Announcement

Collapse
No announcement yet.

Papiers, s'il vous plaït !

Collapse
X
 
  • Filter
  • Time
  • Show
Clear All
new posts

  • Papiers, s'il vous plaït !

    REVUE DE PRESSE
    Papiers, s'il vous plaït !


    Du second Empire á la guerre d'Algérie, un siècle de fichiers de
    police et de photos d'identité.

    Lors de l'Exposition universelle de 1889, oá¹ l'on pré - sente la tour de
    Gustave Eiffel, deux hommes sont acclamés comme de nouvelles gloires
    françaises : Louis Pasteur, qui a couronné une carrière scientifique
    exemplaire par la découverte du vaccin contre la rage et... Alphonse
    Bertillon, sauveur de la police. Né dans une famille de scientifiques,
    celui-ci entre en 1879 dans la police comme simple `commis auxiliaire
    aux écritures'. Son travail ? Classer et recopier les fiches
    signalétiques, les photos des malfaiteurs et des suspects. Mais, face
    á l'accroissement des crimes et délits et la montée du péril
    anarchiste, la police est bien impuissante. Il n'y a que deux façons
    d'identifier les criminels : les portraits gravés qu'on diffuse dans
    les journaux et, surtout, les descriptions écrites de l'individu, le
    fameux `signa - lement'. En l'absence du moin - dre papier d'identité,
    sans fichier centralisé, il est presque impossible de re - connaïtre et
    de confondre un récidiviste.

    Alphonse Bertillon a eu l'idée d'établir un nouveau système fondé sur
    des mesures osseuses, la comparaison des différents types de nez, de
    sourcils, de paupières, l'observation minutieuse des oreilles, l'une
    des parties anatomiques les plus variables d'un individu á l'autre. Au
    début, la police est un peu circonspecte devant ses fiches
    anthropométriques. Pourtant, son supérieur décide de lui laisser sa
    chance et lui donne trois mois pour mettre sa méthode á l'essai.
    Quelques semaines plus tard, Bertillon parvient á arrêter un dangereux
    malfaiteur récidiviste. En 1883, sa méthode sera adoptée
    officiellement par la préfecture de police de Paris et bientá´t par les
    polices de la France entière.

    Grá¢ce aux progrès de la photographie instantanée, les policiers
    peuvent rapidement se passer des services des photographes
    professionnels et s'équipent de grandes chambres photographiques
    munies de rails de déplacement pour faciliter la mise au point. Les
    suspects sont installés sur des chaises mobiles en fonte conçues par
    Alphonse Bertillon pour écarter « toute cause d'affaissement du modèle
    pendant la pause ». Un aide-opérateur ou une réglette en fer maintient
    la tête du prévenu. On tourne la chaise pour passer de la pose de face
    á celle de profil.

    Au début de l'année 1892, l'identification de l'anarchiste Ravachol
    marque le sommet de la carrière de Bertillon. En voyant son visage
    tuméfié sur le cliché pris juste après son arrestation, Rava - chol est
    effondré et supplie le policier de prendre une nouvelle photo lorsque
    sa figure sera devenue plus présentable. á l'époque, se faire tirer le
    portrait, même pour de mauvaises raisons, n'était pas un acte banal !

    On peut voir cette photo parmi les centaines de documents que les
    Ar - chives nationales exposent pour dessiner une histoire de
    l'identité, du second Empire aux années 1960. Le sujet peut paraïtre
    austère, difficile. Et pourtant, cette visite est tout sauf ennuyeuse.
    Le visiteur reçoit á l'entrée une brochure qui va l'accompagner dans
    la pénombre des salles, le guider au milieu de tous ces visages, de
    toutes ces fiches. Il se retrouve nez á nez avec des individus aussi
    célèbres que Landru, ou inconnus comme ces prostituées nan - taises á
    l'air triste et sage, ces nomades apeurés... Il croise á?mile Zola,
    dont le signalement avait été diffusé pendant l'affaire Dreyfus par le
    commissariat spécial de police des chemins de fer, du port et de
    l'émigration de Bordeaux (l'ancêtre du service des renseignements
    généraux).

    C'est instructif, et surtout très tou - chant. á travers ces visages,
    ces regards, ces bribes d'intimité, ces drames que l'on devine, nous
    voilá, par la grá¢ce du document, plongés sans transition dans le
    passé. « á chaque fois que je travaille directement au contact des
    archives, qu'elles soient communales, départementales ou nationales,
    explique l'historien Jean-Marc Berlière, du Centre de recherches
    sociologiques sur le droit et les institutions pénales, et commissaire
    scientifique de l'exposition, j'en sors un peu sonné, c'est une telle
    plongée dans le temps ! Ce sont les archives qui forment le véritable
    musée d'Histoire de France. Et elles sont accessibles á tout le monde
    ! Et pas seulement aux historiens... qui, d'ailleurs, n'y vont plus,
    pour la plupart. » Au début du XXe siècle, tous les policiers et même
    certains gendarmes reçoivent une formation d'une année á Paris, au
    service de l'identité judiciaire de

    la Préfecture de police. On leur apprend á transmettre des
    descriptions par téléphone á leurs confrères en utilisant un
    vocabulaire codé extrêmement précis et á rédiger des fiches qui
    n'oublient ni les tatouages, ni les cicatrices, ni la coloration de
    l'iris. Si le système Bertillon est progressivement remplacé par la
    fiche décadactylaire (les empreintes digitales des dix doigts), les
    policiers continueront longtemps á réaliser des portraits
    an - thropométriques comme celui du célèbre assassin Landru, en 1919,
    qui vient des archives de la Préfecture de police. Il a été réalisé,
    quelques jours après son arrestation par les brigades mobiles créées
    par Clemenceau, en 1907.

