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Repentance et gouvernance

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  • Repentance et gouvernance

    Les Échos, France
    10 oct 2011


    Repentance et gouvernance


    Le mot de repentance n'a pas toujours bonne presse en France. Un
    anglicisme puritain pour les uns, une considération déplacée sinon une
    forme de sensiblerie qui conduit à toutes les faiblesses pour les
    autres. Le monde est dur, « on ne fait pas d'omelettes sans casser des
    oeufs ». Jusqu'où faut-il remonter l'écheveau de l'Histoire ? Doit-on
    s'excuser pour les croisades, le sac des villes germaniques par les
    armées de Louis XIV ? N'est-ce pas entrer dans un cycle vicieux que de
    s'engager sur cette voie ?

    Pourtant, plus que jamais à l'heure de la mondialisation, c'est-à-dire
    de la transparence et de l'interdépendance, il est réaliste d'être
    moral et la repentance peut être considérée comme un des outils de la
    bonne gouvernance. Un pays qui a su confronter son passé, qui ne l'a
    pas caché sous le tapis commode de la facilité de l'oubli ou de la
    prudence face à la complexité de l'histoire est mieux à même de
    traiter avec l'autre et avec lui-même sur des bases plus saines. Le
    Japon n'a jamais pu pleinement interagir avec ses voisins asiatiques,
    comme l'Allemagne le fait avec ses voisins européens. La Turquie
    kémaliste hier, néo-ottomane aujourd'hui, se refuse toujours à assumer
    le massacre des Arméniens par un empire en pleine décomposition. Si
    l'Union européenne existe, quelles que puissent être ses difficultés
    actuelles, si la République fédérale d'Allemagne peut prendre, certes
    très timidement, ses distances avec le gouvernement actuel d'Israël,
    c'est parce qu'elle a su plus et mieux que d'autres confronter son
    histoire. « Demander pardon » n'a pas été pour elle un signe de
    faiblesse, mais la condition d'un nouveau départ.

    Demander pardon, c'est pouvoir parler à l'autre ou aux siens sans
    ambiguïté, c'est retrouver la liberté de ton nécessaire à l'expression
    de la vérité.

    Le président Jacques Chirac est entré dans l'histoire en 1995 en
    assumant les crimes du régime de Vichy à l'égard de ses citoyens
    juifs. Il ne lui semblait pas possible de s'abriter éternellement sous
    la fiction que « Vichy n'était pas la France ».

    Quel sera le président français qui aura le courage de demander
    doublement pardon aux Algériens et aux harkis ? La France a certes
    voulu faire le bonheur des Algériens, mais « sans eux » et en les
    traitant comme des citoyens de seconde zone, comme des « indigènes ».
    Quant à ses soldats harkis, elle les a d'abord abandonnés à leur sort
    sur le terrain, puis a relégué en France ceux qui avaient survécu,
    dans des conditions de vie trop longtemps indignes.

    Aujourd'hui, à l'heure des révolutions arabes, alors qu'elle est
    pleinement engagée dans un processus qui la concerne directement, la
    France ne peut continuer à adopter une attitude « hypocrite » à
    l'égard de l'Algérie, payant son refus de confronter la complexité de
    son passé, par un silence embarrassé sur le présent. Tout se passe
    comme si entre le berceau de la révolution arabe, la Tunisie, et
    l'espoir du réformisme progressif, le Maroc, il existait un grand vide
    géographique et politique, l'Algérie.

    En matière de pardon, c'est la partie la plus « forte » qui doit faire
    le premier pas. La démocratie est une composante essentielle de cette
    force. Elle constitue le contexte le plus approprié à une pédagogie
    responsable et nécessaire face à la complexité de l'Histoire.

    Certes, il ne faut pas se faire d'illusion. Le gouvernement algérien
    peut recevoir officiellement Jeannette Bougrab, membre du gouvernement
    et fille de harki. Il n'est pas prêt à renoncer pour autant à la «
    facilité » que représente pour lui la dénonciation du « colonisateur
    ». Mais la France peut-elle continuer à s'abriter derrière l'absence
    de « maturité » de l'Algérie pour prolonger son quasi-silence ?

    En juillet 2012, l'Algérie et la France vont commémorer le 50 e
    anniversaire de la naissance de la République algérienne. Le
    calendrier est favorable. L'évènement aura lieu après la tenue de
    l'élection présidentielle française. Ce peut être l'occasion idéale
    pour le (la) président (e) qui sortira des urnes de faire un geste
    symbolique de repentance. La République en sortirait grandie à
    l'extérieur comme à l'intérieur. La repentance n'est pas un signe de
    faiblesse, mais bien au contraire la démonstration d'une force
    tranquille et responsable. En fait, elle est un acte de bonne
    gouvernance.

    Dominique Moïsi est conseiller spécial à l'Ifri

    http://www.lesechos.fr/opinions/chroniques/0201682724277-repentance-et-gouvernance-230869.php




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