LA TURQUIE DE HRANT DINK
Source/Lien : Mediapart
Publié le : 16-06-2011
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=54994
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Alors que l'AKP a toutes
les chances de remporter une nouvelle fois les élections législatives
turques, dimanche, Mediapart publie deux chroniques du journaliste
arménien de Turquie, Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007
à Istanbul. L'an dernier, considérant qu'elle s'était abstenu
d'intervenir alors qu'elle disposait d'informations qui auraient
pu empêcher son assassinat, la Cour européenne des droits de
l'homme avait condamné la Turquie. Ces deux textes sont extraits
du livre Hrant Dink, Chroniques d'un journaliste assassiné, textes
rassemblés par Günter Seufert, traduction: Bernard Banoun, Haldun
Bayrı et Marie-Michèle Martinet, © Galaade éditions, 2010, pour
la traduction française. Le Collectif VAN vous propose cet article
publié sur Mediapart le 10 juin 2011.
10 Juin 2011 Par Les invités de Mediapart
Edition : Les invités de Mediapart
Alors que l'AKP a toutes les chances de remporter une nouvelle fois
les élections législatives turques, dimanche, Mediapart publie
deux chroniques du journaliste turc d'origine arménienne Hrant
Dink, assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul. L'an dernier,
considérant qu'elle s'était abstenu d'intervenir alors qu'elle
disposait d'informations qui auraient pu empêcher son assassinat,
la Cour européenne des droits de l'homme avait condamné la Turquie.
La carte au trésor, 18 février 2000
Dans les journaux, on tombe souvent sur des titres de ce genre:
«Arrestation d'un vendeur de fausses cartes au trésor». Ou bien:
«Il se fait escroquer par des voleurs de trésor». Un jour,
c'était dans Agos: «Des personnes d'origine arménienne vendent
de fausses cartes au trésor». Nous sommes allés rendre visite
au directeur du musée d'Erzurum qui était à l'origine de cette
histoire. En fait, l'homme n'aurait pas déclaré que les coupables
étaient arméniens, mais il aurait parlé d'«escrocs se présentant
comme des Arméniens»; des types qui, pour accomplir leur larcin,
expliquent que leur grand-père a enterré son or au moment du départ
et qu'ils sont en possession d'une carte indiquant l'endroit où le
trésor est resté caché.
Le directeur aurait dit cela, mais ses interlocuteurs auraient
compris comme cela... de toute façon, la question n'est pas de
savoir ce que celui-ci ou celui-là aura pu dire. Comme on le sait,
la chasse au trésor est une activité, très en vogue en Anatolie, Ã
laquelle certains fanatiques du trésor ont voué leur existence. On
prétend même qu'il existe un café à Aksaray 86 exclusivement
fréquenté par les chercheurs d'or. Des gars du genre de ceux qui
viennent régulièrement frapper à la porte d'Agos pour vous montrer
de vieux parchemins couverts de dessins auxquels ils ne comprennent
rien; et vous tendre leur bout de papier d'un air craintif, comme
s'ils avaient peur de se le voir arracher des mains. Vous voyez
le tableau! Mais mon propos n'est pas de vous parler des cartes au
trésor. Parmi tous ceux qui passent leur temps à creuser, combien
savent que ce n'est pas dessous mais en surface qu'il faut chercher?
Ã~@ les voir, il est évident qu'ils ignorent que le vrai trésor est
à trouver parmi ceux qui ont échappé à l'exil forcé. Ces personnes
et leurs enfants ont vécu en Anatolie aussi longtemps qu'il leur a
été possible de le supporter. Malheureusement, ils n'ont pas été
estimés à leur juste valeur; leurs écoles et leurs églises ont
été confisquées.
Avec le temps, ils se sont éparpillés, d'abord vers Istanbul, puis
à la surface de toute la terre. Aujourd'hui, ils sont devenus si rares
en Anatolie qu'il n'est même plus possible de dire combien ils sont.
Le vrai trésor, c'est tout ce qu'ils ont créé. Les habitués de la
deuxième page d'Agos doivent se souvenir de la rubrique «Il était
une fois» qui a pris fin le week-end dernier. On y évoquait tous les
lieux abandonnés dans les villages que nous avons laissés derrière
nous: plus de trois mille églises, plus de deux mille écoles et
d'innombrables maisons, des lieux de travail, des hôpitaux... On
n'a pas apprécié la valeur deces personnes mais on n'a certainement
pas apprécié non plus ce qu'elles ont laissé derrière elles.
