GUERRIERS ARMENIENS, SAMOURAI JAPONAIS
Jean Eckian
armenews.com
vendredi 29 juillet 2011
Un article surprenant au prime abord, mais qui resume un travail
probablement enorme : trouver dans la culture martiale japonaise (et
aussi celle de la chevalerie europeenne) ce qu'on peut comparer a la
perception que se font les Armeniens de l'honneur et de l'engagement ;
sachant que les contextes politique et geographique de ces deux nations
sont extremement differents. En etudiant ce texte, on pense d'abord
aux combattants qui ont donne leur vie et a ceux qui la donnent encore
aujourd'hui au Karabagh.
GUERRIERS ARMENIENS, SAMOURAI JAPONAIS : CODES D'HONNEUR MILITAIRE
18 juillet 2011 Paru dans : ARMENIAN RESISTANCE, Armeni @en, Geography
Yerevan Magazine, juillet-août N°14
Texte d'Armen Ayvazyan
Base sur son livre Le Code d'Honneur du Militaire Armenien (4-5eme
siècle)
Traduit par Arsen Nazarian et Armen Ayvazyan
L'historiographie armenienne comporte beaucoup d'informations sur
l'ideologie militaire armenienne ancienne et medievale. Dans les
ouvrages de Pavstos Buzand et Movses Khorenatsi [Moïse de Khorène],
historiens du 5eme siècle, les ordres et l'heritage des sparapets
(commandants en chef) a leurs successeurs decrivent en detail les
obligations et responsabilites des guerriers armeniens. Leur code
de conduite montre des similitudes etonnantes avec le système de
valeurs des samouraïs japonais codifie du 16eme au 18eme siècle,
mais aussi avec la plus ancienne chevalerie d'occident du huitième
au quatorzième siècle.
"Combattez et offrez votre vie pour le Monde Armenien comme vos
braves ancetres l'ont fait avant vous, sacrifiant deliberement leur
vie pour notre Patrie..." Tel etait le message, selon Pavstos Buzand,
du Sparapet Manuel Mamikonian ( mort en 384) a son fils Artashir au
moment de lui remettre son "règlement et ordre de l'Armee". Cette
injonction ideologique a continue de faire partie integrante du
système codifie des forces armees armeniennes. Tout au long de sa
vie tout entière consacree au service des armes, le Sparapet Manuel
lui-meme etait anime par ce commandement. Tandis qu'il reposait dans
son lit atteint d'un mal incurable, entoure du roi, de la reine, de
gentilshommes et de nobles dames, Manuel ôta ses vetements et montra
a l'assistance ses nombreuses blessures qu'il avait subies au cours
des batailles engagees pour l'independance de l'Armenie.
"Il n'y avait aucun endroit exempt de blessures sur son corps qui soit
aussi grande qu'une pièce de monnaie. Il avait ete blesse dans les
combats et portait plus de cinquante cicatrices sur son corps, jusqu'a
son organe male, qu'il decouvrit et montra a tous."[ !] Sacrifier sa
vie pour la terre de ses ancetres est exactement la meme ideologie que
l'historien Movses Khorenatsi decrit dans son Histoire de l'Armenie
dans le passage qui suit a propos du Roi-Guerrier armenien Aram :
" Etant lui-meme un homme concret et patriote, ce roi preferait
mourir pour la terre de ses ancetres plutôt que de voir les fils
d'etrangers passer les frontières de la terre de ses ancetres et
dominer son propre peuple."
