Agence France Presse
3 décembre 2011 samedi 5:52 AM GMT
La fougue intacte d'un résistant de 94 ans, dernier survivant du
"groupe Manouchian"
VITRY-SUR-SEINE 3 déc 2011
Né en Turquie en plein génocide arménien, il a connu le Front
populaire et combattu dans la Résistance au sein du "groupe
Manouchian" dont il est le dernier survivant: à 94 ans, Arsène
Tchakarian reste un militant dans l'me, toujours révolté par le
"système capitaliste".
"Ce que je dis ne plaît pas à tout le monde, mais je m'en moque": dans
la veine d'un Stéphane Hessel et de ses indignations, M. Tchakarian
soigne sa mise mais n'a rien renié des idéaux communistes qui l'ont
conduit à traverser le XXe siècle en faisant le coup de poing contre
les "fascistes" et l'occupant nazi.
Installé dans un pavillon de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) transformé
en centre d'archives, ce vieil homme alerte, qui paraît vingt ans de
moins que son ge, concède bien un certain "embourgeoisement" mais se
reprend aussitôt: "J'appartiendrai toujours à la classe ouvrière".
Son destin se feuillète comme un livre d'histoire dont l'auteur balaie
les chapitres avec gourmandise.
Arrivé en 1930 à Paris, Arsène Tchakarian est un jeune apprenti
tailleur sous-payé lorqu'il croise le fer avec les ligues d'extrême
droite qui tentent de prendre d'assaut l'Assemblée en 1934. "Mon
patron m'avait promis 5 francs par semaine mais, même ça, il ne me le
donnait pas."
Deux ans plus tard, sa conscience communiste s'aiguise encore avec les
grèves du Front Populaire et les premiers congés-payés.
"Nom de code: Charles"
Quand la guerre éclate en 1939, Arsène Tchakarian n'est pas encore
français mais il est envoyé sur le front d'un conflit qui tourne
court. De retour à Paris, c'est le choc. "Il y avait des Allemands
partout, le drapeau nazi sur la Tour Eiffel", raconte-t-il.
Il compte alors parmi ses amis un certain Missak Manouchian,
journaliste dont il partage les origines arméniennes et l'engagement
communiste. C'est lui qui lui fournit les premiers tracts anti-nazis
en 1942, prémices d'un mouvement de résistance, regardé avec méfiance
par les gaullistes.
"Ils hésitaient à nous fournir des armes. L'URSS faisait peur et on
était des bolcheviques pour eux", sourit M. Tchakarian.
Après l'unification de la Résistance, c'est en 1943 que naît le
"Groupe Manouchian", composé d'immigrés (Italiens, Arméniens, juifs
polonais...) que les autorités allemandes tenteront de discréditer
dans la fameuse "Affiche rouge", en fustigeant une "armée du crime"
venue de l'étranger.
Arsène Tchakarian, "nom de code: Charles", a recensé sur une carte
tous les faits d'armes de son groupe: attaque contre des gendarmes en
mars 1943, sabotage de lignes de haute tension... "La France c'était
le pays des libertés mais on se battait aussi par anti-fascisme."
En février 1944, son groupe est décimé. 23 de ses camarades sont
arrêtés, jugés et exécutés. Arsène Tchakarian, qui a échappé au coup
de filet, en est aujourd'hui le dernier survivant. "Je suis un peu le
dernier des Mohicans, comme on dit", glisse-t-il.
Caché à Paris grce à un policier, M. Tchakarian est exfiltré vers
Bordeaux où il continuera à servir la Résistance jusqu'à la
Libération.
Bardé de décorations après-guerre, il devra patienter jusqu'en 1958
pour être naturalisé français et reprendra son activité de tailleur.
A bientôt 95 ans, il parcourt aujourd'hui lycées et collèges pour
témoigner, milite pour la reconnaissance du génocide arménien et porte
un oeil bienveillant sur le mouvement des Indignés.
"Avec la crise, on détruit des pays, on veut changer les régimes. Elle
est là maintenant, la vraie dictature", clame-t-il. Le "dernier des
Manouchian" n'a rien perdu de sa radicalité.