Pourtant, en Anatolie, les Arméniens y vivent encore; pour
être exact, disons plutôt qu'ils «vivent l'Anatolie» dans cet
éparpillement à la surface du globe que l'on appelle la diaspora. On
pourrait ainsi dire que la diaspora, c'est la dimension mondiale
de l'Anatolie. Les amateurs d'histoire, qui n'ignorent pas qu'elle
représente le point central d'une dilatation géographique, savent
qu'il existe aujourd'hui, même en Arménie, des endroits nommées
Nor Malatya, Nor Arapgir, Nor Pütanya (Izmit), Nor Sepasdiya (Sivas),
Nor Gesaria (Kayseri)... des villes nouvelles fondées pour ressembler
aux villes d'Anatolie, où les Arméniens peuvent retrouver leur
identité anatolienne. Il paraît que de nouveaux monuments mémoriels
vont bientôt être érigés aux Ã~Itats-Unis (en Virginie) et aux
Pays-Bas, que des projets de résolution viennent d'être adoptés
et que, la semaine prochaine, les spécialistes français de la
taqiyya 87 vont encore débattre au Sénat de la reconnaissance du
génocide. Chez nous, on entendra encore une fois les mêmes arguments
sur lâ~@~Yhabileté manÅ~Suvrière des lobbies arméniens. Toujours
le même film rejoué à lâ~@~Yidentique depuis des annéesâ~@¦
Il y aurait pourtant un moyen de se sortir de ce bourbier; une voie qui
nous mènerait au véritable trésor. Pour désarmer nos adversaires et
les empêcher dâ~@~Yintervenir à leur gré dans nos affaires, il nous
faudrait trouver le moyen de renouer le dialogue rompu, en donnant la
priorité aux relations entre la Turquie et lâ~@~YArménie. Ensuite,
nous devrions régler nous-mêmes les problèmes des Arméniens de
Turquie, sans céder à telle ou telle pression ou intimidation venue
de lâ~@~Yextérieur. Enfin, et câ~@~Yest le point le plus important,
il est indispensable de reconquérir lâ~@~YAnatolie de la diaspora.
Croyez-moi, il ne sâ~@~Yagit pas dâ~@~Yune utopie ou de quelque
chose dâ~@~Yirréalisable. La vie est pleine dâ~@~Yexemples montrant
que de tout petits pas ou de minuscules entreprises peuvent être Ã
lâ~@~Yorigine des plus grands progrès. Au lieu de dire: «Développons
le tourisme en misant sur la foi pour gagner de lâ~@~Yargent», il nous
faut regagner le cÅ~Sur des nôtres en engageant notre sincérité. Il
suffirait, par exemple, de poser une plaque, même toute petite, où on
aurait écrit: «Cette mosquée fut autrefois lâ~@~Yéglise arménienne
Sourp Krikor Lousarovitch». Ce serait assurément un geste positif
bien plus consolateur que nos incessantes querelles. Et câ~@~Yest
ainsi que je pourrais décrire ma conception de la carte au trésor.
Sur «la Turquie musulmane», 21 octobre 2005
Le Conseil de sécurité nationale 84 vient encore de déclarer
que les menées séparatistes et les activités réactionnaires
constituent à ses yeux la plus importante et imminente menace. Pour
le dire simplement, les menées séparatistes englobent le problème
kurde, et les activités réactionnaires désignent lâ~@~Yislam
fondamentaliste. Même si la question nâ~@~Yest pas ici de prendre le
pouls de la menace réactionnaire et de lâ~@~Yactivisme islamique ou
de faire le tour de la question kurde, il me semble utile de faire
le constat suivant: heureusement que les Turcs et les Kurdes sont
des musulmans. Si, jusquâ~@~Yà ce jour, le sang nâ~@~Ya pas coulé
entre ces deux peuples et si, ins¸allah, nous sommes préservés Ã
lâ~@~Yavenir de tels événements, il faut dâ~@~Yabord le mettre au
crédit de leur religion musulmane commune.
