Arméniens : les dindons de la France ?
Publié le : 05-05-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Réuni le mercredi 4 mai
2011, le Sénat a rejeté la proposition de loi visant à réprimer la
contestation de l'existence du génocide arménien en adoptant par 196
voix contre 74 une motion opposant l'exception d'irrecevabilité à ce
texte. Robert Badinter a souligné « que les auteurs de cette
proposition de loi, emportés par la compassion, sont tombés dans un
piège, qu'ils tendaient du même fait à la communauté arménienne
elle-même. Car, depuis la révision de 2008, un texte qui s'enracine
dans un autre autorise le Conseil constitutionnel à se saisir de la
constitutionnalité du premier, dès lors que lui serait posée une
question prioritaire de constitutionnalité. J'en appelle à tous les
hommes de c`ur : cette initiative conduirait au contraire du but
poursuivi. »
Autrement dit, selon l'ancien garde des sceaux, la loi pénalisant la
négation du génocide arménien ne doit pas être rattachée à la loi du
29 janvier 2001 par laquelle « La France reconnaît publiquement
l'existence du génocide arménien », car elle rendrait la loi de 2001
susceptible d'être retoquée au niveau constitutionnel.
Bigre. Les officines de l'Etat turc doivent amèrement regretter leur
lobbying effréné à l'encontre de la loi pénalisant le négationnisme...
Certains ont estimé que Robert Badinter faisait un chantage
inapproprié. Pourtant il est difficile d'imaginer qu'un homme de sa
stature, Président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, se
fourvoie dans une interprétation erronée du droit.
Selon François Pupponi (PS), député-maire de Sarcelles, un nouveau
texte doit être de nouveau déposé à l'Assemblée nationale : ne
serait-il pas souhaitable que des spécialistes du droit
constitutionnel se penchent sur la rédaction de ce projet de loi et
veillent à ce qu'il ne soit pas un Article 2 de la loi de 2001 ?
Tout comme il serait bon que les nouvelles initiatives soient portées
par toutes les tendances politiques, seul gage de réussite. Autre
piste évoquée : l'application en France de la Loi-Cadre européenne.
Mais celle-ci ne réprimerait que la négation des génocides reconnus
devant une juridiction internationale.
Certains des sénateurs qui se sont exprimés ce 4 mai pour contrer la
loi de pénalisation ont malheureusement étalé leur ignorance de
l'histoire de France en estimant que la patrie des droits de l'homme
n'avait rien à voir avec le génocide arménien. L'année 2011 signe
pourtant un triste anniversaire. Cela fera bientôt 90 ans que les
accords d'Angora auront été signés le 20 octobre 1921, par
Franklin-Bouillon et Youssef Kémal Bey. Des accords par lesquelles la
France se retirait de Cilicie, abandonnant aux mains de l'armée
kémaliste turque, la population arménienne rescapée du génocide de
1915. Pour mémoire, la France, puissance mandataire en Cilicie, avait
incité les Arméniens à se réinstaller en Cilicie afin d'y créer un
foyer national arménien [1].
Par ailleurs, les opposants à la loi de pénalisation ont estimé que
les Français d'origine arménienne n'étaient pas confrontés au racisme
et au négationnisme en France. Mauvaise foi ou manque d'informations ?
Quoiqu'il en soit, un dossier récapitulatif des délits commis ou
relayés en France, peut leur être adressé sur simple demande... Ils
peuvent d'ores et déjà trouver dans l'Observatoire du Négationnisme du
Collectif VAN quelques pistes de réflexion.
A notre grande surprise, certaines des interventions entendues ce 4
mai au Sénat pourraient figurer sans problème dans les fascicules de
propagande turco-azéris.
Madame Nathalie Goulet, Sénatrice de l'Orne, a « honoré » à sa façon
la mémoire des 1 500 000 victimes arméniennes de l'Etat turc. Devant
Charles Aznavour, présent dans l'hémicycle ce 4 mai 2011, elle a
utilisé les paroles de la chanson « Ils sont tombés », écrite par ce
grand artiste en souvenir du génocide arménien, pour les détourner et
les appliquer aux Turcs-Azéris : « Les victimes de Khodjaly, hommes,
femmes et enfants innocents, sont elles aussi tombées, et nul n'a
élevé la voix ! ». La lecture de la biographie de Nathalie Goulet
[Milsztein] en ligne sur Wikipedia et du jugement par lequel elle a
été radiée de l'Ordre des Avocats, apporte un éclairage intéressant à
son intervention.
