GéNOCIDE ARMéNIEN - LA COUR EUROPéENNE DES DROITS DE L'HOMME DONNE RAISON A TANER AKCAM
Stéphane
armenews.com
mercredi 26 octobre 2011
La Cour européenne des Droits de l'Homme a jugé mardi a l'unanimité
que la reconnaissance du génocide arménien ne peut pas être
criminalisée en Turquie. Le verdict découle d'une affaire portée
devant le tribunal par le célèbre érudit Taner Akcam.
Dans le cas Taner Akcam, la Cour a statué que les poursuites pénales
de la Turquie sur la question du génocide arménien constitue une
violation de l'article 10 (liberté d'expression) de la Convention
européenne des Droits de l'Homme.
Ci-joint la décision :
La législation turque expose un professeur d'histoire a la crainte
constante d'être poursuivi pour ses opinions sur les événements
de 1915 concernant la population arménienne
Dans son arrêt de chambre, non définitif(1), rendu ce jour dans
l'affaire Altug Taner Akcam c. Turquie (requête no 27520/07) la Cour
européenne des droits de l'homme dit, a l'unanimité, qu'il y a eu :
Violation de l'article 10 (liberté d'expression) de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Le requérant, M. Taner Akcam, alléguait que la crainte d'être
poursuivi pour ses opinions sur la question arménienne le soumettait
a une tension et a une angoisse telles qu'il avait arrêté d'écrire
sur ce sujet.
Principaux faits
Le requérant, Altug Taner Akcam, possède la double nationalité
turque et allemande. Il est né en 1953 et réside a Ankara. Professeur
d'histoire, il a pour domaine de recherche les événements historiques
de 1915 concernant la population arménienne dans l'empire ottoman,
sur lesquels il a publié de nombreux articles.
Pour la République de Turquie, l'un des Etats successeurs de
l'empire ottoman, le terme Â" génocide Â" est impropre a décrire
les événements en question.
Associer le terme Â" génocide Â" a la question arménienne
revient pour certains (notamment les groupes extrémistes et
ultranationalistes) a dénigrer Â" la turcité Â" (Turkluk),
délit réprimé par l'article 301 du code pénal turc et passible
d'une peine de six mois a deux ou trois ans d'emprisonnement. Cette
disposition a fait l'objet de modifications après les controverses
suscitées par certaines affaires et enquêtes pénales dirigées
contre d'éminents écrivains et journalistes turcs - notamment Elif
Å~^afak, Orhan Pamuk et Hrant Dink2 - en raison de leurs opinions sur
la question arménienne. Parmi ces affaires figure la condamnation de
Hrant Dink, le rédacteur en chef du journal bilingue turco-arménien
AGOS, pour dénigrement de la Â" turcité Â" au sens de l'article
301 en octobre 2005. Nombreux sont ceux a penser que la raison pour
laquelle M. Dink a été pris pour cible par des extrémistes et
tué par balles en janvier 2007 est a rechercher dans le caractère
infamant de sa condamnation.
Trois importantes modifications furent apportées au texte de l'article
301, a savoir la substitution des expressions Â" nation turque Â"
et Â" Etat de la République de Turquie Â" aux termes Â" turcité
Â" et Â" République Â", la réduction de la durée maximale de la
peine d'emprisonnement encourue pour infraction a l'article 301 et,
plus récemment - en 2008 l'insertion d'une clause de sauvegarde
selon laquelle toute enquête sur un dénigrement allégué de la Â"
turcité Â" doit être autorisée par le ministre de la Justice.
Le 6 octobre 2006, le requérant publia dans l'AGOS un éditorial
critiquant les poursuites dirigées contre M. Dink. Par la suite, il
fit l'objet de trois plaintes pénales déposées par des extrémistes
qui lui reprochaient d'avoir dénigré la Â" turcité Â" en violation
de l'article 301. A la suite de la première plainte, l'intéressé
fut convoqué au parquet local pour s'expliquer. Le procureur chargé
de l'affaire décida qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre, estimant
que les opinions de l'intéressé étaient protégées par l'article
10 de la Convention européenne. Les deux autres plaintes furent
elles aussi classées sans suite.
Le Gouvernement avance que, compte tenu des nouvelles garanties
figurant dans l'article 301 et en particulier du fait que l'ouverture
d'une enquête est désormais subordonnée a l'autorisation du ministre
de la Justice, il est improbable que le requérant fasse l'objet de
nouvelles poursuites. A cet égard, il signale que le ministre de la
Justice n'a fait droit qu'a 80 des 1025 demandes d'autorisation de
poursuivre sur le fondement de l'article 301 qui lui ont été soumises
de mai 2008 (époque a laquelle cette modification est intervenue)
a novembre 2009 (soit environ 8 % des demandes). En outre, il fait
valoir que l'intéressé ne se heurte a aucune difficulté pour mener
ses recherches, précisant que celui-ci a au contraire eu accès aux
archives nationales. Il ajoute que les ouvrages du requérant sont
largement disponibles en Turquie.
Pour sa part, le requérant avance que le pourcentage d'autorisations
préalables accordées par le ministre de la Justice est beaucoup
plus élevé, et qu'elles concernent principalement des poursuites
dirigées contre des journalistes mettant en cause la liberté
d'expression. Il produit des statistiques établies par l'Office de
surveillance des médias de l'Independent Communications Network sur
la période juillet-septembre 2008, selon lesquelles 116 personnes au
total, dont 77 journalistes, ont été poursuivies dans 73 affaires
de liberté d'expression.
Il soutient en outre que les plaintes pénales dirigées contre
lui en raison de ses opinions se sont transformées en campagne de
harcèlement, les médias le présentant comme un Â" traître Â"
et un Â" espion allemand Â". Il indique avoir aussi recu des lettres
haineuses l'insultant et le menacant de mort.
Il avance enfin que sa crainte bien réelle d'être poursuivi a non
seulement pesé sur ses activités professionnelles - il précise
a cet égard qu'il a cessé d'écrire sur la question arménienne
après avoir introduit sa requête devant la Cour en juin 2007 -
mais lui a aussi causé des tensions et une angoisse considérables.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l'article 10 (liberté d'expression), l'intéressé allègue
que le Gouvernement ne peut lui garantir qu'il ne fera pas l'objet
d'une enquête et de poursuites pour ses opinions sur la question
arménienne.
Il soutient en outre que, en dépit de la modification apportée en mai
2008 a l'article 301 et des assurances du Gouvernement, la justice n'a
de cesse de poursuivre les personnes reconnaissant le Â" génocide Â"
arménien. Il ajoute que le Gouvernement a maintenu pour l'essentiel
sa politique sur la question arménienne et qu'il est impossible de
prévoir avec certitude comment cette politique évoluera.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits
de l'homme le 21 juin 2007.
L'arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Francoise Tulkens (Belgique), PRÃ~ISIDENTE,
DanutÄ- JoÄ~MienÄ- (Lituanie),
David Thór Björgvinsson (Islande),
Dragoljub PopoviÄ~G (Serbie),
András Sajó (Hongrie),
IÅ~_ıl KarakaÅ~_ (Turquie),
Guido Raimondi (Italie), JUGES,
ainsi que de Stanley Naismith, GREFFIER DE SECTION.
Décision de la Cour
La Cour estime qu'il y a eu Â" ingérence Â" dans la liberté
d'expression du requérant.
