TURQUIE : LES JOURNALISTES PRIS EN OTAGE DANS L'OFFENSIVE CONTRE LE PKK
Source/Lien : Reporters Sans Frontières
Publie le : 28-10-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire cette information publiee sur le site des Reporters
Sans Frontières le 26 octobre 2011.
Alors que l'offensive militaire s'intensifie dans l'est de la Turquie
et jusque dans les pays voisins, la presse est plus que jamais prise en
otage dans l'affrontement entre les autorites et les rebelles kurdes du
PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit). Procès en cascade,
detentions prolongees, et maintenant directives gouvernementales a
destination de la presse... L'amalgame entre combattants rebelles et
journalistes abordant la question kurde d'un point de vue critique
se perpetue, au nom de la lutte antiterroriste.
Parallèlement, les inquietudes montent quant a la volonte du
gouvernement de contrôler l'information sur l'offensive en cours.
En prison pour une interview ?
La justice turque persiste a assimiler a de la " propagande ", un crime
passible de plusieurs annees d'emprisonnement, le fait de publier
des interviews de membres du PKK. Et ce, meme si le commentaire qui
en est fait est loin d'etre elogieux.
La journaliste du quotidien liberal Taraf, Nese Duzel, et son redacteur
en chef Adnan Demir, sont ainsi poursuivis du fait de deux reportages
publies en avril 2010, qui contenaient des interviews d'anciens
dirigeants du PKK, Zubeyir Aydar et Remzi Kartal. Le 14 octobre,
le procureur de la 11e chambre de la cour d'Assises d'Istanbul a
requis sept ans et demi d'emprisonnement. La prochaine audience doit
se tenir le 9 decembre. Le meme tribunal continuera d'instruire, le
26 octobre, le procès du journaliste Ertugrul Mavioglu. Ce dernier
est poursuivi pour un reportage publie en octobre 2010 dans Radikal,
et qui contenait une interview d'un responsable du KCK (Union des
communautes du Kurdistan, decrite comme la branche urbaine du PKK),
Murat Karayilan.
Sept ans et demi de prison sont egalement requis contre Recep
Okuyucu, correspondant de Taraf dans la province de Batman (Sud-Est)
et redacteur en chef du journal local Batman Medya. Le parquet de
Diyarbakir (Sud-Est) lui reproche notamment de s'etre connecte 53 848
fois au site de l'Agence de presse Euphrate (ANF, www.firatnews.org),
bloque par les autorites qui le considèrent comme un relais du PKK. Le
journaliste s'est defendu en rappelant que sa profession l'obligeait
a se connecter chaque jour aux sites les plus divers.
Recours massif a la detention preventive
Le chroniqueur et ancien directeur de la publication du quotidien
en langue kurde Azadiya Welat, Tayyip Temel, a ete interpelle le 4
octobre a Diyarbakir, puis place en detention. Il a ete interroge
pendant 15 heures par sept procureurs dotes de pouvoirs speciaux,
avec 35 autres personnes suspectees d'appartenir au KCK.
Des charges ont enfin ete presentees, fin septembre, contre deux
journalistes de l'agence de presse pro-kurde Diha (Dicle Haber Ajansi)
incarceres depuis le 15 avril. Kadri Kaya, chef du bureau de l'agence a
Diyarbakir, et Erdogan Alkan, correspondant a Batman, sont passibles de
vingt ans de prison pour " collaboration " avec le PKK et " propagande
" en faveur de cette organisation. Ils comparaitront pour la première
fois devant la 7e chambre de la cour d'Assises de Diyarbakir le
2 novembre. On leur reproche essentiellement leur couverture des
operations armees turques et des manifestations kurdes.
Erdogan Alkan est egalement mis en cause pour avoir couvert le procès
d'un " gardien de village " (membre d'une milice paramilitaire locale
associee a l'armee turque), accuse d'abus sexuel sur un mineur
a Batman. Couverture dont le but etait, selon l'accusation, de "
rabaisser la place des forces de l'ordre aux yeux de la societe ".
Le correspondant de Diha a Mersin, Aydin Yildiz, a ete interpelle le
1er octobre alors qu'il sortait des locaux du quotidien pro-kurde
Ozgur Gundem. Transfere a Gaziantep pour interrogatoire, il a ete
place en detention, tout comme l'editeur du quotidien, Kazim Seker,
interpelle le 4 octobre a Istanbul. La directrice de publication
d'Ozgur Gundem, Eren Keskin, par ailleurs avocate, a ete sanctionnee
par un " avertissement " du barreau d'Istanbul pour avoir evoque le "
Kurdistan " dans une conference prononcee... en 2004. Le barreau a pris
cette decision suite a la condamnation de la journaliste a dix mois de
prison avec sursis et une amende de 3000 LT (1200 ~@) par un tribunal
d'Urfa (Sud-Est), confirmee par la Cour de cassation en mai 2010.
