DOUZE APôTRES, DOUZE éCRIVAINS EUROPéENS INVITéS PAR LA RéPUBLIQUE D'ARMéNIE
coucounian
armenews.com
mardi 8 novembre 2011
"L'ARCHE LITTERAIRE 2011" EN ARMENIE : DIX ANS APRES !
-- Un grand souffle poétique !... Ainsi fut le projet organisé
par la République d'Arménie via son ministère de la culture sous
l'autorité de Madame Hasmik Poghosyan. En effet, douze écrivains
européens ont été invités pour découvrir l'Arménie du 19 au 28
octobre 2011. Herbert Maurer (Autriche), Geert van Istendael et Filip
van Zandyche (Belgique), Peeter Sauter et Vahur Afanasjev (Estonie),
Arlette van Laar et Serge van Duijnhoven (Hollande), Claudio Pozzani
(Italie), Leo Butnaru (Moldavie), Jacek Pacocha (Pologne), Swantje
Lichtenstein (Allemagne) et Serge Venturini (France) ont pu découvrir
un peuple, ses traditions et sa culture, pour ceux qui ne connaissaient
pas encore l'Arménie et approfondir leurs connaissances pour ceux
qui étaient déja initiés a ce pays, a cette terre.
De visites en visites, ils ont parcouru les hauts lieux du pays et ont
rencontré les représentants politiques, culturels et religieux. Ils
ont pu confronté leur vision de la littérature ancienne, moderne
et contemporaine, face aux bouleversements de la crise actuelle.
Pour la France, le poète et traducteur Serge Venturini a prononcé
un discours, "Discours d'Erevan, 2011" en trois langues (francais,
arménien et anglais) devant les représentants du corps professoral
de l'Université d'Etat d'Arménie et les étudiants, discours dont
vous pourrez lire le contenu ci-dessous, suivi d'un poème écrit
pendant son séjour : "Roses d'Erevan".
2012 sera le 500e anniversaire de l'Imprimerie arménienne et l'UNESCO
a choisi Erevan pour sa manifestation "2012 World Book". Après
l'achèvement du projet, un livre sera publié qui comprendra les
traductions faites par des écrivains, ainsi que des oeuvres écrites
sous l'inspiration et au contact de ce pays.
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MES ANGES D'ARMÃ~INIE (Discours d'Erevan, 2011)*
a Ossip Mandelstam (1891-1938), cette Â" bouteille a la mer Â"
1.
J'ai découvert l'Arménie, pays des mythes et des légendes en
1988, avec le tremblement de terre de Léninakan, la chape de plomb
de l'état de siège et l'heure du couvre-feu, avec l'alarme des
nouvelles des pogroms de Bakou ; je fus pendant trois ans lecteur
de francais a l'Institut Brioussov. L'épineuse question du Karabagh
était déja a l'ordre du jour, elle était sur toutes les lèvres, et
la place de l'Opéra grondait de cris. Â" -- Nous réclamons justice
! Â" Voila ce que l'on pouvait lire, peint en blanc sur une large
banderole noire, portée en silence par des milliers de manifestants,
dans la dignité et le recueillement.
2.
J'ai vu alors un peuple tout entier prêt a se dresser pour ne pas
disparaître. La survie de l'Arménie, faut-il le rappeler, ne tient
qu'a la volonté et au courage de quelques hommes capables de se lever
pour combattre. Les hommes ne doivent-ils pas rester des hommes en
toute situation ? Libres, durs et exigeants vis-a vis d'eux-mêmes,
surtout quand la patrie est en danger. Â" Tiens vis-a-vis des autres
ce que tu t'es promis a toi seul. La est ton contrat Â", écrivait
le poète et résistant René Char au XXaµ~I siècle, -- insurgé
contre la barbarie nazie.
3.
