COMMENT SARKOZY INSTRUMENTALISE LE GéNOCIDE ARMéNIEN
Stephane
armenews.com
mercredi 21 decembre 2011
L'Assemblée nationale francaise s'apprête a examiner un projet de
loi qui prévoit de pénaliser la négation du génocide arménien
de 1915. A quelques mois du scrutin présidentiel, ce débat n'est
autre qu'une manÅ"uvre électorale de la part du président-candidat,
estime le quotidien turc Taraf.
Ca y est, la saison "où les souffrances du passé sont mises sur
le marché et où l'on tente de les vendre au meilleur prix" est
de retour.
Je fais bien sÃ"r allusion a la loi qui devrait être adoptée dans
quelques jours par le Parlement francais et qui pénalise la négation
de génocide. Si cette loi passe, ceux qui nient la réalité du
génocide arménien de 1915 devront s'acquitter d'une amende de 45 000
euros en plus d'être condamnés a un an de prison. Si une victime
de ce génocide pouvait aujourd'hui revenir a la vie et rencontrer
Sarkozy, il aurait très certainement envie de lui cracher a la figure
et de lui dire : "Tu profites de mon malheur a des fins bassement
politiques." Mais les petits-enfants de cet individu ne sont pas en
mesure d'adopter une telle attitude, parce que cette affaire s'est
transformée en une véritable vendetta et que par conséquent tous
les coups portés a la "partie adverse" sont permis.
Il y a un tas de raisons a cela. Tout d'abord, la Turquie n'a jamais
ouvert cette sombre page de son histoire. Ensuite, lorsque les
Arméniens, dans les années 1960, ont commencé a devenir influents
dans les pays où ils s'étaient exilés, la question du génocide
s'est invitée a l'agenda des parlements de ces pays. En réaction,
la Turquie, en faisant preuve d'un déni total, s'est placée dans
une position immorale. Bien entendu, lorsque le Parlement uruguayen
a adopté en 1965 une loi sur le génocide arménien, cela n'a pas
provoqué beaucoup de réactions. Mais, petit a petit, le danger
a commencé a se faire sentir et a l'approche des années 2000, le
nombre de pays reconnaissant le génocide arménien a littéralement
explosé. Ce fut en effet le cas de nombreux pays tels que la Russie,
le Canada, l'Argentine, l'Italie, la Suède, l'Allemagne... et bien
sÃ"r de la France. En raison des liens historiques entre les deux
pays, cette reconnaissance par la France a sans doute été la plus
traumatisante pour la Turquie. Adoptée le 19 janvier 2001, cette
loi - dès lors qu'elle ne repose pas comme pour le génocide juif
sur la décision d'un tribunal (Nuremberg) - ne prévoyait aucune
sanction. Même le coupable n'était pas clairement défini. Elle
se résumait en une phrase : " La France reconnaît le génocide
arménien de 1915..."
En 2010, après une première tentative (en 2006), le Parti socialiste
francais, s'appuyant sur la loi Gayssot qui interdit la négation de
la Shoah, déposait une proposition de loi pénalisant également
la négation du génocide arménien, mais celle-ci était alors
rejetée par Sarkozy et son parti, l'Union pour un mouvement populaire
(UMP). Mais voila qu'a l'approche du scrutin présidentiel, Sarkozy
remet ce projet sur la table, quelques mois a peine après l'avoir
recalé. Et c'est bien la que réside l'hypocrisie. Il est évident
que Sarkozy, de même que les Etats-Unis, ont des arrière-pensées
lorsqu'ils ramènent ce sujet au premier plan de l'actualité. Ces
projets de loi mémorielle leur permettent d'exercer - a moindre frais
- des pressions sur la Turquie dont ils sortent toujours gagnants. En
effet, ces projets de loi sont abandonnés au dernier moment après
l'obtention de concessions de la part de la Turquie dans d'autres
domaines, non sans provoquer au passage une amère déception chez
les Arméniens.
Tout le monde sait que Sarkozy est opposé a la candidature de la
Turquie a l'Union européenne et qu'il goÃ"te peu a la concurrence
qu'il subit de la part d'Ankara dans le cadre du "printemps arabe". Si
on ajoute a cela les calculs électoraux a l'approche du scrutin
présidentiel de 2012, le caractère fondamentalement indécent de
ce projet de loi apparaît de facon évidente. Après l'adoption de
la loi de janvier 2001 [qui reconnaissait le génocide], la Turquie
avait ainsi joué les fiers-a-bras, ce qui n'avait pas empêché une
explosion des échanges commerciaux avec la France. Mais, cette fois,
la situation est un peu plus complexe. L'Histoire pourrait ne pas
se répéter. Par ailleurs, les Arméniens pourraient connaître
une déception encore plus grande, car cette loi, si elle était
adoptée, pourrait ne jamais entrer en vigueur et disparaître,
de même que celle de 2001. En effet, le risque que le débat sur
ces lois mémorielles puisse aboutir a sa suppression par la Cour
constitutionnelle, si elle était saisie, est plus important qu'on
ne le croit. Affaire a suivre.
Note :* Romancier turco-arménien, éditorialiste du quotidien Taraf
ainsi que de l'hebdomadaire turco-arménien Agos
http://www.courrierinternational.com/article/2011/12/19/comment-sarkozy-instrumentalise-le-genocide-armenien
Stephane
armenews.com
mercredi 21 decembre 2011
L'Assemblée nationale francaise s'apprête a examiner un projet de
loi qui prévoit de pénaliser la négation du génocide arménien
de 1915. A quelques mois du scrutin présidentiel, ce débat n'est
autre qu'une manÅ"uvre électorale de la part du président-candidat,
estime le quotidien turc Taraf.
Ca y est, la saison "où les souffrances du passé sont mises sur
le marché et où l'on tente de les vendre au meilleur prix" est
de retour.
Je fais bien sÃ"r allusion a la loi qui devrait être adoptée dans
quelques jours par le Parlement francais et qui pénalise la négation
de génocide. Si cette loi passe, ceux qui nient la réalité du
génocide arménien de 1915 devront s'acquitter d'une amende de 45 000
euros en plus d'être condamnés a un an de prison. Si une victime
de ce génocide pouvait aujourd'hui revenir a la vie et rencontrer
Sarkozy, il aurait très certainement envie de lui cracher a la figure
et de lui dire : "Tu profites de mon malheur a des fins bassement
politiques." Mais les petits-enfants de cet individu ne sont pas en
mesure d'adopter une telle attitude, parce que cette affaire s'est
transformée en une véritable vendetta et que par conséquent tous
les coups portés a la "partie adverse" sont permis.
Il y a un tas de raisons a cela. Tout d'abord, la Turquie n'a jamais
ouvert cette sombre page de son histoire. Ensuite, lorsque les
Arméniens, dans les années 1960, ont commencé a devenir influents
dans les pays où ils s'étaient exilés, la question du génocide
s'est invitée a l'agenda des parlements de ces pays. En réaction,
la Turquie, en faisant preuve d'un déni total, s'est placée dans
une position immorale. Bien entendu, lorsque le Parlement uruguayen
a adopté en 1965 une loi sur le génocide arménien, cela n'a pas
provoqué beaucoup de réactions. Mais, petit a petit, le danger
a commencé a se faire sentir et a l'approche des années 2000, le
nombre de pays reconnaissant le génocide arménien a littéralement
explosé. Ce fut en effet le cas de nombreux pays tels que la Russie,
le Canada, l'Argentine, l'Italie, la Suède, l'Allemagne... et bien
sÃ"r de la France. En raison des liens historiques entre les deux
pays, cette reconnaissance par la France a sans doute été la plus
traumatisante pour la Turquie. Adoptée le 19 janvier 2001, cette
loi - dès lors qu'elle ne repose pas comme pour le génocide juif
sur la décision d'un tribunal (Nuremberg) - ne prévoyait aucune
sanction. Même le coupable n'était pas clairement défini. Elle
se résumait en une phrase : " La France reconnaît le génocide
arménien de 1915..."
En 2010, après une première tentative (en 2006), le Parti socialiste
francais, s'appuyant sur la loi Gayssot qui interdit la négation de
la Shoah, déposait une proposition de loi pénalisant également
la négation du génocide arménien, mais celle-ci était alors
rejetée par Sarkozy et son parti, l'Union pour un mouvement populaire
(UMP). Mais voila qu'a l'approche du scrutin présidentiel, Sarkozy
remet ce projet sur la table, quelques mois a peine après l'avoir
recalé. Et c'est bien la que réside l'hypocrisie. Il est évident
que Sarkozy, de même que les Etats-Unis, ont des arrière-pensées
lorsqu'ils ramènent ce sujet au premier plan de l'actualité. Ces
projets de loi mémorielle leur permettent d'exercer - a moindre frais
- des pressions sur la Turquie dont ils sortent toujours gagnants. En
effet, ces projets de loi sont abandonnés au dernier moment après
l'obtention de concessions de la part de la Turquie dans d'autres
domaines, non sans provoquer au passage une amère déception chez
les Arméniens.
Tout le monde sait que Sarkozy est opposé a la candidature de la
Turquie a l'Union européenne et qu'il goÃ"te peu a la concurrence
qu'il subit de la part d'Ankara dans le cadre du "printemps arabe". Si
on ajoute a cela les calculs électoraux a l'approche du scrutin
présidentiel de 2012, le caractère fondamentalement indécent de
ce projet de loi apparaît de facon évidente. Après l'adoption de
la loi de janvier 2001 [qui reconnaissait le génocide], la Turquie
avait ainsi joué les fiers-a-bras, ce qui n'avait pas empêché une
explosion des échanges commerciaux avec la France. Mais, cette fois,
la situation est un peu plus complexe. L'Histoire pourrait ne pas
se répéter. Par ailleurs, les Arméniens pourraient connaître
une déception encore plus grande, car cette loi, si elle était
adoptée, pourrait ne jamais entrer en vigueur et disparaître,
de même que celle de 2001. En effet, le risque que le débat sur
ces lois mémorielles puisse aboutir a sa suppression par la Cour
constitutionnelle, si elle était saisie, est plus important qu'on
ne le croit. Affaire a suivre.
Note :* Romancier turco-arménien, éditorialiste du quotidien Taraf
ainsi que de l'hebdomadaire turco-arménien Agos
http://www.courrierinternational.com/article/2011/12/19/comment-sarkozy-instrumentalise-le-genocide-armenien