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Fethiye Ãetin, « métisse » turco-arménienne

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  • Fethiye Ãetin, « métisse » turco-arménienne

    REVUE DE PRESSE
    Fethiye Ã?etin, « métisse » turco-arménienne


    Avocate, militante des droits de l'homme, elle a raconté l'histoire de
    sa grand-mère, Arménienne rescapée du génocide. Elle donne la parole
    aux « petits-enfants » pour que la Turquie regarde son histoire en
    face

    Les étagères de son bureau, situé dans un quartier commerçant
    d'Istanbul, regorgent de classeurs. Sur la tranche, le nom des
    affaires que cette avocate, militante des droits de l'homme, défend.

    En Turquie, plus personne n'ignore Fethiye Ã?etin. Son premier ouvrage,
    Le Livre de ma grand-mère (1), l'a révélée au public et a provoqué un
    séisme dans un pays qui ne reconnaît pas sa responsabilité dans le
    génocide des Arméniens en 1915.

    Fethiye, Turque musulmane, a brisé un tabou avec ce premier livre.
    Elle y raconte le secret de sa grand-mère, Seher, qui un jour la prend
    à part et lui révèle qu'elle est arménienne, rescapée du génocide.

    Seher s'appelait Heranus et était la fille d'Hovanes et Isquhi
    Gadarian, née dans un village de la province anatolienne de Maden.

    Une histoire loin d'être unique

    L'ouvrage en est à sa onzième réédition en Turquie. Il a levé le voile
    sur une réalité jusque-là occultée en Turquie. L'histoire de sa
    grand-mère est celle de beaucoup d'Arméniens.

    Chassés de leurs villages par l'armée turque, en 1915, ils
    entreprennent la marche de la mort vers le désert syrien. Beaucoup
    mourront en route. Sa grand-mère encore enfant est arrachée des bras
    de sa mère par un officier.

    Rebaptisée Seher, adoptée par le militaire comme sa fille, elle est
    plus tard mariée à un Turc. Son frère a, lui aussi, échappé à la mort,
    comme sa mère, ce qu'elle apprendra des années après.

    La révélation d'un lourd secret de famille Fethiye a 25 ans lorsque sa
    grand-mère lui révèle son secret. Elle venait de s'inscrire à la
    faculté de droit d'Ankara. « ?Je ne me doutais de rien auparavant,
    mais, avec le recul, j'ai compris qu'il y avait des indices qui
    auraient pu m'ouvrir les yeux, mais je n'avais pas le bagage pour les
    comprendre.? »

    Par exemple, ce jour de l'année où sa grand-mère cuisinait un gâteau
    très particulier, comme d'autres femmes autour d'elles qui ensuite se
    rendaient visite. « ?C'était, en fait, le jour de Pâques.? »

    à 61 ans, Fethiye a retrouvé la sérénité, mais à l'époque où elle
    apprend le « ?secret de famille? », la colère l'emporte comme le flot
    d'un torrent. « ?J'avais envie de crier dans la rue à l'adresse de
    tout le monde? : on nous a menti, on nous ment encore.? »

    Une introspection facilitée par son militantisme de gauche Elle prend
    conscience de la complicité de l'Ã?tat et de la manière dont il faisait
    perdurer le mensonge sur cette période de notre histoire. « ?J'ai
    commencé Ã questionner l'idéologie qui avait mené Ã ce silence,
    l'histoire telle qu'elle nous avait été racontée.? »

    Fethiye veut comprendre. Ce qui passe aussi par une introspection sur
    elle-même, sur son militantisme. « ?J'étais de gauche, j'avais passé
    des années dans des mouvements de jeunesse, mais une partie de moi
    restait nationaliste, c'était aussi la réalité de ce que nous vivions
    dans notre pays.? »

    Elle se remémore toutes les expressions que compte la langue turque,
    discriminatoires envers les minorités. Par exemple? : « C'est lourd
    comme un mécréant? ». Et beaucoup d'autres encore.

    « ?J'ai commencé Ã me retenir de les utiliser. J'ai senti le besoin de
    lutter contre le racisme et le nationalisme au sein même des groupes
    de gauche dans lesquels je militais.? »

    Même en prison, elle murmure son histoire Une partie de ce
    nationalisme turc désormais la dérange. Fethiye termine ses études de
    droit et devient avocate. Sa propre histoire la mène à s'intéresser
    aux injustices, aux préjudices infligés aux non-musulmans.

    Elle se spécialise en droit des minorités. « ?Ma première prise de
    conscience a démarré avec les Grecs, les Arméniens, les Juifs, les
    Assyriens, mais aussi les Kurdes.? »

    Après le coup d'�tat militaire, en 1980, la militante de gauche est
    arrêtée et incarcérée pendant trois ans. Mais les tabous sont tels
    que, même en prison, alors qu'elle partage la cellule de jeunes
    Turques de l'opposition, comme elle, elle doit murmurer lorsqu'elle
    raconte l'histoire de sa grand-mère.

    Un paradoxe, « ?alors que l'on criait contre la dictature, pourquoi ne
    pas en parler ouvertement? ? Nous reproduisions les mêmes schémas que
    nos parents et nos grands- parents.? » Aussi, Ã sa sortie de prison,
    elle décide qu'il est temps de lever le voile sur l'histoire de son
    pays.

    Ecrire pour se réconcilier Elle entreprend de rechercher la famille de
    sa grand-mère aux �tats-Unis, car elle a appris que le frère de Seher
    a survécu au massacre. Elle reçoit des réponses et recolle les
    morceaux du puzzle familial. « ?Je voulais que ce soit écrit.? » En
    2004 paraît Le Livre de ma grand-mère.

