LE DERNIER DES ARMENIENS : UNE CHASSE AU TRESOR DANS DES VILLAGES PRES DE DIYARBAKIR
Source/Lien : Armenian Trends - Mes Armenies
Publie le : 15-12-2011
" Ils cherchent des tresors ? ", s'enquiert un Kurde auprès de notre
chauffeur, tandis que les autres examinent d'un ~\il curieux notre
voiture. Nous sommes dans le village de Kabi (aujourd'hui Bagivar),
qui comptait dix-neuf foyers armeniens avant le genocide.
Je peux a peine voir George dans la banquette arrière. Il brandit ses
anciennes et nouvelles cartes de la Turquie, essayant de determiner
quel village visiter ensuite.
Notre chauffeur Umit (" espoir " en turc) explique aux habitants que
nous sommes des Armeniens venus des Etats-Unis, en quete de temoignages
culturels et religieux de nos ancetres dans la region.
" Y avait-il une eglise armenienne dans ce village ? ",
demandons-nous. George est persuade qu'il y en avait une - nous
voulons simplement determiner son emplacement. Statisticien, qui a
etudie, des annees durant, les archives demographiques ottomanes (1),
George detient une liste d'eglises et de monastères qui existaient
jadis dans toute la province de Diyarbakir, village par village.
Une discussion animee s'ensuit en kurde entre notre chauffeur et
les autres, qui prennent le the devant la maison où nous nous sommes
gares. Un homme âge concentre l'attention ; il explique quelque chose,
tout enthousiaste. " Tu crois que le vieil homme sait où le tresor
est cache ? " Je tente timidement de plaisanter. George sourit et
replonge dans ses cartes.
Un autre habitant, muni d'une information que lui a transmise le vieil
homme, saute dans notre voiture et nous voila partis. Après toute une
serie de virages a gauche et a droite, dans des rues rocailleuses,
nous arrivons a destination. L'homme nous indique ceremonieusement
un edifice et nous dit : " Voila où se trouvait l'eglise armenienne. "
Nous photographions le bâtiment guère inspirant qui a remplace l'eglise
armenienne avec le zèle de paparazzi esperant une celebrite, mais ne
decouvrant que son cousin eloigne. On devine a nos mines que nous ne
pouvons pas continuer a nous documenter sur des eglises qui ont ete
rasees a meme le sol.
" Existe-t-il une eglise armenienne encore debout par ici ? ",
demande-je en turc au premier quidam qui passe. C'est une vieille
femme et je m'imagine qu'elle doit savoir. Pas de chance, elle ne
sait pas ; elle n'est arrivee dans la region de Diyarbakir qu'il y
a vingt ans, mais - lot de consolation - elle adore les Armeniens "
comme s'ils etaient mes parents et enfants ! ", dit-elle.
Je n'abandonne pas. Quelques conversations plus tard, nous avons une
nouvelle destination : Satikoy. George, dont la grand-mère est de
Diyarbakir, souligne le fait que les 70 foyers de Satikoy etaient
tous peuples d'Armeniens avant le genocide.
***
Satikoy compte une mosquee. Son imposant bâtiment parmi des maisons
sans pretention est difficile a eviter. Et notre eglise se trouve a
cet endroit precis.
Un habitant me raconte que le toit de l'eglise s'effondra " après
le depart des Armeniens ". Un autre intervient pour rectifier :
" Il veut dire après le katliam, le soykirim (termes turcs pour "
massacre " et " genocide ", respectivement).
Le toit fut rebâti plus tard et l'ensemble monastique converti
en mosquee.
L'interieur de ce qui fut autrefois le vank [monastère] de Toukh
Manoug Khatch (khatch signifie croix en armenien) a ete repeint et il
n'existe plus aucune trace visible de son passe armenien. Au dehors,
nous contemplons l'etendue, aujourd'hui sterile, de ce qui fut jadis le
vignoble de l'eglise. Avant le genocide, les Armeniens de Diyarbakir et
des environs avaient coutume de se rendre dans ce complexe monastique
lors des fetes de l'Exaltation de la Sainte Croix, a la mi-septembre,
m'apprendra le Reverend Leylekian a mon retour aux Etats-Unis.
