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CEDH : La Turquie Viole La Liberte D'expression Sur Le Genocide Arme

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    CEDH : LA TURQUIE VIOLE LA LIBERTé D'EXPRESSION SUR LE GéNOCIDE ARMéNIEN

    Source/Lien : CEDH
    Publié le : 26-10-2011

    Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - "Dans son arrêt de chambre
    rendu dans l'affaire Taner Akcam c. Turquie (requête no 27520/07)
    la Cour européenne des droits de l'homme dit, a l'unanimité,
    qu'il y a eu violation de l'article 10 (liberté d'expression)
    de la Convention européenne des droits de l'homme. Le requérant,
    M. Taner Akcam, alléguait que la crainte d'être poursuivi pour ses
    opinions sur la question arménienne le soumettait a une tension et a
    une angoisse telles qu'il avait arrêté d'écrire sur ce sujet. Taner
    Akcam, possède la double nationalité turque et allemande. Professeur
    d'histoire, il a pour domaine de recherche les événements historiques
    de 1915 concernant la population arménienne dans l'empire ottoman,
    sur lesquels il a publié de nombreux articles. Pour la République
    de Turquie, l'un des Etats successeurs de l'empire ottoman, le
    terme Â" génocide Â" est impropre a décrire les événements
    en question. Associer le terme Â" génocide Â" a la question
    arménienne revient pour certains (notamment les groupes extrémistes
    et ultranationalistes) a dénigrer Â" la turcité Â" (Turkluk), délit
    réprimé par l'article 301 du code pénal turc et passible d'une peine
    de six mois a deux ou trois ans d'emprisonnement." Le Collectif VAN
    diffuse ici le communiqué de presse de la Cour européenne des droits
    de l'homme, en date du 25.10.2011 et se réjouit de voir l'historien
    turc Taner Akcam, soutenu par la CEDH. Conformément aux dispositions
    des articles 43 et 44 de la Convention, cet arrêt de chambre n'est
    pas définitif. Dans un délai de trois mois a compter de la date
    de son prononcé, toute partie peut demander le renvoi de l'affaire
    devant la Grande Chambre de la Cour.

    Taner Akcam est l'un des rares intellectuels turcs a parler clairement
    du génocide arménien. Il est l'auteur de "Un acte honteux. Le
    génocide arménien et la question de la responsabilité turque"
    paru chez DenoÃ"l en 2008.

    CEDH 212 (2011) 25.10.2011

    Communiqué de presse du Greffier de la Cour

    La législation turque expose un professeur d'histoire a la crainte
    constante d'être poursuivi pour ses opinions sur les événements
    de 1915 concernant la population arménienne

    Dans son arrêt de chambre, non définitif1, rendu ce jour dans
    l'affaire Altug Taner Akcam c. Turquie (requête no 27520/07) la Cour
    européenne des droits de l'homme dit, a l'unanimité, qu'il y a eu :

    Violation de l'article 10 (liberté d'expression) de la Convention
    européenne des droits de l'homme.

    Le requérant, M. Taner Akcam, alléguait que la crainte d'être
    poursuivi pour ses opinions sur la question arménienne le soumettait
    a une tension et a une angoisse telles qu'il avait arrêté d'écrire
    sur ce sujet.

    Principaux faits

    Le requérant, Altug Taner Akcam, possède la double nationalité
    turque et allemande. Il est né en 1953 et réside a Ankara. Professeur
    d'histoire, il a pour domaine de recherche les événements historiques
    de 1915 concernant la population arménienne dans l'empire ottoman,
    sur lesquels il a publié de nombreux articles. Pour la République de
    Turquie, l'un des Etats successeurs de l'empire ottoman, le terme Â"
    génocide Â" est impropre a décrire les événements en question.

    Associer le terme Â" génocide Â" a la question arménienne
    revient pour certains (notamment les groupes extrémistes et
    ultranationalistes) a dénigrer Â" la turcité Â" (Turkluk),
    délit réprimé par l'article 301 du code pénal turc et passible
    d'une peine de six mois a deux ou trois ans d'emprisonnement. Cette
    disposition a fait l'objet de modifications après les controverses
    suscitées par certaines affaires et enquêtes pénales dirigées
    contre d'éminents écrivains et journalistes turcs - notamment
    Elif Å~^afak, Orhan Pamuk et Hrant Dink2 - en raison de leurs
    opinions sur la question arménienne. Parmi ces affaires figure
    la condamnation de Hrant Dink, le rédacteur en chef du journal
    bilingue turco-arménien AGOS, pour dénigrement de la Â" turcité
    Â" au sens de l'article 301 en octobre 2005. Nombreux sont ceux
    a penser que la raison pour laquelle M. Dink a été pris pour
    cible par des extrémistes et tué par balles en janvier 2007 est
    a rechercher dans le caractère infamant de sa condamnation. Trois
    importantes modifications furent apportées au texte de l'article
    301, a savoir la substitution des expressions Â" nation turque Â"
    et Â" Etat de la République de Turquie Â" aux termes Â" turcité
    Â" et Â" République Â", la réduction de la durée maximale de la
    peine d'emprisonnement encourue pour infraction a l'article 301 et,
    plus récemment - en 2008 - l'insertion d'une clause de sauvegarde
    selon laquelle toute enquête sur un dénigrement allégué de la Â"
    turcité Â" doit être autorisée par le ministre de la Justice.