Voilà ce que je veux dire: au même titre que le séparatisme,
peut-être que la montée religieuse est une menace, mais
il faut bien admettre que câ~@~Yest aussi le meilleur ciment
national! Autrement dit, lâ~@~Yune des deux menaces neutralise,
voire élimine lâ~@~Yautre. La structure musulmane de la Turquie
ne constitue pas seulement un avantage à lâ~@~Yintérieur du pays,
elle constitue aussi un atout à lâ~@~Yextérieur des frontières;
peut-être même son atout majeur. Ce que nous sommes actuellement
en train de vivre illustre mon propos: si le principal argument
des opposants à lâ~@~Yadhésion de la Turquie dans lâ~@~YUnion
européenne sâ~@~Yattache à la structure musulmane de notre pays,
câ~@~Yest aussi le meilleur argument de ceux qui la défendent; Ã
tel point que le Premier ministre en joue assez habilement. Prêtez
attention aux messages quâ~@~Yil envoie à lâ~@~YEurope et vous
remarquerez quâ~@~Yil se garde bien de détourner les regards de
lâ~@~Yappartenance musulmane de la Turquie; au contraire, en plaçant
cette identité au premier plan, il a déjà obtenu pas mal de succès.
Quelle quâ~@~Yen soit la raison, que ce soit le 11 Septembre ou Ben
Laden, la réalité est là . Si aujourdâ~@~Yhui la Turquie se retrouve
à ce point prise en compte sur la scène politique internationale,
câ~@~Yest surtout grâce à son identité musulmane. Cependant, même
si elle offre de nombreux avantages tant à lâ~@~Yintérieur quâ~@~YÃ
lâ~@~Yextérieur des frontières, cette appar- tenance à lâ~@~YIslam
est aussi le plus sérieux handicap du pays. Lâ~@~YÃ~Itat qui sâ~@~Yest
construit depuis des décennies sur le principe de laïcité nâ~@~Ya eu
de cesse de contrôler les pratiques religieuses du peuple quâ~@~Yil
gouverne et de maintenir un état dâ~@~Yalerte permanente à coup de
révolutions, de lois ou de pressions en tous genres. La tension fut
ainsi à son comble après la révolution des mollahs en Iran. Au fond,
toutes ces mesures ne servent pas à grand-chose; toutes les réformes
vestimentaires et les multiples efforts déployés pour placer la
vie religieuse sous le contrôle bureaucratique de la direction des
Affaires religieuses nâ~@~Yont pas pu empêcher ceci: en Turquie,
le pouvoir est aujourdâ~@~Yhui aux mains dâ~@~Yun parti qui a su
jouer de son image de parti musulman pour figurer au premier plan.
Après tout, câ~@~Yest très bien comme ça! Un jour viendra où les
musulmans qui sâ~@~Yempareront du pouvoir écarteront eux-mêmes la
peur du fondamentalisme, que toutes les menées des farouches partisans
de la laïcité nâ~@~Yont jamais pu éradiquer. Si jâ~@~Yétais
un de ces partisans, ou même si jâ~@~Yappartenais au Conseil de
sécurité nationale, je remercierais Dieu dâ~@~Yavoir mis lâ~@~YAKP
85 au gouvernement. Plus le musulman fait de la politique, plus la
menace politique sâ~@~Yéloigne; plus le musulman est au pouvoir,
plus il se débarrasse de son ambition de pouvoir et de son désir
de charia. Câ~@~Yest pour cette raison que lâ~@~Yon peut affirmer
quâ~@~Yen matière de défense de la laïcité, les musulmans
réussiront là où ceux qui sâ~@~Yen faisaient les hérauts ont
échoué.
Les partis chrétiens dâ~@~YEurope qui ne veulent pas que la Turquie
devienne membre de lâ~@~YUnion européenne devraient y réfléchir
à deux fois et songer quâ~@~Yil est beaucoup plus fécond que les
différentes religions vivent ensemble, les unes avec les autres,
plutôt que côte à côte. Car, si lâ~@~Yon parvient à une lecture
correcte de leurs différences, on sâ~@~Yaperçoit quâ~@~Yelles
se nourrissent et ne se détruisent pas. Lâ~@~Yappel à la prière
du muezzin, entendu cinq fois par jour par un chrétien comme moi,
lui rappelle quâ~@~Yil est chrétien. Ce nâ~@~Yest pas une perte,
mais un gain pour la religion chrétienne. Câ~@~Yest ainsi que les
différences sâ~@~Yenrichissent. Pour être tout à fait clair,
je veux dire que, dans un tel cas, lâ~@~Yexistence de lâ~@~Yislam
constitue lâ~@~Yune des assurances de mon christianisme.