Tandis qu'il codifiait les vertus personnelles du Sparapet Moushegh
Mamikonian (mort en 376), Pavstos Buzand dans Histoire de l'Armenie
presente en fait une liste des principaux engagements pris par les
guerriers armeniens devant l'etat et la nation armenienne. Voici donc
les elements fondamentaux du Code d'Honneur de l'armee armenienne au
cours des quatrième et cinquième siècles dans l'ordre hierarchique
de priorite rapportes par Buzand : loyaute et service devoue a
la Patrie et au Royaume d'Armenie ; preservation d'une reputation
chevaleresque sans tâche et de sa dignite, jusqu'au don de sa vie
si c'est necessaire ; loyaute et service devoue au Roi Armenien,
c'est-a-dire l'institution socio-politique la plus importante de
l'ancien système de l'etat de l'Armenie ; loyaute et service devoue
a tous les habitants de l'Armenien, quelles que soient leur origine
sociale ou leur position ; piete envers la foi chretienne, l'Eglise
(nationale) Armenienne et protection devouee aux membres de son
clerge ; devotion a la famille ; devotion aux parents et a son clan
nobiliaire ; et loyaute envers les compagnons d'armes.
Quelques unes des dispositions sont voisines des codes de la
chevalerie, ceux des chevaliers europeens du moyen-âge et des
Samouraïs, les guerriers professionnels japonais, placant honneur
et allegeance a leur suzerain au-dessus de leur propre vie. Dans son
livre renomme Hagakure (litteralement, Cache dans les Feuilles), le
samouraï Yamamoto Tsunemoto (mort en 1719) decrit le code d'honneur du
Samouraï, Bushido - "Le Sentier du Guerrier". Il souligne l'exigence
pour un guerrier de mepriser la mort. "Bushido, le sentier du guerrier,
signifie la mort. Lorsqu'il ne reste a choisir qu'entre deux sentiers,
vous devez immediatement choisir celui qui conduit a la mort. Ne
pensez plus. Dirigez vos pensees vers le chemin auquel vous avez
donne votre preference et marchez !" ecrit-il. Une question se pose
alors involontairement : "Pourquoi devrais-je payer de ma vie pour
rien ?" Cela n'est que le jugement d'un egoïste. Quand il vous faut
faire un choix, ne laissez pas les pensees sur l'utilite ou l'avantage
alterer votre reflexion. Si nous preferons tous la vie a la mort,
cette preference au fond determine notre choix. Pensez a l'indignite
qui pourrait vous accabler lorsque vous, ~\uvrant pour le profit
pourriez soudain echouer. Pensez au sort pitoyable de cet homme qui
continue a vivre alors qu'il n'a pas atteint son but.
Le Samouraï est contraint de donner son âme et son corps a son
prince ou a son seigneur. Il doit en outre etre avise, magnanime et
valeureux...Rappelez vous, la mort n'atteint pas votre dignite. La mort
ne vous apporte pas le deshonneur...La reponse a vos engagements doit
etre complète et votre reputation doit rester immaculee. Un samouraï
jure d'obeir aux quatre commandements qui suivent : n'accepter aucun
compromis lorsqu'il s'agit de tenir vos engagements ; etre au service
de son seigneur ; etre respectueux envers ses parents : etre magnanime
et compatissant."
La ressemblance entre le code d'honneur du combattant armenien du
temps d'Arshakuni et celui du Samouraï japonais qui place l'honneur,
la dignite et le service devoue a son seigneur (suzerain, "maître")
au dessus de sa propre vie, est frappante. Dans cet ordre d'idee,
Pavstos Buzand nous procure un certain nombre de cas qui s'expliquent
en eux-memes. L'un d'entre eux se passe au cours d'un episode en Perse.
"Cela s'est produit un jour que le roi armenien Arshak entra dans l'un
des enclos du roi de Perse. Le Maître d'equitation du roi perse s'y
trouvait, assis. Quand il vit le roi, il ne prononca aucune parole de
bienvenue, ni ne preta aucunement attention a sa personne. Il commenca
meme a le ridiculiser et a l'insulter, lui disant ; "Roi des chèvres
armeniennes, vient donc t'asseoir sur cette touffe d'herbe".
