Libération, France
Mercredi 27 Avril 2011
L'amitié turco-arménienne en morceaux
par Ragip Duran
Les bulldozers ont commencé la destruction de l'immense sculpture,
hier matin, avec du matériel spécial acheminé depuis la capitale,
Ankara, jusqu'à cette périphérie de la ville de Kars, tout à côté de
la frontière avec l'Arménie. Symbole d'une possible réconciliation
turco-arménienne, le «monument de l'humanité», avec ses 25 mètres de
hauteur et ses 90 tonnes, avait suscité l'ire du Premier ministre
islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, qui lors d'une visite, le 8
janvier à Kars, l'avait défini comme «une monstruosité».
Tout est bon pour gagner les votes de l'extrême droite, à quelques
semaines des législatives du 12 juin, y compris cette destruction
lancée au surlendemain du 24 avril, date où chaque année les Arméniens
commémorent la mémoire des massacres de 1915-1917, qui ont exterminé
plus d'un million des leurs vivant dans l'Empire ottoman. Un génocide
que la Turquie se refuse toujours à qualifier comme tel, même si,
désormais, le tabou se fissure.
«J'ai fait ce monument contre la guerre et pour la paix. S'ils le
détruisent, ce sera un crime contre l'humanité. Et il n'y aura plus de
différence entre le régime turc et les talibans», déclarait quelques
jours plus tôt son maître d'oeuvre, Mehmet Aksoy, le plus prestigieux
sculpteur contemporain turc.
La sculpture montre un homme coupé en deux. Ses mains se tendent. «Ce
grand tas de pierre fait ombre au mausolée d'un saint musulman»,a
estimé le Premier ministre, alors que le sanctuaire se trouve à 2
kilomètres de là. Le nouveau maire de Kars, membre de l'AKP, le parti
au pouvoir, a déclaré que le monument était «érigé sur un site
historique», annulant les autorisations données par son prédécesseur
de la gauche laïque, Naif Alibeyoglu. «Le coût du monument s'élève à
225 000 euros, Mehmet Aksoy a trouvé des sponsors et c'est un très bon
symbole pour la promotion de la ville», explique l'ancien premier
citoyen de Kars.
Le 23 avril, 200 artistes ont organisé une manifestation devant le
monument. Turgut Kazan, l'avocat d'Aksoy, avait demandé que la statue
ne soit pas détruite dans une lettre adressée à son ex-camarade de
prison, aujourd'hui ministre de la Culture, Ertugrul Gunay. «Sinon
vous serez accusé d'ennemi de la paix, de l'art et de la culture»,
prévenait-il. Sans succès.
Les enfants ont accueilli les équipes chargées de la démolition à
coups de pierres. La police a renforcé la sécurité autour du monument.
Lundi, un vent fort a empêché les grues et les bulldozers de commencer
la destruction. Ce n'était qu'un jour de sursis. Le monument sera
découpé en 18 morceaux qui seront remisés dans un hangar de la
municipalité.
From: A. Papazian
Mercredi 27 Avril 2011
L'amitié turco-arménienne en morceaux
par Ragip Duran
Les bulldozers ont commencé la destruction de l'immense sculpture,
hier matin, avec du matériel spécial acheminé depuis la capitale,
Ankara, jusqu'à cette périphérie de la ville de Kars, tout à côté de
la frontière avec l'Arménie. Symbole d'une possible réconciliation
turco-arménienne, le «monument de l'humanité», avec ses 25 mètres de
hauteur et ses 90 tonnes, avait suscité l'ire du Premier ministre
islamo-conservateur, Recep Tayyip Erdogan, qui lors d'une visite, le 8
janvier à Kars, l'avait défini comme «une monstruosité».
Tout est bon pour gagner les votes de l'extrême droite, à quelques
semaines des législatives du 12 juin, y compris cette destruction
lancée au surlendemain du 24 avril, date où chaque année les Arméniens
commémorent la mémoire des massacres de 1915-1917, qui ont exterminé
plus d'un million des leurs vivant dans l'Empire ottoman. Un génocide
que la Turquie se refuse toujours à qualifier comme tel, même si,
désormais, le tabou se fissure.
«J'ai fait ce monument contre la guerre et pour la paix. S'ils le
détruisent, ce sera un crime contre l'humanité. Et il n'y aura plus de
différence entre le régime turc et les talibans», déclarait quelques
jours plus tôt son maître d'oeuvre, Mehmet Aksoy, le plus prestigieux
sculpteur contemporain turc.
La sculpture montre un homme coupé en deux. Ses mains se tendent. «Ce
grand tas de pierre fait ombre au mausolée d'un saint musulman»,a
estimé le Premier ministre, alors que le sanctuaire se trouve à 2
kilomètres de là. Le nouveau maire de Kars, membre de l'AKP, le parti
au pouvoir, a déclaré que le monument était «érigé sur un site
historique», annulant les autorisations données par son prédécesseur
de la gauche laïque, Naif Alibeyoglu. «Le coût du monument s'élève à
225 000 euros, Mehmet Aksoy a trouvé des sponsors et c'est un très bon
symbole pour la promotion de la ville», explique l'ancien premier
citoyen de Kars.
Le 23 avril, 200 artistes ont organisé une manifestation devant le
monument. Turgut Kazan, l'avocat d'Aksoy, avait demandé que la statue
ne soit pas détruite dans une lettre adressée à son ex-camarade de
prison, aujourd'hui ministre de la Culture, Ertugrul Gunay. «Sinon
vous serez accusé d'ennemi de la paix, de l'art et de la culture»,
prévenait-il. Sans succès.
Les enfants ont accueilli les équipes chargées de la démolition à
coups de pierres. La police a renforcé la sécurité autour du monument.
Lundi, un vent fort a empêché les grues et les bulldozers de commencer
la destruction. Ce n'était qu'un jour de sursis. Le monument sera
découpé en 18 morceaux qui seront remisés dans un hangar de la
municipalité.
From: A. Papazian