-------------
Textes extraits de Hrant Dink, Chroniques d'un journaliste assassiné,
textes rassemblés par Günter Seufert, traduction: Bernard Banoun,
Haldun Bayrı et Marie-Michèle Martinet, © Galaade éditions, 2010,
pour la traduction française
Retour à la rubrique
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Publié le : 16-06-2011
http://www.collectifvan.org/article.php?r=0&id=54994
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Alors que l'AKP a toutes
les chances de remporter une nouvelle fois les élections législatives
turques, dimanche, Mediapart publie deux chroniques du journaliste
arménien de Turquie, Hrant Dink, assassiné le 19 janvier 2007
à Istanbul. L'an dernier, considérant qu'elle s'était abstenu
d'intervenir alors qu'elle disposait d'informations qui auraient
pu empêcher son assassinat, la Cour européenne des droits de
l'homme avait condamné la Turquie. Ces deux textes sont extraits
du livre Hrant Dink, Chroniques d'un journaliste assassiné, textes
rassemblés par Günter Seufert, traduction: Bernard Banoun, Haldun
Bayrı et Marie-Michèle Martinet, © Galaade éditions, 2010, pour
la traduction française. Le Collectif VAN vous propose cet article
publié sur Mediapart le 10 juin 2011.
10 Juin 2011 Par Les invités de Mediapart
Edition : Les invités de Mediapart
Alors que l'AKP a toutes les chances de remporter une nouvelle fois
les élections législatives turques, dimanche, Mediapart publie
deux chroniques du journaliste turc d'origine arménienne Hrant
Dink, assassiné le 19 janvier 2007 à Istanbul. L'an dernier,
considérant qu'elle s'était abstenu d'intervenir alors qu'elle
disposait d'informations qui auraient pu empêcher son assassinat,
la Cour européenne des droits de l'homme avait condamné la Turquie.
La carte au trésor, 18 février 2000
Dans les journaux, on tombe souvent sur des titres de ce genre:
«Arrestation d'un vendeur de fausses cartes au trésor». Ou bien:
«Il se fait escroquer par des voleurs de trésor». Un jour,
c'était dans Agos: «Des personnes d'origine arménienne vendent
de fausses cartes au trésor». Nous sommes allés rendre visite
au directeur du musée d'Erzurum qui était à l'origine de cette
histoire. En fait, l'homme n'aurait pas déclaré que les coupables
étaient arméniens, mais il aurait parlé d'«escrocs se présentant
comme des Arméniens»; des types qui, pour accomplir leur larcin,
expliquent que leur grand-père a enterré son or au moment du départ
et qu'ils sont en possession d'une carte indiquant l'endroit où le
trésor est resté caché.
Le directeur aurait dit cela, mais ses interlocuteurs auraient
compris comme cela... de toute façon, la question n'est pas de
savoir ce que celui-ci ou celui-là aura pu dire. Comme on le sait,
la chasse au trésor est une activité, très en vogue en Anatolie, Ã
laquelle certains fanatiques du trésor ont voué leur existence. On
prétend même qu'il existe un café à Aksaray 86 exclusivement
fréquenté par les chercheurs d'or. Des gars du genre de ceux qui
viennent régulièrement frapper à la porte d'Agos pour vous montrer
de vieux parchemins couverts de dessins auxquels ils ne comprennent
rien; et vous tendre leur bout de papier d'un air craintif, comme
s'ils avaient peur de se le voir arracher des mains. Vous voyez
le tableau! Mais mon propos n'est pas de vous parler des cartes au
trésor. Parmi tous ceux qui passent leur temps à creuser, combien
savent que ce n'est pas dessous mais en surface qu'il faut chercher?
Ã~@ les voir, il est évident qu'ils ignorent que le vrai trésor est
à trouver parmi ceux qui ont échappé à l'exil forcé. Ces personnes
et leurs enfants ont vécu en Anatolie aussi longtemps qu'il leur a
été possible de le supporter. Malheureusement, ils n'ont pas été
estimés à leur juste valeur; leurs écoles et leurs églises ont
été confisquées.
Avec le temps, ils se sont éparpillés, d'abord vers Istanbul, puis
à la surface de toute la terre. Aujourd'hui, ils sont devenus si rares
en Anatolie qu'il n'est même plus possible de dire combien ils sont.
Le vrai trésor, c'est tout ce qu'ils ont créé. Les habitués de la
deuxième page d'Agos doivent se souvenir de la rubrique «Il était
une fois» qui a pris fin le week-end dernier. On y évoquait tous les
lieux abandonnés dans les villages que nous avons laissés derrière
nous: plus de trois mille églises, plus de deux mille écoles et
d'innombrables maisons, des lieux de travail, des hôpitaux... On
n'a pas apprécié la valeur deces personnes mais on n'a certainement
pas apprécié non plus ce qu'elles ont laissé derrière elles.