A ces mots, Vasak, le General commandant en chef de l'armee de la
Grande Armenie, de la dynastie des Mamikonian, qui accompagnait le
roi, entra dans une rage folle. Furieux, il tira l'epee qu'il portait
a sa ceinture et en frappa le maître d'equitation du roi de Perse,
le decapitant d'un seul coup, ne pouvant supporter l'impudence faite
a son roi. Il preferait mourir plusieurs fois plutôt que d'etre
temoin de toute insulte ou atteinte a la dignite de son roi." Les
injonctions de l'auteur Samouraï Japonais du Hagakure pour ne pas
craindre de mourir et de se comporter pour le merite d'une reputation
immaculee sont decrits presque de la meme manière par le Sparapet
armenien Manuel dans son message-commandement decrit plus haut : et
il lui commanda d'etre loyal et devoue au Roi Arshak, d'etre honnete,
diligent et assidu au travail. "Combattez et offrez votre vie a la
Patrie d'Armenie comme vos valeureux ancetres l'on fait en sacrifiant
volontairement leur vie pour cette Patrie. Parce que, dit-il, cela
sera un acte beaucoup plus convenable et qui plaira a Dieu, et parce
que si vous vous comportez ainsi, vous ne serez pas oublies par le
Tout-Puissant. Recherchez la reputation d'un homme brave dans ce monde
et faites la justice pour avoir une place au paradis. Et n'ayez pas
peur de la mort, mais mettez tous vos espoirs sur celui qui a tout
cree et fonde. Rejetez toute chose corrompue, depourvue d'ethique
et mauvaise hors de vous-memes et venerez le Seigneur, le c~\ur et
plein de foi. Donnez votre vie pour notre pieuse Patrie l'Armenie,
parce qu'alors vous serez mort pour Dieu, pour ses eglises, pour ses
fidèles et pour les seigneurs natifs de cette Patrie, les Arshakunis."
Ce passage demontre clairement la facon adroite dont les capitaines
des quatrième et cinquième siècles ont fait usage de la foi Chretienne
comme une ideologie dans des guerres presque incessantes engagees pour
l'independance de l'Armenie. 'Mourir pour l'Armenie c'est mourir pour
Dieu', prechait le Commandant en Chef Manuel Sparapet et, bien sûr,
d'autres capitaines armeniens du quatrième siècle. (Donnez votre vie
pour notre pieuse Patrie l'Armenie, parce qu'ainsi vous serez mort
pour Dieu). En cela, ils ont apporte l'harmonie et la pertinence entre
le code d'honneur du soldat Armenien, qui d'une part avait ete forme
deja depuis des temps très anciens et sanctifie dans les nombreuses
batailles (en particulier le point de vue ideologique du don de sa vie
pour la patrie), et la foi chretienne relativement nouvelle d'autre
part. Avec exactement la meme croyance, que mourir pour la patrie
est un acte de foi en Dieu, les guerriers Chretiens-Armeniens ont
continue a combattre tout au long des siècles qui ont suivi.
On trouve une autre ressemblance etonnante avec le code d'honneur
Samouraï dans un autre decret du Commandant en Chef Manuel. Il dit a
ses combattants d'etre "honnetes, diligents et assidus au travail",
ce qui correspond aux exigences similaires du Hagakure : "Un soldat
devrait s'entraîner sans relâche et ne devrait jamais penser au repos.
Il n'y a pas de fin pour votre entraînement. Il se peut que vous
atteigniez un point où vous avez le sentiment d'avoir atteint la
perfection et cessiez ce a quoi vous etiez attache jusqu'a present.
Mais celui qui veut etre parfait devrait toujours garder a l'esprit
qu'il est encore loin d'avoir atteint ce point. Ceux qui sont
malhonnetes ne peuvent jamais servir les armes correctement."
Il y a cependant des differences importantes entre les priorites des
obligations du code d'honneur armenien, et ceux des codes d'Europe
occidentale et japonais, comme le montre a l'evidence la hierarchie
des engagements du guerrier armenien des quatrième et cinquième siècle
decrit plus haut. L'engagement personnel du Commandant armenien,
le plus solennel, etait pris devant le pays, le royaume, et les
territoires d'Armenie et devant tout armenien quelles que soient
son origine ou sa position sociale, et considere comme superieur aux
promesses a la propre famille et maison nobiliaire et meme a la piete
dans la religion chretienne et l'eglise.