Par ailleurs, les assertions de Madame Goulet selon lesquelles les
Azéris n'ont rien à voir avec les entreprises génocidaires à
l'encontre des Arméniens révèlent quelques lacunes historiques qu'il
serait judicieux de combler [2]. Peut-être ignore-t-elle que les
Azerbaïdjanais (ou Azéris) étaient - au début du XXe siècle - dénommés
Tatars. Outre les massacres arméno-tatars de 1905-1907, rappelons qu'à
l'été 1919, 700 chrétiens de la ville de Chouchi (Karabagh) ont été
massacrés par les Tatars. Et que plus de 20 000 Arméniens y ont été
massacrés durant le pogrom de mars 1920.
Quant à la période contemporaine, les noms de Soumgaït, Bakou,
Kirovabad, Maragha, signent en lettres de sang, quatre pogroms
anti-arméniens majeurs qui ont été perpétrés en Azerbaïdjan, entre
1988 et 1992 [3].
Concernant Khodjaly, Madame Goulet oublie de préciser que la
responsabilité du massacre des civils azéris est imputée aux forces
azerbaïdjanaises qui ont empêché l'évacuation des habitants de la
ville. La plupart de ceux qui ont pu s'enfuir grce au couloir
humanitaire ouvert par l'armée arménienne ont été tués par les
Azerbaïdjanais. Ayaz Mutalibov, président azerbaïdjanais au moment de
cet événement, avait déclaré au journal russe Novoie Vremia (6 mars
2001) : « Il est clair que l'exécution de civils à Khodjaly fut
organisée afin de légitimer un renversement en Azerbaïdjan »
Cette version est également confirmée par différents journalistes
azerbaïdjanais. Ainsi, Eynulla Fatullayev, fondateur de Realny
Azerbaïdjan et de Gundalik Azerbaïdjan, a publié un article dans
lequel il affirmait que les forces armées azerbaïdjanaises
partageaient la responsabilité de la mort des centaines de victimes
civiles tuées lors de l'attaque de Khodjaly. Cet article lui a valu
d'être emprisonné. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), a
déclaré illégale le 22 avril 2010, la décision de la cour
d'Azerbaïdjan, condamnant le journaliste Eynulla Fatullayev à huit ans
et demi de prison le 16 janvier 2008. [4]
Remercions Madame Goulet de nous avoir donné l'occasion de contrer (à
notre modeste niveau) la puissance de tir turco-azérie et revenons au
débat.
M. Gérard Collomb, Sénateur du Rhône, a relevé le seul point positif
de cette séance de discussions : « Il y a dix ans, les sénateurs
n'étaient pas aussi unanimes qu'aujourd'hui à reconnaître le génocide
arménien ». En effet, même les adeptes les plus cyniques de la Real
Politik, ont utilisé sans frilosité le terme de génocide arménien.
Certes, ce n'est qu'une piètre consolation, mais elle a certainement
fait grincer des dents dans la tribune dédiée à la diplomatie turque.
Celle-ci entendra-t-elle l'appel de Badinter : « Puissent enfin nos
amis turcs mesurer le fait que depuis les atroces génocides de la
seconde guerre mondiale, les dirigeants de toutes les nations
démocratiques s'honorent en reconnaissant les crimes commis sur tous
les continents : là est l'honneur des grandes démocraties, là est
l'honneur des grands dirigeants. » ?
Alors, que reste-t-il ? Au-delà du vote négatif de ce 4 mai, résultat
prévisible au vu des pressions de l'Etat turc, notons que Michel
Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a
annoncé certaines dispositions :
"D'autres qualifications pénales peuvent s'appliquer, au titre de la
discrimination et de la haine raciale. Le gouvernement de la
République ne restera pas inerte. M. Sarkozy a décidé que deux actions
seraient lancées. Une circulaire sera adressée aux procureurs généraux
susceptibles d'être saisis en faveur de Français d'origine arménienne.
J'ai proposé une collaboration régulière avec les juristes de la
communauté arménienne, comme nous le faisons avec le Crif. Nous sommes
disposés à avancer ensemble. Sur la base de l'article 1382 du code
civil, des actions peuvent être menées pour que justice soit rendue.
Je veille à ce que cette jurisprudence soit correctement appliquée".
L'avenir dira si cette circulaire gouvernementale suffira
effectivement à contrer la prose nauséabonde et haineuse qui est
déversée en français sur de nombreux sites, souvent hébergés à
l'étranger. Ou si cette nouvelle promesse illustre seulement que les
Arméniens d'origine, citoyens de notre République, sont une fois de
plus, les dindons de la France.
Collectif VAN - 4 mai 2011 - 07:15 - www.collectifvan.org
[1] Selon l'historien R. H. Kévorkian : « L'occupation française de la
Cilicie, prévue depuis les Accords Sykes-Picot, prit fin dans des
circonstances pour le moins dramatiques alors que la France signait
les fameux accords d'Angora avec le gouvernement kémaliste. Il existe
évidemment une littérature très importante sur le mandat français sur
la Cilicie, la Légion d'Orient et le virage pris par la diplomatie
française à l'égard des nationalistes turcs, émanant essentiellement
des milieux militaires français. Ces témoignages sont cependant avant
tout révélateurs du point de vue officiel de la France et ne
concernent que très peu les circonstances du départ des troupes
françaises et de la population arménienne qui avait pourtant été
rapatriée en Cilicie des déserts de Syrie et de Mésopotamie par les
Anglais et les Français au cours des années 1919-1920, ainsi que le
transfert des compétences de l'administration coloniale aux
fonctionnaires kémalistes. C'est pourquoi nous avons trouvé à propos
de publier la correspondance adressée d'Adana par un officier de
l'armée française du Levant, Vahan Portoukalian, à un de ses amis
parisiens, M. Kourken Tahmazian, couvrant la période allant de
novembre 1921 à janvier 1922, une dernière lettre datée du 27 mai
1922, envoyée d'Athènes, venant la clore. De formation juridique,
Vahan Portoukalian participa en qualité d'officier aux combats en
Champagne et en sortit avec la Croix de guerre 1914-1918, avant d'être
envoyé en Cilicie, où il reçut notamment pour mission de diriger les
services de l'Assistance française durant l'évacuation de la région et
les quelques mois qui suivirent. C'est au cours de cette période qu'il
fut amené à accueillir Aristide Briand, arrivé d'Angora où il était
venu pour mettre au point avec les Kémalistes l'application des
Accords d'Angora signés en octobre 1921.»
L'évacuation française de la Cilicie en 1921
vue par l'officier Vahan Portoukalian
[Lettre de Vahan Portoukalian à Kourken Tahmazian]
Adana, 14 novembre 1921
« Ainsi donc, la France s'en va après avoir dépensé des millions
inutilement, et avoir rougi cette terre du meilleur de son sang. Elle
s'en va, laissant derrière elle un sombre cimetière, un pays ruiné et
une population exaspérée, qui la poursuit de ses malédictions. Elle
s'en va en vaincue. Ourfa, Marach, Bozanti, Sis ne sont pas des noms
glorieux pour sa renommée. De grce, qu'il soit bien entendu que nos
braves soldats et leurs superbes officiers ne sont pas en cause dans
cette humiliation du drapeau français ; mais soldats et officiers,
pour si héroïques qu'ils soient, ne sont que des hommes ; ils peuvent
bien mourir, mais ils n'ont pas le don des miracles. La France s'en
va, disais-je, poursuivie par les malédictions des chrétiens et des
musulmans qui s'étaient fiés à ses promesses et qui se voient lchés.
« Vous êtes donc venus en Cilicie, nous disent-ils, pour nous
compromettre, nous ruiner, et finalement nous abandonner à la
vengeance de nos mortels ennemis ! Si vous n'étiez pas venus, nous
aurions peut-être pu vivre comme nous vivions avant ; mais désormais,
il n'y a plus de place pour nous en Cilicie ». Ils ont raison.