L'enquête pénale dirigée contre celui-ci, la position adoptée
par les juridictions turques sur la question arménienne dans les
affaires où elles font application de l'article 301 du code pénal
turc - consistant en pratique a sanctionner toute critique de la
politique officielle sur ce point - ainsi que la campagne publique
menée contre l'intéressé confirment que les personnes exprimant des
opinions Â" intempestives Â" sur cette question s'exposent a un risque
considérable de poursuites et donnent a penser que la menace pesant
sur le requérant est réelle. Les mesures adoptées pour introduire
des garanties contre des poursuites arbitraires ou injustifiées sur le
fondement de l'article 301 ne sont pas suffisantes. Les informations
statistiques fournies par le Gouvernement démontrent la persistance
d'un nombre élevé d'enquêtes, et le requérant soutient que ce
nombre est encore plus important. Le Gouvernement n'a pas fourni
d'explications sur l'objet ou la nature des affaires ayant donné
lieu a une autorisation d'enquêter délivrée par le ministre de
la Justice.
En outre, la Cour souscrit a l'avis exprimé par le Commissaire aux
droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg, dans
un rapport où celui-ci a indiqué qu'un dispositif d'autorisation
préalable au cas par cas par le ministre de la Justice ne constituait
pas une solution durable susceptible de se substituer a l'incorporation
des normes pertinentes de la Convention dans le système et la pratique
juridiques turcs.
En outre, la Cour estime que si l'on peut admettre dans une certaine
mesure que l'objectif du législateur consistant a protéger et
a préserver les valeurs et les institutions de l'Etat contre le
dénigrement public est légitime, le libellé de l'article 301 du
code pénal, tel qu'interprété par la justice, est excessivement
large et vague et ne permet pas aux individus de régler leur
conduite ou de prévoir les conséquences de leurs actes. Bien
que les autorités turques aient substitué l'expression Â" nation
turque Â" au terme Â" turcité Â", il n'y a apparemment pas eu de
changement dans l'interprétation de ces notions. A cet égard, la Cour
rappelle que, dans l'arrêt qu'elle a rendu en 2010 en l'affaire Dink
c. Turquie, elle a reproché a la Cour de cassation d'avoir maintenu
son interprétation. En conséquence, l'article 301 demeure une menace
pour l'exercice de la liberté d'expression. Il ressort clairement
du nombre d'enquêtes et de poursuites fondées sur cet article que
toute opinion ou idée considérée comme offensante, choquante ou
dérangeante peut aisément faire l'objet d'une enquête pénale
de la part du ministère public. A la vérité, les dispositions
censées empêcher la justice d'appliquer abusivement l'article
301 sont impuissantes a garantir l'absence de poursuites car tout
changement survenant dans la volonté politique ou dans la position
du Gouvernement peut avoir des incidences sur l'interprétation de
la loi par le ministre de la Justice et donner lieu a des poursuites
arbitraires.
La Cour conclut que, faute de prévisibilité, l'ingérence dans la
liberté d'expression du requérant n'était pas Â" prévue par la
loi Â", au mépris de l'article 10.
La Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat
de violation auquel elle est parvenue constitue une satisfaction
équitable suffisante aux fins de l'article 41.
L'arrêt n'existe qu'en anglais.
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la
Convention, cet arrêt de chambre n'est pas définitif. Dans un délai
de trois mois a compter de la date de son prononcé, toute partie peut
demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour.
En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l'affaire
mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se
saisira de l'affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande
de renvoi est rejetée, l'arrêt de chambre deviendra définitif a
la date de ce rejet.
Dès qu'un arrêt devient définitif, il est transmis au
Comité des Ministres du Conseil de l'Europe qui en surveille
l'exécution. Des renseignements supplémentaires sur le
processus d'exécution sont consultables a l'adresse suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution. 2 Voir Dink c. Turquie
(requêtes nos 2668/07, 6102/08, 30079/08, 7072/09 et 7124/09),
14.09.2010.
Stéphane
armenews.com
mercredi 26 octobre 2011
La Cour européenne des Droits de l'Homme a jugé mardi a l'unanimité
que la reconnaissance du génocide arménien ne peut pas être
criminalisée en Turquie. Le verdict découle d'une affaire portée
devant le tribunal par le célèbre érudit Taner Akcam.
