CHOUCHI, CAPITALE HISTORIQUE FANTÔME DU HAUT-KARABAGH
Philippe Schaller
Le Monde
http://www.lemonde.fr/voyage/article/2011/11/09/chouchi-capitale-historique-fantome-du-haut-karabagh_1600966_3546.html
10 nov 2011
France
L'aire de jeux a piètre allure. Les nacelles deposees a terre
rouillent depuis des annees dans l'indifference generale. Plantee
sur un plateau, la ville de Chouchi a valeur de symbole. Capitale
historique du Haut-Karabagh, elle a a subi de graves dommages en 1992
lors du conflit entre l'Armenie et l'Azerbaïdjan. La ville representait
une position militaire cle, surplombant la plaine de la Koura.
Dans la petite ville devastee, les images du passe bousculent celles du
present. Chouchi recèle des vestiges de l'architecture russo-armenienne
du XIXe siècle. Bâtiments publics, hôtels particuliers ou residences
de notables melent la pierre et le bois.
Certaines vieilles maisons aux balcons ouvrages ont resiste aux
ravages du temps, comme le palais Natavan, surnomme le "palais de
la fille du khan". La cathedrale Saint-Sauveur (Amènaprkitch), qui
avait servi d'entrepôt d'armes et de munitions par les Azeris, a ete
largement restauree. L'eclatante eglise blanche se dresse fièrement
au-dessus de la ville.
Les deux mosquees de Chouchi n'ont pas eu la meme chance. Très
deteriorees, videes de leurs meubles et ouvertes aux quatre vents,
elles temoignent de la mefiance des Armeniens a l'egard des Azeris,
musulmans.
Les voyageurs ont l'habitude de contourner le rocher de Chouchi pour se
diriger directement vers Stepanakert, la capitale du Nagorno-Karabakh
("Karabagh montagneux" en russe). Mais la ville constitue un passage
oblige pour les Armeniens de la diaspora. Pomme de discorde entre
l'Armenie et l'Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh est une republique
autoproclamee. Ce petit Etat de 11 000 km², enclave au c~\ur de
l'Azerbaïdjan, n'est reconnu par personne, meme s'il entretient des
relations privilegiees avec l'Armenie, partageant la meme monnaie et
le meme peuple.
Ses paysages vallonnes, son altitude elevee, ses habitants rugueux
dans leur comportement mais d'une hospitalite comme on en connaît peu,
en font une destination hors du commun. A travers les murs delabres
de Chouchi, c'est l'histoire des Armeniens dans la region qu'il faut
voir. Ses puissants remparts du XVIIIe siècle, dont il ne reste pas
grand-chose, temoignent de son glorieux passe. Sous le giron russe au
debut du XIXe siècle, Chouchi connaît un developpement extraordinaire.
Elle s'impose meme comme l'un des principaux centres commerciaux et
culturels de Transcaucasie. Pour les Armeniens, c'est la troisième
ville phare après Istanbul et Tbilissi.
Difficile a croire, tant Chouchi n'est aujourd'hui plus que l'ombre
d'elle meme. Redevenue armenienne en 1992, elle paraît videe de
ses habitants. Une ville fantôme. Seuls 3 500 personnes y vivent
actuellement. "Chouchi a perdu 60 000 habitants en vingt ans, au
profit de la nouvelle capitale Stepanakert, toute proche et bien mieux
equipee", raconte Armen, un Armenien de France rentre au pays. Lors
du conflit avec l'Azerbaïdjan, de nombreux residents sont partis a la
guerre. "Beaucoup y ont perdu la vie, d'autres ont prefere se tourner
vers l'Armenie, jugeant la situation au Karabagh trop difficile pour
eux", poursuit Armen. Resultat, des dizaines de maisons abandonnees
en pleine ville s'effondrent au gre du temps. Dans le meme temps, des
projets immobiliers pharaoniques voient le jour, sans se preoccuper
de savoir qui pourrait bien habiter ces centaines de logements.
Mais des habitants reviennent, comme Armen. Il a fonde ici une sorte
de MJC où il propose, pour 5 000 AMD (environ 10~@), l'accès a une
table de ping-pong, deux ordinateurs, un billard... Non loin de la,
un centre d'art a vu le jour : les enfants peuvent s'initier a la
peinture, la danse, le theâtre ou la photographie. Dorenavant, les
habitants restent a Chouchi. Mieux, ce cadre paisible en attire de
nouveaux. Peu a peu, la ville renaît de ses cendres.
