TURQUIE
Arrêter des intellectuels, c'est indigne
Quarante-quatre personnes, pour la plupart des intellectuels accusés
de liens avec les rebelles kurdes, ont été arrêtées ces derniers
jours. Le quotidien Milliyet dénonce ces pratiques, contraires à la
démocratie et à la liberté d'expression.
02.11.2011?|?Hasan Cemal?|?Milliyet
Les libertés fondamentales et les droits de l'homme ont été
constamment bafoués chez nous sous prétexte de lutte contre le
communisme, le fondamentalisme musulman, le séparatisme [kurde] et le
terrorisme. Et ils continuent de l'être. La liberté d'expression est
l'une des conditions indispensables à l'instauration d'une véritable
démocratie. Si la Turquie est encore aujourd'hui une démocratie de
seconde zone, c'est principalement parce que cette liberté y est
entravée. En s'appuyant sur plusieurs articles du code pénal, l'Etat a
pendant des années sanctionné durement et envoyé derrière les barreaux
écrivains, caricaturistes, journalistes et politiques.
Ainsi, pendant des années, les articles 141 et 142 ont puni l'adhésion
aux thèses communistes et séparatistes, tandis que l'article 163
réprimait les `activités contraires à la laïcité`. Quant aux articles
311 et 312, ils sanctionnaient ceux qui `[encourageaient] la
population à la révolte`. Si vous portez `atteinte à la personne
morale de l'Etat ou du gouvernement`, l'article 159 vous envoie tout
droit en prison. A la fin de la guerre froide, en 1991, estimant que
les articles 141, 142 et 163 commençaient à faire honte au pays, les
autorités turques ont décidé de les supprimer du code pénal. Sauf que
la loi antiterroriste promulguée au même moment a continué de porter
des coups à l'exercice de la liberté d'expression, le plus souvent
sous prétexte de séparatisme.
Est arrivé ensuite l'article 301 [condamnant les atteintes à la
`turcité` et dont le journaliste turco-arménien Hrant Dink, assassiné
en 2007, fut l'une des principales victimes]. Cet article, qualifié
pas plus tard que la semaine passée d'`ennemi de la démocratie` par la
Cour européenne des droits de l'homme, a été particulièrement
liberticide pendant les années 2000 et l'est encore aujourd'hui
[malgré la révision dont il a fait l'objet].
J'écris tout cela parce qu'il y a quelques jours l'éditeur Ragip
Zarakolu* s'est fait arrêter dans le cadre d'une opération policière
visant le KCK [organisation considérée comme faisant le lien entre le
PKK et le parti prokurde BDP]. Ce même Ragip Zarakolu qui depuis les
années 1970 subit les affres de tous ces articles liberticides. Cet
intellectuel qui a toujours combattu les interdits et les tabous. Ce
militant des droits de l'homme qui, par les livres qu'il a édités, a
fait la lumière sur nos tragédies et sur les origines du totalitarisme
chez nous. Comme me le disait un intellectuel kurde, `il n'a de cesse
de prouver que les Kurdes existent dans ce pays et que les Arméniens y
sont morts`.
Si les tabous sur le massacre - ou le génocide - des Arméniens, en
1915, ou sur cette question kurde qui retarde les progrès de la
démocratie dans notre pays, ont été un tant soit peu brisés, c'est
notamment à lui qu'on le doit. Cet individu, qui a déjà connu la
prison et la torture, a été l'un de ceux qui ont brisé le silence par
rapport à ces tabous, ce qui n'était pas chose facile à une époque où
tout le monde se taisait.
Je dénonce le placement en garde à vue de Ragip Zarakolu, celui de son
fils Deniz Zarakolu [arrêté début octobre], et celui du Pr Büsra
Ersanli. Je pense que ces opérations retardent l'instauration de la
paix et de la démocratie.
Note :* Ragip Zarakolu a notamment fait publier par Belge (c'est le
nom de sa maison d'édition) la traduction en turc d'ouvrages sur le
génocide arménien.
http://www.courrierinternational.com/article/2011/11/02/arreter-des-intellectuels-c-est-indigne
dimanche 11 décembre 2011,
Stéphane ©armenews.com
Arrêter des intellectuels, c'est indigne
Quarante-quatre personnes, pour la plupart des intellectuels accusés
de liens avec les rebelles kurdes, ont été arrêtées ces derniers
jours. Le quotidien Milliyet dénonce ces pratiques, contraires à la
démocratie et à la liberté d'expression.