Quand j'ai posé le pied a Zvarnots, j'ai a l'instant compris que
j'entrai dans un ancien royaume peuplé de légendes. Je me suis
éveillé a la stridence du vol rapide des martinets noirs et
j'ai écouté ce que disaient les mésanges d'Arménie. J'ai bu
l'eau glacée des fontaines d'Erevan. J'ai depuis lors longtemps
cheminé sur cette terre de poésie, faite de sang et de poussière
d'histoire comme les lourdes roses veineuses. J'ai de suite aimé cette
poussière rouge du tuf ainsi que la beauté des filles du Naïri. --
Leur volcanique beauté. J'ai goÃ"té au lait d'or de l'Ararat, son
quasi noir brandy ferrugineux, et j'ai vu les visages de la liberté
dans le miroir du ciel tombé dans la mer de Gegham.
4.
Je ne cache pas l'influence de ses poètes dans mon écriture
d'aujourd'hui. J'aimerais dire l'obscur trouble a la lecture de
Tcharents, mon émotion humaine quant a la lyrique amoureuse de
Sayat-Nova (dont nous avons été, Ã~Ilisabeth Mouradian et moi-même,
pour les Odes arméniennes, les premiers traducteurs en Europe après
un long travail de sept ans), mon sensuel vertige a lire Koutchak et
mon éblouissement profond face a Grégoire de Narek. Ils furent un
choc sensuel, un vrai cataclysme. -- Une histoire d'amour.
5.
L'accueil de l'étranger que j'étais, m'a révélé a moi-même et au
monde. Et, s'il faut juger des peuples a la qualité de leur accueil
de l'hôte de passage, j'exprime ici, la très grande qualité de
ce peuple qui a su triompher des tribulations et des malheurs qui
l'ont accablé et qui le menacent toujours dans sa survie après le
génocide de 1915, le rendant toujours plus fort dans les épreuves,
dans l'adversité. -- Le combat. Une profonde nécessité intérieure
m'impose de dire un mot de la présence majestueuse de l'Ararat. Il
demeure plus qu'un gigantesque symbole, face aux hommes que nous
sommes, son front orgueilleux nous rappelle sans cesse que nous ne
sommes ici que de passage.
6.
L'Arménie est ma deuxième patrie. Oui, j'ai une montagne dans le
cÅ"ur, l'Ararat au cÅ"ur. Elle est la et elle y est pour toujours. Ma
vie est liée a cette montagne ; exilée, elle me renvoie a d'autres
exils, -- a d'autres errances. Elle est la certes, sans être la,
puisque au-dela des frontières. Plus présente a mes yeux que la
réalité même. Mythe et réalité. J'aime sa tente bédouine
de nomades, d'exilés, au coucher du soleil comme au levant des
hommes. Elle fut, elle est et elle sera comme la grande métaphore
d'un peuple combattant. L'Ararat, Massis, est comme me l'écrivait
Yves Bonnefoy, Â" grand signifiant poétique Â", l'immense paradigme
du monde arménien.
7.
Un jour viendra, je l'espère, où l'homme de la vieille Europe
aux anciens parapets, le Francais que je suis, sera digne d'être
citoyen d'honneur de la ville d'Erevan, vivant ou mort. C'est dire
mon infrangible et singulier attachement a cette terre d'Arménie,
a sa civilisation, a son histoire ainsi qu'a ses traditions
multiséculaires, édifiant sans cesse son futur.
8.
Je ne peux oublier ici de rendre hommage a mon épouse, la traductrice
Ã~Ilisabeth Mouradian, sans laquelle je ne serai pas ce que je
suis. -- Elle est mon Ariane, et son fil rouge est fort précieux
dans ce labyrinthe ! Sans elle, il me serait impossible d'être,
la en face de vous, a vous parler. Mon histoire avec l'Arménie, --
vous l'aurez compris, est une histoire d'amour, l'amour d'une femme,
d'un peuple et d'une terre.
9.
Peut-être, suis-je le plus arménien des poètes francais ? (Ou même
oserai-je dire, comme dans un rêve nocturne, le plus francais des
poètes arméniens...) Â" C'est un Arménien d'origine francaise Â",
comme le répétait a l'envi, mon ami traducteur, le regretté Benjamin
Tchavouchian, mon premier traducteur en langue arménienne. Je n'ai
jamais eu le sens des frontières, car ces barbelés, ces murs et ces
forteresses, m'ont toujours semblé barbares. Bien avant l'Antiquité,
les êtres vivants n'ont-ils pas voyagé librement de par le monde
? -- Ne sommes-nous pas des êtres de vapeur et de vent ? Dans ce
monde, dans lequel nous survivons, je n'ai jamais été sensible aux
particularismes locaux qui séparent et qui divisent les hommes,
mais je me suis toujours passionné par tout ce qui les unit, par
tout ce qui les rassemble dans l'universel.
10.
En poésie comme dans la vie, toujours, je tente de regarder au-dela
de ce que je vois, au-dela de ce que nous sommes, de percevoir plus
avant les relations entre les hommes et les choses ; -- c'est ce
que l'homme du transvisible que je suis a toujours cherché dans le
devenir des hommes et la fugacité des choses, ici et ailleurs. J'ai,
en cela, suivi l'exemple de Sayat-Nova, l'homme n'est-il pas un pont
entre les cultures ?
11.
-- Oui, j'ai l'Ararat au cÅ"ur, une montagne dans le cÅ"ur.
*(Discours prononcé le 25 octobre 2011, dans le cadre de "L'Arche
littéraire 2011" (Grakan tapan), discours en trois langues, chiffre
après chiffre, chapitre après chapitre, dans l'ordre suivant des
trois voix, en francais par Serge Venturini, en arménien par David
Matévossian et en anglais par Lucinée Qaramian.)
--------------------------------------------------------------------------------
ROSES D'EREVAN
*
Je suis parti avec le parfum des roses d'Erevan, mais les roses
sont restées la-bas, place de l'Opéra. Mon corps a brÃ"lé dans
l'écrasement furtif de leur corps contre le mien. J'ai senti leurs
seins éclater contre mon corps. -- Immense terre.
J'ai vu leurs larmes obscures a l'instant du départ monter au
soleil de leurs yeux. J'ai entendu l'orage de leurs rires tomber,
première neige d'automne. Leurs doigts de suif ont filé jaune, --
hautes chandelles fines dans le noir des églises.
Les premiers frimas ont fait choir l'or des feuilles de leurs arbres.
L'été, leurs mains m'ont apporté l'eau pure et glacée de leur
fontaine qui sans cesse se renouvelle au grand Å"il bleu du lac
Sévan. -- Ã" pays Naïri !
-- C'est l'heure, m'ont-elles dit ! C'est l'heure et le vent s'est
mis a souffler du haut des montagnes au creux des vallées. -- C'est
l'heure ! répétaient les oiseaux au Fort des hirondelles. Toutes
les cloches ont volé, n'était-ce pas un dimanche de Pâques a
Etchmiadzine, où tu crus croiser Komitas en colère ? N'était-ce
donc que le froid de ce matin de neige, ou l'absence de sommeil,
pourquoi tout a coup ton corps s'est-il mis a trembler ? J'ai entendu
les lourdes bottes de l'hiver marcher a grand pas ? -- J'ai goÃ"té
a la première neige.
J'ai regardé l'Ararat droit dans les yeux, au fond des yeux, et il
m'a salué du haut de son austère majesté. J'ai ressenti alors la
terre et son odeur rouge, fort ancienne, trembler sous mes pas qui
s'effacent avec le sol qui se dérobe au début d'un rêve.
Mon oreille a entendu tant de choses, mais elle s'étonne toujours
du rire des enfants qui résonne, bruit de source, léger carillon
de printemps éparpillé parmi les montagnes du Caucase. -- Toutes
empanachées de neige ce matin.
Serge Venturini, Arménie, octobre 2011.
--------------------------------------------------------------------------------
[NB : Les écrivains ont chaleureusement remercié David Mouradian
le maître d'oeuvre, David Matévossian (fils de Hrant Matévossian)
grande âme du groupe ainsi que Lusine Qaramyan pour sa magnifique
organisation. -- Longue vie a "L'Arche littéraire d'Arménie"
! ont-ils déclaré, avant de partir.]