Dans le cas Taner Akcam, la Cour a statué que les poursuites pénales
de la Turquie sur la question du génocide arménien constitue une
violation de l'article 10 (liberté d'expression) de la Convention
européenne des Droits de l'Homme.
Ci-joint la décision :
La législation turque expose un professeur d'histoire a la crainte
constante d'être poursuivi pour ses opinions sur les événements
de 1915 concernant la population arménienne
Dans son arrêt de chambre, non définitif(1), rendu ce jour dans
l'affaire Altug Taner Akcam c. Turquie (requête no 27520/07) la Cour
européenne des droits de l'homme dit, a l'unanimité, qu'il y a eu :
Violation de l'article 10 (liberté d'expression) de la Convention
européenne des droits de l'homme.
Le requérant, M. Taner Akcam, alléguait que la crainte d'être
poursuivi pour ses opinions sur la question arménienne le soumettait
a une tension et a une angoisse telles qu'il avait arrêté d'écrire
sur ce sujet.
Principaux faits
Le requérant, Altug Taner Akcam, possède la double nationalité
turque et allemande. Il est né en 1953 et réside a Ankara. Professeur
d'histoire, il a pour domaine de recherche les événements historiques
de 1915 concernant la population arménienne dans l'empire ottoman,
sur lesquels il a publié de nombreux articles.
Pour la République de Turquie, l'un des Etats successeurs de
l'empire ottoman, le terme Â" génocide Â" est impropre a décrire
les événements en question.
Associer le terme Â" génocide Â" a la question arménienne
revient pour certains (notamment les groupes extrémistes et
ultranationalistes) a dénigrer Â" la turcité Â" (Turkluk),
délit réprimé par l'article 301 du code pénal turc et passible
d'une peine de six mois a deux ou trois ans d'emprisonnement. Cette
disposition a fait l'objet de modifications après les controverses
suscitées par certaines affaires et enquêtes pénales dirigées
contre d'éminents écrivains et journalistes turcs - notamment Elif
Å~^afak, Orhan Pamuk et Hrant Dink2 - en raison de leurs opinions sur
la question arménienne. Parmi ces affaires figure la condamnation de
Hrant Dink, le rédacteur en chef du journal bilingue turco-arménien
AGOS, pour dénigrement de la Â" turcité Â" au sens de l'article
301 en octobre 2005. Nombreux sont ceux a penser que la raison pour
laquelle M. Dink a été pris pour cible par des extrémistes et
tué par balles en janvier 2007 est a rechercher dans le caractère
infamant de sa condamnation.
Trois importantes modifications furent apportées au texte de l'article
301, a savoir la substitution des expressions Â" nation turque Â"
et Â" Etat de la République de Turquie Â" aux termes Â" turcité
Â" et Â" République Â", la réduction de la durée maximale de la
peine d'emprisonnement encourue pour infraction a l'article 301 et,
plus récemment - en 2008 l'insertion d'une clause de sauvegarde
selon laquelle toute enquête sur un dénigrement allégué de la Â"
turcité Â" doit être autorisée par le ministre de la Justice.
Le 6 octobre 2006, le requérant publia dans l'AGOS un éditorial
critiquant les poursuites dirigées contre M. Dink. Par la suite, il
fit l'objet de trois plaintes pénales déposées par des extrémistes
qui lui reprochaient d'avoir dénigré la Â" turcité Â" en violation
de l'article 301. A la suite de la première plainte, l'intéressé
fut convoqué au parquet local pour s'expliquer. Le procureur chargé
de l'affaire décida qu'il n'y avait pas lieu de poursuivre, estimant
que les opinions de l'intéressé étaient protégées par l'article
10 de la Convention européenne. Les deux autres plaintes furent
elles aussi classées sans suite.