Bien sûr, cela ne vaut que pour les temps anciens du moyen-âge a son
debut. Peut-etre cela est-ce l'effet de la formation très tôt au sein
du peuple armenien du concept de terre des ancetres et d'etat-nation,
bien avant l'adoption de la religion chretienne. Dès les quatrième
et cinquième siècles, l'idee de terres des ancetres etait exprimee
en termes varies, tels que "Hayotz ashkharh, Yerkir, Tagavorutiun"
("monde, pays, royaume armenien"). En dehors de ces termes, Movses
Khorenatsi emploie les termes "hayrenik" (patrie) et "hayrenaser"
(patriote).
Epilogue
Dans ce contexte historique, le code d'honneur militaire armenien a eu
un impact profond et durable sur le caractère national et la vision du
monde du peuple armenien- comme le Bushido sur le peuple japonais. Les
psyches collectives des Armeniens comme des Japonais resteraient
pratiquement impenetrables si on les examinait sans prendre l'ethique
de leurs guerriers ancestraux en consideration. Ce defi a ete reconnu
en profondeur par des etudiants perspicaces de culture japonaise.
Comme le note Thomas Cleary, un universitaire bouddhiste et traducteur
de nombreux classiques de la theorie militaire de l'Asie, "Meme
dans les sphères sociales et culturelles, le Japon d'aujourd'hui
perpetue les restes du Bushido Samouraï. Cela n'est pas seulement vrai
dans l'education et les arts subtils, mais aussi dans des postures
caracteristiques et la conduite qui marquent la pratique de relations
politiques, professionnelles et personnelles." Si l'on observait,
cependant, d'un point de vue similaire, la culture armenienne -
la litterature, la musique, l'epopee nationale, le folklore - on
trouverait une profonde et large infusion des traditions martiales
qui provient puissamment et de facon originale, de l'ancienne classe
des guerriers armeniens.
Jean Eckian
armenews.com
vendredi 29 juillet 2011
Un article surprenant au prime abord, mais qui resume un travail
probablement enorme : trouver dans la culture martiale japonaise (et
aussi celle de la chevalerie europeenne) ce qu'on peut comparer a la
perception que se font les Armeniens de l'honneur et de l'engagement ;
sachant que les contextes politique et geographique de ces deux nations
sont extremement differents. En etudiant ce texte, on pense d'abord
aux combattants qui ont donne leur vie et a ceux qui la donnent encore
aujourd'hui au Karabagh.
GUERRIERS ARMENIENS, SAMOURAI JAPONAIS : CODES D'HONNEUR MILITAIRE
18 juillet 2011 Paru dans : ARMENIAN RESISTANCE, Armeni @en, Geography
Yerevan Magazine, juillet-août N°14
Texte d'Armen Ayvazyan
Base sur son livre Le Code d'Honneur du Militaire Armenien (4-5eme
siècle)
Traduit par Arsen Nazarian et Armen Ayvazyan
L'historiographie armenienne comporte beaucoup d'informations sur
l'ideologie militaire armenienne ancienne et medievale. Dans les
ouvrages de Pavstos Buzand et Movses Khorenatsi [Moïse de Khorène],
historiens du 5eme siècle, les ordres et l'heritage des sparapets
(commandants en chef) a leurs successeurs decrivent en detail les
obligations et responsabilites des guerriers armeniens. Leur code
de conduite montre des similitudes etonnantes avec le système de
valeurs des samouraïs japonais codifie du 16eme au 18eme siècle,
mais aussi avec la plus ancienne chevalerie d'occident du huitième
au quatorzième siècle.
"Combattez et offrez votre vie pour le Monde Armenien comme vos
braves ancetres l'ont fait avant vous, sacrifiant deliberement leur
vie pour notre Patrie..." Tel etait le message, selon Pavstos Buzand,
du Sparapet Manuel Mamikonian ( mort en 384) a son fils Artashir au
moment de lui remettre son "règlement et ordre de l'Armee". Cette
injonction ideologique a continue de faire partie integrante du
système codifie des forces armees armeniennes. Tout au long de sa
vie tout entière consacree au service des armes, le Sparapet Manuel
lui-meme etait anime par ce commandement. Tandis qu'il reposait dans
son lit atteint d'un mal incurable, entoure du roi, de la reine, de
gentilshommes et de nobles dames, Manuel ôta ses vetements et montra
a l'assistance ses nombreuses blessures qu'il avait subies au cours
des batailles engagees pour l'independance de l'Armenie.
"Il n'y avait aucun endroit exempt de blessures sur son corps qui soit
aussi grande qu'une pièce de monnaie. Il avait ete blesse dans les
combats et portait plus de cinquante cicatrices sur son corps, jusqu'a
son organe male, qu'il decouvrit et montra a tous."[ !] Sacrifier sa
vie pour la terre de ses ancetres est exactement la meme ideologie que
l'historien Movses Khorenatsi decrit dans son Histoire de l'Armenie
dans le passage qui suit a propos du Roi-Guerrier armenien Aram :
" Etant lui-meme un homme concret et patriote, ce roi preferait
mourir pour la terre de ses ancetres plutôt que de voir les fils
d'etrangers passer les frontières de la terre de ses ancetres et
dominer son propre peuple."
Tandis qu'il codifiait les vertus personnelles du Sparapet Moushegh
Mamikonian (mort en 376), Pavstos Buzand dans Histoire de l'Armenie
presente en fait une liste des principaux engagements pris par les
guerriers armeniens devant l'etat et la nation armenienne. Voici donc
les elements fondamentaux du Code d'Honneur de l'armee armenienne au
cours des quatrième et cinquième siècles dans l'ordre hierarchique
de priorite rapportes par Buzand : loyaute et service devoue a
la Patrie et au Royaume d'Armenie ; preservation d'une reputation
chevaleresque sans tâche et de sa dignite, jusqu'au don de sa vie
si c'est necessaire ; loyaute et service devoue au Roi Armenien,
c'est-a-dire l'institution socio-politique la plus importante de
l'ancien système de l'etat de l'Armenie ; loyaute et service devoue
a tous les habitants de l'Armenien, quelles que soient leur origine
sociale ou leur position ; piete envers la foi chretienne, l'Eglise
(nationale) Armenienne et protection devouee aux membres de son
clerge ; devotion a la famille ; devotion aux parents et a son clan
nobiliaire ; et loyaute envers les compagnons d'armes.
Quelques unes des dispositions sont voisines des codes de la
chevalerie, ceux des chevaliers europeens du moyen-âge et des
Samouraïs, les guerriers professionnels japonais, placant honneur
et allegeance a leur suzerain au-dessus de leur propre vie. Dans son
livre renomme Hagakure (litteralement, Cache dans les Feuilles), le
samouraï Yamamoto Tsunemoto (mort en 1719) decrit le code d'honneur du
Samouraï, Bushido - "Le Sentier du Guerrier". Il souligne l'exigence
pour un guerrier de mepriser la mort. "Bushido, le sentier du guerrier,
signifie la mort. Lorsqu'il ne reste a choisir qu'entre deux sentiers,
vous devez immediatement choisir celui qui conduit a la mort. Ne
pensez plus. Dirigez vos pensees vers le chemin auquel vous avez
donne votre preference et marchez !" ecrit-il. Une question se pose
alors involontairement : "Pourquoi devrais-je payer de ma vie pour
rien ?" Cela n'est que le jugement d'un egoïste. Quand il vous faut
faire un choix, ne laissez pas les pensees sur l'utilite ou l'avantage
alterer votre reflexion. Si nous preferons tous la vie a la mort,
cette preference au fond determine notre choix. Pensez a l'indignite
qui pourrait vous accabler lorsque vous, ~\uvrant pour le profit
pourriez soudain echouer. Pensez au sort pitoyable de cet homme qui
continue a vivre alors qu'il n'a pas atteint son but.