Je sors du complexe et j'entame une balade. Je surprends quelques
personnes en train de parler a notre chauffeur au sujet des cartes
de George, lui demandant si nous cherchons quelque tresor. Hrant Dink
reservait une reponse imparable a ceux qui en Turquie rôdent parmi les
cimetières et les eglises armeniennes en ruines, en quete de tresors :
" Vous creusez et vous cherchez des tresors sous terre, disait-il,
sans voir que le veritable tresor marchait sur la terre dans ces
regions et fut aneanti ! "
Les voix de George, Umit et des habitants obsedes par le tresor
s'apaisent lentement. Je me trouve maintenant dans une rue etroite,
entre le complexe monastique et une hauteur. Un vieux tracteur
approche. Je m'ecarte. Le conducteur sourit et me demande d'où
je viens.
" Je suis un Armenien d'Amerique ! Je suis venu voir l'eglise ! ",
lui repondis-je.
Il eteint le moteur et descend du tracteur. Il se met a me parler en
detail des Armeniens qui vivaient au village, voici presque un siècle.
Il me designe un endroit voisin, empli de maisons : " Le cimetière
armenien se trouvait la ! Ils l'ont detruit et construit ces maisons.
J'ai demande a notre imam si l'islam permet cela. Il m'a dit qu'aucun
site religieux ne devrait etre profane. "
Son regard est triste, lorsqu'il s'exprime. Puis ses yeux s'emplissent
de larmes.
" Mon père etait un jeune garcon armenien, lorsque le genocide est
arrive. Toute sa famille fut massacree - ses parents, ses frères,
ses s~\urs. Il fut emmene par des nouveaux arrivants et survecut. Il
ne reste plus aucun Armenien ici ! "
Il detourne son regard.
Je songe a mes grands-parents, ceux que j'ai connus et ceux que je
n'ai jamais rencontres. Je m'avance vers lui. Nous nous serrons dans
nos bras.
Je vois George qui s'approche, cartes dans une main, camera de
l'autre. Je lui demande de nous photographier tous les deux. Peu après,
l'homme rallume le moteur. Mais, avant de demarrer, il nous indique
une direction opposee : " Marchez 200 mètres environ par la !
Il y a une etendue où les Armeniens se rassemblaient pour celebrer
leur fete religieuse. Il n'y a rien maintenant. Mais vous sentirez
leur presence... " Le bruit de son engin couvre sa voix.
Je me tourne vers cette direction et commence a marcher.
J'ai decouvert le tresor.
Source/Lien : Armenian Trends - Mes Armenies
Publie le : 15-12-2011
" Ils cherchent des tresors ? ", s'enquiert un Kurde auprès de notre
chauffeur, tandis que les autres examinent d'un ~\il curieux notre
voiture. Nous sommes dans le village de Kabi (aujourd'hui Bagivar),
qui comptait dix-neuf foyers armeniens avant le genocide.
Je peux a peine voir George dans la banquette arrière. Il brandit ses
anciennes et nouvelles cartes de la Turquie, essayant de determiner
quel village visiter ensuite.
Notre chauffeur Umit (" espoir " en turc) explique aux habitants que
nous sommes des Armeniens venus des Etats-Unis, en quete de temoignages
culturels et religieux de nos ancetres dans la region.
" Y avait-il une eglise armenienne dans ce village ? ",
demandons-nous. George est persuade qu'il y en avait une - nous
voulons simplement determiner son emplacement. Statisticien, qui a
etudie, des annees durant, les archives demographiques ottomanes (1),
George detient une liste d'eglises et de monastères qui existaient
jadis dans toute la province de Diyarbakir, village par village.
Une discussion animee s'ensuit en kurde entre notre chauffeur et
les autres, qui prennent le the devant la maison où nous nous sommes
gares. Un homme âge concentre l'attention ; il explique quelque chose,
tout enthousiaste. " Tu crois que le vieil homme sait où le tresor
est cache ? " Je tente timidement de plaisanter. George sourit et
replonge dans ses cartes.
Un autre habitant, muni d'une information que lui a transmise le vieil
homme, saute dans notre voiture et nous voila partis. Après toute une
serie de virages a gauche et a droite, dans des rues rocailleuses,
nous arrivons a destination. L'homme nous indique ceremonieusement
un edifice et nous dit : " Voila où se trouvait l'eglise armenienne. "
Nous photographions le bâtiment guère inspirant qui a remplace l'eglise
armenienne avec le zèle de paparazzi esperant une celebrite, mais ne
decouvrant que son cousin eloigne. On devine a nos mines que nous ne
pouvons pas continuer a nous documenter sur des eglises qui ont ete
rasees a meme le sol.
