REVUE DE PRESSE
Les îles des Princes, dernières traces de cosmopolitisme en Turquie
Les Turcs les appellent familièrement `adalar', autrement dit `les
îles'. Sur la carte, neuf bouts de terre posés en mer de Marmara, à
seulement quelques encablures d'Istanbul. Et déjà un autre monde, une
échappée belle, loin de la promiscuité et du tumulte affairé de la
capitale. Après une demi-heure de `vapur' au milieu des tankers et des
frêles esquifs de pêcheurs, les îles des Princes surgissent de la
brume.
Retraite des mystiques byzantins puis, au XIXe siècle, des élites
ottomanes, elles sont devenues le refuge des Stambouliotes fuyant les
chaleurs estivales.
Mille ans d'histoire y contemplent le voyageur, dans une atmosphère de
temps suspendu. Sur les quatre îles habitées de l'archipel, Kinaliada,
Burgazada, Heybeliada [ou Heybeli] et Büyükada, les voitures sont
bannies ; les déplacements s'effectuent à pied, à vélo et en calèche.
La vie s'y écoule paresseusement, entre les monastères byzantins
perchés à flanc de pinèdes, et les somptueuses villas en bois Belle
Epoque, enveloppées dans les effluves de jasmins et de
bougainvilliers.
Dès les premiers temps de l'Empire romain d'Orient, l'pre solitude
des îles a attiré les ermites, avant que les princes byzantins n'y
btissent couvents et monastères, ce qui valut aux îles le surnom de
Panadanisia, `îles des Prêtres'. Dans le silence des cloîtres, les
mystiques côtoyèrent bientôt les exilés politiques, alors que les
monastères devenaient des lieux d'emprisonnement au gré des intrigues
de cour, dont Byzance foisonnait. Une bastille insulaire pour
empereurs déchus, princes écartés du trône, généraux ou ministres à
l'ambition trop menaçante. Dans ce terminus des illusions perdues
furent un temps exilées les impératrices Zoé, Irène et Théodosia,
comme le patriarche Méthodius, confiné dans une crypte pendant sept
ans, tandis que l'empereur Romain IV Diogène y connut une fin
ignominieuse, une révolution de palais le laissant les yeux crevés,
enfermé dans un monastère où il mourut en peu de temps. Une tradition
tenace. En 1960, les membres du gouvernement du Parti démocrate,
renversés par un coup d'État militaire, furent emprisonnés sur la
petite île de Yassiada.
De ces geôles monacales, il ne reste que quelques ruines, et le nom
d'`îles des Princes' en référence aux illustres prisonniers. La
vocation religieuse des îles est, elle, toujours présente dans les
nombreuses églises et les quelques monastères orthodoxes qui se
dressent encore au sommet des collines boisées, en particulier celui
de la Sainte-Trinité. Construit au IXe siècle sur l'île d'Heybeliada,
il abritait depuis 1844 la grande école de théologie des orthodoxes,
qui forma tout le clergé grec de l'Empire ottoman, puis de la Turquie,
jusqu'en 1971. Les autorités turques l'ont fermé à la suite des
affrontements entre Grecs et Turcs à Chypre. A ce jour, le séminaire
est toujours clos, hypothéquant le renouvellement du clergé orthodoxe
turc malgré les pressions de l'Union européenne, qui a fait de sa
réouverture un test du respect de la liberté religieuse par Ankara.
`C'était une école de théologie unique. Tous les patriarches de
l'Empire sont sortis d'ici, et au XXe siècle le clergé orthodoxe
d'Amérique, d'Europe, d'Australie et des Balkans y était formé',
explique Sotirios Varnalidis, professeur de théologie à l'université
Aristote de Thessalonique, en Grèce, qui s'occupe aussi de la
magnifique bibliothèque du monastère, que des chercheurs du monde
entier continuent à fréquenter.
Elle abrite près de 60 000 livres, dont une partie du fonds
Métrophane, du nom du patriarche de Constantinople qui le constitua au
XVIe siècle. On y trouve quelques-uns des plus vieux livres imprimés
de l'Histoire. Joyau de la collection, un exemplaire des comédies
d'Aristophane daté de 1484. Exception faite des visiteurs temporaires,
seuls un évêque et un diacre veillent en permanence sur le monastère
de la Sainte-Trinité. `De temps en temps, des prêtres viennent de
Grèce pour assurer les fonctions liturgiques avec un visa de tourisme,
valable trois mois seulement, mais ce n'est pas une solution durable.
Nous ne pouvons pas dépendre de l'extérieur, nous avons besoin de nos
propres prêtres.'