    L'écrire l'a aidée à se réconcilier avec elle-même. Une fois le livre
    terminé, « ?j'ai retrouvé le sommeil. Ces larmes versées m'ont aidée Ã
    guérir?. » Le livre est un succès grâce au bouche-Ã-oreille. Mais la
    famille de Fethiye se divise.

    « ?La génération de mes parents était très mal à l'aise parce que je
    n'avais rien dissimulé, ni les noms, ni les photos. Ils avaient peur.
    Par contre, les jeunes de la famille m'ont soutenue. Ce qui est
    important car ce sont eux qui changeront les choses.? »

    Le secret de famille était bien gardé. « ?La génération de ma
    grand-mère a subi et s'est tue, celle de ma mère a appris la vérité et
    s'est tue. Ma génération a commencé Ã faire ressortir la vérité.? » La
    transmission par les femmes demeurait dans un cercle très restreint. «
    ?Pour ne pas oublier ce qui devait rester un secret de famille.? »

    Le silence pour éviter tout débat A-t-elle reçu des menaces ? «
    Aucune. Parce que mon histoire est tellement courante dans notre pays,
    des millions de gens sont concernés. Dans toutes les familles, il y a
    des histoires semblables. »

    Côté politique, c'est le silence. « Peut-être parce que mon livre ne
    raconte que l'histoire d'une petite personne privée qu'on ne peut pas
    contester. ? » Peut-être aussi le pouvoir voulait-il éviter de lui
    donner de la publicité en engageant une polémique.

    Il était plus commode de le taire que de toucher au tabou qui aurait
    conduit à ouvrir le débat sur le socle de l'identité turque.

    « Or, poursuit-elle, c'est le travail des dirigeants turcs. Le jour où
    ils se revendiqueront les représentants de tous dans le pays, et non
    plus seulement des musulmans sunnites, alors on pourra redéfinir
    l'identité turque, et vivre en harmonie dans le respect des uns et des
    autres. C'est la responsabilité de l'Ã?tat et de ses dirigeants de
    faire le travail de mémoire en commençant en 1915 et de demander
    pardon. »

    Comme elle, les gens veulent partager leurs secrets L'histoire avance
    dans le public. La boîte mail de Fethiye est saturée de messages de
    gens qui, comme elle, veulent partager le secret de leur famille. Des
    centaines de lettres arrivent à son bureau, des gens viennent à son
    cabinet.

    « Je ne m'attendais pas à ça. J'ai appris que les histoires humaines
    pouvaient briser les tabous et susciter de l'intérêt même chez les
    nationalistes. Les Turcs s'interrogeaient sur leurs origines, surtout
    ceux dont la grand-mère n'avait plus de famille. »

    L'avocate a conscience qu'Ã travers son livre, « c'est l'identité
    turque et la pensée unique selon laquelle l'Arménien est l'ennemi de
    la Turquie, qui est remise en cause ».

    « Le tabou est tellement énorme » Puis, avec la sociologue Ayse Gül
    Altinay, qui a participé Ã la conférence arménienne en 2005 Ã
    Istanbul, elle projette de publier les récits des petits-enfants de
    ces Arméniens « cachés » ou « convertis » tels qu'on les désigne en
    Turquie.

    « Seule une infime minorité a accepté. Ils avaient peur, le tabou est
    tellement énorme. En 2005, on n'en était pas encore là où on est
    arrivé aujourd'hui. » Il faudra attendre avant que ne sorte le livre
    intitulé Les Petits-Enfants (2).

    Car entre-temps, en 2007, les vieux démons nationalistes de la Turquie
    resurgissent. Son ami Hrant Dink, directeur de la rédaction de
    l'hebdomadaire Agos, qui milite pour la réconciliation entre Turcs et
    Arméniens, est assassiné par un jeune nationaliste turc, mettant
    momentanément un terme à cette ouverture sur l'histoire de la Turquie.
    « On a fait une pause. »

    Une identité métisse Finalement, en 2009, après cinq ans de travail,
    le deuxième livre sort enfin. « Il raconte la transformation dans les
    têtes et les cÅ`urs des petits-enfants après la révélation de leur
    identité arménienne. Le temps qui a passé a atténué la colère pour
    eux, pour moi aussi. Nous sommes plus sereins. »

    Se sent-elle turque, arménienne ? « Je me définis comme métisse. Quand
    il y a des attaques personnelles contre les Arméniens de Turquie, mon
    côté arménien me pousse à les défendre. Quand il y a des incidents
    contre les Turcs en Allemagne, je me place auprès des opprimés. »

    « Ã?tre arménien en Turquie c'est à la fois appartenir à une ethnie et
    à une religion. » Après avoir découvert leur arménité, certains
    témoins du livre Les Petits-Enfants se sont convertis. « Ils l'ont
    fait pour devenir arméniens, pas seulement pour être chrétiens.
    Personnellement, je ne suis pas pratiquante, la découverte de mes
    origines arméniennes n'a pas eu d'effet sur mon identité religieuse. »
    Mais elle a visité plus d'églises que de mosquées, « mon côté ethnique
    ! ».

    (1) Le Livre de ma grand-mère, Ã?ditions de l'Aube, 142 p., 14,60 ?¬.

    (2) Les Petits-Enfants,Actes Sud, 320 p., 23,80 ?¬.

    AGNES ROTIVEL, Ã Istanbul

    dimanche 15 mai 2011,
    Sté[email protected]



    From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
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