-archiviste-de-marseille_722258.html
From: A. Papazian
23 Nov 2010
Robert Guédiguian: "Je suis devenu l'archiviste de Marseille''
Par L'Express, publié le 03/04/2008
Ses cheveux frisés, sa barbichette et son accent chantant confèrent à
Robert Guédiguian l'allure un peu désuète d'un instituteur
d'autrefois. D'origine arménienne et allemande, fils de docker,
réalisateur, acteur, producteur et scénariste, Robert Guédiguian a
grandi dans le quartier de l'Estaque. Quatorze de ses films prennent
pour toile de fond la cité phocéenne, dont les flots d'azur ont bercé
sa jeunesse. Sa filmographie est ancrée dans une réalité sociale,
flirtant avec le militantisme. Pour ses deux derniers films, Le
Promeneur du Champ de Mars et Le Voyage en Arménie,cet ancien
compagnon de route du Parti communiste, héritier d'un certain cinéma
populaire, s'était éloigné de Marseille. Après l'avoir désertée durant
quatre ans, il revient sur la Canebière avec son trio d'acteurs
fétiches (Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin et Gérard Meylan),
pour présenter son premier polar, Lady Jane, qui sort en salle le 9
avril.
Pour la première fois, vous signez un polar. Pourquoi vous lancer dans
le film de genre ?
D'habitude, je pars du sentiment assez fort de ce que je dois faire ou
dire. Au contraire, pour Lady Jane, je n'avais pas de logique, pas de
point de départ. J'avais seulement envie de revenir à mes fondamentaux
: mes acteurs fétiches et Marseille. J'avais aussi besoin de faire le
point sur ma carrière, sur ma vie. J'ai donc inversé ma manière de
travailler : plutôt que de réaliser un film en partant d'une idée,
j'en ai fait un pour découvrir ce que j'avais dans la tête. Pour ça,
il fallait que je me cale sur une forme précise.
Comment avez-vous construit votre récit ?
J'ai voulu prendre chacun des ingrédients du polar et les mettre dans
mon film. Il devait y avoir une séquence avec des coups de feu, une
autre avec des cadavres, des filatures, des billets dans le coffre
d'une banque, une scène dans une boîte de nuit avec des filles qui
dansent nues. Tous les clichés y sont. Et j'assume. On apprend en
faisant des pastiches ! Picasso a bien appris à peindre en copiant les
grands maîtres de la Renaissance...
Lady Jane parle de vengeance. D'une façon générale, vos films dressent
un tableau plutôt sombre de la société...
Le cinéma et l'art en général ont deux fonctions : dénoncer et
proposer. Je suis un excessif. Mes films sont tout noir, ou tout
blanc. La ville est tranquille, c'est un désastre ! Un catalogue
complet de ce qui ne va pas. En revanche, Marius et Jeannette montre
qu'il y a toujours de l'espoir. Je veux faire un cinéma juste, bon et
beau.
L'action de Lady Jane se déroule entre Marseille et Aix. Comment ce
vieil antagonisme a-t-il servi votre histoire ?
Dans mon film, il y a trois personnages principaux. Deux paumés, qui
viennent de Marseille, et la femme, qui a plutôt réussi et que j'ai
installée à Aix. L'opposition entre les deux villes saute aux yeux :
Aix est bourgeoise. Marseille, ça part dans tous les sens. C'est une «
ville monde », qui s'est construite sur sa diversité. Elle contient
toute la misère du monde, mais aussi toutes les cultures, tous les
commerces. Je compare toujours Marseille à New York. Ce sont des
mégapoles qui, depuis leur fondation, rassemblent le monde entier.
C'est leur vocation.
Vous vivez dans la région parisienne depuis trente ans. Pourquoi
continuer à filmer Marseille ?
Marseille donne une forme particulière à mes films. Je la choisis pour
la mer, la lumière, le climat, les constructions. Filmer Marseille,
c'est un peu comme me filmer moi-même.