Dans le monastère de Saint-Georges, sur Heybeliada, le rôle de gardien
du temple est tenu par l'archidiacre Nectarios Selalmazidis. L'édifice
a été construit il y a mille ans, et plusieurs fois rebti au gré des
tremblements de terre et des incendies successifs. Les derniers moines
sont partis au début du siècle dernier. `Le monastère était quasiment
vide quand je suis arrivé, il y a sept ans. J'ai alors commencé à
restaurer et à acheter des meubles et des objets anciens', se souvient
l'archidiacre. Avec la patience du collectionneur, il a donné des
allures de musée à ce monastère déserté. Dans les enfilades de pièces,
des poêles, des services à thé et des coffres de l'époque ottomane
voisinent avec les photos en noir et blanc des anciens patriarches, et
une précieuse relique, la robe d'ordination de Nicodème, patriarche de
Jérusalem à la fin du XIXe siècle.
Les îles furent souvent la proie des pillards, des pirates ou des
croisés. L'antique porte d'entrée de Saint-Georges porte les stigmates
de ces luttes anciennes : on y voit les traces d'une rigole où
s'écoulait l'huile bouillante que les moines destinaient aux
corsaires. Aujourd'hui encore, le monastère garde l'allure d'une
forteresse assiégée. Et les barbelés qui l'entourent et les terrains
qui lui ont été confisqués pour construire l'Ecole navale turque
témoignent des estocades politiques contemporaines, indexées sur les
relations entre la Grèce et la Turquie concernant la question
chypriote. Des antagonismes qui n'en finissent pas d'exaspérer
Nectarios Selalmazidis. `Nous avons des différences politiques, mais
nous sommes un même peuple. Nous avons vécu tant de siècles ensemble !
Nous avons la même nourriture, la même musique, les mêmes coutumes. Si
les gouvernements grec et turc décidaient de faire des tests ADN, ils
seraient bien en peine de nous différencier.'
Sous l'Empire ottoman, les minorités jouissaient d'une tradition de
tolérance. C'est sans doute les îles des Princes qui incarnent le
mieux ce que fut cette coexistence des communautés au temps de la
Sublime Porte. Au milieu du XIXe siècle, la création de la première
ligne de bateaux à vapeur entre Istanbul et les îles entraîna un
développement spectaculaire de ce qui n'était alors que de petits
villages de pêcheurs. Brusquement arrachées à leur isolement, les îles
devinrent le dernier lieu de villégiature à la mode. Les grands
négociants grecs, arméniens et juifs et les riches ottomans y firent
btir de somptueuses résidences d'été en bois, les kösk (entourés d'un
jardin) et les yali (situés sur le rivage).
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http://www.lemonde.fr/voyage/article/2011/11/24/les-iles-des-princes-dernieres-traces-de-cosmopolitisme_1607967_3546.html
dimanche 11 décembre 2011,
Stéphane ©armenews.com
Les îles des Princes, dernières traces de cosmopolitisme en Turquie
Les Turcs les appellent familièrement `adalar', autrement dit `les
îles'. Sur la carte, neuf bouts de terre posés en mer de Marmara, à
seulement quelques encablures d'Istanbul. Et déjà un autre monde, une
échappée belle, loin de la promiscuité et du tumulte affairé de la
capitale. Après une demi-heure de `vapur' au milieu des tankers et des
frêles esquifs de pêcheurs, les îles des Princes surgissent de la
brume.
Retraite des mystiques byzantins puis, au XIXe siècle, des élites
ottomanes, elles sont devenues le refuge des Stambouliotes fuyant les
chaleurs estivales.
Mille ans d'histoire y contemplent le voyageur, dans une atmosphère de
temps suspendu. Sur les quatre îles habitées de l'archipel, Kinaliada,
Burgazada, Heybeliada [ou Heybeli] et Büyükada, les voitures sont
bannies ; les déplacements s'effectuent à pied, à vélo et en calèche.
La vie s'y écoule paresseusement, entre les monastères byzantins
perchés à flanc de pinèdes, et les somptueuses villas en bois Belle
Epoque, enveloppées dans les effluves de jasmins et de
bougainvilliers.
Dès les premiers temps de l'Empire romain d'Orient, l'pre solitude
des îles a attiré les ermites, avant que les princes byzantins n'y
btissent couvents et monastères, ce qui valut aux îles le surnom de
Panadanisia, `îles des Prêtres'. Dans le silence des cloîtres, les
mystiques côtoyèrent bientôt les exilés politiques, alors que les
monastères devenaient des lieux d'emprisonnement au gré des intrigues
de cour, dont Byzance foisonnait. Une bastille insulaire pour
empereurs déchus, princes écartés du trône, généraux ou ministres à
l'ambition trop menaçante. Dans ce terminus des illusions perdues
furent un temps exilées les impératrices Zoé, Irène et Théodosia,
comme le patriarche Méthodius, confiné dans une crypte pendant sept
ans, tandis que l'empereur Romain IV Diogène y connut une fin
ignominieuse, une révolution de palais le laissant les yeux crevés,
enfermé dans un monastère où il mourut en peu de temps. Une tradition
tenace. En 1960, les membres du gouvernement du Parti démocrate,
renversés par un coup d'État militaire, furent emprisonnés sur la
petite île de Yassiada.