Dans un entretien a Radikal le 11 octobre, le ministre en charge
des negociations avec l'Union europeenne, Egemen Bagis, a affirme
que le gouvernement etait lui aussi gene par le recours excessif de
la justice turque a la detention provisoire. D'après lui, le premier
ministre Recep Tayyip Erdogan aurait demande au gouvernement de faire
des recherches sur l'usage de la detention provisoire en Europe afin
d'elaborer des recommandations. " Limiter la detention provisoire
figure depuis longtemps parmi nos principales recommandations aux
autorites turques, a declare Reporters sans frontières. Nous saluons
l'initiative du gouvernement en la matière, qui pourrait constituer
un tournant important. Les actes doivent maintenant suivre les
engagements, et ce, dans toutes les regions du pays. "
La couverture des manifestations criminalisee
Emine Altinkaya, reporter pour Diha a Ankara, a ete remise en liberte
fin septembre dans l'attente de son jugement, après dix mois de
detention preventive. Elle avait ete interpellee le 27 novembre
2010 alors qu'elle couvrait une manifestation dans la capitale. Le
jugement de deux correspondants de Diha a Istanbul, Safiye Alagas et
Olcay Kizilpinar, accuses de " collaboration " avec le PKK, doit aussi
etre rendu prochainement. Ils avaient ete interpelles en marge d'une
marche organisee par le candidat du BDP (parti pro-kurde, autorise)
Sirri Sureyya Onder, le 30 juillet. Leurs appareils photo ainsi que
leurs telephones portables, cartes SIM, cles USM et un ordinateur
portable sont retenus comme pièces a conviction.
Directives gouvernementales pour la presse
Plusieurs associations professionnelles turques ont vivement critique
la rencontre organisee par Recep Tayyip Erdogan avec les proprietaires
et directeurs de la publication de plusieurs medias nationaux, le
21 octobre. Le premier ministre a incite les journalistes a faire
preuve de recul dans leur couverture du conflit, a ne pas relayer
la propagande du PKK, et a prendre en compte les consequences de
leur travail.
Plus inquietant, cinq des principales agences de presse turques ont
annonce, dans un communique joint publie le 24 octobre, qu'elles
s'engageaient a obtemperer : " Des principes communs ont ete adoptes
concernant la couverture des incidents terroristes ", ont declare
l'Agence Anatolie (AA), AHT, ANKA, CIHAN et IHA. En particulier,
elles s'engagent a " prendre en compte l'ordre public ", " garder une
certaine distance par rapport aux interpretations donnant raison a la
peur, au chaos, a l'hostilite, a la panique et a l'intimidation ",
" ne pas inclure dans [leurs] publications de propagande pour des
organisations illegales ", et surtout, " se conformer aux interdits
de publication des autorites competentes ". " Les informations et
les images seront transmises aux abonnes en tenant compte de leur
utilite sociale et de la solidarite ", est-il encore precise.
" On esperait que l'epoque où les autorites donnaient aux medias des
directives pour la couverture des sujets les plus sensibles etait
revolue en Turquie. L'engagement des principales agences de presse
a observer la ligne officielle, dans une formulation extremement
vague, fait aujourd'hui peser de serieuses menaces sur la liberte
de l'information, a declare Reporters sans frontières. Les agences,
chargees de fournir en contenu l'ensemble des medias, vont-elles
de leur plein gre participer au black-out ? Minimiser l'ampleur
des pertes humaines ou passer sous silence certaines operations ne
servira qu'a accroître la mefiance envers les medias. Une information
complète et objective sur la situation a l'est du pays est un prealable
indispensable pour parvenir a une solution pacifique de la question
kurde ".
Dans ce contexte, l'accord securitaire entre Paris et Ankara signe le
7 octobre 2011, dont le ministre de l'Interieur Claude Gueant assure
qu'il " va bien au-dela des accords que la France signe habituellement
dans le domaine de la securite ", suscite des interrogations. "
Nous esperons que les autorites francaises feront preuve de plus de
discernement que leurs homologues turcs en matière de lutte contre
le terrorisme. Nous les appelons a ne pas ceder a l'approche confuse
et repressive d'Ankara, qui multiplie les victimes collaterales y
compris parmi les journalistes ", a declare Reporters sans frontières.