Le Samouraï est contraint de donner son âme et son corps a son
prince ou a son seigneur. Il doit en outre etre avise, magnanime et
valeureux...Rappelez vous, la mort n'atteint pas votre dignite. La mort
ne vous apporte pas le deshonneur...La reponse a vos engagements doit
etre complète et votre reputation doit rester immaculee. Un samouraï
jure d'obeir aux quatre commandements qui suivent : n'accepter aucun
compromis lorsqu'il s'agit de tenir vos engagements ; etre au service
de son seigneur ; etre respectueux envers ses parents : etre magnanime
et compatissant."
La ressemblance entre le code d'honneur du combattant armenien du
temps d'Arshakuni et celui du Samouraï japonais qui place l'honneur,
la dignite et le service devoue a son seigneur (suzerain, "maître")
au dessus de sa propre vie, est frappante. Dans cet ordre d'idee,
Pavstos Buzand nous procure un certain nombre de cas qui s'expliquent
en eux-memes. L'un d'entre eux se passe au cours d'un episode en Perse.
"Cela s'est produit un jour que le roi armenien Arshak entra dans l'un
des enclos du roi de Perse. Le Maître d'equitation du roi perse s'y
trouvait, assis. Quand il vit le roi, il ne prononca aucune parole de
bienvenue, ni ne preta aucunement attention a sa personne. Il commenca
meme a le ridiculiser et a l'insulter, lui disant ; "Roi des chèvres
armeniennes, vient donc t'asseoir sur cette touffe d'herbe".
A ces mots, Vasak, le General commandant en chef de l'armee de la
Grande Armenie, de la dynastie des Mamikonian, qui accompagnait le
roi, entra dans une rage folle. Furieux, il tira l'epee qu'il portait
a sa ceinture et en frappa le maître d'equitation du roi de Perse,
le decapitant d'un seul coup, ne pouvant supporter l'impudence faite
a son roi. Il preferait mourir plusieurs fois plutôt que d'etre
temoin de toute insulte ou atteinte a la dignite de son roi." Les
injonctions de l'auteur Samouraï Japonais du Hagakure pour ne pas
craindre de mourir et de se comporter pour le merite d'une reputation
immaculee sont decrits presque de la meme manière par le Sparapet
armenien Manuel dans son message-commandement decrit plus haut : et
il lui commanda d'etre loyal et devoue au Roi Arshak, d'etre honnete,
diligent et assidu au travail. "Combattez et offrez votre vie a la
Patrie d'Armenie comme vos valeureux ancetres l'on fait en sacrifiant
volontairement leur vie pour cette Patrie. Parce que, dit-il, cela
sera un acte beaucoup plus convenable et qui plaira a Dieu, et parce
que si vous vous comportez ainsi, vous ne serez pas oublies par le
Tout-Puissant. Recherchez la reputation d'un homme brave dans ce monde
et faites la justice pour avoir une place au paradis. Et n'ayez pas
peur de la mort, mais mettez tous vos espoirs sur celui qui a tout
cree et fonde. Rejetez toute chose corrompue, depourvue d'ethique
et mauvaise hors de vous-memes et venerez le Seigneur, le c~\ur et
plein de foi. Donnez votre vie pour notre pieuse Patrie l'Armenie,
parce qu'alors vous serez mort pour Dieu, pour ses eglises, pour ses
fidèles et pour les seigneurs natifs de cette Patrie, les Arshakunis."
