LES CHARNIERS DE L'HISTOIRE
Source/Lien : The Independant
Publie le : 01-07-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Robert Fisk, le reporter
britannique du quotidien The Independant, revient dans son article
sur les charniers ou fosses communes dans le monde, de Deir el Zor a
Beyrouth en passant par Lasko et de la responsabilite et de l'interet
des gouvernements actuels a les rouvrir pour identifier les corps. "
Les charniers sont ouverts, m'a dit la femme d'un colonel serbe
pendant la guerre des Balkans, pour que l'on y verse davantage de
sang. " Je ne sais pas vraiment où la recherche devrait finir. Qui
refuserait aux parents des morts de Srebrenica - dont le tueur
principal reside enfin a la Haye - la possibilite de prier sur les
tombes ? Qui tournerait le dos aux fosses communes de Buchenwald ? Ou
aux collines gelees formees d'ossements, qui marquent l'enterrement
des 350°000 habitants de Leningrad morts de faim en 1941 et 1942 ? Le
Collectif VAN vous presente la traduction de l'article en anglais
paru dans The Independant le 18 juin 2011.
Nous ne pouvons pas dire aux victimes de laisser tranquille les
charniers
The Independant
Samedi 18 juin 2011
Les Syriens disent avoir decouvert cette semaine un charnier
contenant les corps de soldats assassines, aux abords d'une ville
appelee Jisr al-Shughour. Les responsables sont des "gangs armes",
selon la television publique syrienne.
C'est possible. Ou peut-etre ont-ils ete tues par leurs collègues
pour avoir refuse d'ouvrir le feu sur des manifestants anti-Assad
non armes. Mais le monde entier est un charnier. Pourquoi, a quelques
kilomètres seulement au nord de Jisr al-Shughour, les champs syriens
sont-ils toujours parsemes de milliers d'os et de morceaux de crânes ;
c'est tout ce qu'il reste en ce lieu du million et demi d'hommes, de
femmes et d'enfants assassines lors du genocide armenien de 1915. Et
puis, il y a un endroit denomme "La fosse de Barbara" près d'une ville
du nom de Lasko où le charnier, qui n'a que 66 ans cette fois, contient
environ 1°000 squelettes dont personne ne desire vraiment parler.
L'enquete dure depuis deux ans a present, une enquete obscurement
politique, profondement craintive, car ce charnier se trouve en
Slovenie et contient les victimes des partisans victorieux de Tito, les
miliciens du mouvement croate fasciste les Oustachis et leurs familles,
des Cosaques anti-communistes aussi, peut-etre, quelques collaborateurs
hongrois sans nul doute, certainement des Serbes Chetniks anti-Tito et
leurs femmes et leurs pères et leurs frères et leurs enfants et leurs
nièces. Remis aux forces de Tito par nous-memes, les Britanniques, a
la fin de la Seconde guerre mondiale, a la pointe de la baïonnette :
ils hurlaient de peur, se tranchant la gorge dans les trains qui les
ramenaient en Yougoslavie, les eloignant de l'Autriche où ils etaient
en securite, des femmes et des enfants se precipitant dans la mort
en sautant des wagons alors qu'ils passaient au-dessus des gorges
des fleuves.
Mais, voyez-vous, nous ne voulions pas que des communistes infectent
l'Autriche. Nous voulions la paix avec Tito. Nos propres prisonniers de
guerre devaient nous etre rendus. Alors nous avons aide les assassins
a perpetre les massacres qui ont laisse environ 100°000 cadavres
pourrir dans les 600 charniers de Slovenie. La plupart d'entre eux ne
peuvent pas etre identifies, bien que le courageux petit gouvernement
de Lljubljana ait promis de deterrer tout le monde.