Source/Lien : Reporters Sans Frontières
Publie le : 28-10-2011
Info Collectif VAN - www.collectifvan.org - Le Collectif VAN vous
invite a lire cette information publiee sur le site des Reporters
Sans Frontières le 26 octobre 2011.
Alors que l'offensive militaire s'intensifie dans l'est de la Turquie
et jusque dans les pays voisins, la presse est plus que jamais prise en
otage dans l'affrontement entre les autorites et les rebelles kurdes du
PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan, interdit). Procès en cascade,
detentions prolongees, et maintenant directives gouvernementales a
destination de la presse... L'amalgame entre combattants rebelles et
journalistes abordant la question kurde d'un point de vue critique
se perpetue, au nom de la lutte antiterroriste.
Parallèlement, les inquietudes montent quant a la volonte du
gouvernement de contrôler l'information sur l'offensive en cours.
En prison pour une interview ?
La justice turque persiste a assimiler a de la " propagande ", un crime
passible de plusieurs annees d'emprisonnement, le fait de publier
des interviews de membres du PKK. Et ce, meme si le commentaire qui
en est fait est loin d'etre elogieux.
La journaliste du quotidien liberal Taraf, Nese Duzel, et son redacteur
en chef Adnan Demir, sont ainsi poursuivis du fait de deux reportages
publies en avril 2010, qui contenaient des interviews d'anciens
dirigeants du PKK, Zubeyir Aydar et Remzi Kartal. Le 14 octobre,
le procureur de la 11e chambre de la cour d'Assises d'Istanbul a
requis sept ans et demi d'emprisonnement. La prochaine audience doit
se tenir le 9 decembre. Le meme tribunal continuera d'instruire, le
26 octobre, le procès du journaliste Ertugrul Mavioglu. Ce dernier
est poursuivi pour un reportage publie en octobre 2010 dans Radikal,
et qui contenait une interview d'un responsable du KCK (Union des
communautes du Kurdistan, decrite comme la branche urbaine du PKK),
Murat Karayilan.
Sept ans et demi de prison sont egalement requis contre Recep
Okuyucu, correspondant de Taraf dans la province de Batman (Sud-Est)
et redacteur en chef du journal local Batman Medya. Le parquet de
Diyarbakir (Sud-Est) lui reproche notamment de s'etre connecte 53 848
fois au site de l'Agence de presse Euphrate (ANF, www.firatnews.org),
bloque par les autorites qui le considèrent comme un relais du PKK. Le
journaliste s'est defendu en rappelant que sa profession l'obligeait
a se connecter chaque jour aux sites les plus divers.
Recours massif a la detention preventive
Le chroniqueur et ancien directeur de la publication du quotidien
en langue kurde Azadiya Welat, Tayyip Temel, a ete interpelle le 4
octobre a Diyarbakir, puis place en detention. Il a ete interroge
pendant 15 heures par sept procureurs dotes de pouvoirs speciaux,
avec 35 autres personnes suspectees d'appartenir au KCK.
Des charges ont enfin ete presentees, fin septembre, contre deux
journalistes de l'agence de presse pro-kurde Diha (Dicle Haber Ajansi)
incarceres depuis le 15 avril. Kadri Kaya, chef du bureau de l'agence a
Diyarbakir, et Erdogan Alkan, correspondant a Batman, sont passibles de
vingt ans de prison pour " collaboration " avec le PKK et " propagande
" en faveur de cette organisation. Ils comparaitront pour la première
fois devant la 7e chambre de la cour d'Assises de Diyarbakir le
2 novembre. On leur reproche essentiellement leur couverture des
operations armees turques et des manifestations kurdes.
Erdogan Alkan est egalement mis en cause pour avoir couvert le procès
d'un " gardien de village " (membre d'une milice paramilitaire locale
associee a l'armee turque), accuse d'abus sexuel sur un mineur
a Batman. Couverture dont le but etait, selon l'accusation, de "
rabaisser la place des forces de l'ordre aux yeux de la societe ".
Le correspondant de Diha a Mersin, Aydin Yildiz, a ete interpelle le
1er octobre alors qu'il sortait des locaux du quotidien pro-kurde
Ozgur Gundem. Transfere a Gaziantep pour interrogatoire, il a ete
place en detention, tout comme l'editeur du quotidien, Kazim Seker,
interpelle le 4 octobre a Istanbul. La directrice de publication
d'Ozgur Gundem, Eren Keskin, par ailleurs avocate, a ete sanctionnee
par un " avertissement " du barreau d'Istanbul pour avoir evoque le "
Kurdistan " dans une conference prononcee... en 2004. Le barreau a pris
cette decision suite a la condamnation de la journaliste a dix mois de
prison avec sursis et une amende de 3000 LT (1200 ~@) par un tribunal
d'Urfa (Sud-Est), confirmee par la Cour de cassation en mai 2010.