    On fait aussi la connaissance de Jules Bonnot, dont la fiche date du 4
    mars 1912 : « 1 m 59, yeux jaune clair sur fond violacé, cheveux
    blond foncé, barbe chá¢tain. » á l'époque de son arrestation, le
    Contrá´le général a déjá établi 142000 dossiers de malfaiteurs et
    celui de Bonnot porte le numéro 122920. De signalement en mandat
    d'arrêt, c'est toute la traque de `la bande á Bonnot' qui revit par le
    document.

    Le 21 décembre 1911, elle attaque deux encaisseurs de la Société
    générale á Paris, rue Ordener... á bord d'une automobile. á pied ou á
    vélo, les policiers sont impuissants. Douze jours plus tard, la même
    bande commet un double meurtre en région parisienne, puis poursuit sa
    cavale meurtrière en Belgique et en France, filant toujours en voiture
    au nez et á la barbe des policiers. Toutes les polices sont alors
    mobilisées. On publie l'unique photographie de Jules Bonnot, prise en
    1909 par la police de Lyon, dans le Bulletin hebdomadaire de police
    criminelle, diffusé á près de deux mille exemplaires sur tout le
    territoire.

    Aujourd'hui, nous sommes habitués á être fichés partout, á circuler
    avec des papiers d'identité et á nous conformer aux strictes exigences
    de l'administration en matière de photographie. Mais, si la police a
    commencé á ficher les individus suspects grá¢ce á Bertillon, l'á?tat ne
    commencera á s'intéresser aux citoyens ordinaires qu'après la
    Pre - mière Guerre mondiale.

    En 1917, les étrangers doivent posséder une carte d'identité avec leur
    photo. Les mutilés, les veuves de guerre auront aussi bientá´t leur
    carte qui permettra de faire valoir leurs droits. Les fichiers
    professionnels ou sportifs se multiplient. La demande est telle que
    les studios de photo, souvent tenus par des étrangers, se multiplient
    près des préfectures et des commissariats. Puis, des cabines de prises
    de vue apparaissent dans les grandes villes, les Pho - tomaton, qui
    établiront bientá´t le standard des portraits d'identité.

    Désormais, même les marchands de bestiaux jurassiens doivent montrer
    un document muni d'une photo d'identité pour avoir le droit de
    négocier leurs bêtes sur le marché de Dole ! Les élèves des
    beaux-arts sont encartés, puis les possesseurs d'une licence
    d'athlétisme. La République redoute l'arrivée sur son territoire de
    nationalistes venus de l'empire colonial et surtout de bolcheviques
    issus du nouvel empire soviétique. Aussi, tous les res - sortissants de
    ces pays sont-ils soi - gneusement fichés.

    La France se charge également de fournir des papiers d'identité aux
    centaines de milliers de réfugiés et d'apatrides qui sillonnent
    l'Europe á partir de 1920. Un million et demi de Russes et
    d'Ar - méniens sont déchus de leur nationalité et interdits de retour
    chez eux entre 1921 et 1927. Près de 60000 Arméniens choisissent
    ainsi de s'établir en France. Ils arrivent le plus souvent á Marseille
    oá¹ on leur délivre des certificats administratifs qui leur tiennent
    lieu de titre de séjour.

    L'histoire incroyable des fiches du `fonds de Moscou'

    Quelques années plus tard, la France servira de halte aux réfugiés du
    régime hitlérien, comme en témoigne cette simple demande de `transit
    sans arrêt, délivré á titre exceptionnel' de Béla Bartá³k et sa femme
    á?dith, qui voulaient s'embarquer pour les á?tats-Unis. Quel - ques boïtes
    et fiches proviennent d'un des plus célèbres fichiers du XXe siè - cle,
    passé á la postérité sous le nom de `fonds de Moscou'. Son histoire
    est incroyable. En 1940, les Allemands trouvent á Paris, rue des
    Saussaies (á cá´té du ministère de l'Intérieur), les 7 millions de
    fiches de la Sá»reté nationale établies par la police nationale
    jusqu'en 1939. Ils les em - portent en Allemagne. En 1945, les
    So - viétiques les récupèrent en Bo - hême et les cachent près de Moscou
    oá¹ elles sont épluchées régulièrement et en secret par le KGB. Après
    l'effondrement de l'Union soviétique, le ministère des Affaires
    étran - gères négocie le retour de nombreuses archives publiques, dont
    le `fonds de Mos - cou', qui est désormais entreposé par les Archives
    nationales á Fon - taine - bleau, dans un bá¢timent désa - mian - té pour
    l'occasion, et ouvert dans son intégralité aux chercheurs.

    Mais les images les plus émouvantes de cette exposition insolite sont
    peut-être les visages chiffonnés et apeurés de deux faiseuses d'ange
    arrêtées par la police nantaise dans les années 1930, et conservés aux
    archives départementales de Loire-Atlantique, et ceux, angoissés,
    fermés, résignés, de musulmanes des villages reculés d'Algérie,
    auxquelles on a demandé de retirer leur voile avant la photo, lors du
    recensement de la population en 1959. Sophie Humann

    Fichés ? Photographie et identification du second Empire aux années
    1960, Archives nationales, há´tel de Soubise, 60, rue des
    Francs-Bourgeois, Paris IIIe, jusqu'au 27 décembre. Tél. :
    01.40.27.60.96

    Sophie Humann

    http://www.valeursactuelles.com/histoire/actualit%C3%A9s/papiers-s%E2%80%99il-vous-pla%C3%AEt20111110.html

    dimanche 20 novembre 2011,
    Stéphane ©armenews.com

Working...
X