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Le drame des avortements sélectifs en Arménie

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    ARMENIE
    Le drame des avortements sélectifs en Arménie


    Lorsque Nariné gée de 35 ans fit le voyage depuis son village jusqu'à
    Erevan, elle se demandait si elle garderait son enfant. Mère de deux
    filles, il lui fallait un garçon. `Il me faut porter un garçon pour
    transmettre le nom de mon mari. Il devrait avoir un garçon à ses
    côtés,` dira-t-elle plus tard.

    `Ce n'est pas un secret : l'avortement sélectif est un problème en
    Arménie et heureusement, on commence à en parler`.

    Ce voyage cependant, s'est terminé sur une décision d'avorter. Elle
    était venue d'Erevan pour se soumettre à une échographie, afin de
    déterminer le sexe du f`tus. Il s'avéra que c'était une fille, et il
    lui a fallu faire ce choix difficile de mettre fin à sa grossesse. Une
    décision qui a eu son coût émotionnel : pendant plusieurs semaines,
    Nariné aura été en proie à la dépression, au sentiment de culpabilité
    et à des accès de larmes.

    L'histoire de Nariné n'est nullement unique dans l'ancien état
    soviétique ; au temps du communisme, l'avortement était le moyen
    national le plus répandu pour le contrôle des naissances. Cette
    pratique existe encore. Pendant des générations, les femmes
    arméniennes ont eu recours à l'avortement comme une forme de planning
    familial, pour maîtriser le nombre d'enfants et dernièrement, le sexe
    de leur progéniture.

    `Ce n'est pas un phénomène arménien seulement, ce n'est qu'un triste
    héritage de l'URSS`, nous dit, dans une entrevue avec Armenian Weekly,
    le docteur Kim Hekimian, qui enseigne au département de santé publique
    de l'Université Américaine d'Erevan.

    Pourquoi des Garçons ?

    Il n'est pas inhabituel pour les femmes arméniennes gées d'une
    quarantaine d'années, d'avoir subi des avortements multiples. Selon
    une étude de 1995 conduite à la clinique d'Erevan où se pratique
    l'avortement, le nombre moyen d'avortements qu'ont les femmes après 40
    ans est de 8. Certaines en ont eu jusqu'à 25 au moment de leur
    ménopause.

    D'un point de vue économique, ce n'est pas surprenant. Cette pratique
    était à la disposition des femmes gratuitement à l'époque soviétique.
    Aujourd'hui, elle a un prix relativement modéré, autour de 25 dollars.
    Cela reste une dépense abordable, du moins par comparaison au coût
    d'une année de la pilule contraceptive.

    L'avortement sélectif a aussi ses motivations socio-économiques.
    Traditionnellement, quand une fille grandit et se marie, elle quitte
    la résidence parentale. `Le retour d'investissement, en particulier
    dans les zones rurales, est faible si vous avez un enfant et si cet
    enfant est une fille. Un enfant garçon, pour sa part, devra prendre sa
    femme avec lui dans la maison et prendre soin de ses beaux-parents`,
    dit Hekimian.

    La loi arménienne permet à une femme d'avorter jusqu'à la douzième
    semaine - période dont la longueur ne permet pas de déterminer le sexe
    de l'enfant. Ce qui revient à dire que si l'un des déterminants de
    l'avortement est le sexe du f`tus, ces avortements sont pratiqués
    illégalement.

    D'après Garik Hayrapetyan, l'assistant du représentant arménien au
    Fond des Nations Unies pour la Population (UNFPA) `les données sur les
    naissances (en Arménie) montrent que le rapport sexe-à-la-naissance
    est anormal : 114 garçons pour 100 filles. Il n'y a pas de doute, le
    problème existe en Arménie`.

    La nature elle-même affecte la parité des sexes à la naissance, avec
    105 garçons pour 100 filles. Le décalage anormal entre les garçons et
    les filles est apparu dans les années 1990, parallèlement au
    développement de l'examen échographique dans le pays.

