LES MéMOIRES 'UN "JOURNALISTE APATRID"
Jean Eckian
armenews.com
mardi 3 mai 2011
A l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse du
3 mai, l'Association des Journalistes Professionnels consacre son
dossier a la liberté de la presse en Europe : de Stockholm a Rome,
en passant par Paris, Budapest ou Sofia. Tandis qu'aux portes de l'UE,
en Turquie, des dizaines de journalistes sont emprisonnés ou menacés
de l'être. Publié sous le titre "Victimes de la loi antiterroriste"
sous la plume de Mehmet Koksal, ce dernier article s'accompagne
d'une référence a un livre, publié en langue turque, consacré
aux mémoires de Dogan Ozguden, journaliste professionnel qui gère
depuis son exil bruxellois le centre d'information non-gouvernemental
Info-Turk.be
Les mémoires d'un "journaliste apatride
Mehmet KOKSAL
(Vice-président de l'Association des Journalistes Professionnels)
Après 57 années de métier, le journaliste professionnel Dogan
Ozguden a décidé de mettre sur papier une partie de sa mémoire a
partir de son exil bruxellois qui dure depuis près de 40 ans. Ecrit
en langue turque dans un style littéraire particulièrement agréable
a lire, l'imposant ouvrage de 553 pages retrace le parcours très
particulier d'un fils de cheminot passionné par le journalisme et la
gauche radicale turque qui sera contraint de fuir la répression et
la dictature militaire sans jamais renier son combat pour les valeurs
qu'il veut défendre.
Un constat de colère
Le livre débute déja par un constat de colère contre cet Etat
turc, son appareil administratif, ses extrémistes nationalistes,
ses fondamentalistes religieux, ses journalistes pro-régime et ses
associations connexes qui ont tenté durant ces quarante dernières
années d'utiliser tous les moyens (menaces, diffamation, procès et
insultes) pour saboter le travail d'une petite agence d'information
non gouvernementale Info-Turk (spécialisée sur la Turquie et les
droits de l'Homme, les pressions sur les médias, la question kurde,
les minorités, l'immigration,...) gérée par Dogan Ozguden et son
épouse Inci Tugsavul. Les poursuites judiciaires se multiplient a
l'égard de ce couple de journalistes condamné a l'exil. Le livre
contient rappelle ainsi la notification de la déchéance de leur
nationalité turque, qui fut demandée par l'ex-Premier ministre
Turgut Ozal et envoyée par l'ambassade de Turquie a Bruxelles en
1998 au motif d'avoir perturbé une conférence de presse du Premier
ministre turc de passage a Bruxelles.
L'arrivée de la radio dans les villages
Dogan Ozguden replonge ensuite dans son passé pour remonter jusqu'a
sa naissance en bordure d'une station de chemin de fer dans la
périphérie d'Ankara. Il y rappelle son vrai prénom "Dogangun"
(littéralement : "le jour qui se lève") qu'il n'entendra plus que
lors des citations devant les tribunaux. Il raconte comment le pauvre
ouvrier anatolien des années 30 et 40, ne sachant ni lire ni écrire,
faisait quand même une grande "consommation" des journaux imprimés
qu'il roulait avec le plus pur tabac de la région.
A travers le récit d'une vie racontée a la manière d'un scénario
de long métrage, on découvre aussi un résumé des avancées
technologiques qui bouleversent a chaque fois la profession. Ainsi,
c'est l'arrivée de la radio dans les villages les plus éloignés
qui améliore considérablement l'accès a l'information du grand
public. "On avait même une chambre spéciale pour écouter la radio
où, une fois que mon père avait fait les branchements énergétiques
nécessaires en regardant le mode d'emploi, toute la population de
la station de chemin de fer prenait place abondamment pour attendre
silencieusement le moment magique. Certains n'hésitaient pas a faire
des commentaires du genre 'mais comment est-ce vraiment possible qu'un
homme puisse parler depuis Ankara et qu'on puisse l'écouter au même
moment ici a travers cet appareil ? Va-t-il utiliser le télégraphe
pour nous faire passer le message ?"
Non, tout passera par des fils qui capteront les ondes dans l'air pour
les décoder a travers une radio. L'arrivée de la radio balayera
quasi l'existence du gramophone (appareil permettant d'écouter un
disque) du paysage musical turc.
La narration de grands bouleversements
Ozguden rappelle aussi son attachement spécifique au modèle 1940
d'Hermes Baby (une machine a écrire très populaire utilisée par
les journalistes au milieu du XXe siècle). Il raconte aussi comment
il arrivait, grâce a la sténographie, a publier les meilleurs
comptes-rendus de congrès politiques dans les quotidiens turcs.
La force de l'ouvrage réside dans la narration des grands
bouleversements qui ont touché la République de Turquie a travers
le vécu d'un simple citoyen et acteurs de terrain. D'un coup d'Etat
(1960) a un autre (1970) et encore un autre (1980), Dogan Ozguden
arrive a condenser, scénariser et transmettre l'évolution du paysage
politique, médiatique et social dans son pays d'origine avec lequel
il cultive une relation d'amour-haine toujours inachevée.
Mehmet Koksal
OZGUDEN Dogan, Vatansiz Gazeteci, Cilt 1 - Surgun Oncesi, Editions
Fondation Info-Turk, 553pp. 2010
From: A. Papazian
Jean Eckian
armenews.com
mardi 3 mai 2011
A l'occasion de la Journée mondiale de la liberté de la presse du
3 mai, l'Association des Journalistes Professionnels consacre son
dossier a la liberté de la presse en Europe : de Stockholm a Rome,
en passant par Paris, Budapest ou Sofia. Tandis qu'aux portes de l'UE,
en Turquie, des dizaines de journalistes sont emprisonnés ou menacés
de l'être. Publié sous le titre "Victimes de la loi antiterroriste"
sous la plume de Mehmet Koksal, ce dernier article s'accompagne
d'une référence a un livre, publié en langue turque, consacré
aux mémoires de Dogan Ozguden, journaliste professionnel qui gère
depuis son exil bruxellois le centre d'information non-gouvernemental
Info-Turk.be
Les mémoires d'un "journaliste apatride
Mehmet KOKSAL
(Vice-président de l'Association des Journalistes Professionnels)
Après 57 années de métier, le journaliste professionnel Dogan
Ozguden a décidé de mettre sur papier une partie de sa mémoire a
partir de son exil bruxellois qui dure depuis près de 40 ans. Ecrit
en langue turque dans un style littéraire particulièrement agréable
a lire, l'imposant ouvrage de 553 pages retrace le parcours très
particulier d'un fils de cheminot passionné par le journalisme et la
gauche radicale turque qui sera contraint de fuir la répression et
la dictature militaire sans jamais renier son combat pour les valeurs
qu'il veut défendre.
Un constat de colère
Le livre débute déja par un constat de colère contre cet Etat
turc, son appareil administratif, ses extrémistes nationalistes,
ses fondamentalistes religieux, ses journalistes pro-régime et ses
associations connexes qui ont tenté durant ces quarante dernières
années d'utiliser tous les moyens (menaces, diffamation, procès et
insultes) pour saboter le travail d'une petite agence d'information
non gouvernementale Info-Turk (spécialisée sur la Turquie et les
droits de l'Homme, les pressions sur les médias, la question kurde,
les minorités, l'immigration,...) gérée par Dogan Ozguden et son
épouse Inci Tugsavul. Les poursuites judiciaires se multiplient a
l'égard de ce couple de journalistes condamné a l'exil. Le livre
contient rappelle ainsi la notification de la déchéance de leur
nationalité turque, qui fut demandée par l'ex-Premier ministre
Turgut Ozal et envoyée par l'ambassade de Turquie a Bruxelles en
1998 au motif d'avoir perturbé une conférence de presse du Premier
ministre turc de passage a Bruxelles.
L'arrivée de la radio dans les villages
Dogan Ozguden replonge ensuite dans son passé pour remonter jusqu'a
sa naissance en bordure d'une station de chemin de fer dans la
périphérie d'Ankara. Il y rappelle son vrai prénom "Dogangun"
(littéralement : "le jour qui se lève") qu'il n'entendra plus que
lors des citations devant les tribunaux. Il raconte comment le pauvre
ouvrier anatolien des années 30 et 40, ne sachant ni lire ni écrire,
faisait quand même une grande "consommation" des journaux imprimés
qu'il roulait avec le plus pur tabac de la région.
A travers le récit d'une vie racontée a la manière d'un scénario
de long métrage, on découvre aussi un résumé des avancées
technologiques qui bouleversent a chaque fois la profession. Ainsi,
c'est l'arrivée de la radio dans les villages les plus éloignés
qui améliore considérablement l'accès a l'information du grand
public. "On avait même une chambre spéciale pour écouter la radio
où, une fois que mon père avait fait les branchements énergétiques
nécessaires en regardant le mode d'emploi, toute la population de
la station de chemin de fer prenait place abondamment pour attendre
silencieusement le moment magique. Certains n'hésitaient pas a faire
des commentaires du genre 'mais comment est-ce vraiment possible qu'un
homme puisse parler depuis Ankara et qu'on puisse l'écouter au même
moment ici a travers cet appareil ? Va-t-il utiliser le télégraphe
pour nous faire passer le message ?"
Non, tout passera par des fils qui capteront les ondes dans l'air pour
les décoder a travers une radio. L'arrivée de la radio balayera
quasi l'existence du gramophone (appareil permettant d'écouter un
disque) du paysage musical turc.
La narration de grands bouleversements
Ozguden rappelle aussi son attachement spécifique au modèle 1940
d'Hermes Baby (une machine a écrire très populaire utilisée par
les journalistes au milieu du XXe siècle). Il raconte aussi comment
il arrivait, grâce a la sténographie, a publier les meilleurs
comptes-rendus de congrès politiques dans les quotidiens turcs.
La force de l'ouvrage réside dans la narration des grands
bouleversements qui ont touché la République de Turquie a travers
le vécu d'un simple citoyen et acteurs de terrain. D'un coup d'Etat
(1960) a un autre (1970) et encore un autre (1980), Dogan Ozguden
arrive a condenser, scénariser et transmettre l'évolution du paysage
politique, médiatique et social dans son pays d'origine avec lequel
il cultive une relation d'amour-haine toujours inachevée.
Mehmet Koksal
OZGUDEN Dogan, Vatansiz Gazeteci, Cilt 1 - Surgun Oncesi, Editions
Fondation Info-Turk, 553pp. 2010
From: A. Papazian