La France avait reçu mandat d'assurer la sécurité des minorités, dans
leurs biens et dans leurs personnes. Briand, le 11 juin dernier,
affirmait à la face de l'Europe que c'était un engagement d'honneur,
un engagement réel vis-à-vis de toutes les puissances alliées. Et la
France s'en va, laissant les chrétiens de Marach, de Zeïtoun, d'Ourfa,
de Hadjine, de tout le vilayet sud du Taurus, de tout l'Amanus,
déracinés, errants sur tous les chemins de l'exil. Ces débris, car la
masse est anéantie, impuissante à les défendre, impuissante à les
reconduire dans leurs foyers détruits, à les remettre en possession de
leurs biens volés, elle les abandonne, elle s'en va. Elle s'en va
laissant des garanties illusoires aux chrétiens réfugiés dans les
dernières garnisons qu'elle occupait sur la voie ferrée. Il est vrai
que Franklin-Bouillon leur garantit tous les droits obtenus par les
minorités en Pologne et dans les Balkans. Et pour appuyer ces
garanties, il leur donne la parole des Turcs. Les gens qui ont signé
cet accord sont des naïfs ou des criminels. La parole des Turcs !
Ont-ils lu l'histoire, ces sinistres diplomates, ailleurs que dans
Loti ?
Voilà donc le bilan de deux ans d'occupation [française] ; ruine du
prestige militaire ; ruine du prestige moral de la France ; ruine
matérielle des chrétiens ; accumulation de haine entre les deux
éléments désormais irréconciliables ; accumulation de rancunes contre
la France. »
L'évacuation française de la Cilicie en 1921
vue par l'officier Vahan Portoukalian
[2] Le Karabagh et les tentatives génocidaires de la Turquie
Chouchi
[3] Les 20 ans du pogrom anti-arménien de Soumgaït
Incomplete list of innocent victims of Sumgait
Le procès des crimes de Soumgaït (Février 1988)
"An ordinary Genocide: Baku, January 1990" documentary screened in Yerevan
Janvier 1990, les pogroms anti-Arméniens de Bakou
Article de Wapedia sur les pogromes et massacres d'Arméniens de Bakou
en Janvier 1990
Black January of 1990 in Baku. Anti-Armenian pogroms and massacre
Maragha
"Maragha, 10 avril 1992. Génocide ordinaire'
Lancement du site Maragha.org
Khojaly: The chronicle of unseen forgery and falsification
Xocali.net : le site qui dénonce la contrefaçon azérie
[4] L'emprisonnement d'Eynulla Fatullayev dérangerait-il ?
Massacre de Khodjaly
Lire aussi la retranscription des débats :
Génocide arménien : le Sénat rejette la loi anti-négationniste
From: A. Papazian
Publié le : 05-05-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Réuni le mercredi 4 mai
2011, le Sénat a rejeté la proposition de loi visant à réprimer la
contestation de l'existence du génocide arménien en adoptant par 196
voix contre 74 une motion opposant l'exception d'irrecevabilité à ce
texte. Robert Badinter a souligné « que les auteurs de cette
proposition de loi, emportés par la compassion, sont tombés dans un
piège, qu'ils tendaient du même fait à la communauté arménienne
elle-même. Car, depuis la révision de 2008, un texte qui s'enracine
dans un autre autorise le Conseil constitutionnel à se saisir de la
constitutionnalité du premier, dès lors que lui serait posée une
question prioritaire de constitutionnalité. J'en appelle à tous les
hommes de c`ur : cette initiative conduirait au contraire du but
poursuivi. »
Autrement dit, selon l'ancien garde des sceaux, la loi pénalisant la
négation du génocide arménien ne doit pas être rattachée à la loi du
29 janvier 2001 par laquelle « La France reconnaît publiquement
l'existence du génocide arménien », car elle rendrait la loi de 2001
susceptible d'être retoquée au niveau constitutionnel.
Bigre. Les officines de l'Etat turc doivent amèrement regretter leur
lobbying effréné à l'encontre de la loi pénalisant le négationnisme...
Certains ont estimé que Robert Badinter faisait un chantage
inapproprié. Pourtant il est difficile d'imaginer qu'un homme de sa
stature, Président du Conseil constitutionnel de 1986 à 1995, se
fourvoie dans une interprétation erronée du droit.
Selon François Pupponi (PS), député-maire de Sarcelles, un nouveau
texte doit être de nouveau déposé à l'Assemblée nationale : ne
serait-il pas souhaitable que des spécialistes du droit
constitutionnel se penchent sur la rédaction de ce projet de loi et
veillent à ce qu'il ne soit pas un Article 2 de la loi de 2001 ?
Tout comme il serait bon que les nouvelles initiatives soient portées
par toutes les tendances politiques, seul gage de réussite. Autre
piste évoquée : l'application en France de la Loi-Cadre européenne.
Mais celle-ci ne réprimerait que la négation des génocides reconnus
devant une juridiction internationale.
