TANER AKCAM : LA CONFRONTATION AVEC 1915 EST NECESSAIRE POUR EN FINIR AVEC ERGENEKON
Stephane
armenews.com
mercredi 30 novembre 2011
J'ai essaye mercredi se resumer le jugement de la Cour Europeenne des
Droits de l'Homme dans l'affaire Taner Akcam c/ Turquie, par lequel
la cour a decide que l'Article 301 du code penal turc qui traite du
denigrement de l'identite turque viole le droit d'expression.
Je pense que c'est une decision qui fera date et qui forcera la
Turquie a eliminer cette loi dans le futur. J'ai demande a Akcam
ce qu'il pensait de cette decision et de l'article 301, s'il est
satisfait du jugement qu'il a obtenu dans cette affaire et si cette
decision aidera la Turquie a se confronter avec son passe. Akcam
m'a adresse quelques reponses qui font reflechir et des remarques
sur l'importance de la confrontation avec le passe en general. Je
voudrais partager les commentaires du professeur Akcam avec vous :
"Cette decision travaillera en fait en faveur de la Turquie. La
decision aide le pays a franchir un pas dans un domaine qui pose
un problème et sur lequel l'attention de chacun est attiree depuis
maintenant des annees. Nous avons cette loi mais l'executif s'oppose
a sa mise en ~\uvre et a son application. En d'autres termes, le
gouvernement se comporte comme si la loi qu'il avait lui-meme creee
n'existait pas. Peut-on imaginer situation plus ridicule ?
"Nous [la Turquie] agissons ainsi en toute occasion. Nous savons qu'il
y a un problème mais au lieu de le resoudre vraiment, nous agissons
'comme si' nous y apportions une solution. Nous attendons une decision
de la Cour Europeenne des Droits de l'Homme meme lorsqu'il ne s'agit
que de l'application ordinaire de la liberte d'expression et du droit.
Etait-ce vraiment necessaire ? Ne serait-ce que pour cela, cette
decision ne me fait pas vraiment plaisir.
"Mais permettez moi d'attirer votre attention sur un aspect beaucoup
plus important du problème qui se pose. Le jugement est important
historiquement parce que la cour relève la relation etroite qui
existe entre le discours sur l'histoire et la democratie. Pour le dire
très simplement, en 1915, a peu près un million de citoyens ottomans
armeniens ont ete aneantis. Je sais que du simple fait que ces mots
aient ete dits, beaucoup de personnes seront indignees, et c'est en
realite cette colère qui a amene le gouvernement a assimiler debat
historique et acte criminel dans l'article 301. Meme si, lorsqu'il
s'agit d'articles relatifs a cette affaire, nos journaux prefèrent
en referer a 'l'historien qui defend les arguments de la partie
armenienne' plutôt qu'a 'l'historien dont la liberte d'expression a
ete entravee'. Il n'y a pas de face 'armenienne' ou de face 'turque'
de l'histoire. Discuter de ce qui s'est vraiment passe au cours de
l'histoire, c'est en parler librement et ouvertement, sans legendes
et sans mythes. Aujourd'hui, personne ne se refère a la 'version
allemande' ou a la "version juive' lorsqu'on discute de l'Holocauste.
"Dans les annees qui viennent de s'ecouler, en parallèle avec ses
enquetes Balyoz et Ergenekon, la democratisation de la Turquie a fait
un enorme progrès. Elle a agit dans le sens de la diminution de la
tutelle des militaires sur le regime. Mais la democratie ne saurait
s'etablir que par le seul rejet des militaires hors de la politique.
Tous doivent se concentrer vers cet objectif : ceux qui ont organise
la haine contre les Armeniens et les Chretiens en Turquie, ceux
qui ont fomente les campagnes de diffamation contre Hrant Dink et
contre moi-meme, et ceux qui ont orchestre les campagnes contre les
'mensonges du genocide', prenant la defense des assassins de 1915,
sont principalement des membres du groupe Ergenekon. L'article 301
est essentiellement une loi avancee par le groupe Ergenekon. Pour
l'heure, les personnalites pro-Ergenekon sont emprisonnes, mais leur
loi, l'Article 301, est encore effective. N'oublions pas que ce sont
les personnalites pro-Ergenekon qui ont criminalise la discussion
historique en l'assimilant a une trahison et a une insulte a l'identite
turque. Ce sont eux qui se tenaient derrière les poursuites engagees
contre Hrant Dink et c'est pour cela que j'ai decide d'engager cette
procedure devant la Cour Europeenne des Droits de l'Homme. Si nous
ne voulons pas que la Turquie retombe encore une fois sous la tutelle
des militaires, si nous ne voulons pas qu'Ergenekon soit operationnel
a nouveau, il faudra nous habituer a parler de ce qui s'est passe
en 1915 et admettre qu'une grave injustice s'est produite dans le
passe. La Cour Europeenne nous a rappele ces faits par son jugement.
"A present, comme nation engagee dans un changement de constitution,
il faut nous debarrasser de ce residu de lois heritees d'Ergenekon. Il
y a un lien direct entre nier ce qui s'est passe en 1915, en accusant
ceux qui veulent en parler d'etre 'pro-armenien' et de 'traîtres' et
l'appartenance a Ergenekon. Je sais que cela est difficile a admettre
pour beaucoup d'entre nous, mais c'est un point crucial. Soit nous
sommes partisans de l'article 301 et de ceux qui accusent les autres
d'etre des traîtres parce qu'ils parlent librement de l'histoire,
soit nous sommes des personnes dotees de liberte de pensee, du côte
d'une Turquie qui parle librement de sa propre histoire et regarde le
futur avec confiance, tout en condamnant les assassinats du passe. Il
n'y a pas de troisième voie.
"Je me considère comme faisant partie de la societe civile turque et
je continuerai en meme temps a faire tout ce que je peux pour obtenir
que l'Article 301 soit retire du Code Penal Turc. Cet Article est
l'assassin de Hrant Dink. Cette disposition meurtrière doit etre
immediatement retiree. La Turquie est meilleure que cela. Je dedie
cette decision de la cour au president du parlement turc Cemil Cicek.
Dans le passe, il avait exprime son soutien pour cette disposition
meurtrière. C'est a lui a present de reparer cette infamie. C'est un
dû pour Hrant Dink et toutes les victimes".
Stephane
armenews.com
mercredi 30 novembre 2011
J'ai essaye mercredi se resumer le jugement de la Cour Europeenne des
Droits de l'Homme dans l'affaire Taner Akcam c/ Turquie, par lequel
la cour a decide que l'Article 301 du code penal turc qui traite du
denigrement de l'identite turque viole le droit d'expression.
Je pense que c'est une decision qui fera date et qui forcera la
Turquie a eliminer cette loi dans le futur. J'ai demande a Akcam
ce qu'il pensait de cette decision et de l'article 301, s'il est
satisfait du jugement qu'il a obtenu dans cette affaire et si cette
decision aidera la Turquie a se confronter avec son passe. Akcam
m'a adresse quelques reponses qui font reflechir et des remarques
sur l'importance de la confrontation avec le passe en general. Je
voudrais partager les commentaires du professeur Akcam avec vous :
"Cette decision travaillera en fait en faveur de la Turquie. La
decision aide le pays a franchir un pas dans un domaine qui pose
un problème et sur lequel l'attention de chacun est attiree depuis
maintenant des annees. Nous avons cette loi mais l'executif s'oppose
a sa mise en ~\uvre et a son application. En d'autres termes, le
gouvernement se comporte comme si la loi qu'il avait lui-meme creee
n'existait pas. Peut-on imaginer situation plus ridicule ?
"Nous [la Turquie] agissons ainsi en toute occasion. Nous savons qu'il
y a un problème mais au lieu de le resoudre vraiment, nous agissons
'comme si' nous y apportions une solution. Nous attendons une decision
de la Cour Europeenne des Droits de l'Homme meme lorsqu'il ne s'agit
que de l'application ordinaire de la liberte d'expression et du droit.
Etait-ce vraiment necessaire ? Ne serait-ce que pour cela, cette
decision ne me fait pas vraiment plaisir.