Parmi eux, certains etaient sans nul doute des criminels de guerre, des
instruments des Nazis qui dirigeaient la Croatie et avaient englouti
la Bosnie et une partie de la Serbie en 1941. Il y avait des camps
d'extermination dans la "nation" brutale des Oustachis. Mais il y
a des chaussures d'enfants dans les charniers et de nombreux corps
semblent avoir ete executes nus. Il y a egalement des femmes. De
petites chaussures recouvrent toujours les parties inferieures des
femurs. Le premier ecrivain a avoir revele les secrets de Barbarin
rov (NdT : la fosse de Barbara), Roman Leljak, a ete accuse par la
police d'avoir "profane" une tombe. Le vrai coupable - le responsable
des massacres locaux en 1945 - etait membre de la Première division
slovène de la "Defense du peuple" de Tito. Le massacre a dure de mai
a septembre 1945, quatre mois après la mort d'Hitler, alors que meme
la guerre avec le Japon avait pris fin.
Les charniers sont ouverts, m'a dit la femme d'un colonel serbe
pendant la guerre des Balkans, pour que l'on y verse davantage de
sang. Mais l'ouverture de quelques tombes a Katyn - contenant les
corps de milliers d'officiers polonais et d'intellectuels assassines
par la NKVD (NdT : la police secrète) de Staline, exposes par les
Nazis, nies par les Soviets et par l'Occident pendant des decennies,
qui voulait maintenir ses relations avec les bouchers de Staline,
jusqu'a ce que la nouvelle Russie elle-meme dise la verite - a mene a
une etrange nouvelle confiance entre Moscou et Varsovie, et meme avec
l'ex-homme du KGB, Poutine, s'inclinant devant le champ du massacre.
Ces cadavres ont-il de l'importance desormais, la plupart de leurs
parents - et de leurs meurtriers - etant decedes ? La commemoration
des morts a la guerre n'a commence qu'en 1914. Excepte les glorieux
leaders, les Wellington, les Napoleon et les Nelson, les fosses
communes attendaient tous ceux qui tombaient au combat. Les morts
francais de Waterloo ont ete envoyes en Angleterre pour servir
d'engrais dans les champs du Lincolnshire. Si la guerre est le
meurtre legal, je suppose qu'ils ont subi un destin plus cruel que les
Chetniks et les Cosaques et les Oustachis et leurs familles en 1945,
dont on connaît au moins les tombes, meme si leurs identites seront
toujours anonymes.
La où nous le pouvons, nous procedons aujourd'hui a l'identification
des morts. Les vastes cimetières militaires de la guerre de 1914-1918
et les cimetières de la Seconde guerre mondiale definissent notre
besoin maladif d'individualisme et de barbarisme. Et pourtant,
les charniers existent aux quatre coins de l'Europe ; de la guerre
de succession d'Espagne a la Guerre de Cent Ans, a la guerre
franco-prussienne, de Drogheda a Srebrenica et, bien sûr, aux fours
d'Auschwitz. En 1993, j'ai visite les ruines du camp d'extermination
de Treblinka en Pologne, alors qu'une tempete venait juste d'arracher
les arbres. Dans les racines de l'un d'eux, j'ai trouve des dents
humaines. Dieu seul le sait.
Il y a un charnier a seulement trois kilomètres de chez moi a Beyrouth
- celui des victimes palestiniennes massacrees dans le camp de Sabra
and Chatila. J'ai assiste a leur ensevelissement, je ne connaissais
que quelques noms, mais ce charnier ne sera jamais rouvert. Pas de
notre vivant. Et il y a les charniers d'environ 30°000 Irakiens,
enterres vivants par les forces americaines pendant la Guerre du
Golfe de 1991, sans une seule inscription, bien sûr.
Je ne sais pas vraiment où la recherche devrait finir. Qui refuserait
aux parents des morts de Srebrenica - dont le tueur principal reside
enfin a la Haye - la possibilite de prier sur les tombes ? Qui
tournerait le dos aux fosses communes de Buchenwald ? Ou aux collines
gelees formees d'ossements, qui marquent l'enterrement des 350°000
habitants de Leningrad morts de faim en 1941 et 1942 ?
Cela me rappelle le grand poète americain, Carl Sandburg.
