LE COUP DE GUEULE DE CHARLES AZNAVOUR
Ara
armenews.com
mercredi 5 octobre 2011
Au royaume de l'espoir, il n'y a pas d'hiver. Et l'arrivée des
premiers jours d'octobre qui évoque l'anniversaire des protocoles
arméno-turc, mais aussi leur échec, ne décourage en rien les
bonnes volontés attachées a l'objectif d'une Â" normalisation Â"
des relations entre les deux Etats. Charles Aznavour fait parti de
ces incorrigibles optimistes. Dans l'interview coup-de-poing que
publie NAM ce mois-ci, il va même très loin en ce sens quitte a
se mettre en porte a faux avec l'ensemble du discours arménien,
toutes tendances confondues.
Pour la première fois en effet, cette figure emblématique s'il en
est de son peuple demande a la Turquie de reconnaître les faits,
sans nécessairement employer pour autant le mot "génocide". Une
approche insolite qui fera au moins un heureuxâ~@~I : Baskin Oran,
l'un des 4 initiateurs de la pétition demandant pardon aux Arméniens
et qui les enjoint depuis des années de renoncer au Â" G Word Â". Un
concept que la Turquie n'est absolument pas prête a accepter et
qui ne servirait selon lui qu'a crisper le débat, a renforcer les
tabous de la société civile turque, a favoriser l'arménophobie et
a rendre plus difficile les fragiles tentatives intellectuelles de
faire avancer les choses.
Il reviendrait dès lors, d'après sa logique, aux fils des victimes
d'abandonner ce qui fait la substance même de leur droit pour se
mettre a la portée d'une Turquie trop sensible, trop orgueilleuse ou
tout simplement trop attachée a préserver les dividendes du crime
pour se permettre de prendre le risque de le reconnaître.
Cette recommandation de recourir a un euphémisme (massacres, grande
catastrophe, etc.) largement rejetée par l'ensemble du monde arménien
semble cependant aujourd'hui retenue comme une étape acceptable par
l'une de ses voix les plus symboliques. Et ce, au nom du pragmatisme,
de la nécessité de faire évoluer les esprits de l'autre côté de
l'Ararat, d'apaiser les tensions a un moment où l'Arménie en proie
a des menaces de guerre avec l'Azerbaïdjan et une forte hémorragie
de sa population, se rapproche dangereusement du bord du gouffre.
Cette compréhension a l'égard des contraintes de la Turquie
s'inscrirait aussi dans la recherche d'un "package" qui inclurait en
retour un pas vers le droit a l'indépendance du Karabakh. On entend
déja les polémiques, les cris et les passions que ne devraient
pas manquer de susciter cette perche tendue a Ankara, en particulier
dans le camp arménien. Mais se trouvera-t-il dans les parages des
autorités turques une bonne volonté pour la saisirâ~@~I ?
Rien n'est hélas moins sÃ"r. Au pied du mur, la Turquie a laissé
filer il y a deux ans cette chance de normalisation a moindres frais
pour elle que constituaient les protocoles. A la paix avec son voisin
arménien et a la réconciliation a terme avec sa conscience, elle
a préféré faire droit aux protestations de l'Azerbaïdjan contre
le dialogue arméno-turc. Depuis cette fuite en avant de nature
panturquiste, Ankara enfonce le clou du nationalisme, en pratiquant
une politique qualifiée par nombre d'analystes de néoottomane. Tout
dans le comportement des dirigeants de l'AKP indique en effet qu'ils
n'ambitionnent pas tant d'avoir Â" zéro problème avec leurs voisins
Â", que de prendre l'ascendant sur la région et plus généralement
sur l'ensemble du monde musulman. Cette dynamique de conquête,
qui les a conduits a durcir leurs positions jusque dans le conflit
au Moyen Orient, fÃ"t-ce aux dépens des intérêts de l'Otan et de
l'ex-allié israélien- ne va pas dans le sens du repentir, même
a demi-mot et sur la pointe des pieds. Et il y a fort a parier que
la bouteille a la mer jetée par cet homme de bonne volonté qu'est
Charles Aznavour, ne finisse par s'échouer sur les rivages d'une
diplomatie turque particulièrement rompue a l'art de la manipulation
et de l'instrumentation. Il est en revanche tout a fait possible
qu'elle rencontre un accueil plus favorable dans la société civile
du pays, dans l'esprit de ce qui avait déja initié avec la pétition
des intellectuels demandant pardon. Nous verrons bien.