Ce passage demontre clairement la facon adroite dont les capitaines
des quatrième et cinquième siècles ont fait usage de la foi Chretienne
comme une ideologie dans des guerres presque incessantes engagees pour
l'independance de l'Armenie. 'Mourir pour l'Armenie c'est mourir pour
Dieu', prechait le Commandant en Chef Manuel Sparapet et, bien sûr,
d'autres capitaines armeniens du quatrième siècle. (Donnez votre vie
pour notre pieuse Patrie l'Armenie, parce qu'ainsi vous serez mort
pour Dieu). En cela, ils ont apporte l'harmonie et la pertinence entre
le code d'honneur du soldat Armenien, qui d'une part avait ete forme
deja depuis des temps très anciens et sanctifie dans les nombreuses
batailles (en particulier le point de vue ideologique du don de sa vie
pour la patrie), et la foi chretienne relativement nouvelle d'autre
part. Avec exactement la meme croyance, que mourir pour la patrie
est un acte de foi en Dieu, les guerriers Chretiens-Armeniens ont
continue a combattre tout au long des siècles qui ont suivi.
On trouve une autre ressemblance etonnante avec le code d'honneur
Samouraï dans un autre decret du Commandant en Chef Manuel. Il dit a
ses combattants d'etre "honnetes, diligents et assidus au travail",
ce qui correspond aux exigences similaires du Hagakure : "Un soldat
devrait s'entraîner sans relâche et ne devrait jamais penser au repos.
Il n'y a pas de fin pour votre entraînement. Il se peut que vous
atteigniez un point où vous avez le sentiment d'avoir atteint la
perfection et cessiez ce a quoi vous etiez attache jusqu'a present.
Mais celui qui veut etre parfait devrait toujours garder a l'esprit
qu'il est encore loin d'avoir atteint ce point. Ceux qui sont
malhonnetes ne peuvent jamais servir les armes correctement."
Il y a cependant des differences importantes entre les priorites des
obligations du code d'honneur armenien, et ceux des codes d'Europe
occidentale et japonais, comme le montre a l'evidence la hierarchie
des engagements du guerrier armenien des quatrième et cinquième siècle
decrit plus haut. L'engagement personnel du Commandant armenien,
le plus solennel, etait pris devant le pays, le royaume, et les
territoires d'Armenie et devant tout armenien quelles que soient
son origine ou sa position sociale, et considere comme superieur aux
promesses a la propre famille et maison nobiliaire et meme a la piete
dans la religion chretienne et l'eglise.
Bien sûr, cela ne vaut que pour les temps anciens du moyen-âge a son
debut. Peut-etre cela est-ce l'effet de la formation très tôt au sein
du peuple armenien du concept de terre des ancetres et d'etat-nation,
bien avant l'adoption de la religion chretienne. Dès les quatrième
et cinquième siècles, l'idee de terres des ancetres etait exprimee
en termes varies, tels que "Hayotz ashkharh, Yerkir, Tagavorutiun"
("monde, pays, royaume armenien"). En dehors de ces termes, Movses
Khorenatsi emploie les termes "hayrenik" (patrie) et "hayrenaser"
(patriote).
Epilogue
Dans ce contexte historique, le code d'honneur militaire armenien a eu
un impact profond et durable sur le caractère national et la vision du
monde du peuple armenien- comme le Bushido sur le peuple japonais. Les
psyches collectives des Armeniens comme des Japonais resteraient
pratiquement impenetrables si on les examinait sans prendre l'ethique
de leurs guerriers ancestraux en consideration. Ce defi a ete reconnu
en profondeur par des etudiants perspicaces de culture japonaise.
Comme le note Thomas Cleary, un universitaire bouddhiste et traducteur
de nombreux classiques de la theorie militaire de l'Asie, "Meme
dans les sphères sociales et culturelles, le Japon d'aujourd'hui
perpetue les restes du Bushido Samouraï. Cela n'est pas seulement vrai
dans l'education et les arts subtils, mais aussi dans des postures
caracteristiques et la conduite qui marquent la pratique de relations
politiques, professionnelles et personnelles." Si l'on observait,
cependant, d'un point de vue similaire, la culture armenienne -
la litterature, la musique, l'epopee nationale, le folklore - on
trouverait une profonde et large infusion des traditions martiales
qui provient puissamment et de facon originale, de l'ancienne classe
des guerriers armeniens.