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Les Arméniens cachés de Turquie

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  • Les Arméniens cachés de Turquie

    Liberation, France
    4 juin 2011


    Les Arméniens cachés de Turquie
    Vingt-cinq petits-enfants turcs racontent la révélation traumatisante
    de leurs origines arméniennes.

    par Marc Semo

    Les petits enfants de Fethiye Çetin et Ayse Gül Altinay
    Actes Sud, 336 pp

    On les appelait en turc «restes de l'épée». C'étaient des enfants, le
    plus souvent des filles ou de belles jeunes femmes, arrachés aux
    déportations et marches de la mort lors de l'extermination des
    Arméniens de l'Empire ottoman (1915-1917), puis «intégrés» dans des
    foyers turcs. Converties à l'islam, épousées légalement ou restées
    «secondes femmes», elles ont traversé le siècle dans le silence, «les
    lèvres scellées» par la douleur et par la crainte de remuer les
    fantômes du passé.

    «Que ces jours s'en aillent et ne reviennent jamais», répétait ainsi
    la grand-mère de Fethiye Çetin, avocate et activiste des droits de
    l'homme qui, à l'ge de 20 ans, découvrit que son «ana», sa Seher
    adorée, s'était appelée Heranus dans une vie antérieure, avant d'être
    adoptée par un gendarme turc qui la sauva d'une mort certaine
    (Libération du 19 décembre 2006). Dans un récit bouleversant, le Livre
    de ma grand-mère, elle raconta cette histoire, faisant resurgir une
    mémoire enfouie dans une Turquie niant la réalité d'un génocide qui
    fit plus d'un million de morts. Mais le tabou était déjà en train de
    se fissurer. Ce livre, qui fut un best-seller, contribua à relancer le
    débat public. Et, surtout, il ouvrit une brèche. Fethiye Çetin reçut
    alors des centaines de messages de Turcs ayant vécu une expérience
    similaire. Avec l'anthropologue Ayse Gül Altinay, elle s'est alors
    lancée dans la collecte de témoignages sur ces destins tragiques
    transmis de génération en génération.

    Découvrir qu'ils avaient du sang arménien a été un choc, voire un
    traumatisme, pour les petits-enfants qui parlent dans ces vingt-cinq
    récits. Assumer d'un coup une identité mixte n'est pas facile quand on
    a grandi dans un pays où partout figure la phrase de Mustafa Kemal, le
    fondateur de la République sur les décombres de l'Empire ottoman :
    «Heureux celui qui peut se dire turc.» Sa fille adoptive était une
    orpheline arménienne...

    Ces fragments de mémoire échappés à l'oubli ont pour la plupart été
    confiés sous le sceau de l'anonymat, avec juste un prénom. La peur est
    encore là. Une certaine pudeur aussi. D'une grand-mère qui n'a jamais
    rien dit sur son passé, comment savoir si sa survie est le résultat du
    geste désintéressé d'un juste ou l'amère récompense d'un esclavage
    sexuel ? Ce sont des bribes qui remontent, des pièces d'un puzzle que
    chacun de ces petits-enfants tente de reconstituer. Zerdust, la Kurde
    zaza de la région de Tunceli (centre de l'Anatolie), a toujours su
    cette réalité : «Bon gré mal gré, Arméniens et Kurdes se sont mélangés
    et sont liés par le sang.» Dans chaque famille ou presque des villages
    avoisinants, il y a eu un ou une Arménienne sauvé du massacre. Dans la
    plupart des cas, en revanche, cette origine arménienne a été
    soigneusement cachée. Même si souvent, dans les villages, chacun
    savait qui étaient ces gens «portant en eux le reflet de la douleur»,
    selon les mots d'Ali à qui sa grand-mère, qui s'appelait Seyranus
    avant d'être rebaptisée Emine, raconta tout : les tueries, les marches
    de la mort jusqu'aux déserts de Mésopotamie, l'homme qui l'adopte
    «parce qu'elle a les yeux verts».

    Et puis il y a ceux qui ne savaient pas, comme Mehmet qui l'a appris
    alors qu'il faisait son service militaire, étant fiché à cause d'une
    grand-mère dont il ignorait jusque là l'origine. Nul ne sait combien
    il y a aujourd'hui de Turcs ayant à leur insu une telle ascendance
    arménienne. Probablement des dizaines de milliers voire encore plus.

    http://www.liberation.fr/livres/01012341343-les-armeniens-caches-de-turquie




    From: A. Papazian
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