Il ne s'agit certes pas ici d'escompter des bénéfices immédiats
ni de craindre des dommages de cette entreprise qui en tout état de
cause ne relève que de la responsabilité individuelle d'un artiste
et non d'un homme politique et encore moins de l'Etat. Mais peut-on
ignorer le contexte qui l'a rendu possible ?
Cette interview de Charles Aznavour en dit en tout cas long sur
les angoisses d'une société arménienne qui ne sait plus a quel
saint se vouer pour se libérer de la tenaille turco-azérie. Elle
se présente aussi, après la déception du vote du Sénat, pour
lequel le chanteur s'était beaucoup mobilisé, comme l'expression
d'une grande amertume envers ces puissances qui "n'ont jamais rien
fait et ne feront jamais rien pour nous".
Elle se lit enfin comme un ras-le-bol vis-a-vis de nos propres limites,
nos conservatismes, nos aveuglements, nos carences démocratiques,
notre immobilisme et notre ineffable bonne conscience accrochée
a un mot dont l'usage obsessionnel pourrait faire écran a la
réalité d'aujourd'hui, voir même nous faire oublier les terribles
difficultés de l'Arménie. Une chose est sÃ"re, si le G Word ne
constitue pas l'horizon indépassable de la nation arménienne, le
terrible signifié qu'il recouvre n'en finit pas de hanter le temps
présent, les esprits et la région. Et le négationnisme ne fait
que retourner le couteau dans la plaie.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
Ara
armenews.com
mercredi 5 octobre 2011
Au royaume de l'espoir, il n'y a pas d'hiver. Et l'arrivée des
premiers jours d'octobre qui évoque l'anniversaire des protocoles
arméno-turc, mais aussi leur échec, ne décourage en rien les
bonnes volontés attachées a l'objectif d'une Â" normalisation Â"
des relations entre les deux Etats. Charles Aznavour fait parti de
ces incorrigibles optimistes. Dans l'interview coup-de-poing que
publie NAM ce mois-ci, il va même très loin en ce sens quitte a
se mettre en porte a faux avec l'ensemble du discours arménien,
toutes tendances confondues.
Pour la première fois en effet, cette figure emblématique s'il en
est de son peuple demande a la Turquie de reconnaître les faits,
sans nécessairement employer pour autant le mot "génocide". Une
approche insolite qui fera au moins un heureuxâ~@~I : Baskin Oran,
l'un des 4 initiateurs de la pétition demandant pardon aux Arméniens
et qui les enjoint depuis des années de renoncer au Â" G Word Â". Un
concept que la Turquie n'est absolument pas prête a accepter et
qui ne servirait selon lui qu'a crisper le débat, a renforcer les
tabous de la société civile turque, a favoriser l'arménophobie et
a rendre plus difficile les fragiles tentatives intellectuelles de
faire avancer les choses.
Il reviendrait dès lors, d'après sa logique, aux fils des victimes
d'abandonner ce qui fait la substance même de leur droit pour se
mettre a la portée d'une Turquie trop sensible, trop orgueilleuse ou
tout simplement trop attachée a préserver les dividendes du crime
pour se permettre de prendre le risque de le reconnaître.
