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Aznavour Aujourd'hui encore

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    Le Monde, France
    2 septembre 2011 vendredi

    Aznavour Aujourd'hui encore

    par Véronique Mortaigne


    A 87 ans, Charles Aznavour est un hyperactif. Concerts, nouvel album,
    livre, le plus célèbre des chanteurs français a une rentrée chargée.
    Sans compter la production d'huile d'olive de son domaine des
    Alpilles. Rencontre

    Chaque année, comme beaucoup de propriétaires fortunés ou
    médiatiquement exposés ayant acquis mas et demeures dans les Alpilles,
    Charles Aznavour apporte ses olives au moulin Jean-Marie Cornille de
    Maussane, coopérative oléicole de la vallée des Baux
    (Bouches-du-Rhône). Les fruits ont été cueillis à la main, sur des
    arbres durement sélectionnés, plantés à terme. A 87 ans révolus, le
    plus célèbre des chanteurs français a bien droit à un hobby. L'huile
    est fine. Elle est chèrement vendue aux grands cuisiniers, mais aussi
    chez Pamplemousse, le marchand de fruits et légumes de Mouriès
    (Bouches-du-Rhône).

    Sur l'étiquette figure la signature calligraphiée, comme sur les
    affiches de ce music-hall qui lui doit tant : le A majuscule, et le Z
    à la queue élégante et amplifiée. Charles Aznavour, qui a également
    une belle cave, conseille d'acheter son huile en bidon, la formule la
    plus économique.

    " En un tour de chant, je gagne davantage qu'en un an d'olives ",
    relativise l'artiste. Pour préparer sa rentrée - l'Olympia à partir du
    7 septembre, un nouvel album, intitulé Toujours (EMI), arrangé par le
    Brésilien Eumir Deodato, D'une porte à l'autre, un deuxième livre de
    souvenirs publiés aux éditions Don Quichotte (168 p., 14,90 ¤) -, le
    nouveau paysan provençal a fait venir à lui les journalistes pendant
    l'été. Il les accueille seul sur le seuil, portant chemise jaune serin
    et pantalon beige, des couleurs identiques à celles des murs de sa
    propriété. C'est la différence Aznavour. Ce soin du détail, ce travail
    pre, cette constante construction btie sur un credo : " On pense que
    je ne suis rien, je suis tout. "

    Charles Aznavour, qui vit officiellement en Suisse, sur les bords du
    lac Léman, signifie avec une sorte d'instinct du chasseur que l'on
    peut tout recommencer tout le temps ; que si le grand ge déforme les
    mains à force de rhumatismes, s'il réduit les capacités auditives,
    s'il entrave le pas, il n'émousse pas l'envie.

    Regard droit, fière allure, Charles Aznavour a fait de l'huile son
    nouvel argument identitaire. Il veut bien faire visiter son domaine
    dans une voiture électrique, et reçoit dans son " refuge ", aménagé
    dans une aile de la maison. En le décorant au cordeau, Charles
    Aznavour a composé son portrait : au mur, des disques d'or, " dont
    certains partiront au Musée Aznavour d'Erevan en Arménie ", font face
    à une grande affiche d'Yvette Guilbert, l'me du music-hall moderne et
    à deux tars (luths), un iranien, un arménien. Le grand ruban rouge et
    jaune ? " Une décoration que j'ai dû gagner à la Fête de la truffe,
    près d'ici. Quand je suis là, je réponds aux invitations. "

    Aznavour aime Broadway, Aznavour aime la France, " pays sublime ", en
    détail, et adorerait, dit-il, refaire une grande tournée partout, dans
    des petits lieux - parce que si on avait entendu dire en 2009, en 2010
    et en 2011, qu'il faisait ses adieux à la scène, c'est que l'on est
    sourd et de mauvaise foi, il ne l'a " jamais ! " dit. Que ne va pas
    inventer la presse ! Elle aurait mieux fait de commenter son récital
    de la place Saint-Marc, à Venise, en avril. " Mais pas un mot ",
    proteste l'homme qui fait toutes les " unes " de la rentrée. C'est un
    vieux contentieux.

