TURQUIE : L'éCONOMIE ANATOLIENNE AVANT ET APRèS 1915
Baskın Oran
Turquie Européenne
28 Nov 2011
"En 1907, Diyarbakir était la troisième ville d'Anatolie en ce qui
concerne le textile, le secteur principal de l'economie. Aujourd'hui,
elle est en 66ème position. Les Arméniens et les Syriaques ont
été exterminés, il s'en est suivi un exode des cerveaux et du
capital. Ils sont partis et la paix n'est plus jamais revenue sur ces
terres. Nous nous sommes appauvris. Nous n'avons connu de stabilité,
ni économique, ni politique depuis. Nous avons été maudits parce
qu'il avait été porté atteinte a une valeur sacrée." Ces paroles
marquantes furent celles du maire de l'agglomération de Diyarbakir,
Osman Baydemir, lors d'une conférence historique qui s'est déroulée
entre le 11 et le 13 novembre derniers et qui portait sur l'histoire
socio-économique de la region de Diyarbakır.
La fin du tissu productif et du haut niveau culturel En
Turquie, l'enseignement de l'histoire eut toujours deux qualités
complémentaires : 1) Nous tenir pour plus blancs que blanc afin de
nous mettre en avant ;
2) Réciter un simple refrain chronologique déversant de simples faits
(faits que nous déformons comme cela nous arrange) et dépourvu de
tout contenu socio-économique. Aujourd'hui, après la conférence
sur les Arméniens ottomans de septembre 2005 et la campagne de
demande de pardon aux Arméniens de décembre 2008, le troisième
moment de la confrontation de la Turquie avec son propre passé est
venu. Le premier pas lancé en direction de l'effondrement du tabou
de l'enseignement historique.
Ce que j'ai dit lors de mon allocution d'ouverture venait appuyer par
des chiffres les propos de M. Baydemir . "Les massacres arméniens et
syriaques de 1915 ont détruit toute la bourgeoisie anatolienne. Le
commerce, les exportations et la production industrielle de l'ensemble
du pays dépendaient de ces gens-la : les soieries, la faïence,
la manufactures de tapis, le tissage, la teinturerie, la dinanderie,
la joaillerie, la taille de pierres, le textile industriel ; et la
production des plantes a utilisation industrielle, a commencer par les
pistaches et le tabac. Ä°maginez un peu : en 1882, entre Trabzon et
Istanbul, ce sont cinq compagnies de bateaux qui assurrent la liaison ;
le port de Trabzon enregistrait plus de cinq cents appareillages.
Chaque semaine, il y avait quatre liaisons aller-retour entre Istanbul
et Giresun, et trois entre Ordu et Istanbul. Aujourd'hui le nombre
de bateaux arrivant a Bodrum (le port de tourisme par exellence
de la Turquie - NdE)est de 48 a l'année. Et la catastrophe n'est
pas restée limitée a l'économie. Nous avons également détruit
le seul tissu culturel de haut niveau présent en Anatolie. Par
exemple, dans la seule vallée d'Harput, il y avait 92 écoles dans
lesquelles étudiaient 8660 étudiants. Ataturk est né un an après
qu'a ouvert un théâtre arménien dans la même ville. Ici, le
studio photographique des frères Sursuryan avait ouvert en 1890. On
peut se poser la question de savoir s'il y a un théâtre a Harput
aujourd'hui ?"
Ce qu'ont dit les Kurdes Mais qu'ont donc dit les petits-enfants des
Kurdes qu'ont utilisés les Unionistes et nationalistes turcs a qui
nous devons cet effondrement du pays ? Voici ce qu'a dit Cengiz Aktar,
le co-coordinateur de la conférence, dans son allocution d'ouverture :
"La mémoire fait un retour sur ces terres. Nous n'en sommes encore
qu'au début ; le chemin a parcourir est encore long. Mais la chose est
ainsi lancée désormais qu'on ne pourra plus l'arrêter. L'écrasante
majorité de ceux qui vivent sur ces terres ne nient pas cette mémoire
en fait ; ils ne font que répéter l'erreur qu'ils ont apprise."
Dans cette conférence, ce refrain de la mémoire, on ne l'a quasiment
pas entendu chez les Kurdes. Un ou deux des participants ont tenté
de dire une chose du genre : "Ce sont les chefs de tribus et l'Etat
qui ont poussé au crime ; sinon les peuples cohabitaient bien". Mais
c'était a peine audible et on ne l'a pas réentendu. Osman Baydemir
s'est lancé : "Si nous aspirons a une vie libre, nous sommes obligés
de nous confronter au passé. Nous sommes obligés de savoir ce
qu'il s'est passé au XIXè siècle, nous sommes contraints de
l'accepter. S'il est des hontes dans le passé de notre peuple,
il est de notre devoir, de notre devoir politique et moral, de les
refuser et de ne pas nous y associer. Pas un turc ou un kurde n'est
responsable de ce massacre ; mais a condition de condamner l'infamie
de cette époque. En ce qui me concerne, je refuse la parenté de
mes ancêtres qui ont pris part a ce massacre. Je préfère que
mon grand-père ait été des gens qui ont payé le prix de leur
résistance a ces massacres."
C'était l'ambiance de cette conférence. Et c'est le maire
"multiculturaliste" de Turquie, Abdullah DemirbaÅ~_ qui l'a conclue :
"C'était en 2005, un Syriaque est venu me voir. "Vous allez nous
faire ce que les Kémalistes vous ont fait ?" m'a-t-il dit. Moi
j'étais Kurde. J'avais beaucoup souffert a cause de ma langue
natale. Et plutôt que de faire vivre ces souffrances a un autre,
nous avons décidé qu'il était nécessaire de ne pas les imposer aux
autres. Moi si je veux une chose pour moi-même, je le veux également
pour les autres."
Ce qu'a dit la diaspora arménienne Il y avait beaucoup d'auditeurs
et d'intervenants venus de la diaspora. L'un deux était assis devant
moi. Et puis j'ai vu qu'il me prenait en photo. Je lui alors demandé
son nom et d'où il venait. Il s'appelait Manouk Paboudjian et venait
de Lyon, l'une des régions les plus dures de la diaspora. Son père
et sa mère étaient de Sivas. Il s'est mis a parler : "Je ne suis
pas un intellectuel. Je suis un homme d'affaires. Alors que les
démocraties européennes sont en train de tomber malades et que les
gens ne parlent de rien d'autre que d'endettement, nous ici, nous
réfléchissons aux voies de la démocratie. Je suis transporté
d'enthousiasme en ce moment. Je suis très heureux d'être ici a
lutter a vos côtés pour la démocratie et l'identité. Pour moi,
ce sera une première. A mon retour, je traduirai et diffuserai ce qui
s'est dit ici. Je suis très heureux, vraiment très heureux d'être
ici avec vous." Et pourtant, la diaspora que moi je connais ; sans
même parler de dire de telles choses ou de participer a une telle
conférence, elle aurait réfusé d'être présenté a des Turcs,
avant notre campagne de demande de pardon aux Arméniens.
Aujourd'hui, je recois un e-mail en provenance d'une personne de
souche arménienne, d'une université parisienne, et que je connais
pour ses messages très durs postés sur une liste de discussion
ouverte aux USA : "Pour aller au plus bref, je pourrai dire que dans
ma jeunesse et même jusqu'après mes quarante ans, je n'avais jamais
pensé qu'un jour j'aurais des amis turcs que j'aime beaucoup."
L'élégie de Rakel (Dink) ...
Cengiz Aktar a donné le dernier mot a Rakel, la veuve de Hrant Dink.
Rakel est montée a la tribune avec sa mélancolie et son éternelle
dignité. Elle a dit : "Ce que je vais dire est une élégie d'adieu
sortie de la bouche de celui qui s'éteint alors qu'il est avec les
siens, si proche. Mais moi, ces mots, je les dédie au souvenir de
tous les Kirkor Zohrap morts sous la torture et la barbarie, dans les
rues, a ceux dont on ne trouve même plus les os. C'est en kurde." Et
Rakel entame une complainte en kurde, sa langue maternelle... Nous
en frémissons tous...
La complainte se disait sur un air vraiment très connu de nous :
"Vois les pierres d'Ankara, Vois les larmes de mes yeux." Et de la
sorte, nous en avons appris l'original...
PS - La conférence a été diffusée en direct sur Internet. Elle
est désormais disponible a l'adresse suivante. www.hrantdink.org
Traduction pour TE : Marillac
http://www.turquieeuropeenne.eu/article5047.html
Baskın Oran
Turquie Européenne
28 Nov 2011
"En 1907, Diyarbakir était la troisième ville d'Anatolie en ce qui
concerne le textile, le secteur principal de l'economie. Aujourd'hui,
elle est en 66ème position. Les Arméniens et les Syriaques ont
été exterminés, il s'en est suivi un exode des cerveaux et du
capital. Ils sont partis et la paix n'est plus jamais revenue sur ces
terres. Nous nous sommes appauvris. Nous n'avons connu de stabilité,
ni économique, ni politique depuis. Nous avons été maudits parce
qu'il avait été porté atteinte a une valeur sacrée." Ces paroles
marquantes furent celles du maire de l'agglomération de Diyarbakir,
Osman Baydemir, lors d'une conférence historique qui s'est déroulée
entre le 11 et le 13 novembre derniers et qui portait sur l'histoire
socio-économique de la region de Diyarbakır.
La fin du tissu productif et du haut niveau culturel En
Turquie, l'enseignement de l'histoire eut toujours deux qualités
complémentaires : 1) Nous tenir pour plus blancs que blanc afin de
nous mettre en avant ;
2) Réciter un simple refrain chronologique déversant de simples faits
(faits que nous déformons comme cela nous arrange) et dépourvu de
tout contenu socio-économique. Aujourd'hui, après la conférence
sur les Arméniens ottomans de septembre 2005 et la campagne de
demande de pardon aux Arméniens de décembre 2008, le troisième
moment de la confrontation de la Turquie avec son propre passé est
venu. Le premier pas lancé en direction de l'effondrement du tabou
de l'enseignement historique.
Ce que j'ai dit lors de mon allocution d'ouverture venait appuyer par
des chiffres les propos de M. Baydemir . "Les massacres arméniens et
syriaques de 1915 ont détruit toute la bourgeoisie anatolienne. Le
commerce, les exportations et la production industrielle de l'ensemble
du pays dépendaient de ces gens-la : les soieries, la faïence,
la manufactures de tapis, le tissage, la teinturerie, la dinanderie,
la joaillerie, la taille de pierres, le textile industriel ; et la
production des plantes a utilisation industrielle, a commencer par les
pistaches et le tabac. Ä°maginez un peu : en 1882, entre Trabzon et
Istanbul, ce sont cinq compagnies de bateaux qui assurrent la liaison ;
le port de Trabzon enregistrait plus de cinq cents appareillages.
Chaque semaine, il y avait quatre liaisons aller-retour entre Istanbul
et Giresun, et trois entre Ordu et Istanbul. Aujourd'hui le nombre
de bateaux arrivant a Bodrum (le port de tourisme par exellence
de la Turquie - NdE)est de 48 a l'année. Et la catastrophe n'est
pas restée limitée a l'économie. Nous avons également détruit
le seul tissu culturel de haut niveau présent en Anatolie. Par
exemple, dans la seule vallée d'Harput, il y avait 92 écoles dans
lesquelles étudiaient 8660 étudiants. Ataturk est né un an après
qu'a ouvert un théâtre arménien dans la même ville. Ici, le
studio photographique des frères Sursuryan avait ouvert en 1890. On
peut se poser la question de savoir s'il y a un théâtre a Harput
aujourd'hui ?"
Ce qu'ont dit les Kurdes Mais qu'ont donc dit les petits-enfants des
Kurdes qu'ont utilisés les Unionistes et nationalistes turcs a qui
nous devons cet effondrement du pays ? Voici ce qu'a dit Cengiz Aktar,
le co-coordinateur de la conférence, dans son allocution d'ouverture :
"La mémoire fait un retour sur ces terres. Nous n'en sommes encore
qu'au début ; le chemin a parcourir est encore long. Mais la chose est
ainsi lancée désormais qu'on ne pourra plus l'arrêter. L'écrasante
majorité de ceux qui vivent sur ces terres ne nient pas cette mémoire
en fait ; ils ne font que répéter l'erreur qu'ils ont apprise."