Dans un entretien a Radikal le 11 octobre, le ministre en charge
des negociations avec l'Union europeenne, Egemen Bagis, a affirme
que le gouvernement etait lui aussi gene par le recours excessif de
la justice turque a la detention provisoire. D'après lui, le premier
ministre Recep Tayyip Erdogan aurait demande au gouvernement de faire
des recherches sur l'usage de la detention provisoire en Europe afin
d'elaborer des recommandations. " Limiter la detention provisoire
figure depuis longtemps parmi nos principales recommandations aux
autorites turques, a declare Reporters sans frontières. Nous saluons
l'initiative du gouvernement en la matière, qui pourrait constituer
un tournant important. Les actes doivent maintenant suivre les
engagements, et ce, dans toutes les regions du pays. "
La couverture des manifestations criminalisee
Emine Altinkaya, reporter pour Diha a Ankara, a ete remise en liberte
fin septembre dans l'attente de son jugement, après dix mois de
detention preventive. Elle avait ete interpellee le 27 novembre
2010 alors qu'elle couvrait une manifestation dans la capitale. Le
jugement de deux correspondants de Diha a Istanbul, Safiye Alagas et
Olcay Kizilpinar, accuses de " collaboration " avec le PKK, doit aussi
etre rendu prochainement. Ils avaient ete interpelles en marge d'une
marche organisee par le candidat du BDP (parti pro-kurde, autorise)
Sirri Sureyya Onder, le 30 juillet. Leurs appareils photo ainsi que
leurs telephones portables, cartes SIM, cles USM et un ordinateur
portable sont retenus comme pièces a conviction.
Directives gouvernementales pour la presse
Plusieurs associations professionnelles turques ont vivement critique
la rencontre organisee par Recep Tayyip Erdogan avec les proprietaires
et directeurs de la publication de plusieurs medias nationaux, le
21 octobre. Le premier ministre a incite les journalistes a faire
preuve de recul dans leur couverture du conflit, a ne pas relayer
la propagande du PKK, et a prendre en compte les consequences de
leur travail.
Plus inquietant, cinq des principales agences de presse turques ont
annonce, dans un communique joint publie le 24 octobre, qu'elles
s'engageaient a obtemperer : " Des principes communs ont ete adoptes
concernant la couverture des incidents terroristes ", ont declare
l'Agence Anatolie (AA), AHT, ANKA, CIHAN et IHA. En particulier,
elles s'engagent a " prendre en compte l'ordre public ", " garder une
certaine distance par rapport aux interpretations donnant raison a la
peur, au chaos, a l'hostilite, a la panique et a l'intimidation ",
" ne pas inclure dans [leurs] publications de propagande pour des
organisations illegales ", et surtout, " se conformer aux interdits
de publication des autorites competentes ". " Les informations et
les images seront transmises aux abonnes en tenant compte de leur
utilite sociale et de la solidarite ", est-il encore precise.
" On esperait que l'epoque où les autorites donnaient aux medias des
directives pour la couverture des sujets les plus sensibles etait
revolue en Turquie. L'engagement des principales agences de presse
a observer la ligne officielle, dans une formulation extremement
vague, fait aujourd'hui peser de serieuses menaces sur la liberte
de l'information, a declare Reporters sans frontières. Les agences,
chargees de fournir en contenu l'ensemble des medias, vont-elles
de leur plein gre participer au black-out ? Minimiser l'ampleur
des pertes humaines ou passer sous silence certaines operations ne
servira qu'a accroître la mefiance envers les medias. Une information
complète et objective sur la situation a l'est du pays est un prealable
indispensable pour parvenir a une solution pacifique de la question
kurde ".
Dans ce contexte, l'accord securitaire entre Paris et Ankara signe le
7 octobre 2011, dont le ministre de l'Interieur Claude Gueant assure
qu'il " va bien au-dela des accords que la France signe habituellement
dans le domaine de la securite ", suscite des interrogations. "
Nous esperons que les autorites francaises feront preuve de plus de
discernement que leurs homologues turcs en matière de lutte contre
le terrorisme. Nous les appelons a ne pas ceder a l'approche confuse
et repressive d'Ankara, qui multiplie les victimes collaterales y
compris parmi les journalistes ", a declare Reporters sans frontières.