    `Ce n'est pas un secret que l'avortement sélectif est un problème en
    Arménie, et heureusement, on commence à en parler`, nous a dit Marine
    Margaryan, travailleuse sociale et coordinatrice de projet du Public
    Information and Need for Knowledge (PINK Armenia).` Mais pour la
    majorité, il n'y a rien à redire quant à l'avortement décidé sur le
    sexe. C'est l'approche stéréotypée et déformée du rôle que doivent
    avoir les femmes dans notre société qui pousse à ce déséquilibre`.

    Rapports et Mises en Garde

    Depuis quelques mois, la question de l'avortement sélectif frappe
    durement les esprits en Arménie, tandis qu'un certain nombre de
    rapports mentionnent l'Arménie comme faisant partie des pays où cette
    pratique atteint des niveaux préoccupants. Selon le Rapport 2011 sur
    l'Ecart entre les Sexes, rédigé par le Forum Economique Mondial,
    l'Arménie enregistre le plus mauvais résultat, après la Chine,
    s'agissant du ratio des sexes à la naissance. La Géorgie et
    l'Azerbaïdjan voisins dénotent la même tendance.

    En octobre 2011, l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe
    (APCE) a voté une résolution condamnant l'avortement sélectif.`Il y a
    des preuves solides que la sélection prénatale n'est pas limitée à la
    seule Asie. Au cours des années récentes, une différence par rapport
    au ratio naturel des sexes à la naissance a été observée dans un
    certain nombre de pays membres du Conseil de l'Europe et atteint des
    proportions alarmantes en Albanie, en Arménie, et en Azerbaïdjan`,
    lit-on dans le texte de la résolution, qui appelle ensuite les trois
    pays à analyser et surveiller cette évolution, et fournir ensuite leur
    soutien aux initiatives de sensibilisation.

    `Ce n'est pas seulement consternant, c'est aussi très embarrassant
    pour nous`, a dit- le docteur Gohar Panajyan, conseillère mère et
    enfant/santé et procréation/planning familial pour le projet HS-STAR
    de l'US Agency for International Development (USAID). `Nous avons été
    alertés d'abord par des sources officieuses`, a-elle-dit à Armenian
    Weekly, `mais nous manquons de données réellement scientifiques
    confirmant tout ce qui est propagé. A présent, la question se pose
    avec insistance dans le pays`.

    Panajyan pense qu'une stratégie à long-terme doit être adoptée, une
    solution qui tienne compte des normes sociétales et familiales de
    l'Arménie, et des aspirations.

    Les avortements ont baissé en Arménie, selon l'Armenia's Demographic
    and Health Survey (ADHS), Enquête Démographique et Sanitaire en
    Arménie. En 2010, le ratio des avortements était de 0,8 avortements
    par femme. Ce nombre était de 1,8 en 2005 et de 2,6 en 2000. A
    l'inverse, le taux de ratio de fertilité en 2010 était de 1,7
    naissances par femme, en dessous du niveau nécessaire pour remplacer
    la population actuelle (ce nombre devrait être un peu en dessus de
    2,0). Par conséquent, le nombre moyen d'avortement que les femmes
    subiront se situera à près de la moitié des enfants auxquels elles
    donneront naissance, selon le rapport.

    Les diverses méthodes de contraception

    Le défi actuel c'est la promotion de solutions alternatives à
    l'avortement, par l'amélioration de la disponibilité et de
    l'accessibilité des conseils qui dispensent aux couples les
    informations récentes de planification familiale. Il se peut que le
    dialogue ait été rendu compliqué par les décennies de propagande
    soviétique contre les méthodes contraceptives modernes comme la
    pilule.

    Les préservatifs n'étaient pas produits en quantité suffisante dans
    l'Union Soviétique, et leur qualité était médiocre. `Le premier groupe
    de discussion que j'ai réuni en 1995 était sur ce thème. Les femmes
    disaient que la seule utilité des préservatifs était lorsqu'elles
    épluchaient les pommes de terre. [Elles les auraient réservés à leur
    emploi] comme gant de latex dans la cuisine,` a dit Hekimian. Bien que
    leur qualité ait été sensiblement améliorée, le condom reste
    aujourd'hui trop cher pour la plupart des ménages arméniens. Une autre
    forme de contraception, le stérilet, était produit et utilisé en Union
    Soviétique, et il est toujours recommandé aujourd'hui.