Certains des sénateurs qui se sont exprimés ce 4 mai pour contrer la
loi de pénalisation ont malheureusement étalé leur ignorance de
l'histoire de France en estimant que la patrie des droits de l'homme
n'avait rien à voir avec le génocide arménien. L'année 2011 signe
pourtant un triste anniversaire. Cela fera bientôt 90 ans que les
accords d'Angora auront été signés le 20 octobre 1921, par
Franklin-Bouillon et Youssef Kémal Bey. Des accords par lesquelles la
France se retirait de Cilicie, abandonnant aux mains de l'armée
kémaliste turque, la population arménienne rescapée du génocide de
1915. Pour mémoire, la France, puissance mandataire en Cilicie, avait
incité les Arméniens à se réinstaller en Cilicie afin d'y créer un
foyer national arménien [1].
Par ailleurs, les opposants à la loi de pénalisation ont estimé que
les Français d'origine arménienne n'étaient pas confrontés au racisme
et au négationnisme en France. Mauvaise foi ou manque d'informations ?
Quoiqu'il en soit, un dossier récapitulatif des délits commis ou
relayés en France, peut leur être adressé sur simple demande... Ils
peuvent d'ores et déjà trouver dans l'Observatoire du Négationnisme du
Collectif VAN quelques pistes de réflexion.
A notre grande surprise, certaines des interventions entendues ce 4
mai au Sénat pourraient figurer sans problème dans les fascicules de
propagande turco-azéris.
Madame Nathalie Goulet, Sénatrice de l'Orne, a « honoré » à sa façon
la mémoire des 1 500 000 victimes arméniennes de l'Etat turc. Devant
Charles Aznavour, présent dans l'hémicycle ce 4 mai 2011, elle a
utilisé les paroles de la chanson « Ils sont tombés », écrite par ce
grand artiste en souvenir du génocide arménien, pour les détourner et
les appliquer aux Turcs-Azéris : « Les victimes de Khodjaly, hommes,
femmes et enfants innocents, sont elles aussi tombées, et nul n'a
élevé la voix ! ». La lecture de la biographie de Nathalie Goulet
[Milsztein] en ligne sur Wikipedia et du jugement par lequel elle a
été radiée de l'Ordre des Avocats, apporte un éclairage intéressant à
son intervention.
Par ailleurs, les assertions de Madame Goulet selon lesquelles les
Azéris n'ont rien à voir avec les entreprises génocidaires à
l'encontre des Arméniens révèlent quelques lacunes historiques qu'il
serait judicieux de combler [2]. Peut-être ignore-t-elle que les
Azerbaïdjanais (ou Azéris) étaient - au début du XXe siècle - dénommés
Tatars. Outre les massacres arméno-tatars de 1905-1907, rappelons qu'à
l'été 1919, 700 chrétiens de la ville de Chouchi (Karabagh) ont été
massacrés par les Tatars. Et que plus de 20 000 Arméniens y ont été
massacrés durant le pogrom de mars 1920.
Quant à la période contemporaine, les noms de Soumgaït, Bakou,
Kirovabad, Maragha, signent en lettres de sang, quatre pogroms
anti-arméniens majeurs qui ont été perpétrés en Azerbaïdjan, entre
1988 et 1992 [3].
Concernant Khodjaly, Madame Goulet oublie de préciser que la
responsabilité du massacre des civils azéris est imputée aux forces
azerbaïdjanaises qui ont empêché l'évacuation des habitants de la
ville. La plupart de ceux qui ont pu s'enfuir grce au couloir
humanitaire ouvert par l'armée arménienne ont été tués par les
Azerbaïdjanais. Ayaz Mutalibov, président azerbaïdjanais au moment de
cet événement, avait déclaré au journal russe Novoie Vremia (6 mars
2001) : « Il est clair que l'exécution de civils à Khodjaly fut
organisée afin de légitimer un renversement en Azerbaïdjan »
Cette version est également confirmée par différents journalistes
azerbaïdjanais. Ainsi, Eynulla Fatullayev, fondateur de Realny
Azerbaïdjan et de Gundalik Azerbaïdjan, a publié un article dans
lequel il affirmait que les forces armées azerbaïdjanaises
partageaient la responsabilité de la mort des centaines de victimes
civiles tuées lors de l'attaque de Khodjaly. Cet article lui a valu
d'être emprisonné. La Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), a
déclaré illégale le 22 avril 2010, la décision de la cour
d'Azerbaïdjan, condamnant le journaliste Eynulla Fatullayev à huit ans
et demi de prison le 16 janvier 2008. [4]
Remercions Madame Goulet de nous avoir donné l'occasion de contrer (à
notre modeste niveau) la puissance de tir turco-azérie et revenons au
débat.
M. Gérard Collomb, Sénateur du Rhône, a relevé le seul point positif
de cette séance de discussions : « Il y a dix ans, les sénateurs
n'étaient pas aussi unanimes qu'aujourd'hui à reconnaître le génocide
arménien ». En effet, même les adeptes les plus cyniques de la Real
Politik, ont utilisé sans frilosité le terme de génocide arménien.
Certes, ce n'est qu'une piètre consolation, mais elle a certainement
fait grincer des dents dans la tribune dédiée à la diplomatie turque.
Celle-ci entendra-t-elle l'appel de Badinter : « Puissent enfin nos
amis turcs mesurer le fait que depuis les atroces génocides de la
seconde guerre mondiale, les dirigeants de toutes les nations
démocratiques s'honorent en reconnaissant les crimes commis sur tous
les continents : là est l'honneur des grandes démocraties, là est
l'honneur des grands dirigeants. » ?
Alors, que reste-t-il ? Au-delà du vote négatif de ce 4 mai, résultat
prévisible au vu des pressions de l'Etat turc, notons que Michel
Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, a
annoncé certaines dispositions :
"D'autres qualifications pénales peuvent s'appliquer, au titre de la
discrimination et de la haine raciale. Le gouvernement de la
République ne restera pas inerte. M. Sarkozy a décidé que deux actions
seraient lancées. Une circulaire sera adressée aux procureurs généraux
susceptibles d'être saisis en faveur de Français d'origine arménienne.
J'ai proposé une collaboration régulière avec les juristes de la
communauté arménienne, comme nous le faisons avec le Crif. Nous sommes
disposés à avancer ensemble. Sur la base de l'article 1382 du code
civil, des actions peuvent être menées pour que justice soit rendue.
Je veille à ce que cette jurisprudence soit correctement appliquée".
L'avenir dira si cette circulaire gouvernementale suffira
effectivement à contrer la prose nauséabonde et haineuse qui est
déversée en français sur de nombreux sites, souvent hébergés à
l'étranger. Ou si cette nouvelle promesse illustre seulement que les
Arméniens d'origine, citoyens de notre République, sont une fois de
plus, les dindons de la France.
Collectif VAN - 4 mai 2011 - 07:15 - www.collectifvan.org
[1] Selon l'historien R. H. Kévorkian : « L'occupation française de la
Cilicie, prévue depuis les Accords Sykes-Picot, prit fin dans des
circonstances pour le moins dramatiques alors que la France signait
les fameux accords d'Angora avec le gouvernement kémaliste. Il existe
évidemment une littérature très importante sur le mandat français sur
la Cilicie, la Légion d'Orient et le virage pris par la diplomatie
française à l'égard des nationalistes turcs, émanant essentiellement
des milieux militaires français. Ces témoignages sont cependant avant
tout révélateurs du point de vue officiel de la France et ne
concernent que très peu les circonstances du départ des troupes
françaises et de la population arménienne qui avait pourtant été
rapatriée en Cilicie des déserts de Syrie et de Mésopotamie par les
Anglais et les Français au cours des années 1919-1920, ainsi que le
transfert des compétences de l'administration coloniale aux
fonctionnaires kémalistes. C'est pourquoi nous avons trouvé à propos
de publier la correspondance adressée d'Adana par un officier de
l'armée française du Levant, Vahan Portoukalian, à un de ses amis
parisiens, M. Kourken Tahmazian, couvrant la période allant de
novembre 1921 à janvier 1922, une dernière lettre datée du 27 mai
1922, envoyée d'Athènes, venant la clore. De formation juridique,
Vahan Portoukalian participa en qualité d'officier aux combats en
Champagne et en sortit avec la Croix de guerre 1914-1918, avant d'être
envoyé en Cilicie, où il reçut notamment pour mission de diriger les
services de l'Assistance française durant l'évacuation de la région et
les quelques mois qui suivirent. C'est au cours de cette période qu'il
fut amené à accueillir Aristide Briand, arrivé d'Angora où il était
venu pour mettre au point avec les Kémalistes l'application des
Accords d'Angora signés en octobre 1921.»