D´autres informations disponibles : YSU HOSTED EUROPEAN WRITERS -
Yerevan State University
coucounian
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mardi 8 novembre 2011
"L'ARCHE LITTERAIRE 2011" EN ARMENIE : DIX ANS APRES !
-- Un grand souffle poétique !... Ainsi fut le projet organisé
par la République d'Arménie via son ministère de la culture sous
l'autorité de Madame Hasmik Poghosyan. En effet, douze écrivains
européens ont été invités pour découvrir l'Arménie du 19 au 28
octobre 2011. Herbert Maurer (Autriche), Geert van Istendael et Filip
van Zandyche (Belgique), Peeter Sauter et Vahur Afanasjev (Estonie),
Arlette van Laar et Serge van Duijnhoven (Hollande), Claudio Pozzani
(Italie), Leo Butnaru (Moldavie), Jacek Pacocha (Pologne), Swantje
Lichtenstein (Allemagne) et Serge Venturini (France) ont pu découvrir
un peuple, ses traditions et sa culture, pour ceux qui ne connaissaient
pas encore l'Arménie et approfondir leurs connaissances pour ceux
qui étaient déja initiés a ce pays, a cette terre.
De visites en visites, ils ont parcouru les hauts lieux du pays et ont
rencontré les représentants politiques, culturels et religieux. Ils
ont pu confronté leur vision de la littérature ancienne, moderne
et contemporaine, face aux bouleversements de la crise actuelle.
Pour la France, le poète et traducteur Serge Venturini a prononcé
un discours, "Discours d'Erevan, 2011" en trois langues (francais,
arménien et anglais) devant les représentants du corps professoral
de l'Université d'Etat d'Arménie et les étudiants, discours dont
vous pourrez lire le contenu ci-dessous, suivi d'un poème écrit
pendant son séjour : "Roses d'Erevan".
2012 sera le 500e anniversaire de l'Imprimerie arménienne et l'UNESCO
a choisi Erevan pour sa manifestation "2012 World Book". Après
l'achèvement du projet, un livre sera publié qui comprendra les
traductions faites par des écrivains, ainsi que des oeuvres écrites
sous l'inspiration et au contact de ce pays.
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MES ANGES D'ARMÃ~INIE (Discours d'Erevan, 2011)*
a Ossip Mandelstam (1891-1938), cette Â" bouteille a la mer Â"
1.
J'ai découvert l'Arménie, pays des mythes et des légendes en
1988, avec le tremblement de terre de Léninakan, la chape de plomb
de l'état de siège et l'heure du couvre-feu, avec l'alarme des
nouvelles des pogroms de Bakou ; je fus pendant trois ans lecteur
de francais a l'Institut Brioussov. L'épineuse question du Karabagh
était déja a l'ordre du jour, elle était sur toutes les lèvres, et
la place de l'Opéra grondait de cris. Â" -- Nous réclamons justice
! Â" Voila ce que l'on pouvait lire, peint en blanc sur une large
banderole noire, portée en silence par des milliers de manifestants,
dans la dignité et le recueillement.
2.
J'ai vu alors un peuple tout entier prêt a se dresser pour ne pas
disparaître. La survie de l'Arménie, faut-il le rappeler, ne tient
qu'a la volonté et au courage de quelques hommes capables de se lever
pour combattre. Les hommes ne doivent-ils pas rester des hommes en
toute situation ? Libres, durs et exigeants vis-a vis d'eux-mêmes,
surtout quand la patrie est en danger. Â" Tiens vis-a-vis des autres
ce que tu t'es promis a toi seul. La est ton contrat Â", écrivait
le poète et résistant René Char au XXaµ~I siècle, -- insurgé
contre la barbarie nazie.
3.
