Le Monde, France
18 décembre 2011 dimanche
En Turquie, protestations officielles contre la France avant un vote
au Palais-Bourbon sur le génocide arménien
Guillaume Perrier
L'Assemblée nationale examine la possible pénalisation de la négation
du génocide de 1915
Les relations franco-turques menacent de connaître une nouvelle
période de turbulences. Dans une lettre envoyée vendredi 16 décembre
au président de la République, Nicolas Sarkozy, le premier ministre
turc, Recep Tayyip Erdogan a averti Paris des " graves conséquences "
pour les relations bilatérales, " sur le plan politique, économique et
culturel ", qu'impliquerait l'adoption d'une loi pénalisant la
négation du génocide arménien. L'Assemblée nationale française doit
examiner, le 22 décembre, une proposition de loi déposée par la
députée (UMP) Valérie Boyer, fruit du travail d'un avocat de
Marseille, Philippe Kirkorian, selon laquelle toute personne qui
nierait ou contesterait le génocide des Arméniens de l'Empire ottoman
par le gouvernement nationaliste Jeune Turc en 1915 serait passible
d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende.
Le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a dénoncé
cette semaine la " mentalité moyengeuse " de la France et les "
calculs électoralistes du président Sarkozy".
La diplomatie turque ne veut pas, pour le moment, parler de sanctions,
évoquant seulement un éventuel rappel de l'ambassadeur à Paris pour
consultations, " une mesure de routine ". S'il était adopté par les
députés, le texte devrait encore passer devant le Sénat, qui avait
rejeté une proposition de loi similaire, en mai, ainsi que le
souhaitait l'Elysée. Comme, depuis, le Sénat a changé de majorité, le
résultat du vote pourrait être différent. Tous les leviers de pression
se mettent en place. L'association patronale Tüsiad et l'Union des
chambres de commerce et d'industrie (TOBB) ont envoyé une délégation à
Paris pour y rencontrer des représentants du Medef. En 2006, après le
vote du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, la Turquie
avait exclu les entreprises françaises de marchés publics et écarté
GDF d'une participation au projet de gazoduc Nabucco.
Tabou historique
Depuis l'adoption par la France, en 2001, d'une loi reconnaissant le
génocide arménien de 1915, la question s'invite régulièrement dans les
relations franco-turques. " Malheureusement, à chaque fois que la
France entre en campagne électorale, ce type d'attitude se manifeste
de nouveau ", déplore Volkan Bozkir, président de la commission des
affaires étrangères au Parlement, qui conduira un groupe de députés
turcs devant arriver lundi 19 décembre à Paris pour deux jours de
consultations. Les intérêts économiques - les échanges se montent à 8
milliards d'euros - et la coopération culturelle pourraient ptir de
cette situation, prévient ce député du parti au pouvoir AKP. " Ce
sujet doit être laissé aux historiens et ne peut pas être jugé par les
parlements ", estime Yusuf Halaçoglu, élu du parti nationaliste MHP et
ancien directeur de l'Institut d'histoire turque, qui a élaboré la
version officielle de l'Etat turc sur la tragédie de 1915.
La délégation turque représentera " un Parlement à l'unisson ", selon
Osman Korotürk, député du parti kémaliste CHP et ex-ambassadeur turc
en France. Mais les députés du parti kurde BDP, favorables à une
reconnaissance du génocide arménien, ont affirmé ne pas avoir été
invités à y participer.
Vendredi, une cinquantaine de militants nationalistes du Comité Talaat
Pacha, du nom du ministre de l'intérieur qui organisa à l'époque la
déportation des Arméniens, ont manifesté devant l'ambassade de France
à Ankara.
Plus que l'hostilité, cette initiative provoque l'incompréhension en
Turquie. Et les historiens et les intellectuels qui se sont employés
ces dernières années à déverrouiller timidement le tabou historique du
génocide de 1915 craignent une poussée de fièvre contre-productive.