    En 2010, vingt sept pourcent environ des femmes mariées avaient
    recours à des méthodes modernes de contraception, selon les données de
    l'ADHS. Le nombre de femmes qui optent pour des méthodes plus
    traditionnelles est légèrement plus élevé, 28 pour cent à peu près,
    telles que l'abstinence périodique, le retrait, et les `méthodes
    fantaisistes`. Bien que l'emploi de toutes formes de contraception ait
    diminué depuis 2000, le recours aux méthodes modernes s'est accru de
    20-22 pour cent à 27 pour cent. En particulier, l'emploi du
    préservatif s'est accru de 7 pour cent en 2000 et 15 pour cent en
    2010.

    Sensibilisation

    En janvier 2010, l'USAID a lancé en Arménie un projet d'amélioration
    de la santé de la maternité et de l'enfance connu sous le nom de
    Nova2. Le projet installait un centre de planification familiale dans
    24 établissements hospitaliers dans cinq régions du sud de l'Arménie.
    Le résultat a été une baisse notable de l'avortement. De même, UNFPA a
    participé à la création de 75 centres de planification familiale en
    Arménie, donnant gratuitement des conseils et des contraceptifs
    modernes au public. Selon Panajyan, le projet HS-STAR de l'USAID en
    cours crée des pratiques cliniques dont le ministère de la santé
    arménien fera la promotion, et également du conseil, auprès des
    professionnels de la santé d'Arménie.

    `C'est la première fois que j'entends à tous les niveaux des parties
    prenantes s'exprimer un intérêt dans les mesures prises et peut-être
    cela donnera-il un plus aux docteurs qui mettent ces conseils en
    pratique. C'est ce qui s'est produit au niveau ministériel, ce qui
    dénote je pense, la qualité du travail`, a dit Hekimian.

    Le fond de cette affaire réside dans le financement et la mise en
    application de ces initiatives dans le pays.

    Panajyan pense qu'il est trop tôt pour dire ce que réserve le futur,
    et si l'Arménie aura un déficit de femmes.

    `Concernée par le problème, l'UNFPA Arménie a financé une étude pour
    comprendre les raisons qui se trouvent derrière ce phénomène' a
    déclaré Hayrapetyan, ajoutant que les résultats de l'enquête seraient
    disponibles en décembre 2011.

    Une mère de trois enfants, Panajyan dit qu'elle avait apprécié sa
    troisième grossesse. Son plus grand désir, c'était d'avoir un enfant
    en bonne santé, quel que soit son sexe. 'Le problème en lui-même,
    l'approche discriminative à la naissance qui fait que chaque enfants
    n'a pas les mêmes chances à la naissance et de vivre, devrait être
    pris en compte', a-t-elle dit. `Je ne dis pas que des lois
    contraignantes devraient être votées et mises en pratique, mais on
    devrait faire quelque chose- au moins au niveau sociétal, pour
    sensibiliser le public à ce problème.'

    `Il y a eu un cas tragique récent, dans lequel une famille d'une
    région reculée - un père, une mère enceinte, et deux filles- se
    rendaient en voiture à Erevan pour y faire procéder pour la mère à une
    échographie, afin de déterminer le sexe du f`tus. Comme le père l'a
    révélé plus tard, ils avaient décidé d'un avortement si c'était une
    fille. Mais au cours de leur trajet pour Erevan, la famille eut un
    accident et l'une de leurs filles fut tuée`, racontait Hayrapetyan.
    Cela a changé complètement leurs vies, et leur approche de
    l'avortement sélectif.`

    Nanore Barsoumian

    Traduction Gilbert Béguian

    dimanche 4 décembre 2011,
    Stéphane ©armenews.com

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