" Entassez les corps a Austerlitz et a Waterloo ", ecrit-il. "
Et entassez-les a Gettysburg/Et entassez-les a Ypres et a
Verdun/Enterrez-les et laissez moi travailler... Je suis
l'herbe/Laissez-moi travailler. "
©Traduction de l'anglais C.Gardon pour le Collectif VAN - 20 juin
2011 - 07:00 - www.collectifvan.org
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From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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Publie le : 01-07-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Robert Fisk, le reporter
britannique du quotidien The Independant, revient dans son article
sur les charniers ou fosses communes dans le monde, de Deir el Zor a
Beyrouth en passant par Lasko et de la responsabilite et de l'interet
des gouvernements actuels a les rouvrir pour identifier les corps. "
Les charniers sont ouverts, m'a dit la femme d'un colonel serbe
pendant la guerre des Balkans, pour que l'on y verse davantage de
sang. " Je ne sais pas vraiment où la recherche devrait finir. Qui
refuserait aux parents des morts de Srebrenica - dont le tueur
principal reside enfin a la Haye - la possibilite de prier sur les
tombes ? Qui tournerait le dos aux fosses communes de Buchenwald ? Ou
aux collines gelees formees d'ossements, qui marquent l'enterrement
des 350°000 habitants de Leningrad morts de faim en 1941 et 1942 ? Le
Collectif VAN vous presente la traduction de l'article en anglais
paru dans The Independant le 18 juin 2011.
Nous ne pouvons pas dire aux victimes de laisser tranquille les
charniers
The Independant
Samedi 18 juin 2011
Les Syriens disent avoir decouvert cette semaine un charnier
contenant les corps de soldats assassines, aux abords d'une ville
appelee Jisr al-Shughour. Les responsables sont des "gangs armes",
selon la television publique syrienne.
C'est possible. Ou peut-etre ont-ils ete tues par leurs collègues
pour avoir refuse d'ouvrir le feu sur des manifestants anti-Assad
non armes. Mais le monde entier est un charnier. Pourquoi, a quelques
kilomètres seulement au nord de Jisr al-Shughour, les champs syriens
sont-ils toujours parsemes de milliers d'os et de morceaux de crânes ;
c'est tout ce qu'il reste en ce lieu du million et demi d'hommes, de
femmes et d'enfants assassines lors du genocide armenien de 1915. Et
puis, il y a un endroit denomme "La fosse de Barbara" près d'une ville
du nom de Lasko où le charnier, qui n'a que 66 ans cette fois, contient
environ 1°000 squelettes dont personne ne desire vraiment parler.
L'enquete dure depuis deux ans a present, une enquete obscurement
politique, profondement craintive, car ce charnier se trouve en
Slovenie et contient les victimes des partisans victorieux de Tito, les
miliciens du mouvement croate fasciste les Oustachis et leurs familles,
des Cosaques anti-communistes aussi, peut-etre, quelques collaborateurs
hongrois sans nul doute, certainement des Serbes Chetniks anti-Tito et
leurs femmes et leurs pères et leurs frères et leurs enfants et leurs
nièces. Remis aux forces de Tito par nous-memes, les Britanniques, a
la fin de la Seconde guerre mondiale, a la pointe de la baïonnette :
ils hurlaient de peur, se tranchant la gorge dans les trains qui les
ramenaient en Yougoslavie, les eloignant de l'Autriche où ils etaient
en securite, des femmes et des enfants se precipitant dans la mort
en sautant des wagons alors qu'ils passaient au-dessus des gorges
des fleuves.
Mais, voyez-vous, nous ne voulions pas que des communistes infectent
l'Autriche. Nous voulions la paix avec Tito. Nos propres prisonniers de
guerre devaient nous etre rendus. Alors nous avons aide les assassins
a perpetre les massacres qui ont laisse environ 100°000 cadavres
pourrir dans les 600 charniers de Slovenie. La plupart d'entre eux ne
peuvent pas etre identifies, bien que le courageux petit gouvernement
de Lljubljana ait promis de deterrer tout le monde.
Parmi eux, certains etaient sans nul doute des criminels de guerre, des
instruments des Nazis qui dirigeaient la Croatie et avaient englouti
la Bosnie et une partie de la Serbie en 1941. Il y avait des camps
d'extermination dans la "nation" brutale des Oustachis. Mais il y
a des chaussures d'enfants dans les charniers et de nombreux corps
semblent avoir ete executes nus. Il y a egalement des femmes. De
petites chaussures recouvrent toujours les parties inferieures des
femurs. Le premier ecrivain a avoir revele les secrets de Barbarin
rov (NdT : la fosse de Barbara), Roman Leljak, a ete accuse par la
police d'avoir "profane" une tombe. Le vrai coupable - le responsable
des massacres locaux en 1945 - etait membre de la Première division
slovène de la "Defense du peuple" de Tito. Le massacre a dure de mai
a septembre 1945, quatre mois après la mort d'Hitler, alors que meme
la guerre avec le Japon avait pris fin.