18 décembre 2011 dimanche
En Turquie, protestations officielles contre la France avant un vote
au Palais-Bourbon sur le génocide arménien
Guillaume Perrier
L'Assemblée nationale examine la possible pénalisation de la négation
du génocide de 1915
Les relations franco-turques menacent de connaître une nouvelle
période de turbulences. Dans une lettre envoyée vendredi 16 décembre
au président de la République, Nicolas Sarkozy, le premier ministre
turc, Recep Tayyip Erdogan a averti Paris des " graves conséquences "
pour les relations bilatérales, " sur le plan politique, économique et
culturel ", qu'impliquerait l'adoption d'une loi pénalisant la
négation du génocide arménien. L'Assemblée nationale française doit
examiner, le 22 décembre, une proposition de loi déposée par la
députée (UMP) Valérie Boyer, fruit du travail d'un avocat de
Marseille, Philippe Kirkorian, selon laquelle toute personne qui
nierait ou contesterait le génocide des Arméniens de l'Empire ottoman
par le gouvernement nationaliste Jeune Turc en 1915 serait passible
d'un an de prison et de 45 000 euros d'amende.
Le ministre turc des affaires étrangères, Ahmet Davutoglu, a dénoncé
cette semaine la " mentalité moyengeuse " de la France et les "
calculs électoralistes du président Sarkozy".
La diplomatie turque ne veut pas, pour le moment, parler de sanctions,
évoquant seulement un éventuel rappel de l'ambassadeur à Paris pour
consultations, " une mesure de routine ". S'il était adopté par les
députés, le texte devrait encore passer devant le Sénat, qui avait
rejeté une proposition de loi similaire, en mai, ainsi que le
souhaitait l'Elysée. Comme, depuis, le Sénat a changé de majorité, le
résultat du vote pourrait être différent. Tous les leviers de pression
se mettent en place. L'association patronale Tüsiad et l'Union des
chambres de commerce et d'industrie (TOBB) ont envoyé une délégation à
Paris pour y rencontrer des représentants du Medef. En 2006, après le
vote du texte en première lecture à l'Assemblée nationale, la Turquie
avait exclu les entreprises françaises de marchés publics et écarté
GDF d'une participation au projet de gazoduc Nabucco.
Tabou historique
Depuis l'adoption par la France, en 2001, d'une loi reconnaissant le
génocide arménien de 1915, la question s'invite régulièrement dans les
relations franco-turques. " Malheureusement, à chaque fois que la
France entre en campagne électorale, ce type d'attitude se manifeste
de nouveau ", déplore Volkan Bozkir, président de la commission des
affaires étrangères au Parlement, qui conduira un groupe de députés
turcs devant arriver lundi 19 décembre à Paris pour deux jours de
consultations. Les intérêts économiques - les échanges se montent à 8
milliards d'euros - et la coopération culturelle pourraient ptir de
cette situation, prévient ce député du parti au pouvoir AKP. " Ce
sujet doit être laissé aux historiens et ne peut pas être jugé par les
parlements ", estime Yusuf Halaçoglu, élu du parti nationaliste MHP et
ancien directeur de l'Institut d'histoire turque, qui a élaboré la
version officielle de l'Etat turc sur la tragédie de 1915.
La délégation turque représentera " un Parlement à l'unisson ", selon
Osman Korotürk, député du parti kémaliste CHP et ex-ambassadeur turc
en France. Mais les députés du parti kurde BDP, favorables à une
reconnaissance du génocide arménien, ont affirmé ne pas avoir été
invités à y participer.
Vendredi, une cinquantaine de militants nationalistes du Comité Talaat
Pacha, du nom du ministre de l'intérieur qui organisa à l'époque la
déportation des Arméniens, ont manifesté devant l'ambassade de France
à Ankara.
Plus que l'hostilité, cette initiative provoque l'incompréhension en
Turquie. Et les historiens et les intellectuels qui se sont employés
ces dernières années à déverrouiller timidement le tabou historique du
génocide de 1915 craignent une poussée de fièvre contre-productive.