C'est-à-dire ?
Il y a quelque chose de l'ordre du pillage dans le cinéma. On pique,
on vole des images, on les capture. Et ça, je m'y sens beaucoup plus
autorisé à Marseille qu'ailleurs. Je me dis que tout ça m'appartient.
Comme si je filmais ma maison. J'ai le droit de filmer ma maison, non
? Pourquoi j'irais planter une caméra dans une ville que je ne connais
pas ? J'essaye aussi de faire oeuvre de mémoire. En vingt-cinq ans et
quatorze films, je suis devenu l'archiviste en chef de Marseille !
Etes-vous nostalgique ?
J'habite Montreuil [en Seine-Saint-Denis] depuis plus de trente ans,
je ne compte pas revenir à Marseille. Mes filles sont parisiennes. Ou
marseillaises de seconde génération. Elles ne s'installeront pas ici.
En été, je loue un petit cabanon dans une calanque, près de l'Estaque,
avec un bateau. C'est tout.
Vous n'aviez pas réuni vos acteurs fétiches depuis longtemps. Est-ce
aussi un retour aux sources ?
J'ai envie de raconter ma vie et la leur dans le temps qui passe. Au
départ, il n'y avait aucune intention. Puis ça s'est développé,
théorisé. Il y a quelque chose de balzacien dans mes films et le
spectateur est entré dans cette comédie humaine. Les gens s'attachent
aux personnages. Ils ont envie de voir comment sera habillée Ariane,
si Dada [Jean-Pierre Darroussin] aura une moustache. Gérard [Meylan],
c'est mon double, l'acteur qui me représente, mon petit jouet. Quand
je tourne avec Gérard et Dada, je sais qu'il va se passer quelque
chose. Mes acteurs donnent une densité aux films, ils ont du charisme,
ils sont sensibles. Faire Marie-Jo et ses deux amours avec Isabelle
Huppert, André Dussollier et Daniel Auteuil, ça n'aurait aucun sens.
Vous leur demandez leur avis sur le scénario ?
Jamais ! Je m'intéresse à ce qu'ils pensent dans la vie, pas à leur
avis sur ce que j'écris. On est en connivence toute l'année, c'est
encore plus fort.
Quels liens entretenez-vous avec le public marseillais ?
Je ne fais pas du cinéma spécialement pour les Marseillais. Les
histoires que je raconte parlent d'humanité. Peu importe le décor : il
s'agit toujours de vie, d'amour et de mort. C'est universel !
D'ailleurs, mes films ont plus de succès à Toulouse qu'à Marseille. Je
fais un « cinéma combattant » qui plaît davantage là-bas qu'ici.
Marseille ne vous rend donc pas l'amour que vous lui portez ?
Je me fous d'être apprécié de l'élite marseillaise, même si c'est par
elle que passe la reconnaissance. Je ne suis pas un petit bourgeois.
Je suis né à l'Estaque. Ce qui me flatte vraiment, c'est quand des
pauvres gens me disent « Formidable ! Continuez ! » Durant le tournage
de Lady Jane, on a filmé dans un petit bistrot, au fond d'une cité. Un
mec qui habitait là a dit à son ami : « Mais tu connais pas
Guédiguian, bon Dieu ? Tu n'as pas vu Marius ? Tu n'as pas vu A la
vie, à la mort ! ? » Que ces gens-là me reconnaissent me fait
extrêmement plaisir. C'est une belle récompense.
Votre vision n'est-elle pas un peu manichéenne ?
J'exagère exprès, mais je ne suis pas loin de penser comme ça. Pour
moi, le mec de la Société générale [Jérôme Kerviel], c'est un méchant.
C'est évident que je suis plus du côté du mec qui balaye la rue, même
s'il est con et raciste. Quelque part, il a une excuse, des
circonstances atténuantes...
Que pensez-vous des clichés qui collent à Marseille ?