    La douceur généreuse des Alpilles, Charles Aznavour l'a découverte à
    peine adolescent " en tournée, avec Les Cigalounettes - la troupe
    d'enfants montée par l'artiste lyrique parisien Prior qui avait
    embauché Charles et sa soeur Aïda en 1936 - . Puis, j'y suis revenu
    bien plus tard pour le tournage de la série "Le Paria", de Denys de La
    Patellière. Le bistrot du Paradou était notre QG. Puis, Jacques Pessis
    - critique de variétés - qui avait une maison par ici, m'a signalé
    celle-ci ". L'entrepreneur du spectacle précise que la propriété
    faisait 4 000 m2, qu'elle en fait aujourd'hui 40 000. Qu'il a planté,
    capté des sources d'eau pure, et qu'il a eu " de bons maçons, turcs -
    il va bien falloir qu'on se réconcilie ".

    Il fait chaud. L'hôte offre à boire, du guarana en cannette, soda
    populaire brésilien, qui tient son nom d'une plante amazonienne
    revigorante, et dont il a réussi à imposer la commande régulière à
    l'épicerie du village. Charles Aznavour est le chanteur français le
    plus universel : il a tellement voyagé ! La table basse est faite de "
    deux fenêtres arabes en bois sculpté ". La semaine passée, lui, sa
    famille, ses éditeurs (deux livres à venir), ses amis musiciens, ont
    éclusé douze excellentes bouteilles de porto. Le patriarche - six
    enfants, trois petits-enfants - avoue qu'il a été parfois homme mère,
    quand sa femme Ulla, " quarante-six ans de mariage ", partait en
    vacances en Suède où elle est née. " Mais elle a été une femme père,
    qui avait accepté d'épouser un homme en action, qui n'est jamais là. "

    Le ying marié au yang, l'animus enlaçant l'anima, voilà cet Aznavour
    si féminin, si séducteur, l'homme à la lippe gourmande qui, lorsqu'il
    chante Les Plaisirs démodés, se met dos au public, seul sous la
    lumière, pour danser sensuellement, les mains collées aux épaules,
    comme si elles étaient celles de l'aimée. C'est aussi avec une lenteur
    jouissive que l'huile de Charles Aznavour est distillée, goutte à
    goutte. Depuis Après l'amour, qui fit scandale en 1956 - draps
    froissés, membres lourds - jusqu'aux couplets lascifs des années 1990,
    Charles Aznavour n'a cessé de décliner la volupté et l'usure, les
    caresses et les déchirures.

    C'est en 1924 que les Aznavourian, un couple d'Arméniens apatrides,
    arrivent dans la capitale française. Aïda, leur fille aînée, est née
    en 1923 à Salonique. Ils ont fui après le génocide perpétré par les
    Turcs contre les Arméniens pendant l'hiver 1914-1915. Le père, Mischa,
    Géorgien, n'a pas été inquiété, la mère, Knar, est, avec sa
    grand-mère, la seule rescapée de la famille. Ils attendent à Paris un
    visa pour les Etats-Unis. En naissant le 22 mai 1924, Vaneragh
    Aznavourian (réduit à Charles Aznavour par l'intéressé) les fixe en
    France. Charles Aznavour a découvert l'Arménie tardivement, en 1963,
    s'est ensuite engagé pour la paix et le pardon, jusqu'à devenir
    ambassadeur d'Arménie en Suisse.

    " Mes enfants sont suisses, moi je n'ai pas changé de nationalité car
    la France a apporté à ma famille sa patrie. C'est vrai que je me sens
    méditerranéen, je ne suis pas né arménien, je suis né ici, et je suis
    proche de l'immigration, si je peux aider, je le fais. " Il a la cote
    chez les enfants métis de France, chez les rappeurs, les slameurs, "
    qui ont renoué avec l'écriture dans le rythme ", dit ce grand auteur
    de la chanson française, remarquable par la précision poétique de ses
    mots.

    Charles Aznavour peut nous faire le coup de l'huile d'olive, on
    l'écoute, on goûte, parce que cet homme-là est un modèle de travail.
    Au début des années 1950, il annonce à son éditeur musical, Raoul
    Breton, qu'il jette l'éponge, parce que " pas de voix, pas de
    physique, pas de chance ". Raoul Breton insiste. Charles Aznavour se
    met à écrire pour d'autres (Piaf, Gréco, