GENOCIDE EN DECA, GUERRE PROPRE AU-DELA ?
algerie-focus.com
http://www.algerie-focus.com/2011/12/26/genocide-en-deca-guerre-propre-au-dela/
26 dec 2011
quelque chose malheur est bon, dit le proverbe. Et si l'agitation
provoquee par M. Sarkozy avait l'heureux effet d'ouvrir le debat sur
les crimes de la colonisation et leur qualification ? L'Histoire avance
par son mauvais côte, dit-on. Parfois espiègle, elle nous apprend
que des hommes politiques y ont laisse leur marque pour des raisons
inattendues. L'Empereur Vespasien a construit le Colisee et le Forum
de Rome. Son nom n'est toutefois associe qu'aux edicules urbains,
denommes vespasiennes, qui permettent au passant de se soulager ;
l'Empereur avait instaure une taxe sur l'urine. Le Prefet Poubelle
exigea des Parisiens qu'ils jettent leurs detritus dans des boîtes ad
hoc auxquelles il a, bien malgre lui, donne son nom. Jacques Chirac,
vainqueur des elections presidentielles en 1995, pensait faire un
coup de maître en procedant a une dissolution " de confort " qui
devait lui permettre d'avoir les mains libres durant les cinq annees
de mandat qui lui restaient. On connait la suite. C'est peut-etre
cette operation manquee qui va perpetuer son souvenir.
La loi sur la criminalisation du genocide armenien obeit sans doute
en partie a des visees electoralistes immediates. Toutefois, comme
ses predecesseurs, le President de la Republique a aussi le souci de
laisser une trace positive dans l'Histoire. Il espère qu'elle gardera
de lui, faute du souvenir de l'homme qui a terrasse la crise, celui de
l'homme qui aura permis de restituer a la France sa grandeur enfuie en
lui faisant croire qu'elle reste investie d'une mission civilisatrice.
Pour cela, il joue sur deux registres : A l'exterieur, posture morale
face au reste du monde, deculpabilisation vis-a-vis des crimes du
passe a l'interieur. Dans la première categorie figurent entre autres
les admonestations recurrentes adressees a une Chine indifferente,
l'equipee libyenne et, bien sûr, la loi sur la criminalisation de
la negation du genocide armenien. Dans le meme temps, il s'attache
a minimiser, relativiser, voire positiver le passe colonial.
C'est ce meme passe colonial qui lui revient en pleine figure. Le
Premier Ministre Erdogan a beau jeu de rappeler que la France n'est
pas vraiment qualifiee pour juger les crimes des autres alors qu'elle
s'obstine a refuser de s'excuser pour les siens. Ce rappel intervient
alors meme que la loi voulue par Sarkozy fait l'objet d'une forte
contestation interne, de la part des historiens d'abord mais aussi
de la part de personnalites politiques et provoque un trouble jusque
chez le ministre des Affaires Etrangères qui se serait bien passe de
cette epine diplomatique.
La realite du genocide armenien ne fait guère de doute. La Turquie
reconnaît d'ailleurs l'ampleur du massacre puisqu'elle admet le chiffre
officiel de 500.000 morts. Meme s'il reste inferieur au 1,5 million
retenu par la communaute armenienne et repris par la France, il reste
considerable. La Turquie s'honorerait en acceptant la qualification
de genocide et en demandant officiellement pardon au peuple armenien.
La France a dirige un immense empire colonial qu'elle constitua au prix
d'enormes massacres. Madagascar, Haïphong... s'en souviennent. Le cas
le plus emblematique reste celui de l'Algerie. Y a-t-il eu genocide
? Plutôt que de convoquer l'emotion, il vaut mieux se reporter a
la Convention de sur la prevention et la repression du crime de
genocide, adoptee par l'Assemblee Generale des Nations Unies le 9
decembre 1948. Aucune des dispositions qu'elle comporte ne prevoit
l'aneantissement total d'une population. Selon la Convention, le
crime est constitue quand l'un quelconque des actes suivants est
commis avec l'intention de detruire, totalement ou partiellement,
un groupe national, ethnique, racial ou religieux :
Meurtre de membres du groupe;
Atteinte grave a l'integrite physique ou mentale de membres du groupe;
Soumission intentionnelle du groupe a des conditions d'existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
Mesures visant a entraver les naissances au sein du groupe;
Transfert force d'enfants du groupe a un autre groupe.
