Mémoire de la Turquie future
Des écrivains arméniens témoignent
Le site Raison Publique.fr qui s'intéresse plus particulièrement aux
Arts et la Politique, publie une étude sur la littérature arménienne
post génocidaire, trace indélébile et oeuvre de l'esthétisme arménien
de première importance.
Il y a un peu plus d'un an, dans La Quinzaine littéraire, Christian
Mouze faisait l'éloge de « l'incomparable musique d'Armen Lubin »
[2], né Chahnour Kerestédjian, devenu Chahnan Chahnour, auteur de La
Retraite sans fanfare (1929), roman arménien paru en traduction
française. Il rappelait la présence, dans cette « histoire illustrée
des Arméniens » en forme de roman d'amour et d'exil parisien, de la «
poésie moderne qui paya un lourd tribut au génocide », les « premiers
massacrés en 1915 » étant des écrivains. Le tribut payé par les poètes
à la Catastrophe ne s'arrêta évidemment pas là : la poésie elle-même,
qui rêvait au tournant du siècle de faire de la langue arménienne une
nation, dut se tourner vers la Catastrophe, accueillir sa hantise et
survivre à son poids écrasant, y compris celui de la tche de
témoigner.
De nombreux survivants s'acquittèrent de cette tche, et leurs textes,
dont beaucoup sont conservés à Paris à la Bibliothèque Nubar, que
dirigea longtemps Aram Andonian, lui-même rescapé. Les écrivains qui
avaient réchappé jouèrent un rôle décisif dans la transcription et la
sauvegarde de ces récits. Plusieurs témoignèrent en écrivains, dont on
commence seulement de traduire les textes, un siècle bientôt après la
Catastrophe de 1915 - qui avait été précédée, rappelons-le, de deux
vagues de massacres, en 1895 sur le haut-plateau (qui fit près de
300.000 victimes), et en 1909 dans la région d'Adana en Cilicie, où
périrent 30.000 Arméniens. Ont paru ainsi coup sur coup le recueil de
nouvelles d'Aram Andonian, En ces sombres jours, traduit et préfacé
par Hervé Georgelin (Métispresses, 2007), hallucinante évocation de la
vie des déportés dans les camps-mouroirs du long de l'Euphrate ; puis,
traduits et édités par Leon Ketcheyan, les « souvenirs personnels » du
romancier et satiriste Yervant Odian, sous le titre (discutable) de «
Journal de déportation » (Parenthèses, 2010) ; enfin tout récemment,
Dans les ruines de Zabel Essayan (Phébus, 2011), récit issu d'une
mission « humanitaire » auprès des rescapés d'Adana en 1909 ; le
texte, qui constitue le tout premier témoignage d'une destruction déjà
génocidaire, est accompagné d'une préface du traducteur, qui est aussi
le meilleur connaisseur en France de cette `uvre, et d'une postface de
Gérard Chaliand, qui évoque la stature de la « belle, sensible et
libre Zabel Essayan » et dit la « force » de son témoignage écrit « en
état de choc », mais « pour être entendue par tous ». Ces textes sont
tous trois d'un intérêt majeur pour qui s'intéresse à l'histoire de la
Turquie ottomane et à la « question d'Orient », mais aussi à celle,
tout autre, du témoignage comme écriture de l'histoire, interdite de
littérature ou vouée à elle au contraire. Car c'est bien à ces
questions, entêtantes, mais aujourd'hui formulées à travers
l'expérience de la Shoah, que s'affrontèrent ces écrivains au seuil du
siècle, en l'absence de tout modèle antérieur. S'il n'y eut pas de
sentence arménienne comparable en teneur et en impact à celle d'Adorno
sur la « poésie barbare après Auschwitz », les écrivains éprouvèrent
immédiatement la tension qu'imposait à la littérature la tche de
témoigner, parfois jusqu'à la réduire au silence, ou à la plus extrême
discrétion, tandis que certains entreprirent de construire une
esthétique à hauteur du réel, visant un sauvetage ou une catharsis
voués à devenir utopie. Marc Nichanian a consacré à ces questions
trois gros livres critiques parus sous le titre Entre l'art et le
témoignage. Littératures arméniennes du XXe siècle (Métispresses,
2006-2008), précieux pour ses exégèses serrées et pour les nombreuses
traductions de textes littéraires en annexe (Varoujan, Totovents,
Tcharents, Mahari, Ochagan).
Lire la suite dans Raison Publique.fr ICI "
dimanche 1er mai 2011,
Jean [email protected]
From: A. Papazian
Des écrivains arméniens témoignent
Le site Raison Publique.fr qui s'intéresse plus particulièrement aux
Arts et la Politique, publie une étude sur la littérature arménienne
post génocidaire, trace indélébile et oeuvre de l'esthétisme arménien
de première importance.
Il y a un peu plus d'un an, dans La Quinzaine littéraire, Christian
Mouze faisait l'éloge de « l'incomparable musique d'Armen Lubin »
[2], né Chahnour Kerestédjian, devenu Chahnan Chahnour, auteur de La
Retraite sans fanfare (1929), roman arménien paru en traduction
française. Il rappelait la présence, dans cette « histoire illustrée
des Arméniens » en forme de roman d'amour et d'exil parisien, de la «
poésie moderne qui paya un lourd tribut au génocide », les « premiers
massacrés en 1915 » étant des écrivains. Le tribut payé par les poètes
à la Catastrophe ne s'arrêta évidemment pas là : la poésie elle-même,
qui rêvait au tournant du siècle de faire de la langue arménienne une
nation, dut se tourner vers la Catastrophe, accueillir sa hantise et
survivre à son poids écrasant, y compris celui de la tche de
témoigner.
De nombreux survivants s'acquittèrent de cette tche, et leurs textes,
dont beaucoup sont conservés à Paris à la Bibliothèque Nubar, que
dirigea longtemps Aram Andonian, lui-même rescapé. Les écrivains qui
avaient réchappé jouèrent un rôle décisif dans la transcription et la
sauvegarde de ces récits. Plusieurs témoignèrent en écrivains, dont on
commence seulement de traduire les textes, un siècle bientôt après la
Catastrophe de 1915 - qui avait été précédée, rappelons-le, de deux
vagues de massacres, en 1895 sur le haut-plateau (qui fit près de
300.000 victimes), et en 1909 dans la région d'Adana en Cilicie, où
périrent 30.000 Arméniens. Ont paru ainsi coup sur coup le recueil de
nouvelles d'Aram Andonian, En ces sombres jours, traduit et préfacé
par Hervé Georgelin (Métispresses, 2007), hallucinante évocation de la
vie des déportés dans les camps-mouroirs du long de l'Euphrate ; puis,
traduits et édités par Leon Ketcheyan, les « souvenirs personnels » du
romancier et satiriste Yervant Odian, sous le titre (discutable) de «
Journal de déportation » (Parenthèses, 2010) ; enfin tout récemment,
Dans les ruines de Zabel Essayan (Phébus, 2011), récit issu d'une
mission « humanitaire » auprès des rescapés d'Adana en 1909 ; le
texte, qui constitue le tout premier témoignage d'une destruction déjà
génocidaire, est accompagné d'une préface du traducteur, qui est aussi
le meilleur connaisseur en France de cette `uvre, et d'une postface de
Gérard Chaliand, qui évoque la stature de la « belle, sensible et
libre Zabel Essayan » et dit la « force » de son témoignage écrit « en
état de choc », mais « pour être entendue par tous ». Ces textes sont
tous trois d'un intérêt majeur pour qui s'intéresse à l'histoire de la
Turquie ottomane et à la « question d'Orient », mais aussi à celle,
tout autre, du témoignage comme écriture de l'histoire, interdite de
littérature ou vouée à elle au contraire. Car c'est bien à ces
questions, entêtantes, mais aujourd'hui formulées à travers
l'expérience de la Shoah, que s'affrontèrent ces écrivains au seuil du
siècle, en l'absence de tout modèle antérieur. S'il n'y eut pas de
sentence arménienne comparable en teneur et en impact à celle d'Adorno
sur la « poésie barbare après Auschwitz », les écrivains éprouvèrent
immédiatement la tension qu'imposait à la littérature la tche de
témoigner, parfois jusqu'à la réduire au silence, ou à la plus extrême
discrétion, tandis que certains entreprirent de construire une
esthétique à hauteur du réel, visant un sauvetage ou une catharsis
voués à devenir utopie. Marc Nichanian a consacré à ces questions
trois gros livres critiques parus sous le titre Entre l'art et le
témoignage. Littératures arméniennes du XXe siècle (Métispresses,
2006-2008), précieux pour ses exégèses serrées et pour les nombreuses
traductions de textes littéraires en annexe (Varoujan, Totovents,
Tcharents, Mahari, Ochagan).
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dimanche 1er mai 2011,
Jean [email protected]
From: A. Papazian