02.11.2011?|?Hasan Cemal?|?Milliyet
Les libertés fondamentales et les droits de l'homme ont été
constamment bafoués chez nous sous prétexte de lutte contre le
communisme, le fondamentalisme musulman, le séparatisme [kurde] et le
terrorisme. Et ils continuent de l'être. La liberté d'expression est
l'une des conditions indispensables à l'instauration d'une véritable
démocratie. Si la Turquie est encore aujourd'hui une démocratie de
seconde zone, c'est principalement parce que cette liberté y est
entravée. En s'appuyant sur plusieurs articles du code pénal, l'Etat a
pendant des années sanctionné durement et envoyé derrière les barreaux
écrivains, caricaturistes, journalistes et politiques.
Ainsi, pendant des années, les articles 141 et 142 ont puni l'adhésion
aux thèses communistes et séparatistes, tandis que l'article 163
réprimait les `activités contraires à la laïcité`. Quant aux articles
311 et 312, ils sanctionnaient ceux qui `[encourageaient] la
population à la révolte`. Si vous portez `atteinte à la personne
morale de l'Etat ou du gouvernement`, l'article 159 vous envoie tout
droit en prison. A la fin de la guerre froide, en 1991, estimant que
les articles 141, 142 et 163 commençaient à faire honte au pays, les
autorités turques ont décidé de les supprimer du code pénal. Sauf que
la loi antiterroriste promulguée au même moment a continué de porter
des coups à l'exercice de la liberté d'expression, le plus souvent
sous prétexte de séparatisme.
Est arrivé ensuite l'article 301 [condamnant les atteintes à la
`turcité` et dont le journaliste turco-arménien Hrant Dink, assassiné
en 2007, fut l'une des principales victimes]. Cet article, qualifié
pas plus tard que la semaine passée d'`ennemi de la démocratie` par la
Cour européenne des droits de l'homme, a été particulièrement
liberticide pendant les années 2000 et l'est encore aujourd'hui
[malgré la révision dont il a fait l'objet].
J'écris tout cela parce qu'il y a quelques jours l'éditeur Ragip
Zarakolu* s'est fait arrêter dans le cadre d'une opération policière
visant le KCK [organisation considérée comme faisant le lien entre le
PKK et le parti prokurde BDP]. Ce même Ragip Zarakolu qui depuis les
années 1970 subit les affres de tous ces articles liberticides. Cet
intellectuel qui a toujours combattu les interdits et les tabous. Ce
militant des droits de l'homme qui, par les livres qu'il a édités, a
fait la lumière sur nos tragédies et sur les origines du totalitarisme
chez nous. Comme me le disait un intellectuel kurde, `il n'a de cesse
de prouver que les Kurdes existent dans ce pays et que les Arméniens y
sont morts`.
Si les tabous sur le massacre - ou le génocide - des Arméniens, en
1915, ou sur cette question kurde qui retarde les progrès de la
démocratie dans notre pays, ont été un tant soit peu brisés, c'est
notamment à lui qu'on le doit. Cet individu, qui a déjà connu la
prison et la torture, a été l'un de ceux qui ont brisé le silence par
rapport à ces tabous, ce qui n'était pas chose facile à une époque où
tout le monde se taisait.
Je dénonce le placement en garde à vue de Ragip Zarakolu, celui de son
fils Deniz Zarakolu [arrêté début octobre], et celui du Pr Büsra
Ersanli. Je pense que ces opérations retardent l'instauration de la
paix et de la démocratie.
Note :* Ragip Zarakolu a notamment fait publier par Belge (c'est le
nom de sa maison d'édition) la traduction en turc d'ouvrages sur le
génocide arménien.
http://www.courrierinternational.com/article/2011/11/02/arreter-des-intellectuels-c-est-indigne
dimanche 11 décembre 2011,
Stéphane ©armenews.com