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France: Le Discours De L'ecrivain Peter Balakian Au Centre National

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    FRANCE: LE DISCOURS DE L'éCRIVAIN PETER BALAKIAN AU CENTRE NATIONAL DU LIVRE

    Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies
    Publié le : 29-11-2011

    [Ce qui suit est le discours que l'écrivain Peter Balakian a
    prononcé au Centre National du Livre, au début de cet automne,
    sur son ouvrage, Armenian Golgotha, les mémoires de son grand-oncle,
    Monseigneur Grigoris Balakian.]

    MARSEILLE, France - J'aimerais tout d'abord exprimer ma vive gratitude
    au Centre National du Livre pour avoir rendu possible ce festival
    des écrivains arméniens, une semaine durant. Il s'agit la d'une
    contribution remarquable dans le cadre de l'engagement du gouvernement
    francais a l'égard de la culture et de la vie intellectuelle
    (je souhaiterais que nous disposions d'une telle institution aux
    Etats-Unis), qui affirme l'importance du livre en tant que savoir et
    artefact, mais aussi acte d'imagination et d'étude, et qui célèbre
    le livre comme un véhicule essentiel pour rassembler peuples et
    cultures a travers le monde.

    Pour ce festival que vous avez intitulé si justement
    Arménie-Arménies, je vous suis reconnaissant d'avoir réuni la
    culture complexe de la diaspora arménienne sous sa forme actuelle,
    celle du 21ème siècle. Et je suis reconnaissant envers la France
    pour valoriser la parole des intellectuels arméniens et la richesse
    de l'histoire et de la culture arméniennes, ainsi que la richesse de
    cette histoire entre l'Arménie et la France. Je me réjouis d'être
    entouré d'autant d'écrivains arméniens venus de République
    d'Arménie et du monde entier, tandis que nous voyageons ensemble
    toute une semaine par train dans plusieurs villes, pour finir a Paris
    ce week-end.

    Je voudrais remercier les communautés arméniennes de Marseille
    pour leur hospitalité, et la cathédrale Saints Sahag et Mesrop
    pour m'avoir accueilli, ainsi que le Père Dertad de l'église
    Saint-Thaddée pour m'avoir conduit, avec ma femme Helen, mon frère
    Jim et ma tante Lucille auprès de la tombe de Monseigneur Balakian
    au cimetière Saint-Pierre, sans oublier Sahag et MikaÃ"l Karalékian,
    de l'UGAB, pour leur hospitalité.

    Le fait de me trouver ici avec vous ce soir revêt pour moi une
    profonde signification personnelle. En me rendant a Marseille pour
    ces festivités culturelles arméniennes et pour l'édition francaise,
    parue récemment, de mes Mémoires, Le Chien noir du destin [Black Dog
    of Fate] (1), j'entreprends aussi un pèlerinage personnel et familial,
    la où vécut et travailla mon grand-oncle, Monseigneur Grigoris
    Balakian - lors de la phase finale de sa carrière comme figure
    internationale au sein du clergé arménien durant la première partie
    du 20ème siècle, et comme écrivain et personnalité culturelle
    arménienne de premier plan.

    Sous la direction de Monseigneur Balakian, toute l'assise culturelle
    de cette région méridionale de la France fut planifiée et bâtie
    durant ces années difficiles qui suivirent le génocide arménien,
    dans les années 1920 et 1930. A partir des ruines d'une Arménie
    historique perdue, Monseigneur Balakian eut comme vision centrale
    la reconstruction de la culture arménienne, la où il fut nommé
    en qualité de prélat a la fin des années 1920. Cette passion pour
    rebâtir l'Arménie s'exprime a plusieurs reprises dans ses Mémoires
    Le Golgotha arménien - même durant les marches de mort, l'idée
    d'une Arménie émergeant des cendres, Â" tel un phénix Â", écrit-il,
    le maintint en vie, en dépit du désespoir et de l'angoisse.

    Il y a vingt ans environ, mon ami, le chercheur et éditeur au long
    cours du magazine Ararat, Léo Hamalian, m'envoya un article d'un
    magazine francais sur un rassemblement qu'organisa votre communauté en
    l'église Saints Sahag et Mesrop en l'honneur de Monseigneur Balakian.

    Et j'aimerais citer un court extrait du discours prononcé ce
    jour-la par M.J. Tchamanadjian, parce qu'en lisant ses mots, il y
    a plus de vingt ans, je fus étreint par l'émotion et encouragé
    a agir. En lisant cet article, je réalisai davantage a quel point
    mon grand-oncle fut important pour la culture arménienne d'avant et
    d'après le génocide, et je découvris pour la première fois ses
    Mémoires monumentaux, Le Golgotha arménien, que j'ai commandé
    immédiatement et que j'ai commencé a traduire, avec divers
    collaborateurs, puis finalement avec l'aide de ce traducteur hors
    pair qu'est Aris Sevag. Notre traduction en collaboration du Golgotha
    arménien fut publiée en 2009 - par un grand éditeur aux Etats-Unis -
    et a fait l'objet de recensions importantes aux Etats-Unis et a travers
    le monde, dont Jérusalem, Montréal, Londres et Toronto. Voici les
    paroles que prononca M.