" Existe-t-il une eglise armenienne encore debout par ici ? ",
demande-je en turc au premier quidam qui passe. C'est une vieille
femme et je m'imagine qu'elle doit savoir. Pas de chance, elle ne
sait pas ; elle n'est arrivee dans la region de Diyarbakir qu'il y
a vingt ans, mais - lot de consolation - elle adore les Armeniens "
comme s'ils etaient mes parents et enfants ! ", dit-elle.
Je n'abandonne pas. Quelques conversations plus tard, nous avons une
nouvelle destination : Satikoy. George, dont la grand-mère est de
Diyarbakir, souligne le fait que les 70 foyers de Satikoy etaient
tous peuples d'Armeniens avant le genocide.
***
Satikoy compte une mosquee. Son imposant bâtiment parmi des maisons
sans pretention est difficile a eviter. Et notre eglise se trouve a
cet endroit precis.
Un habitant me raconte que le toit de l'eglise s'effondra " après
le depart des Armeniens ". Un autre intervient pour rectifier :
" Il veut dire après le katliam, le soykirim (termes turcs pour "
massacre " et " genocide ", respectivement).
Le toit fut rebâti plus tard et l'ensemble monastique converti
en mosquee.
L'interieur de ce qui fut autrefois le vank [monastère] de Toukh
Manoug Khatch (khatch signifie croix en armenien) a ete repeint et il
n'existe plus aucune trace visible de son passe armenien. Au dehors,
nous contemplons l'etendue, aujourd'hui sterile, de ce qui fut jadis le
vignoble de l'eglise. Avant le genocide, les Armeniens de Diyarbakir et
des environs avaient coutume de se rendre dans ce complexe monastique
lors des fetes de l'Exaltation de la Sainte Croix, a la mi-septembre,
m'apprendra le Reverend Leylekian a mon retour aux Etats-Unis.
Je sors du complexe et j'entame une balade. Je surprends quelques
personnes en train de parler a notre chauffeur au sujet des cartes
de George, lui demandant si nous cherchons quelque tresor. Hrant Dink
reservait une reponse imparable a ceux qui en Turquie rôdent parmi les
cimetières et les eglises armeniennes en ruines, en quete de tresors :
" Vous creusez et vous cherchez des tresors sous terre, disait-il,
sans voir que le veritable tresor marchait sur la terre dans ces
regions et fut aneanti ! "
Les voix de George, Umit et des habitants obsedes par le tresor
s'apaisent lentement. Je me trouve maintenant dans une rue etroite,
entre le complexe monastique et une hauteur. Un vieux tracteur
approche. Je m'ecarte. Le conducteur sourit et me demande d'où
je viens.
" Je suis un Armenien d'Amerique ! Je suis venu voir l'eglise ! ",
lui repondis-je.
Il eteint le moteur et descend du tracteur. Il se met a me parler en
detail des Armeniens qui vivaient au village, voici presque un siècle.
Il me designe un endroit voisin, empli de maisons : " Le cimetière
armenien se trouvait la ! Ils l'ont detruit et construit ces maisons.
J'ai demande a notre imam si l'islam permet cela. Il m'a dit qu'aucun
site religieux ne devrait etre profane. "
Son regard est triste, lorsqu'il s'exprime. Puis ses yeux s'emplissent
de larmes.
" Mon père etait un jeune garcon armenien, lorsque le genocide est
arrive. Toute sa famille fut massacree - ses parents, ses frères,
ses s~\urs. Il fut emmene par des nouveaux arrivants et survecut. Il
ne reste plus aucun Armenien ici ! "
Il detourne son regard.
Je songe a mes grands-parents, ceux que j'ai connus et ceux que je
n'ai jamais rencontres. Je m'avance vers lui. Nous nous serrons dans
nos bras.
Je vois George qui s'approche, cartes dans une main, camera de
l'autre. Je lui demande de nous photographier tous les deux. Peu après,
l'homme rallume le moteur. Mais, avant de demarrer, il nous indique
une direction opposee : " Marchez 200 mètres environ par la !
Il y a une etendue où les Armeniens se rassemblaient pour celebrer
leur fete religieuse. Il n'y a rien maintenant. Mais vous sentirez
leur presence... " Le bruit de son engin couvre sa voix.
Je me tourne vers cette direction et commence a marcher.
J'ai decouvert le tresor.