Les intellectuels turcs inquiets et divises
par : Marchand, Laure
Le Figaro Economie
Vendredi 23 Decembre 2011
Les intellectuels turcs inquiets et divises
LE DEBAT qui a commence a emerger en Turquie sur la memoire du genocide
armenien pourrait etre victime de la loi francaise, selon la plupart
des intellectuels d'Istanbul. " Depuis 2008, le debat etait plus
serein en Turquie, constate Cengiz Aktar, dont la demande publique
de pardon aux Armeniens avait, a l'epoque, recueilli plus de 30 000
signatures. Ce changement d'atmosphère s'explique par un processus
pedagogique de remise en cause de l'histoire officielle. Et, alors
que la memoire revient desormais au galop en Turquie, cette loi cree
une reaction negationniste epidermique qui envahit les medias.
C'est totalement contre-productif. "
" Memoire academique " Les progrès ont ete spectaculaires ces dernières
annees. Depuis 2010, des commemorations publiques sont autorisees en
Turquie, pour le 24 avril, date des premières rafles d'Armeniens a
Istanbul. La " memoire academique " s'est reveillee. Les publications
sur la " question armenienne " se multiplient sous l'impulsion de
l'editeur turc Osman Koker. En novembre, a Diyarbakir, s'est tenue une
conference universitaire reunissant des chercheurs turcs et etrangers,
où le genocide, sa genèse et ses consequences ont ete largement et
librement debattus.L'Etat turc a fait quelques gestes significatifs, en
restaurant par exemple l'eglise d'Aghdamar, sur le lac de Van. " Tout
ca, c'est un travail de fond auquel la France n'a rien compris, c'est
gravissime. Cette introspection est la seule dynamique fondamentale
qui finira par remettre en cause la lobotomisation orchestree
par l'Etat turc depuis 1915. " Beaucoup craignent un retour a une
position defensive. Orhan Kemal Cengiz, avocat et partisan d'une
reconnaissance, rappelle qu'en 2006 le journaliste turco-armenien
Hrant Dink s'etait lui aussi declare oppose a la penalisation de la
negation du genocide, adoptee en première lecture par l'Assemblee
nationale. Comme le directeur du journal Agos, assassine l'annee
suivante par un jeune Turc d'extreme droite, il pense que cette loi
" ne fera que renforcer les nationalistes ".
Hypocrisie
Baskin Oran, autre intellectuel très engage et volontiers provocateur
sur la question, soutient l'initiative hexagonale au risque de passer
" pour un traître a la patrie ". Car " malheureusement ", selon lui,
" nous n'avons aucune volonte de nous debarrasser par nous-memes de
la souillure " laissee par les commanditaires des atrocites de 1915,
le parti des Jeunes Turcs. La liberte des historiens invoquee par
les autorites turques n'est qu'une " hypocrisie ", pense aussi Ayse
Gunaysu, presidente de la branche stambouliote de l'Association des
droits de l'homme. " Lorsque la loi Gayssot a ete votee, personne en
Turquie ne l'a contestee ", rappelle cette militante, qui a organise
une commemoration, le 24 avril dernier, devant l'ancienne prison de
Sultanahmet, où ont ete emprisonnes des Armeniens d'Istanbul avant
la deportation. Un discours peu audible dans les medias.
From: Baghdasarian
par : Marchand, Laure
Le Figaro Economie
Vendredi 23 Decembre 2011
Les intellectuels turcs inquiets et divises
LE DEBAT qui a commence a emerger en Turquie sur la memoire du genocide
armenien pourrait etre victime de la loi francaise, selon la plupart
des intellectuels d'Istanbul. " Depuis 2008, le debat etait plus
serein en Turquie, constate Cengiz Aktar, dont la demande publique
de pardon aux Armeniens avait, a l'epoque, recueilli plus de 30 000
signatures. Ce changement d'atmosphère s'explique par un processus
pedagogique de remise en cause de l'histoire officielle. Et, alors
que la memoire revient desormais au galop en Turquie, cette loi cree
une reaction negationniste epidermique qui envahit les medias.
C'est totalement contre-productif. "
" Memoire academique " Les progrès ont ete spectaculaires ces dernières
annees. Depuis 2010, des commemorations publiques sont autorisees en
Turquie, pour le 24 avril, date des premières rafles d'Armeniens a
Istanbul. La " memoire academique " s'est reveillee. Les publications
sur la " question armenienne " se multiplient sous l'impulsion de
l'editeur turc Osman Koker. En novembre, a Diyarbakir, s'est tenue une
conference universitaire reunissant des chercheurs turcs et etrangers,
où le genocide, sa genèse et ses consequences ont ete largement et
librement debattus.L'Etat turc a fait quelques gestes significatifs, en
restaurant par exemple l'eglise d'Aghdamar, sur le lac de Van. " Tout
ca, c'est un travail de fond auquel la France n'a rien compris, c'est
gravissime. Cette introspection est la seule dynamique fondamentale
qui finira par remettre en cause la lobotomisation orchestree
par l'Etat turc depuis 1915. " Beaucoup craignent un retour a une
position defensive. Orhan Kemal Cengiz, avocat et partisan d'une
reconnaissance, rappelle qu'en 2006 le journaliste turco-armenien
Hrant Dink s'etait lui aussi declare oppose a la penalisation de la
negation du genocide, adoptee en première lecture par l'Assemblee
nationale. Comme le directeur du journal Agos, assassine l'annee
suivante par un jeune Turc d'extreme droite, il pense que cette loi
" ne fera que renforcer les nationalistes ".
Hypocrisie
Baskin Oran, autre intellectuel très engage et volontiers provocateur
sur la question, soutient l'initiative hexagonale au risque de passer
" pour un traître a la patrie ". Car " malheureusement ", selon lui,
" nous n'avons aucune volonte de nous debarrasser par nous-memes de
la souillure " laissee par les commanditaires des atrocites de 1915,
le parti des Jeunes Turcs. La liberte des historiens invoquee par
les autorites turques n'est qu'une " hypocrisie ", pense aussi Ayse
Gunaysu, presidente de la branche stambouliote de l'Association des
droits de l'homme. " Lorsque la loi Gayssot a ete votee, personne en
Turquie ne l'a contestee ", rappelle cette militante, qui a organise
une commemoration, le 24 avril dernier, devant l'ancienne prison de
Sultanahmet, où ont ete emprisonnes des Armeniens d'Istanbul avant
la deportation. Un discours peu audible dans les medias.
From: Baghdasarian