Vous voulez me parler de l'OM ? Dans toutes les villes pauvres, comme
Rio de Janeiro, Buenos Aires, Naples, Liverpool, l'équipe de football
est un fantasme. Je peux le comprendre, mais je le déplore. Je
comprends qu'on ait besoin de rêver, surtout lorsqu'on n'a rien. Mais
pour moi, rêver d'une victoire de l'OM, c'est navrant ! Les salaires
des joueurs, le fonctionnement du stade, les bénéfices de l'équipe, ça
ne me fait pas rêver. Qu'une équipe de foot devienne le seul emblème
de réussite, c'est affligeant. Je pense que les jeunes étaient plus
heureux quand ils se rêvaient maçon, parce que c'est un beau métier.
Joueur de foot ou rappeur, pour gagner plein de fric, voilà les
modèles de société qu'on offre à nos gamins ! Alors que la France
manque cruellement d'ouvriers !
Y a-t-il un cinéma marseillais ?
J'ai longtemps craché sur Pagnol. J'étais en réaction contre le côté «
Marseille est un village ». Marseille n'est pas un village. Et la
trilogie, c'est une caricature. Ça m'agace qu'on se réfère sans arrêt
à cette image du gentil cinéma de Pagnol. A Paris, on me la fait tout
le temps. Mais il y a aussi des choses exceptionnelles chez Pagnol.
Angèle ou Jofroi sont des chefs-d'oeuvre. Il avait des acteurs
formidables.
Vous êtes connu pour avoir le coeur à gauche. Faites-vous de votre
engagement politique le moteur de vos films ?
Non. Mes films reflètent simplement mes préoccupations. Ils parlent de
ce que je suis. Il y a sans doute une part d'exhibitionnisme
là-dedans. Mais on ne peut pas faire de belles choses en passant ce
qu'on est sous silence.
N'avez-vous pas l'impression que ce monde ouvrier, dont vous parlez si
souvent, est en voie de disparition ?
Bien sûr que si. L'Internationale est devenue un chant folklorique !
Avant, on se battait pour le communisme en France. Pas pour une
réduction sur un ticket de bus. Il y avait une espèce de passion
générale, c'était vachement bien. Ça n'existe plus aujourd'hui. Le
cinéma est arrivé dans ma vie au moment où je lchais le Parti
communiste. J'ai eu de la chance que ce train-là passe au moment où
j'en quittais un autre. Ce que je dis dans mes films a plus de force
qu'un dialogue politique. Et mon action plus d'efficacité que lorsque
j'étais au parti.
Vous êtes célèbre, vous gagnez bien votre vie. Comment vos convictions
s'accommodent-elles de ce changement de statut social ?
Je me suis débrouillé pour ne pas être très riche. Avec ma société, on
s'est arrangé pour ne pas trop me donner d'argent. Je m'attache à bien
payer mes stagiaires et mes acteurs. Je réinvestis en permanence dans
des films sur lesquels je perds parfois de l'argent. Je ne
supporterais pas d'être très riche. L'argent n'est qu'un moyen de
vivre confortablement, mais je ne veux pas en avoir plus. C'est ma
manière à moi de vivre mes idées communistes !
Propos recueillis par Anne-Laure Camberlein et Marie Ansel
Robert Guédiguian
1953 : naissance à Marseille.
1975 : il quitte la cité phocéenne pour Paris, dans le sillage de sa
compagne, Ariane Ascaride.
1980 : premier long-métrage, Dernier Eté.
1997 : Marius et Jeannette.
2000 : La ville est tranquille, constat terrifiant de la misère sociale.
2002 : Marie-Jo et ses deux amours.
2004 : Le Promeneur du Champ de Mars, récit des derniers jours de
François Mitterrand, d'après le livre de Georges-Marc Benamou.
2008 : premier polar : Lady Jane.
http://www.lexpress.fr/culture/cinema/robert-guediguian-je-suis-devenu-l-archiviste-de-marseille_722258.html
From: A. Papazian