    Tchamanadjian, ce jour-la, a Marseille :

    " Un demi-siècle s'est écoulé ici depuis que cet Arménien
    d'exception est mort a Marseille, et nous voici aujourd'hui rassemblés
    ici devant ce sépulcre, afin de lui rendre hommage. Cet Arménien
    avait pour nom Monseigneur Balakian. Mais qui se souvient encore de
    Monseigneur Balakian ? Très peu d'entre nous, a n'en pas douter,
    car même la croix de pierre qui s'élevait sur sa tombe gît
    a terre. Cette croix qui symbolise cependant notre identité
    nationale. Monseigneur Balakian fut, durant les années 1930,
    l'évêque des Arméniens du sud de la France, autant dire a une
    époque où la nation arménienne était encore sous le choc du
    premier génocide du 20ème siècle et de la grande diaspora qui
    s'ensuivit. Homme de conviction, animé sans aucun doute par l'esprit
    de Dieu, il refusa obstinément toute soumission, tout abandon, et
    c'est précisément ce qui explique les déplorables vicissitudes
    que connut sa mission. Il était a l'image même de l'obsidienne du
    Mont Ararat. Il apporta l'espoir a tous ceux qui étaient emplis de
    désespoir, montrant a travers ses actions qu'aux âmes bien nées le
    mot impossible n'est pas un mot arménien. Tel fut le cas, car bien
    que plus démuni que quiconque, il réussit l'incroyable entreprise
    de bâtir dans la seule région de Marseille six églises, dont la
    cathédrale Saint-Mesrop. Nul plus que cet homme ne mérite le titre
    de Grégoire le Bâtisseur.

    Or Monseigneur Balakian ne fut pas seulement celui grâce a qui
    les Arméniens purent recouvrer leur courage et devenir a nouveau
    eux-mêmes ; il fut aussi un témoin, au sens le plus noble et
    chrétien du mot. De fait, il fut l'un des très rares survivants parmi
    les 250 martyrs arrêtés le 24 avril 1915 a Constantinople. Voila
    pourquoi la flamme de la mémoire que nous venons d'allumer tous
    ensemble doit être transmise a nos concitoyens de Marseille, durant
    les années a venir.

    Monseigneur Balakian, reposez en paix ; ceux que vous avez tant aimés
    ne vous oublieront jamais. Â"

    Mon grand-oncle fut retrouvé mort, seul chez lui, a l'âge de 56 ans,
    apparemment décédé d'une crise cardiaque, sans le sou, ayant quitté
    l'église peu avant sa mort, du fait de querelles intestines d'ordre
    communautaire. Il semble s'être dépensé sans compter. Comment
    un seul évêque put-il planifier et surveiller la construction de
    huit églises (y compris a Nice) en cinq ou six ans ? Sa passion
    pour rebâtir l'Arménie semble avoir déterminé sa ferveur ;
    peut-être ses idéaux étaient-ils impossibles a réaliser et sa
    vision inaccessible, mais son intelligence, son talent et sa volonté
    de fer eurent pour résultat une nouvelle province arménienne ici,
    au sud de la France. Je vois plus clairement en lui maintenant un
    survivant profondément traumatisé par le génocide, lequel voua son
    existence a ce que le psycho-historien Robert Jay Lifton nomme une
    Â" mission de survivant Â", laquelle se définit par la nécessité
    du survivant de transformer chagrin et traumatisme en une mission
    existentielle centrée sur un service éthique ouvert au monde.

    Dans mes Mémoires, je consacre un chapitre a ma découverte de
    Monseigneur Balakian et comment cet article d'un magazine francais
    sur la cérémonie que vous avez organisée ici en 1990 approfondit
    ma compréhension de ma famille et du vécu du génocide arménien.

    Si j'avais plus de temps, j'évoquerais ce chapitre, mais je préfère
    vouer le temps qui me reste a dire quelques mots au sujet des Mémoires
    de Monseigneur Balakian, que j'ai découverts pour la première
    fois a travers le discours de M. Tchamanadjian en 1990. A mes yeux,
    Le Golgotha arménien demeure les mémoires les plus exhaustifs,
    nuancés et complexes d'un survivant du génocide arménien. Lorsque
    l'ouvrage est paru, un critique littéraire américain, Adam Kirch,
    l'a qualifié dans sa recension d' Â" équivalent arménien aux
    témoignages de survivants de la Shoah, tels que Primo Levi et Elie
    Wiesel. Â" J'espère que vous en France et les Arméniens a travers
    le monde, vous continuerez a le lire avec attention et a vous assurer
    qu'il trouve sa voie dans la culture dominante et les programmes
    d'enseignement, où que vous viviez.

    NdT

    1. Peter Balakian, Le chien noir du destin, traduit de l'américain
    par Georges Festa, Genève : MÄ"tisPresses, 2011, 416 p. - ISBN-13 :
    978-2940406395

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