Voici des faits qui me paraissent relever du point (a) :
La population algerienne etait de trois millions d'âmes au moment
de l'invasion francaise, en 1830. En 1871, elle n'en comptait qu'a
peine plus de deux millions. Voila un chiffre qui donne une idee de
l'ampleur de la saignee qui entraîna la disparition du tiers de la
population (sans doute davantage puisque cette fraction ne prend pas
en compte l'accroissement demographique naturel). Dommages collateraux
? Voire. Il suffit de se reporter aux carnets du Marechal Bugeaud,
aux Lettres de Saint-Arnaud, aux exploits des Canrobert et Pelissier
pour comprendre que le massacre etait une arme de guerre et qu'il
avait un caractère systematique. Des populations entières ont disparu
dans les enfumades ou les emmurements pratiquees par l'armee francaise.
Derapages de militaires alors ? Non plus. Ces massacres ont ete
largement couverts par les autorites de l'epoque. Des intellectuels,
et non des moindres comme Tocqueville, les ont approuves. Ce dernier
declarait que " detruire les villages et brûler les moissons " etait
" la seule facon de faire la guerre aux Arabes ". L'intention de
destruction, au moins partielle de la population est donc etablie.
Le 1er mai 1945, des milliers de civils furent massacres a
Setif. La police, l'armee, l'aviation, la marine, des milices
civiles firent mises a contribution. Les tueries ne visèrent pas les
independantistes, ni les villageois qui assassinèrent 107 Europeens
dans la campagne. Elles frappèrent indistinctement tout ce qui etait
algerien " de souche ".
Le 17 octobre 1961, des centaines d'Algeriens furent tues en plein
Paris par la police. Aucun d'entre eux ne portait d'armes. Les forces
de l'ordre ne leur demandaient pas leurs papiers, n'examinaient pas
leurs emplois du temps. Il leur suffisait de verifier qu'ils etaient
Algeriens pour les rouer de coups avant de les noyer dans la Seine.
L'intention de tuer des Algeriens parce qu'Algeriens est donc
clairement etablie. Tout cela s'est fait sous l'autorite d'un haut
fonctionnaire de la Republique, le Prefet de police Maurice Papon. Le
fait qu'il n'eut pas a quitter son poste et a rendre compte de ce crime
autorise a penser qu'il a beneficie de la complicite des autorites
politiques de l'epoque.
A present, des actes qui relèvent du point (b) :
Des faits de torture systematiques ont ete pratiques par les forces
de l'ordre durant toute la periode de la colonisation, avec un pic
de 1954 a 1962. La aussi, la responsabilite des autorites politiques
est engagee. En creux, la sanction infligee au General de Bollardière
qui avait denonce ces pratiques implique qu'elles etaient autorisees,
sans doute meme encouragees par le pouvoir. Le but de ces tortures
n'etait pas toujours d'obtenir des renseignements. Il s'agissait d'un
message adresse a la population de nature, esperait-on, a lui inspirer
une terreur suffisante pour l'eloigner du FLN. Il y a atteinte grave
a l'integrite physique ou mentale de membres du peuple algerien avec
l'intention de provoquer la destruction du groupe. Le delit d'intention
est donc constitue.
Ce qui relève du point (c) :
En 1868, une grande famine sevit en Algerie, provoquant la mort
de dizaines de milliers de personnes. La meteorologie y fut pour
quelque chose. Mais ce n'etait pas tout. Selon Andre Nouschi, la
situation precaire des paysans algeriens dans la deuxième moitie
du xixe siècle, fut aggravee par le remplacement brutal du mode de
production communautaire par un capitalisme agraire ayant chasse
de leurs terres, au nom de la propriete privee, des centaines de
milliers de paysans, depossedes, et devenus une armee errante de
ruraux clochardises. Il y a donc bien soumission intentionnelle du
groupe a des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle. Le point (c) est etabli.
Cet expose est loin, très loin d'etre exhaustif. La question du Code de
l'Indigenat n'a pas ete abordee. Quelques chiffres donnent la mesure
de l'"~\uvre francaise". En 1962, date de l'independance, il y a 85 %
d'analphabètes. L'esperance de vie d'un Algerien est inferieure de
vingt ans a celle d'un Francais d'Algerie. Alors qu'il y a dix fois
plus d'Algeriens que de Francais, les etudiants Algeriens sont dix
fois moins nombreux a l'Universite. Ces chiffres ne rendent pas compte
de la misère morale et de l'acculturation du peuple. Ces elements
ne sont pas pour rien dans les difficultes que rencontre le pays
depuis l'independance. Certains intellectuels Algeriens en tirent
argument pour rejoindre l'opinion majoritaire francaise qui pense
que la decolonisation a ete un mal pour l'Algerie. D'une certaine
facon, ces intellectuels sont aussi le produit de la misère morale
et de l'acculturation que nous a laissees l'ex-occupant, en guise
de viatique.
Peut-etre, par une ruse de l'Histoire, le President Sarkozy
restera-t-il comme celui qui, nolens volens, a permis que s'ecrive
enfin l'histoire reelle de la colonisation.
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26 dec 2011
quelque chose malheur est bon, dit le proverbe. Et si l'agitation
provoquee par M. Sarkozy avait l'heureux effet d'ouvrir le debat sur
les crimes de la colonisation et leur qualification ? L'Histoire avance
par son mauvais côte, dit-on. Parfois espiègle, elle nous apprend
que des hommes politiques y ont laisse leur marque pour des raisons
inattendues. L'Empereur Vespasien a construit le Colisee et le Forum
de Rome. Son nom n'est toutefois associe qu'aux edicules urbains,
denommes vespasiennes, qui permettent au passant de se soulager ;
l'Empereur avait instaure une taxe sur l'urine. Le Prefet Poubelle
exigea des Parisiens qu'ils jettent leurs detritus dans des boîtes ad
hoc auxquelles il a, bien malgre lui, donne son nom. Jacques Chirac,
vainqueur des elections presidentielles en 1995, pensait faire un
coup de maître en procedant a une dissolution " de confort " qui
devait lui permettre d'avoir les mains libres durant les cinq annees
de mandat qui lui restaient. On connait la suite. C'est peut-etre
cette operation manquee qui va perpetuer son souvenir.
La loi sur la criminalisation du genocide armenien obeit sans doute
en partie a des visees electoralistes immediates. Toutefois, comme
ses predecesseurs, le President de la Republique a aussi le souci de
laisser une trace positive dans l'Histoire. Il espère qu'elle gardera
de lui, faute du souvenir de l'homme qui a terrasse la crise, celui de
l'homme qui aura permis de restituer a la France sa grandeur enfuie en
lui faisant croire qu'elle reste investie d'une mission civilisatrice.
Pour cela, il joue sur deux registres : A l'exterieur, posture morale
face au reste du monde, deculpabilisation vis-a-vis des crimes du
passe a l'interieur. Dans la première categorie figurent entre autres
les admonestations recurrentes adressees a une Chine indifferente,
l'equipee libyenne et, bien sûr, la loi sur la criminalisation de
la negation du genocide armenien. Dans le meme temps, il s'attache
a minimiser, relativiser, voire positiver le passe colonial.
C'est ce meme passe colonial qui lui revient en pleine figure. Le
Premier Ministre Erdogan a beau jeu de rappeler que la France n'est
pas vraiment qualifiee pour juger les crimes des autres alors qu'elle
s'obstine a refuser de s'excuser pour les siens. Ce rappel intervient
alors meme que la loi voulue par Sarkozy fait l'objet d'une forte
contestation interne, de la part des historiens d'abord mais aussi
de la part de personnalites politiques et provoque un trouble jusque
chez le ministre des Affaires Etrangères qui se serait bien passe de
cette epine diplomatique.
La realite du genocide armenien ne fait guère de doute. La Turquie
reconnaît d'ailleurs l'ampleur du massacre puisqu'elle admet le chiffre
officiel de 500.000 morts. Meme s'il reste inferieur au 1,5 million
retenu par la communaute armenienne et repris par la France, il reste
considerable. La Turquie s'honorerait en acceptant la qualification
de genocide et en demandant officiellement pardon au peuple armenien.
La France a dirige un immense empire colonial qu'elle constitua au prix
d'enormes massacres. Madagascar, Haïphong... s'en souviennent. Le cas
le plus emblematique reste celui de l'Algerie. Y a-t-il eu genocide
? Plutôt que de convoquer l'emotion, il vaut mieux se reporter a
la Convention de sur la prevention et la repression du crime de
genocide, adoptee par l'Assemblee Generale des Nations Unies le 9
decembre 1948. Aucune des dispositions qu'elle comporte ne prevoit
l'aneantissement total d'une population. Selon la Convention, le
crime est constitue quand l'un quelconque des actes suivants est
commis avec l'intention de detruire, totalement ou partiellement,
un groupe national, ethnique, racial ou religieux :
Meurtre de membres du groupe;
Atteinte grave a l'integrite physique ou mentale de membres du groupe;
Soumission intentionnelle du groupe a des conditions d'existence
devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle;
Mesures visant a entraver les naissances au sein du groupe;
Transfert force d'enfants du groupe a un autre groupe.
Voici des faits qui me paraissent relever du point (a) :
La population algerienne etait de trois millions d'âmes au moment
de l'invasion francaise, en 1830. En 1871, elle n'en comptait qu'a
peine plus de deux millions. Voila un chiffre qui donne une idee de
l'ampleur de la saignee qui entraîna la disparition du tiers de la
population (sans doute davantage puisque cette fraction ne prend pas
en compte l'accroissement demographique naturel). Dommages collateraux
? Voire. Il suffit de se reporter aux carnets du Marechal Bugeaud,
aux Lettres de Saint-Arnaud, aux exploits des Canrobert et Pelissier
pour comprendre que le massacre etait une arme de guerre et qu'il
avait un caractère systematique. Des populations entières ont disparu
dans les enfumades ou les emmurements pratiquees par l'armee francaise.
Derapages de militaires alors ? Non plus. Ces massacres ont ete
largement couverts par les autorites de l'epoque. Des intellectuels,
et non des moindres comme Tocqueville, les ont approuves. Ce dernier
declarait que " detruire les villages et brûler les moissons " etait
" la seule facon de faire la guerre aux Arabes ". L'intention de
destruction, au moins partielle de la population est donc etablie.
Le 1er mai 1945, des milliers de civils furent massacres a
Setif. La police, l'armee, l'aviation, la marine, des milices
civiles firent mises a contribution. Les tueries ne visèrent pas les
independantistes, ni les villageois qui assassinèrent 107 Europeens
dans la campagne. Elles frappèrent indistinctement tout ce qui etait
algerien " de souche ".
Le 17 octobre 1961, des centaines d'Algeriens furent tues en plein
Paris par la police. Aucun d'entre eux ne portait d'armes. Les forces
de l'ordre ne leur demandaient pas leurs papiers, n'examinaient pas
leurs emplois du temps. Il leur suffisait de verifier qu'ils etaient
Algeriens pour les rouer de coups avant de les noyer dans la Seine.
L'intention de tuer des Algeriens parce qu'Algeriens est donc
clairement etablie. Tout cela s'est fait sous l'autorite d'un haut
fonctionnaire de la Republique, le Prefet de police Maurice Papon. Le
fait qu'il n'eut pas a quitter son poste et a rendre compte de ce crime
autorise a penser qu'il a beneficie de la complicite des autorites
politiques de l'epoque.
A present, des actes qui relèvent du point (b) :
Des faits de torture systematiques ont ete pratiques par les forces
de l'ordre durant toute la periode de la colonisation, avec un pic
de 1954 a 1962. La aussi, la responsabilite des autorites politiques
est engagee. En creux, la sanction infligee au General de Bollardière
qui avait denonce ces pratiques implique qu'elles etaient autorisees,
sans doute meme encouragees par le pouvoir. Le but de ces tortures
n'etait pas toujours d'obtenir des renseignements. Il s'agissait d'un
message adresse a la population de nature, esperait-on, a lui inspirer
une terreur suffisante pour l'eloigner du FLN. Il y a atteinte grave
a l'integrite physique ou mentale de membres du peuple algerien avec
l'intention de provoquer la destruction du groupe. Le delit d'intention
est donc constitue.
Ce qui relève du point (c) :
En 1868, une grande famine sevit en Algerie, provoquant la mort
de dizaines de milliers de personnes. La meteorologie y fut pour
quelque chose. Mais ce n'etait pas tout. Selon Andre Nouschi, la
situation precaire des paysans algeriens dans la deuxième moitie
du xixe siècle, fut aggravee par le remplacement brutal du mode de
production communautaire par un capitalisme agraire ayant chasse
de leurs terres, au nom de la propriete privee, des centaines de
milliers de paysans, depossedes, et devenus une armee errante de
ruraux clochardises. Il y a donc bien soumission intentionnelle du
groupe a des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle. Le point (c) est etabli.
Cet expose est loin, très loin d'etre exhaustif. La question du Code de
l'Indigenat n'a pas ete abordee. Quelques chiffres donnent la mesure
de l'"~\uvre francaise". En 1962, date de l'independance, il y a 85 %
d'analphabètes. L'esperance de vie d'un Algerien est inferieure de
vingt ans a celle d'un Francais d'Algerie. Alors qu'il y a dix fois
plus d'Algeriens que de Francais, les etudiants Algeriens sont dix
fois moins nombreux a l'Universite. Ces chiffres ne rendent pas compte
de la misère morale et de l'acculturation du peuple. Ces elements
ne sont pas pour rien dans les difficultes que rencontre le pays
depuis l'independance. Certains intellectuels Algeriens en tirent
argument pour rejoindre l'opinion majoritaire francaise qui pense
que la decolonisation a ete un mal pour l'Algerie. D'une certaine
facon, ces intellectuels sont aussi le produit de la misère morale
et de l'acculturation que nous a laissees l'ex-occupant, en guise
de viatique.
Peut-etre, par une ruse de l'Histoire, le President Sarkozy
restera-t-il comme celui qui, nolens volens, a permis que s'ecrive
enfin l'histoire reelle de la colonisation.