Le Gouvernement avance que, compte tenu des nouvelles garanties
figurant dans l'article 301 et en particulier du fait que l'ouverture
d'une enquête est désormais subordonnée a l'autorisation du ministre
de la Justice, il est improbable que le requérant fasse l'objet de
nouvelles poursuites. A cet égard, il signale que le ministre de la
Justice n'a fait droit qu'a 80 des 1025 demandes d'autorisation de
poursuivre sur le fondement de l'article 301 qui lui ont été soumises
de mai 2008 (époque a laquelle cette modification est intervenue)
a novembre 2009 (soit environ 8 % des demandes). En outre, il fait
valoir que l'intéressé ne se heurte a aucune difficulté pour mener
ses recherches, précisant que celui-ci a au contraire eu accès aux
archives nationales. Il ajoute que les ouvrages du requérant sont
largement disponibles en Turquie.
Pour sa part, le requérant avance que le pourcentage d'autorisations
préalables accordées par le ministre de la Justice est beaucoup
plus élevé, et qu'elles concernent principalement des poursuites
dirigées contre des journalistes mettant en cause la liberté
d'expression. Il produit des statistiques établies par l'Office de
surveillance des médias de l'Independent Communications Network sur
la période juillet-septembre 2008, selon lesquelles 116 personnes au
total, dont 77 journalistes, ont été poursuivies dans 73 affaires
de liberté d'expression.
Il soutient en outre que les plaintes pénales dirigées contre
lui en raison de ses opinions se sont transformées en campagne de
harcèlement, les médias le présentant comme un Â" traître Â"
et un Â" espion allemand Â". Il indique avoir aussi recu des lettres
haineuses l'insultant et le menacant de mort.
Il avance enfin que sa crainte bien réelle d'être poursuivi a non
seulement pesé sur ses activités professionnelles - il précise
a cet égard qu'il a cessé d'écrire sur la question arménienne
après avoir introduit sa requête devant la Cour en juin 2007 -
mais lui a aussi causé des tensions et une angoisse considérables.
Griefs, procédure et composition de la Cour
Invoquant l'article 10 (liberté d'expression), l'intéressé allègue
que le Gouvernement ne peut lui garantir qu'il ne fera pas l'objet
d'une enquête et de poursuites pour ses opinions sur la question
arménienne.
Il soutient en outre que, en dépit de la modification apportée en mai
2008 a l'article 301 et des assurances du Gouvernement, la justice n'a
de cesse de poursuivre les personnes reconnaissant le Â" génocide Â"
arménien. Il ajoute que le Gouvernement a maintenu pour l'essentiel
sa politique sur la question arménienne et qu'il est impossible de
prévoir avec certitude comment cette politique évoluera.
La requête a été introduite devant la Cour européenne des droits
de l'homme le 21 juin 2007.
L'arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Francoise Tulkens (Belgique), PRÃ~ISIDENTE,
DanutÄ- JoÄ~MienÄ- (Lituanie),
David Thór Björgvinsson (Islande),
Dragoljub PopoviÄ~G (Serbie),
András Sajó (Hongrie),
IÅ~_ıl KarakaÅ~_ (Turquie),
Guido Raimondi (Italie), JUGES,
ainsi que de Stanley Naismith, GREFFIER DE SECTION.
Décision de la Cour
La Cour estime qu'il y a eu Â" ingérence Â" dans la liberté
d'expression du requérant.
L'enquête pénale dirigée contre celui-ci, la position adoptée
par les juridictions turques sur la question arménienne dans les
affaires où elles font application de l'article 301 du code pénal
turc - consistant en pratique a sanctionner toute critique de la
politique officielle sur ce point - ainsi que la campagne publique
menée contre l'intéressé confirment que les personnes exprimant des
opinions Â" intempestives Â" sur cette question s'exposent a un risque
considérable de poursuites et donnent a penser que la menace pesant
sur le requérant est réelle. Les mesures adoptées pour introduire
des garanties contre des poursuites arbitraires ou injustifiées sur le
fondement de l'article 301 ne sont pas suffisantes. Les informations
statistiques fournies par le Gouvernement démontrent la persistance
d'un nombre élevé d'enquêtes, et le requérant soutient que ce
nombre est encore plus important. Le Gouvernement n'a pas fourni
d'explications sur l'objet ou la nature des affaires ayant donné
lieu a une autorisation d'enquêter délivrée par le ministre de
la Justice.
En outre, la Cour souscrit a l'avis exprimé par le Commissaire aux
droits de l'homme du Conseil de l'Europe, M. Thomas Hammarberg, dans
un rapport où celui-ci a indiqué qu'un dispositif d'autorisation
préalable au cas par cas par le ministre de la Justice ne constituait
pas une solution durable susceptible de se substituer a l'incorporation
des normes pertinentes de la Convention dans le système et la pratique
juridiques turcs.
En outre, la Cour estime que si l'on peut admettre dans une certaine
mesure que l'objectif du législateur consistant a protéger et
a préserver les valeurs et les institutions de l'Etat contre le
dénigrement public est légitime, le libellé de l'article 301 du
code pénal, tel qu'interprété par la justice, est excessivement
large et vague et ne permet pas aux individus de régler leur
conduite ou de prévoir les conséquences de leurs actes. Bien
que les autorités turques aient substitué l'expression Â" nation
turque Â" au terme Â" turcité Â", il n'y a apparemment pas eu de
changement dans l'interprétation de ces notions. A cet égard, la Cour
rappelle que, dans l'arrêt qu'elle a rendu en 2010 en l'affaire Dink
c. Turquie, elle a reproché a la Cour de cassation d'avoir maintenu
son interprétation. En conséquence, l'article 301 demeure une menace
pour l'exercice de la liberté d'expression. Il ressort clairement
du nombre d'enquêtes et de poursuites fondées sur cet article que
toute opinion ou idée considérée comme offensante, choquante ou
dérangeante peut aisément faire l'objet d'une enquête pénale
de la part du ministère public. A la vérité, les dispositions
censées empêcher la justice d'appliquer abusivement l'article
301 sont impuissantes a garantir l'absence de poursuites car tout
changement survenant dans la volonté politique ou dans la position
du Gouvernement peut avoir des incidences sur l'interprétation de
la loi par le ministre de la Justice et donner lieu a des poursuites
arbitraires.
La Cour conclut que, faute de prévisibilité, l'ingérence dans la
liberté d'expression du requérant n'était pas Â" prévue par la
loi Â", au mépris de l'article 10.
La Cour estime que, dans les circonstances de l'espèce, le constat
de violation auquel elle est parvenue constitue une satisfaction
équitable suffisante aux fins de l'article 41.
L'arrêt n'existe qu'en anglais.
1 Conformément aux dispositions des articles 43 et 44 de la
Convention, cet arrêt de chambre n'est pas définitif. Dans un délai
de trois mois a compter de la date de son prononcé, toute partie peut
demander le renvoi de l'affaire devant la Grande Chambre de la Cour.
En pareil cas, un collège de cinq juges détermine si l'affaire
mérite plus ample examen. Si tel est le cas, la Grande Chambre se
saisira de l'affaire et rendra un arrêt définitif. Si la demande
de renvoi est rejetée, l'arrêt de chambre deviendra définitif a
la date de ce rejet.
Dès qu'un arrêt devient définitif, il est transmis au
Comité des Ministres du Conseil de l'Europe qui en surveille
l'exécution. Des renseignements supplémentaires sur le
processus d'exécution sont consultables a l'adresse suivante :
http://www.coe.int/t/dghl/monitoring/execution. 2 Voir Dink c. Turquie
(requêtes nos 2668/07, 6102/08, 30079/08, 7072/09 et 7124/09),
14.09.2010.