Quand j'ai posé le pied a Zvarnots, j'ai a l'instant compris que
j'entrai dans un ancien royaume peuplé de légendes. Je me suis
éveillé a la stridence du vol rapide des martinets noirs et
j'ai écouté ce que disaient les mésanges d'Arménie. J'ai bu
l'eau glacée des fontaines d'Erevan. J'ai depuis lors longtemps
cheminé sur cette terre de poésie, faite de sang et de poussière
d'histoire comme les lourdes roses veineuses. J'ai de suite aimé cette
poussière rouge du tuf ainsi que la beauté des filles du Naïri. --
Leur volcanique beauté. J'ai goÃ"té au lait d'or de l'Ararat, son
quasi noir brandy ferrugineux, et j'ai vu les visages de la liberté
dans le miroir du ciel tombé dans la mer de Gegham.
4.
Je ne cache pas l'influence de ses poètes dans mon écriture
d'aujourd'hui. J'aimerais dire l'obscur trouble a la lecture de
Tcharents, mon émotion humaine quant a la lyrique amoureuse de
Sayat-Nova (dont nous avons été, Ã~Ilisabeth Mouradian et moi-même,
pour les Odes arméniennes, les premiers traducteurs en Europe après
un long travail de sept ans), mon sensuel vertige a lire Koutchak et
mon éblouissement profond face a Grégoire de Narek. Ils furent un
choc sensuel, un vrai cataclysme. -- Une histoire d'amour.
5.
L'accueil de l'étranger que j'étais, m'a révélé a moi-même et au
monde. Et, s'il faut juger des peuples a la qualité de leur accueil
de l'hôte de passage, j'exprime ici, la très grande qualité de
ce peuple qui a su triompher des tribulations et des malheurs qui
l'ont accablé et qui le menacent toujours dans sa survie après le
génocide de 1915, le rendant toujours plus fort dans les épreuves,
dans l'adversité. -- Le combat. Une profonde nécessité intérieure
m'impose de dire un mot de la présence majestueuse de l'Ararat. Il
demeure plus qu'un gigantesque symbole, face aux hommes que nous
sommes, son front orgueilleux nous rappelle sans cesse que nous ne
sommes ici que de passage.
6.
L'Arménie est ma deuxième patrie. Oui, j'ai une montagne dans le
cÅ"ur, l'Ararat au cÅ"ur. Elle est la et elle y est pour toujours. Ma
vie est liée a cette montagne ; exilée, elle me renvoie a d'autres
exils, -- a d'autres errances. Elle est la certes, sans être la,
puisque au-dela des frontières. Plus présente a mes yeux que la
réalité même. Mythe et réalité. J'aime sa tente bédouine
de nomades, d'exilés, au coucher du soleil comme au levant des
hommes. Elle fut, elle est et elle sera comme la grande métaphore
d'un peuple combattant. L'Ararat, Massis, est comme me l'écrivait
Yves Bonnefoy, Â" grand signifiant poétique Â", l'immense paradigme
du monde arménien.
7.
Un jour viendra, je l'espère, où l'homme de la vieille Europe
aux anciens parapets, le Francais que je suis, sera digne d'être
citoyen d'honneur de la ville d'Erevan, vivant ou mort. C'est dire
mon infrangible et singulier attachement a cette terre d'Arménie,
a sa civilisation, a son histoire ainsi qu'a ses traditions
multiséculaires, édifiant sans cesse son futur.
8.
Je ne peux oublier ici de rendre hommage a mon épouse, la traductrice
Ã~Ilisabeth Mouradian, sans laquelle je ne serai pas ce que je
suis. -- Elle est mon Ariane, et son fil rouge est fort précieux
dans ce labyrinthe ! Sans elle, il me serait impossible d'être,
la en face de vous, a vous parler. Mon histoire avec l'Arménie, --
vous l'aurez compris, est une histoire d'amour, l'amour d'une femme,
d'un peuple et d'une terre.
9.
Peut-être, suis-je le plus arménien des poètes francais ? (Ou même
oserai-je dire, comme dans un rêve nocturne, le plus francais des
poètes arméniens...) Â" C'est un Arménien d'origine francaise Â",
comme le répétait a l'envi, mon ami traducteur, le regretté Benjamin
Tchavouchian, mon premier traducteur en langue arménienne. Je n'ai
jamais eu le sens des frontières, car ces barbelés, ces murs et ces
forteresses, m'ont toujours semblé barbares. Bien avant l'Antiquité,
les êtres vivants n'ont-ils pas voyagé librement de par le monde
? -- Ne sommes-nous pas des êtres de vapeur et de vent ? Dans ce
monde, dans lequel nous survivons, je n'ai jamais été sensible aux
particularismes locaux qui séparent et qui divisent les hommes,
mais je me suis toujours passionné par tout ce qui les unit, par
tout ce qui les rassemble dans l'universel.
10.
En poésie comme dans la vie, toujours, je tente de regarder au-dela
de ce que je vois, au-dela de ce que nous sommes, de percevoir plus
avant les relations entre les hommes et les choses ; -- c'est ce
que l'homme du transvisible que je suis a toujours cherché dans le
devenir des hommes et la fugacité des choses, ici et ailleurs. J'ai,
en cela, suivi l'exemple de Sayat-Nova, l'homme n'est-il pas un pont
entre les cultures ?
11.
-- Oui, j'ai l'Ararat au cÅ"ur, une montagne dans le cÅ"ur.
*(Discours prononcé le 25 octobre 2011, dans le cadre de "L'Arche
littéraire 2011" (Grakan tapan), discours en trois langues, chiffre
après chiffre, chapitre après chapitre, dans l'ordre suivant des
trois voix, en francais par Serge Venturini, en arménien par David
Matévossian et en anglais par Lucinée Qaramian.)
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ROSES D'EREVAN
*
Je suis parti avec le parfum des roses d'Erevan, mais les roses
sont restées la-bas, place de l'Opéra. Mon corps a brÃ"lé dans
l'écrasement furtif de leur corps contre le mien. J'ai senti leurs
seins éclater contre mon corps. -- Immense terre.
J'ai vu leurs larmes obscures a l'instant du départ monter au
soleil de leurs yeux. J'ai entendu l'orage de leurs rires tomber,
première neige d'automne. Leurs doigts de suif ont filé jaune, --
hautes chandelles fines dans le noir des églises.
Les premiers frimas ont fait choir l'or des feuilles de leurs arbres.
L'été, leurs mains m'ont apporté l'eau pure et glacée de leur
fontaine qui sans cesse se renouvelle au grand Å"il bleu du lac
Sévan. -- Ã" pays Naïri !
-- C'est l'heure, m'ont-elles dit ! C'est l'heure et le vent s'est
mis a souffler du haut des montagnes au creux des vallées. -- C'est
l'heure ! répétaient les oiseaux au Fort des hirondelles. Toutes
les cloches ont volé, n'était-ce pas un dimanche de Pâques a
Etchmiadzine, où tu crus croiser Komitas en colère ? N'était-ce
donc que le froid de ce matin de neige, ou l'absence de sommeil,
pourquoi tout a coup ton corps s'est-il mis a trembler ? J'ai entendu
les lourdes bottes de l'hiver marcher a grand pas ? -- J'ai goÃ"té
a la première neige.
J'ai regardé l'Ararat droit dans les yeux, au fond des yeux, et il
m'a salué du haut de son austère majesté. J'ai ressenti alors la
terre et son odeur rouge, fort ancienne, trembler sous mes pas qui
s'effacent avec le sol qui se dérobe au début d'un rêve.
Mon oreille a entendu tant de choses, mais elle s'étonne toujours
du rire des enfants qui résonne, bruit de source, léger carillon
de printemps éparpillé parmi les montagnes du Caucase. -- Toutes
empanachées de neige ce matin.
Serge Venturini, Arménie, octobre 2011.
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[NB : Les écrivains ont chaleureusement remercié David Mouradian
le maître d'oeuvre, David Matévossian (fils de Hrant Matévossian)
grande âme du groupe ainsi que Lusine Qaramyan pour sa magnifique
organisation. -- Longue vie a "L'Arche littéraire d'Arménie"
! ont-ils déclaré, avant de partir.]
D´autres informations disponibles : YSU HOSTED EUROPEAN WRITERS -
Yerevan State University