    Le 6 octobre 2006, le requérant publia dans l'AGOS un éditorial
    critiquant les poursuites dirigées contre M. Dink. Par la suite, il
    fit l'objet de trois plaintes pénales déposées par des extrémistes
    qui lui reprochaient d'avoir dénigré la Â" turcité Â" en violation
    de l'article 301. A la suite de la première plainte, l'intéressé
    fut convoqué au parquet local pour s'expliquer. Le procureur chargé
    de l'affaire décida qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre, estimant
    que les opinions de l'intéressé étaient protégées par l'article
    10 de la Convention européenne. Les deux autres plaintes furent
    elles aussi classées sans suite.

    Le Gouvernement avance que, compte tenu des nouvelles garanties
    figurant dans l'article 301 et en particulier du fait que l'ouverture
    d'une enquête est désormais subordonnée a l'autorisation du ministre
    de la Justice, il est improbable que le requérant fasse l'objet de
    nouvelles poursuites. A cet égard, il signale que le ministre de la
    Justice n'a fait droit qu'a 80 des 1025 demandes d'autorisation de
    poursuivre sur le fondement de l'article 301 qui lui ont été soumises
    de mai 2008 (époque a laquelle cette modification est intervenue)
    a novembre 2009 (soit environ 8 % des demandes). En outre, il fait
    valoir que l'intéressé ne se heurte a aucune difficulté pour mener
    ses recherches, précisant que celui-ci a au contraire eu accès aux
    archives nationales. Il ajoute que les ouvrages du requérant sont
    largement disponibles en Turquie.

    Pour sa part, le requérant avance que le pourcentage d'autorisations
    préalables accordées par le ministre de la Justice est beaucoup
    plus élevé, et qu'elles concernent principalement des poursuites
    dirigées contre des journalistes mettant en cause la liberté
    d'expression. Il produit des statistiques établies par l'Office de
    surveillance des médias de l'Independent Communications Network sur
    la période juillet-septembre 2008, selon lesquelles 116 personnes au
    total, dont 77 journalistes, ont été poursuivies dans 73 affaires
    de liberté d'expression.

    Il soutient en outre que les plaintes pénales dirigées contre
    lui en raison de ses opinions se sont transformées en campagne de
    harcèlement, les médias le présentant comme un Â" traître Â"
    et un Â" espion allemand Â". Il indique avoir aussi recu des lettres
    haineuses l'insultant et le menacant de mort.

    Il avance enfin que sa crainte bien réelle d'être poursuivi a non
    seulement pesé sur ses activités professionnelles - il précise
    a cet égard qu'il a cessé d'écrire sur la question arménienne
    après avoir introduit sa requête devant la Cour en juin 2007 -
    mais lui a aussi causé des tensions et une angoisse considérables.

    Griefs, procédure et composition de la Cour

    Invoquant l'article 10 (liberté d'expression), l'intéressé allègue
    que le Gouvernement ne peut lui garantir qu'il ne fera pas l'objet
    d'une enquête et de poursuites pour ses opinions sur la question
    arménienne.

    Il soutient en outre que, en dépit de la modification apportée en mai
    2008 a l'article 301 et des assurances du Gouvernement, la justice n'a
    de cesse de poursuivre les personnes reconnaissant le Â" génocide Â"
    arménien. Il ajoute que le Gouvernement a maintenu pour l'essentiel
    sa politique sur la question arménienne et qu'il est impossible de
    prévoir avec certitude comment cette politique évoluera.

    La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits
    de l'homme le 21 juin 2007.

    L'arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :

    Francoise Tulkens (Belgique), PRÃ~ISIDENTE, DanutÄ- JoÄ~MienÄ-
    (Lituanie), David Thór Björgvinsson (Islande), Dragoljub PopoviÄ~G
    (Serbie), András Sajó (Hongrie), IÅ~_ıl KarakaÅ~_ (Turquie),
    Guido Raimondi (Italie), JUGES,

    ainsi que de Stanley Naismith, GREFFIER DE SECTION.

    Décision de la Cour

    La Cour estime qu'il y a eu Â" ingérence Â" dans la liberté
    d'expression du requérant. L'enquête pénale dirigée contre
    celui-ci, la position adoptée par les juridictions turques sur la
    question arménienne dans les affaires où elles font application
    de l'article 301 du code pénal turc - consistant en pratique a
    sanctionner toute critique de la politique officielle sur ce point -
    ainsi que la campagne publique menée contre l'intéressé confirment
    que les personnes exprimant des opinions Â" intempestives Â" sur
    cette question s'exposent a un risque considérable de poursuites
    et donnent a penser que la menace pesant sur le requérant est
    réelle. Les mesures adoptées pour introduire des garanties contre des
    poursuites arbitraires ou injustifiées sur le fondement de l'article
    301 ne sont pas suffisantes. Les informations statistiques fournies
    par le Gouvernement démontrent la persistance d'un nombre élevé
    d'enquêtes, et le requérant soutient que ce nombre est encore plus
    important. Le Gouvernement n'a pas fourni d'explications sur l'objet ou
    la nature des affaires ayant donné lieu a une autorisation d'enquêter
    délivrée par le ministre de la Justice.

    En outre, la Cour souscrit a l'avis exprimé par le Commissaire aux
    droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg, dans
    un rapport où celui-ci a indiqué qu'un dispositif d'autorisation
    préalable au cas par cas par le ministre de la Justice ne constituait
    pas une solution durable susceptible de se substituer a l'incorporation
    des normes pertinentes de la Convention dans le système et la pratique
    juridiques turcs.

    En outre, la Cour estime que si l'on peut admettre dans une certaine
    mesure que l'objectif du législateur consistant a protéger et
    a préserver les valeurs et les institutions de l'Etat contre le
    dénigrement public est légitime, le libellé de l'article 301 du
    code pénal, tel qu'interprété par la justice, est excessivement
    large et vague et ne permet pas aux individus de régler leur
    conduite ou de prévoir les conséquences de leurs actes. Bien
    que les autorités turques aient substitué l'expression Â" nation
    turque Â" au terme Â" turcité Â", il n'y a apparemment pas eu de
    changement dans l'interprétation de ces notions. A cet égard, la Cour
    rappelle que, dans l'arrêt qu'elle a rendu en 2010 en l'affaire Dink
    c. Turquie, elle a reproché a la Cour de cassation d'avoir maintenu
    son interprétation. En conséquence, l'article 301 demeure une menace
    pour l'exercice de la liberté d'expression. Il ressort clairement
    du nombre d'enquêtes et de poursuites fondées sur cet article que
    toute opinion ou idée considérée comme offensante, choquante ou
    dérangeante peut aisément faire l'objet d'une enquête pénale
    de la part du ministère public. A la vérité, les dispositions
    censées empêcher la justice d'appliquer abusivement l'article
    301 sont impuissantes a garantir l'absence de poursuites car tout
    changement survenant dans la volonté politique ou dans la position
    du Gouvernement peut avoir des incidences sur l'interprétation de
    la loi par le ministre de la Justice et donner lieu a des poursuites
    arbitraires.

    La Cour conclut que, faute de prévisibilité, l'ingérence dans la
    liberté d'expression du requérant n'était pas Â" prévue par la
    loi Â", au mépris de l'article 10.

    La Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat
    de violation auquel elle est parvenue constitue une satisfaction
    équitable suffisante aux fins de l'article 41.

    Rédigé par le greffe, le présent communiqué ne lie pas la
    Cour. Les décisions et arrêts rendus par la Cour, ainsi que des
    informations complémentaires au sujet de celle-ci, peuvent être
    obtenus sur www.echr.coe.int. Pour s'abonner aux communiqués de
    presse de la Cour, merci de s'inscrire aux fils RSS de la Cour

    Contacts pour la presse

    [email protected] | tel: +33 3 90 21 42 08 Tracey Turner-Tretz
    (tel: + 33 3 88 41 35 30) Emma Hellyer (tel: + 33 3 90 21 42 15)
    Kristina Pencheva-Malinowski (tel: + 33 3 88 41 35 70) Nina Salomon
    (tel: + 33 3 90 21 49 79) Petra Leppee Fraize (tel: + 33 3 88 41 29
    07) Denis Lambert (tel: + 33 3 90 21 41 09)

    La Cour européenne des droits de l'homme a été créée a Strasbourg
    par les Etats membres du Conseil de l'Europe en 1959 pour connaître
    des allégations de violation de la Convention européenne des droits
    de l'homme de 1950.

    1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la
    Convention, cet arrêt de chambre n'est pas définitif. Dans un délai
    de trois mois a compter de la date de son prononcé, toute partie peut
    demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour.

    En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l'affaire
    mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se
    saisira de l'affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande
    de renvoi est rejetée, l'arrêt de chambre deviendra définitif a
    la date de ce rejet.

    Dès qu'un arrêt devient définitif, il est transmis au
    Comité des Ministres du Conseil de l'Europe qui en surveille
    l'exécution. Des renseignements supplémentaires sur le
    processus d'exécution sont consultables a l'adresse suivante :
    http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution.

    2 Voir Dink c. Turquie (requêtes nos 2668/07, 6102/08, 30079/08,
    7072/09 et 7124/09), 14.09.2010.

    Lire aussi :

    Les autorités ont manqué a leur devoir de protéger la vie et la
    liberté d'expression du journaliste firat (hrant) dink (14.09.2010)

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