Les charniers sont ouverts, m'a dit la femme d'un colonel serbe
pendant la guerre des Balkans, pour que l'on y verse davantage de
sang. Mais l'ouverture de quelques tombes a Katyn - contenant les
corps de milliers d'officiers polonais et d'intellectuels assassines
par la NKVD (NdT : la police secrète) de Staline, exposes par les
Nazis, nies par les Soviets et par l'Occident pendant des decennies,
qui voulait maintenir ses relations avec les bouchers de Staline,
jusqu'a ce que la nouvelle Russie elle-meme dise la verite - a mene a
une etrange nouvelle confiance entre Moscou et Varsovie, et meme avec
l'ex-homme du KGB, Poutine, s'inclinant devant le champ du massacre.
Ces cadavres ont-il de l'importance desormais, la plupart de leurs
parents - et de leurs meurtriers - etant decedes ? La commemoration
des morts a la guerre n'a commence qu'en 1914. Excepte les glorieux
leaders, les Wellington, les Napoleon et les Nelson, les fosses
communes attendaient tous ceux qui tombaient au combat. Les morts
francais de Waterloo ont ete envoyes en Angleterre pour servir
d'engrais dans les champs du Lincolnshire. Si la guerre est le
meurtre legal, je suppose qu'ils ont subi un destin plus cruel que les
Chetniks et les Cosaques et les Oustachis et leurs familles en 1945,
dont on connaît au moins les tombes, meme si leurs identites seront
toujours anonymes.
La où nous le pouvons, nous procedons aujourd'hui a l'identification
des morts. Les vastes cimetières militaires de la guerre de 1914-1918
et les cimetières de la Seconde guerre mondiale definissent notre
besoin maladif d'individualisme et de barbarisme. Et pourtant,
les charniers existent aux quatre coins de l'Europe ; de la guerre
de succession d'Espagne a la Guerre de Cent Ans, a la guerre
franco-prussienne, de Drogheda a Srebrenica et, bien sûr, aux fours
d'Auschwitz. En 1993, j'ai visite les ruines du camp d'extermination
de Treblinka en Pologne, alors qu'une tempete venait juste d'arracher
les arbres. Dans les racines de l'un d'eux, j'ai trouve des dents
humaines. Dieu seul le sait.
Il y a un charnier a seulement trois kilomètres de chez moi a Beyrouth
- celui des victimes palestiniennes massacrees dans le camp de Sabra
and Chatila. J'ai assiste a leur ensevelissement, je ne connaissais
que quelques noms, mais ce charnier ne sera jamais rouvert. Pas de
notre vivant. Et il y a les charniers d'environ 30°000 Irakiens,
enterres vivants par les forces americaines pendant la Guerre du
Golfe de 1991, sans une seule inscription, bien sûr.
Je ne sais pas vraiment où la recherche devrait finir. Qui refuserait
aux parents des morts de Srebrenica - dont le tueur principal reside
enfin a la Haye - la possibilite de prier sur les tombes ? Qui
tournerait le dos aux fosses communes de Buchenwald ? Ou aux collines
gelees formees d'ossements, qui marquent l'enterrement des 350°000
habitants de Leningrad morts de faim en 1941 et 1942 ?
Cela me rappelle le grand poète americain, Carl Sandburg.
" Entassez les corps a Austerlitz et a Waterloo ", ecrit-il. "
Et entassez-les a Gettysburg/Et entassez-les a Ypres et a
Verdun/Enterrez-les et laissez moi travailler... Je suis
l'herbe/Laissez-moi travailler. "
©Traduction de l'anglais C.Gardon pour le Collectif VAN - 20 juin
2011 - 07:00 - www.collectifvan.org
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