Dans cette conférence, ce refrain de la mémoire, on ne l'a quasiment
pas entendu chez les Kurdes. Un ou deux des participants ont tenté
de dire une chose du genre : "Ce sont les chefs de tribus et l'Etat
qui ont poussé au crime ; sinon les peuples cohabitaient bien". Mais
c'était a peine audible et on ne l'a pas réentendu. Osman Baydemir
s'est lancé : "Si nous aspirons a une vie libre, nous sommes obligés
de nous confronter au passé. Nous sommes obligés de savoir ce
qu'il s'est passé au XIXè siècle, nous sommes contraints de
l'accepter. S'il est des hontes dans le passé de notre peuple,
il est de notre devoir, de notre devoir politique et moral, de les
refuser et de ne pas nous y associer. Pas un turc ou un kurde n'est
responsable de ce massacre ; mais a condition de condamner l'infamie
de cette époque. En ce qui me concerne, je refuse la parenté de
mes ancêtres qui ont pris part a ce massacre. Je préfère que
mon grand-père ait été des gens qui ont payé le prix de leur
résistance a ces massacres."
C'était l'ambiance de cette conférence. Et c'est le maire
"multiculturaliste" de Turquie, Abdullah DemirbaÅ~_ qui l'a conclue :
"C'était en 2005, un Syriaque est venu me voir. "Vous allez nous
faire ce que les Kémalistes vous ont fait ?" m'a-t-il dit. Moi
j'étais Kurde. J'avais beaucoup souffert a cause de ma langue
natale. Et plutôt que de faire vivre ces souffrances a un autre,
nous avons décidé qu'il était nécessaire de ne pas les imposer aux
autres. Moi si je veux une chose pour moi-même, je le veux également
pour les autres."
Ce qu'a dit la diaspora arménienne Il y avait beaucoup d'auditeurs
et d'intervenants venus de la diaspora. L'un deux était assis devant
moi. Et puis j'ai vu qu'il me prenait en photo. Je lui alors demandé
son nom et d'où il venait. Il s'appelait Manouk Paboudjian et venait
de Lyon, l'une des régions les plus dures de la diaspora. Son père
et sa mère étaient de Sivas. Il s'est mis a parler : "Je ne suis
pas un intellectuel. Je suis un homme d'affaires. Alors que les
démocraties européennes sont en train de tomber malades et que les
gens ne parlent de rien d'autre que d'endettement, nous ici, nous
réfléchissons aux voies de la démocratie. Je suis transporté
d'enthousiasme en ce moment. Je suis très heureux d'être ici a
lutter a vos côtés pour la démocratie et l'identité. Pour moi,
ce sera une première. A mon retour, je traduirai et diffuserai ce qui
s'est dit ici. Je suis très heureux, vraiment très heureux d'être
ici avec vous." Et pourtant, la diaspora que moi je connais ; sans
même parler de dire de telles choses ou de participer a une telle
conférence, elle aurait réfusé d'être présenté a des Turcs,
avant notre campagne de demande de pardon aux Arméniens.
Aujourd'hui, je recois un e-mail en provenance d'une personne de
souche arménienne, d'une université parisienne, et que je connais
pour ses messages très durs postés sur une liste de discussion
ouverte aux USA : "Pour aller au plus bref, je pourrai dire que dans
ma jeunesse et même jusqu'après mes quarante ans, je n'avais jamais
pensé qu'un jour j'aurais des amis turcs que j'aime beaucoup."
L'élégie de Rakel (Dink) ...
Cengiz Aktar a donné le dernier mot a Rakel, la veuve de Hrant Dink.
Rakel est montée a la tribune avec sa mélancolie et son éternelle
dignité. Elle a dit : "Ce que je vais dire est une élégie d'adieu
sortie de la bouche de celui qui s'éteint alors qu'il est avec les
siens, si proche. Mais moi, ces mots, je les dédie au souvenir de
tous les Kirkor Zohrap morts sous la torture et la barbarie, dans les
rues, a ceux dont on ne trouve même plus les os. C'est en kurde." Et
Rakel entame une complainte en kurde, sa langue maternelle... Nous
en frémissons tous...
La complainte se disait sur un air vraiment très connu de nous :
"Vois les pierres d'Ankara, Vois les larmes de mes yeux." Et de la
sorte, nous en avons appris l'original...
PS - La conférence a été diffusée en direct sur Internet. Elle
est désormais disponible a l'adresse suivante. www.hrantdink.org
Traduction pour TE : Marillac
http://www.turquieeuropeenne.eu/article5047.html