3 décembre 2011 samedi 5:52 AM GMT
La fougue intacte d'un résistant de 94 ans, dernier survivant du
"groupe Manouchian"
VITRY-SUR-SEINE 3 déc 2011
Né en Turquie en plein génocide arménien, il a connu le Front
populaire et combattu dans la Résistance au sein du "groupe
Manouchian" dont il est le dernier survivant: à 94 ans, Arsène
Tchakarian reste un militant dans l'me, toujours révolté par le
"système capitaliste".
"Ce que je dis ne plaît pas à tout le monde, mais je m'en moque": dans
la veine d'un Stéphane Hessel et de ses indignations, M. Tchakarian
soigne sa mise mais n'a rien renié des idéaux communistes qui l'ont
conduit à traverser le XXe siècle en faisant le coup de poing contre
les "fascistes" et l'occupant nazi.
Installé dans un pavillon de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) transformé
en centre d'archives, ce vieil homme alerte, qui paraît vingt ans de
moins que son ge, concède bien un certain "embourgeoisement" mais se
reprend aussitôt: "J'appartiendrai toujours à la classe ouvrière".
Son destin se feuillète comme un livre d'histoire dont l'auteur balaie
les chapitres avec gourmandise.
Arrivé en 1930 à Paris, Arsène Tchakarian est un jeune apprenti
tailleur sous-payé lorqu'il croise le fer avec les ligues d'extrême
droite qui tentent de prendre d'assaut l'Assemblée en 1934. "Mon
patron m'avait promis 5 francs par semaine mais, même ça, il ne me le
donnait pas."
Deux ans plus tard, sa conscience communiste s'aiguise encore avec les
grèves du Front Populaire et les premiers congés-payés.
"Nom de code: Charles"
Quand la guerre éclate en 1939, Arsène Tchakarian n'est pas encore
français mais il est envoyé sur le front d'un conflit qui tourne
court. De retour à Paris, c'est le choc. "Il y avait des Allemands
partout, le drapeau nazi sur la Tour Eiffel", raconte-t-il.
Il compte alors parmi ses amis un certain Missak Manouchian,
journaliste dont il partage les origines arméniennes et l'engagement
communiste. C'est lui qui lui fournit les premiers tracts anti-nazis
en 1942, prémices d'un mouvement de résistance, regardé avec méfiance
par les gaullistes.
"Ils hésitaient à nous fournir des armes. L'URSS faisait peur et on
était des bolcheviques pour eux", sourit M. Tchakarian.
Après l'unification de la Résistance, c'est en 1943 que naît le
"Groupe Manouchian", composé d'immigrés (Italiens, Arméniens, juifs
polonais...) que les autorités allemandes tenteront de discréditer
dans la fameuse "Affiche rouge", en fustigeant une "armée du crime"
venue de l'étranger.
Arsène Tchakarian, "nom de code: Charles", a recensé sur une carte
tous les faits d'armes de son groupe: attaque contre des gendarmes en
mars 1943, sabotage de lignes de haute tension... "La France c'était
le pays des libertés mais on se battait aussi par anti-fascisme."
En février 1944, son groupe est décimé. 23 de ses camarades sont
arrêtés, jugés et exécutés. Arsène Tchakarian, qui a échappé au coup
de filet, en est aujourd'hui le dernier survivant. "Je suis un peu le
dernier des Mohicans, comme on dit", glisse-t-il.
Caché à Paris grce à un policier, M. Tchakarian est exfiltré vers
Bordeaux où il continuera à servir la Résistance jusqu'à la
Libération.
Bardé de décorations après-guerre, il devra patienter jusqu'en 1958
pour être naturalisé français et reprendra son activité de tailleur.
A bientôt 95 ans, il parcourt aujourd'hui lycées et collèges pour
témoigner, milite pour la reconnaissance du génocide arménien et porte
un oeil bienveillant sur le mouvement des Indignés.
"Avec la crise, on détruit des pays, on veut changer les régimes. Elle
est là maintenant, la vraie dictature", clame-t-il. Le "dernier des
Manouchian" n'a rien perdu de sa radicalité.