De ces geôles monacales, il ne reste que quelques ruines, et le nom
d'`îles des Princes' en référence aux illustres prisonniers. La
vocation religieuse des îles est, elle, toujours présente dans les
nombreuses églises et les quelques monastères orthodoxes qui se
dressent encore au sommet des collines boisées, en particulier celui
de la Sainte-Trinité. Construit au IXe siècle sur l'île d'Heybeliada,
il abritait depuis 1844 la grande école de théologie des orthodoxes,
qui forma tout le clergé grec de l'Empire ottoman, puis de la Turquie,
jusqu'en 1971. Les autorités turques l'ont fermé à la suite des
affrontements entre Grecs et Turcs à Chypre. A ce jour, le séminaire
est toujours clos, hypothéquant le renouvellement du clergé orthodoxe
turc malgré les pressions de l'Union européenne, qui a fait de sa
réouverture un test du respect de la liberté religieuse par Ankara.
`C'était une école de théologie unique. Tous les patriarches de
l'Empire sont sortis d'ici, et au XXe siècle le clergé orthodoxe
d'Amérique, d'Europe, d'Australie et des Balkans y était formé',
explique Sotirios Varnalidis, professeur de théologie à l'université
Aristote de Thessalonique, en Grèce, qui s'occupe aussi de la
magnifique bibliothèque du monastère, que des chercheurs du monde
entier continuent à fréquenter.
Elle abrite près de 60 000 livres, dont une partie du fonds
Métrophane, du nom du patriarche de Constantinople qui le constitua au
XVIe siècle. On y trouve quelques-uns des plus vieux livres imprimés
de l'Histoire. Joyau de la collection, un exemplaire des comédies
d'Aristophane daté de 1484. Exception faite des visiteurs temporaires,
seuls un évêque et un diacre veillent en permanence sur le monastère
de la Sainte-Trinité. `De temps en temps, des prêtres viennent de
Grèce pour assurer les fonctions liturgiques avec un visa de tourisme,
valable trois mois seulement, mais ce n'est pas une solution durable.
Nous ne pouvons pas dépendre de l'extérieur, nous avons besoin de nos
propres prêtres.'
Dans le monastère de Saint-Georges, sur Heybeliada, le rôle de gardien
du temple est tenu par l'archidiacre Nectarios Selalmazidis. L'édifice
a été construit il y a mille ans, et plusieurs fois rebti au gré des
tremblements de terre et des incendies successifs. Les derniers moines
sont partis au début du siècle dernier. `Le monastère était quasiment
vide quand je suis arrivé, il y a sept ans. J'ai alors commencé à
restaurer et à acheter des meubles et des objets anciens', se souvient
l'archidiacre. Avec la patience du collectionneur, il a donné des
allures de musée à ce monastère déserté. Dans les enfilades de pièces,
des poêles, des services à thé et des coffres de l'époque ottomane
voisinent avec les photos en noir et blanc des anciens patriarches, et
une précieuse relique, la robe d'ordination de Nicodème, patriarche de
Jérusalem à la fin du XIXe siècle.
Les îles furent souvent la proie des pillards, des pirates ou des
croisés. L'antique porte d'entrée de Saint-Georges porte les stigmates
de ces luttes anciennes : on y voit les traces d'une rigole où
s'écoulait l'huile bouillante que les moines destinaient aux
corsaires. Aujourd'hui encore, le monastère garde l'allure d'une
forteresse assiégée. Et les barbelés qui l'entourent et les terrains
qui lui ont été confisqués pour construire l'Ecole navale turque
témoignent des estocades politiques contemporaines, indexées sur les
relations entre la Grèce et la Turquie concernant la question
chypriote. Des antagonismes qui n'en finissent pas d'exaspérer
Nectarios Selalmazidis. `Nous avons des différences politiques, mais
nous sommes un même peuple. Nous avons vécu tant de siècles ensemble !
Nous avons la même nourriture, la même musique, les mêmes coutumes. Si
les gouvernements grec et turc décidaient de faire des tests ADN, ils
seraient bien en peine de nous différencier.'
Sous l'Empire ottoman, les minorités jouissaient d'une tradition de
tolérance. C'est sans doute les îles des Princes qui incarnent le
mieux ce que fut cette coexistence des communautés au temps de la
Sublime Porte. Au milieu du XIXe siècle, la création de la première
ligne de bateaux à vapeur entre Istanbul et les îles entraîna un
développement spectaculaire de ce qui n'était alors que de petits
villages de pêcheurs. Brusquement arrachées à leur isolement, les îles
devinrent le dernier lieu de villégiature à la mode. Les grands
négociants grecs, arméniens et juifs et les riches ottomans y firent
btir de somptueuses résidences d'été en bois, les kösk (entourés d'un
jardin) et les yali (situés sur le rivage).
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dimanche 11 décembre 2011,
Stéphane ©armenews.com