Cette recommandation de recourir a un euphémisme (massacres, grande
catastrophe, etc.) largement rejetée par l'ensemble du monde arménien
semble cependant aujourd'hui retenue comme une étape acceptable par
l'une de ses voix les plus symboliques. Et ce, au nom du pragmatisme,
de la nécessité de faire évoluer les esprits de l'autre côté de
l'Ararat, d'apaiser les tensions a un moment où l'Arménie en proie
a des menaces de guerre avec l'Azerbaïdjan et une forte hémorragie
de sa population, se rapproche dangereusement du bord du gouffre.
Cette compréhension a l'égard des contraintes de la Turquie
s'inscrirait aussi dans la recherche d'un "package" qui inclurait en
retour un pas vers le droit a l'indépendance du Karabakh. On entend
déja les polémiques, les cris et les passions que ne devraient
pas manquer de susciter cette perche tendue a Ankara, en particulier
dans le camp arménien. Mais se trouvera-t-il dans les parages des
autorités turques une bonne volonté pour la saisirâ~@~I ?
Rien n'est hélas moins sÃ"r. Au pied du mur, la Turquie a laissé
filer il y a deux ans cette chance de normalisation a moindres frais
pour elle que constituaient les protocoles. A la paix avec son voisin
arménien et a la réconciliation a terme avec sa conscience, elle
a préféré faire droit aux protestations de l'Azerbaïdjan contre
le dialogue arméno-turc. Depuis cette fuite en avant de nature
panturquiste, Ankara enfonce le clou du nationalisme, en pratiquant
une politique qualifiée par nombre d'analystes de néoottomane. Tout
dans le comportement des dirigeants de l'AKP indique en effet qu'ils
n'ambitionnent pas tant d'avoir Â" zéro problème avec leurs voisins
Â", que de prendre l'ascendant sur la région et plus généralement
sur l'ensemble du monde musulman. Cette dynamique de conquête,
qui les a conduits a durcir leurs positions jusque dans le conflit
au Moyen Orient, fÃ"t-ce aux dépens des intérêts de l'Otan et de
l'ex-allié israélien- ne va pas dans le sens du repentir, même
a demi-mot et sur la pointe des pieds. Et il y a fort a parier que
la bouteille a la mer jetée par cet homme de bonne volonté qu'est
Charles Aznavour, ne finisse par s'échouer sur les rivages d'une
diplomatie turque particulièrement rompue a l'art de la manipulation
et de l'instrumentation. Il est en revanche tout a fait possible
qu'elle rencontre un accueil plus favorable dans la société civile
du pays, dans l'esprit de ce qui avait déja initié avec la pétition
des intellectuels demandant pardon. Nous verrons bien.
Il ne s'agit certes pas ici d'escompter des bénéfices immédiats
ni de craindre des dommages de cette entreprise qui en tout état de
cause ne relève que de la responsabilité individuelle d'un artiste
et non d'un homme politique et encore moins de l'Etat. Mais peut-on
ignorer le contexte qui l'a rendu possible ?
Cette interview de Charles Aznavour en dit en tout cas long sur
les angoisses d'une société arménienne qui ne sait plus a quel
saint se vouer pour se libérer de la tenaille turco-azérie. Elle
se présente aussi, après la déception du vote du Sénat, pour
lequel le chanteur s'était beaucoup mobilisé, comme l'expression
d'une grande amertume envers ces puissances qui "n'ont jamais rien
fait et ne feront jamais rien pour nous".
Elle se lit enfin comme un ras-le-bol vis-a-vis de nos propres limites,
nos conservatismes, nos aveuglements, nos carences démocratiques,
notre immobilisme et notre ineffable bonne conscience accrochée
a un mot dont l'usage obsessionnel pourrait faire écran a la
réalité d'aujourd'hui, voir même nous faire oublier les terribles
difficultés de l'Arménie. Une chose est sÃ"re, si le G Word ne
constitue pas l'horizon indépassable de la nation arménienne, le
terrible signifié qu'il recouvre n'en finit pas de hanter le temps
présent, les esprits et la région. Et le négationnisme ne fait
que retourner le couteau dans la plaie.
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress