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Requiem Pour Nos Freres Armeniens

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    REQUIEM POUR NOS FRERES ARMéNIENS
    Stephane

    armenews.com
    jeudi 29 decembre 2011

    Le 24 avril, une centaine d'intellectuels et de militants des droits
    de l'homme turcs ont commémoré pour la première fois a Istanbul
    le "massacre" d'Arméniens dans l'Empire ottoman. Si le terme de
    "génocide" n'a pas été utilisé, la presse turque s'est bien fait
    l'écho du malheur arménien, a l'instar du quotidien conservateur
    Hurriyet.

    Il y a quatre-vingt-quinze ans, le 23 avril marqua le début
    d'un épisode sinistre dans l'Empire ottoman au bord de
    l'écroulement. Près de 250 intellectuels et notables arméniens
    furent arrêtés a Istanbul et déportés en Anatolie, d'où ils ne
    revinrent jamais. La véritable catastrophe commenca un mois plus
    tard. Le gouvernement d'Union et Progrès, le parti des jeunes-turcs,
    qui avait pris le pouvoir dans l'empire a l'issue d'un coup d'Etat
    militaire en 1913, vota une loi d'expulsion qui lui conférait
    l'autorité de déporter quiconque était considéré comme une menace
    pour la sécurité nationale.

    En réalité, c'étaient les Arméniens qui étaient visés. Bientôt,
    dans presque toutes les villes et bourgades d'Anatolie orientale,
    ils furent chassés de chez eux en direction de la lointaine et aride
    Syrie. Dans certains endroits, ils furent embarqués dans des trains,
    mais la plupart durent marcher pendant des centaines de kilomètres,
    souvent sans eau ni nourriture. Beaucoup moururent en route, de famine,
    de déshydratation et de maladie. (Les photos de ces victimes, surtout
    des enfants et des bébés mourant de faim, sont insupportables toute
    personne douée de conscience). Ailleurs, ils furent massacrés par
    les habitants de la région, animés par la haine ou le désir de
    s'emparer de leurs biens.

    En tout, au moins 600 000 Arméniens, et probablement plus,
    périrent en 1915, dans ce qui fut l'un des nettoyages ethniques
    les plus tragiques de l'histoire. En tant que Turc musulman, je
    ne ressens que du chagrin et du remords pour ces âmes torturées,
    dont la mémoire mérite d'être entretenue et respectée. Pourtant,
    cette même mémoire m'amène a me demander pourquoi cette grande
    catastrophe a eu lieu, et comment ma nation l'a engendrée.

    La force motrice, ai-je cru comprendre, était un mélange de peur
    et de nationalisme. En 1915, les Ottomans étaient en guerre sur
    trois fronts meurtriers (contre les Britanniques et les Francais a
    Gallipoli et au Moyen-Orient, et contre les Russes dans l'Est), et
    les Arméniens étaient de plus en plus considérés comme ligués
    avec l'ennemi. L'élite ottomane, en particulier les jeunes-turcs
    originaires des Balkans, avait vu comment les Grecs et les Bulgares
    avaient procédé au nettoyage ethnique de grandes parties de leurs
    populations musulmanes lors de leurs soulèvements nationaux. Ils
    craignaient de vivre la même chose en Anatolie avec l'avènement
    d'une Arménie indépendante sous la tutelle des Russes.

    On peut trouver trace de la logique "préventive" des jeunes-turcs dans
    les mémoires de Halil Mentese, ami proche de Talat Pacha, le cerveau
    de toute cette tragédie [les massacres d'Arméniens]. Durant l'été
    1915, il rendit visite a Talat chez lui, et le trouva déprimé. "J'ai
    recu des télégrammes de Tahsin [le gouverneur d'Erzurum] qui me parle
    de la situation des Arméniens", expliqua Talat. "Je n'en ai pas dormi
    de la nuit. Le cÅ"ur humain ne peut endurer une telle chose. Mais si
    ce n'est pas moi qui le leur fais, ce sont eux qui nous le feront."

    Ma propre grand-mère se rangeait a cette logique, elle qui avait
    toujours vécu a Yozgat, la où les Arméniens furent massacrés
    en 1915.

    "La rumeur disait que les Arméniens allaient s'allier aux Moscovites
    pour tuer tous les musulmans", m'expliqua-t-elle un jour. "Alors,
    les anciens sont entrés de force dans l'église arménienne,
    et ils y ont trouvé beaucoup d'armes et de munitions, ce qui,
    pensaient-ils, confirmait les rumeurs." Puis vint le kesim, le
    massacre des Arméniens, ajoutait-elle tristement. Des Arméniens qui,
    probablement, n'avaient accumulé ces armes que par peur.

    Dans l'esprit des Turcs, cette logique du "il fallait le leur faire
    avant qu'ils ne nous le fassent" fut également renforcée par les
    atrocités massives commises par les milices arméniennes contre les
    musulmans en 1916-1917, quand ils eurent l'occasion de se "venger"
    dans le sillage de la progression de l'armée russe sur le front
    du Caucase. Les Turcs gardèrent la mémoire des horreurs de cette
    période, les Arméniens ne se souvenant que de 1915.

    Mais aujourd'hui, il est temps, selon moi, d'être juste. Pour notre
    part, je pense que les Turcs ont commis une erreur terrible pendant
    des décennies en ignorant complètement les souffrances énormes
    que connut le peuple arménien en 1915.

    Pourtant, même alors, il se trouva des personnalités exemplaires
    qui firent passer la justice avant le nationalisme. A Bogazliyan,
    un district de Yozgat, le mufti de la ville, Abdullahzade Mehmet
    Efendi, dénonca le gouverneur qui était un bourreau volontaire. Le
    religieux témoigna aussi contre le gouverneur lors d'un procès
    devant un tribunal militaire en 1919, affirmant : "Je redoute la
    colère de Dieu."

    On retrouve cette conscience musulmane dans les minutes du procès au
    cours duquel les unionistes furent jugés pour leurs crimes contre les
    Arméniens. Un passage décrit comment "les anciens et les dirigeants"
    de Cankiri, accompagnés de leur mufti, adressèrent au maire de la
    ville la requête suivante : "Les Arméniens et leurs enfants des
    vilayet [provinces] voisines sont chassés comme du bétail vers les
    montagnes pour y être massacrés. Nous ne voulons pas que cela se
    produise dans nos vilayet. Nous avons peur de la colère d'Allah." Ces
    gens qui redoutaient la colère de Dieu furent selon moi les meilleurs
    représentants de notre nation en 1915. Et aujourd'hui, nous sommes
    de plus en plus nombreux a nous souvenir de leur esprit, et même a
    nous joindre a leurs pleurs.

    http://www.courrierinternational.com/article/2010/04/26/requiem-pour-nos-freres-armeniens

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