"Mais permettez moi d'attirer votre attention sur un aspect beaucoup
plus important du problème qui se pose. Le jugement est important
historiquement parce que la cour relève la relation etroite qui
existe entre le discours sur l'histoire et la democratie. Pour le dire
très simplement, en 1915, a peu près un million de citoyens ottomans
armeniens ont ete aneantis. Je sais que du simple fait que ces mots
aient ete dits, beaucoup de personnes seront indignees, et c'est en
realite cette colère qui a amene le gouvernement a assimiler debat
historique et acte criminel dans l'article 301. Meme si, lorsqu'il
s'agit d'articles relatifs a cette affaire, nos journaux prefèrent
en referer a 'l'historien qui defend les arguments de la partie
armenienne' plutôt qu'a 'l'historien dont la liberte d'expression a
ete entravee'. Il n'y a pas de face 'armenienne' ou de face 'turque'
de l'histoire. Discuter de ce qui s'est vraiment passe au cours de
l'histoire, c'est en parler librement et ouvertement, sans legendes
et sans mythes. Aujourd'hui, personne ne se refère a la 'version
allemande' ou a la "version juive' lorsqu'on discute de l'Holocauste.
"Dans les annees qui viennent de s'ecouler, en parallèle avec ses
enquetes Balyoz et Ergenekon, la democratisation de la Turquie a fait
un enorme progrès. Elle a agit dans le sens de la diminution de la
tutelle des militaires sur le regime. Mais la democratie ne saurait
s'etablir que par le seul rejet des militaires hors de la politique.
Tous doivent se concentrer vers cet objectif : ceux qui ont organise
la haine contre les Armeniens et les Chretiens en Turquie, ceux
qui ont fomente les campagnes de diffamation contre Hrant Dink et
contre moi-meme, et ceux qui ont orchestre les campagnes contre les
'mensonges du genocide', prenant la defense des assassins de 1915,
sont principalement des membres du groupe Ergenekon. L'article 301
est essentiellement une loi avancee par le groupe Ergenekon. Pour
l'heure, les personnalites pro-Ergenekon sont emprisonnes, mais leur
loi, l'Article 301, est encore effective. N'oublions pas que ce sont
les personnalites pro-Ergenekon qui ont criminalise la discussion
historique en l'assimilant a une trahison et a une insulte a l'identite
turque. Ce sont eux qui se tenaient derrière les poursuites engagees
contre Hrant Dink et c'est pour cela que j'ai decide d'engager cette
procedure devant la Cour Europeenne des Droits de l'Homme. Si nous
ne voulons pas que la Turquie retombe encore une fois sous la tutelle
des militaires, si nous ne voulons pas qu'Ergenekon soit operationnel
a nouveau, il faudra nous habituer a parler de ce qui s'est passe
en 1915 et admettre qu'une grave injustice s'est produite dans le
passe. La Cour Europeenne nous a rappele ces faits par son jugement.
"A present, comme nation engagee dans un changement de constitution,
il faut nous debarrasser de ce residu de lois heritees d'Ergenekon. Il
y a un lien direct entre nier ce qui s'est passe en 1915, en accusant
ceux qui veulent en parler d'etre 'pro-armenien' et de 'traîtres' et
l'appartenance a Ergenekon. Je sais que cela est difficile a admettre
pour beaucoup d'entre nous, mais c'est un point crucial. Soit nous
sommes partisans de l'article 301 et de ceux qui accusent les autres
d'etre des traîtres parce qu'ils parlent librement de l'histoire,
soit nous sommes des personnes dotees de liberte de pensee, du côte
d'une Turquie qui parle librement de sa propre histoire et regarde le
futur avec confiance, tout en condamnant les assassinats du passe. Il
n'y a pas de troisième voie.
"Je me considère comme faisant partie de la societe civile turque et
je continuerai en meme temps a faire tout ce que je peux pour obtenir
que l'Article 301 soit retire du Code Penal Turc. Cet Article est
l'assassin de Hrant Dink. Cette disposition meurtrière doit etre
immediatement retiree. La Turquie est meilleure que cela. Je dedie
cette decision de la cour au president du parlement turc Cemil Cicek.
Dans le passe, il avait exprime son soutien pour cette disposition
meurtrière. C'est a lui a present de reparer cette infamie. C'est un
dû pour Hrant Dink et toutes les victimes".