Pourtant, en Anatolie, les Arméniens y vivent encore; pour
être exact, disons plutôt qu'ils «vivent l'Anatolie» dans cet
éparpillement à la surface du globe que l'on appelle la diaspora. On
pourrait ainsi dire que la diaspora, c'est la dimension mondiale
de l'Anatolie. Les amateurs d'histoire, qui n'ignorent pas qu'elle
représente le point central d'une dilatation géographique, savent
qu'il existe aujourd'hui, même en Arménie, des endroits nommées
Nor Malatya, Nor Arapgir, Nor Pütanya (Izmit), Nor Sepasdiya (Sivas),
Nor Gesaria (Kayseri)... des villes nouvelles fondées pour ressembler
aux villes d'Anatolie, où les Arméniens peuvent retrouver leur
identité anatolienne. Il paraît que de nouveaux monuments mémoriels
vont bientôt être érigés aux Ã~Itats-Unis (en Virginie) et aux
Pays-Bas, que des projets de résolution viennent d'être adoptés
et que, la semaine prochaine, les spécialistes français de la
taqiyya 87 vont encore débattre au Sénat de la reconnaissance du
génocide. Chez nous, on entendra encore une fois les mêmes arguments
sur lâ~@~Yhabileté manÅ~Suvrière des lobbies arméniens. Toujours
le même film rejoué à lâ~@~Yidentique depuis des annéesâ~@¦
Il y aurait pourtant un moyen de se sortir de ce bourbier; une voie qui
nous mènerait au véritable trésor. Pour désarmer nos adversaires et
les empêcher dâ~@~Yintervenir à leur gré dans nos affaires, il nous
faudrait trouver le moyen de renouer le dialogue rompu, en donnant la
priorité aux relations entre la Turquie et lâ~@~YArménie. Ensuite,
nous devrions régler nous-mêmes les problèmes des Arméniens de
Turquie, sans céder à telle ou telle pression ou intimidation venue
de lâ~@~Yextérieur. Enfin, et câ~@~Yest le point le plus important,
il est indispensable de reconquérir lâ~@~YAnatolie de la diaspora.
Croyez-moi, il ne sâ~@~Yagit pas dâ~@~Yune utopie ou de quelque
chose dâ~@~Yirréalisable. La vie est pleine dâ~@~Yexemples montrant
que de tout petits pas ou de minuscules entreprises peuvent être Ã
lâ~@~Yorigine des plus grands progrès. Au lieu de dire: «Développons
le tourisme en misant sur la foi pour gagner de lâ~@~Yargent», il nous
faut regagner le cÅ~Sur des nôtres en engageant notre sincérité. Il
suffirait, par exemple, de poser une plaque, même toute petite, où on
aurait écrit: «Cette mosquée fut autrefois lâ~@~Yéglise arménienne
Sourp Krikor Lousarovitch». Ce serait assurément un geste positif
bien plus consolateur que nos incessantes querelles. Et câ~@~Yest
ainsi que je pourrais décrire ma conception de la carte au trésor.
Sur «la Turquie musulmane», 21 octobre 2005
Le Conseil de sécurité nationale 84 vient encore de déclarer
que les menées séparatistes et les activités réactionnaires
constituent à ses yeux la plus importante et imminente menace. Pour
le dire simplement, les menées séparatistes englobent le problème
kurde, et les activités réactionnaires désignent lâ~@~Yislam
fondamentaliste. Même si la question nâ~@~Yest pas ici de prendre le
pouls de la menace réactionnaire et de lâ~@~Yactivisme islamique ou
de faire le tour de la question kurde, il me semble utile de faire
le constat suivant: heureusement que les Turcs et les Kurdes sont
des musulmans. Si, jusquâ~@~Yà ce jour, le sang nâ~@~Ya pas coulé
entre ces deux peuples et si, ins¸allah, nous sommes préservés Ã
lâ~@~Yavenir de tels événements, il faut dâ~@~Yabord le mettre au
crédit de leur religion musulmane commune.
Voilà ce que je veux dire: au même titre que le séparatisme,
peut-être que la montée religieuse est une menace, mais
il faut bien admettre que câ~@~Yest aussi le meilleur ciment
national! Autrement dit, lâ~@~Yune des deux menaces neutralise,
voire élimine lâ~@~Yautre. La structure musulmane de la Turquie
ne constitue pas seulement un avantage à lâ~@~Yintérieur du pays,
elle constitue aussi un atout à lâ~@~Yextérieur des frontières;
peut-être même son atout majeur. Ce que nous sommes actuellement
en train de vivre illustre mon propos: si le principal argument
des opposants à lâ~@~Yadhésion de la Turquie dans lâ~@~YUnion
européenne sâ~@~Yattache à la structure musulmane de notre pays,
câ~@~Yest aussi le meilleur argument de ceux qui la défendent; Ã
tel point que le Premier ministre en joue assez habilement. Prêtez
attention aux messages quâ~@~Yil envoie à lâ~@~YEurope et vous
remarquerez quâ~@~Yil se garde bien de détourner les regards de
lâ~@~Yappartenance musulmane de la Turquie; au contraire, en plaçant
cette identité au premier plan, il a déjà obtenu pas mal de succès.
Quelle quâ~@~Yen soit la raison, que ce soit le 11 Septembre ou Ben
Laden, la réalité est là . Si aujourdâ~@~Yhui la Turquie se retrouve
à ce point prise en compte sur la scène politique internationale,
câ~@~Yest surtout grâce à son identité musulmane. Cependant, même
si elle offre de nombreux avantages tant à lâ~@~Yintérieur quâ~@~YÃ
lâ~@~Yextérieur des frontières, cette appar- tenance à lâ~@~YIslam
est aussi le plus sérieux handicap du pays. Lâ~@~YÃ~Itat qui sâ~@~Yest
construit depuis des décennies sur le principe de laïcité nâ~@~Ya eu
de cesse de contrôler les pratiques religieuses du peuple quâ~@~Yil
gouverne et de maintenir un état dâ~@~Yalerte permanente à coup de
révolutions, de lois ou de pressions en tous genres. La tension fut
ainsi à son comble après la révolution des mollahs en Iran. Au fond,
toutes ces mesures ne servent pas à grand-chose; toutes les réformes
vestimentaires et les multiples efforts déployés pour placer la
vie religieuse sous le contrôle bureaucratique de la direction des
Affaires religieuses nâ~@~Yont pas pu empêcher ceci: en Turquie,
le pouvoir est aujourdâ~@~Yhui aux mains dâ~@~Yun parti qui a su
jouer de son image de parti musulman pour figurer au premier plan.
Après tout, câ~@~Yest très bien comme ça! Un jour viendra où les
musulmans qui sâ~@~Yempareront du pouvoir écarteront eux-mêmes la
peur du fondamentalisme, que toutes les menées des farouches partisans
de la laïcité nâ~@~Yont jamais pu éradiquer. Si jâ~@~Yétais
un de ces partisans, ou même si jâ~@~Yappartenais au Conseil de
sécurité nationale, je remercierais Dieu dâ~@~Yavoir mis lâ~@~YAKP
85 au gouvernement. Plus le musulman fait de la politique, plus la
menace politique sâ~@~Yéloigne; plus le musulman est au pouvoir,
plus il se débarrasse de son ambition de pouvoir et de son désir
de charia. Câ~@~Yest pour cette raison que lâ~@~Yon peut affirmer
quâ~@~Yen matière de défense de la laïcité, les musulmans
réussiront là où ceux qui sâ~@~Yen faisaient les hérauts ont
échoué.
Les partis chrétiens dâ~@~YEurope qui ne veulent pas que la Turquie
devienne membre de lâ~@~YUnion européenne devraient y réfléchir
à deux fois et songer quâ~@~Yil est beaucoup plus fécond que les
différentes religions vivent ensemble, les unes avec les autres,
plutôt que côte à côte. Car, si lâ~@~Yon parvient à une lecture
correcte de leurs différences, on sâ~@~Yaperçoit quâ~@~Yelles
se nourrissent et ne se détruisent pas. Lâ~@~Yappel à la prière
du muezzin, entendu cinq fois par jour par un chrétien comme moi,
lui rappelle quâ~@~Yil est chrétien. Ce nâ~@~Yest pas une perte,
mais un gain pour la religion chrétienne. Câ~@~Yest ainsi que les
différences sâ~@~Yenrichissent. Pour être tout à fait clair,
je veux dire que, dans un tel cas, lâ~@~Yexistence de lâ~@~Yislam
constitue lâ~@~Yune des assurances de mon christianisme.
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Textes extraits de Hrant Dink, Chroniques d'un journaliste assassiné,
textes rassemblés par Günter Seufert, traduction: Bernard Banoun,
Haldun Bayrı et Marie-Michèle Martinet, © Galaade éditions, 2010,
pour la traduction française
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