L'évacuation française de la Cilicie en 1921
vue par l'officier Vahan Portoukalian
[Lettre de Vahan Portoukalian à Kourken Tahmazian]
Adana, 14 novembre 1921
« Ainsi donc, la France s'en va après avoir dépensé des millions
inutilement, et avoir rougi cette terre du meilleur de son sang. Elle
s'en va, laissant derrière elle un sombre cimetière, un pays ruiné et
une population exaspérée, qui la poursuit de ses malédictions. Elle
s'en va en vaincue. Ourfa, Marach, Bozanti, Sis ne sont pas des noms
glorieux pour sa renommée. De grce, qu'il soit bien entendu que nos
braves soldats et leurs superbes officiers ne sont pas en cause dans
cette humiliation du drapeau français ; mais soldats et officiers,
pour si héroïques qu'ils soient, ne sont que des hommes ; ils peuvent
bien mourir, mais ils n'ont pas le don des miracles. La France s'en
va, disais-je, poursuivie par les malédictions des chrétiens et des
musulmans qui s'étaient fiés à ses promesses et qui se voient lchés.
« Vous êtes donc venus en Cilicie, nous disent-ils, pour nous
compromettre, nous ruiner, et finalement nous abandonner à la
vengeance de nos mortels ennemis ! Si vous n'étiez pas venus, nous
aurions peut-être pu vivre comme nous vivions avant ; mais désormais,
il n'y a plus de place pour nous en Cilicie ». Ils ont raison.
La France avait reçu mandat d'assurer la sécurité des minorités, dans
leurs biens et dans leurs personnes. Briand, le 11 juin dernier,
affirmait à la face de l'Europe que c'était un engagement d'honneur,
un engagement réel vis-à-vis de toutes les puissances alliées. Et la
France s'en va, laissant les chrétiens de Marach, de Zeïtoun, d'Ourfa,
de Hadjine, de tout le vilayet sud du Taurus, de tout l'Amanus,
déracinés, errants sur tous les chemins de l'exil. Ces débris, car la
masse est anéantie, impuissante à les défendre, impuissante à les
reconduire dans leurs foyers détruits, à les remettre en possession de
leurs biens volés, elle les abandonne, elle s'en va. Elle s'en va
laissant des garanties illusoires aux chrétiens réfugiés dans les
dernières garnisons qu'elle occupait sur la voie ferrée. Il est vrai
que Franklin-Bouillon leur garantit tous les droits obtenus par les
minorités en Pologne et dans les Balkans. Et pour appuyer ces
garanties, il leur donne la parole des Turcs. Les gens qui ont signé
cet accord sont des naïfs ou des criminels. La parole des Turcs !
Ont-ils lu l'histoire, ces sinistres diplomates, ailleurs que dans
Loti ?
Voilà donc le bilan de deux ans d'occupation [française] ; ruine du
prestige militaire ; ruine du prestige moral de la France ; ruine
matérielle des chrétiens ; accumulation de haine entre les deux
éléments désormais irréconciliables ; accumulation de rancunes contre
la France. »
L'évacuation française de la Cilicie en 1921
vue par l'officier Vahan Portoukalian
[2] Le Karabagh et les tentatives génocidaires de la Turquie
Chouchi
[3] Les 20 ans du pogrom anti-arménien de Soumgaït
Incomplete list of innocent victims of Sumgait
Le procès des crimes de Soumgaït (Février 1988)
"An ordinary Genocide: Baku, January 1990" documentary screened in Yerevan
Janvier 1990, les pogroms anti-Arméniens de Bakou
Article de Wapedia sur les pogromes et massacres d'Arméniens de Bakou
en Janvier 1990
Black January of 1990 in Baku. Anti-Armenian pogroms and massacre
Maragha
"Maragha, 10 avril 1992. Génocide ordinaire'
Lancement du site Maragha.org
Khojaly: The chronicle of unseen forgery and falsification
Xocali.net : le site qui dénonce la contrefaçon azérie
[4] L'emprisonnement d'Eynulla Fatullayev dérangerait-il ?
Massacre de Khodjaly
Lire aussi la retranscription des débats :
Génocide arménien : le Sénat rejette la loi anti-négationniste
From: A. Papazian