Philippe Schaller
Le Monde
http://www.lemonde.fr/voyage/article/2011/11/09/chouchi-capitale-historique-fantome-du-haut-karabagh_1600966_3546.html
10 nov 2011
France
L'aire de jeux a piètre allure. Les nacelles deposees a terre
rouillent depuis des annees dans l'indifference generale. Plantee
sur un plateau, la ville de Chouchi a valeur de symbole. Capitale
historique du Haut-Karabagh, elle a a subi de graves dommages en 1992
lors du conflit entre l'Armenie et l'Azerbaïdjan. La ville representait
une position militaire cle, surplombant la plaine de la Koura.
Dans la petite ville devastee, les images du passe bousculent celles du
present. Chouchi recèle des vestiges de l'architecture russo-armenienne
du XIXe siècle. Bâtiments publics, hôtels particuliers ou residences
de notables melent la pierre et le bois.
Certaines vieilles maisons aux balcons ouvrages ont resiste aux
ravages du temps, comme le palais Natavan, surnomme le "palais de
la fille du khan". La cathedrale Saint-Sauveur (Amènaprkitch), qui
avait servi d'entrepôt d'armes et de munitions par les Azeris, a ete
largement restauree. L'eclatante eglise blanche se dresse fièrement
au-dessus de la ville.
Les deux mosquees de Chouchi n'ont pas eu la meme chance. Très
deteriorees, videes de leurs meubles et ouvertes aux quatre vents,
elles temoignent de la mefiance des Armeniens a l'egard des Azeris,
musulmans.
Les voyageurs ont l'habitude de contourner le rocher de Chouchi pour se
diriger directement vers Stepanakert, la capitale du Nagorno-Karabakh
("Karabagh montagneux" en russe). Mais la ville constitue un passage
oblige pour les Armeniens de la diaspora. Pomme de discorde entre
l'Armenie et l'Azerbaïdjan, le Haut-Karabagh est une republique
autoproclamee. Ce petit Etat de 11 000 km², enclave au c~\ur de
l'Azerbaïdjan, n'est reconnu par personne, meme s'il entretient des
relations privilegiees avec l'Armenie, partageant la meme monnaie et
le meme peuple.
Ses paysages vallonnes, son altitude elevee, ses habitants rugueux
dans leur comportement mais d'une hospitalite comme on en connaît peu,
en font une destination hors du commun. A travers les murs delabres
de Chouchi, c'est l'histoire des Armeniens dans la region qu'il faut
voir. Ses puissants remparts du XVIIIe siècle, dont il ne reste pas
grand-chose, temoignent de son glorieux passe. Sous le giron russe au
debut du XIXe siècle, Chouchi connaît un developpement extraordinaire.
Elle s'impose meme comme l'un des principaux centres commerciaux et
culturels de Transcaucasie. Pour les Armeniens, c'est la troisième
ville phare après Istanbul et Tbilissi.
Difficile a croire, tant Chouchi n'est aujourd'hui plus que l'ombre
d'elle meme. Redevenue armenienne en 1992, elle paraît videe de
ses habitants. Une ville fantôme. Seuls 3 500 personnes y vivent
actuellement. "Chouchi a perdu 60 000 habitants en vingt ans, au
profit de la nouvelle capitale Stepanakert, toute proche et bien mieux
equipee", raconte Armen, un Armenien de France rentre au pays. Lors
du conflit avec l'Azerbaïdjan, de nombreux residents sont partis a la
guerre. "Beaucoup y ont perdu la vie, d'autres ont prefere se tourner
vers l'Armenie, jugeant la situation au Karabagh trop difficile pour
eux", poursuit Armen. Resultat, des dizaines de maisons abandonnees
en pleine ville s'effondrent au gre du temps. Dans le meme temps, des
projets immobiliers pharaoniques voient le jour, sans se preoccuper
de savoir qui pourrait bien habiter ces centaines de logements.
Mais des habitants reviennent, comme Armen. Il a fonde ici une sorte
de MJC où il propose, pour 5 000 AMD (environ 10~@), l'accès a une
table de ping-pong, deux ordinateurs, un billard... Non loin de la,
un centre d'art a vu le jour : les enfants peuvent s'initier a la
peinture, la danse, le theâtre ou la photographie. Dorenavant, les
habitants restent a Chouchi. Mieux, ce cadre paisible en attire de
nouveaux. Peu a peu, la ville renaît de ses cendres.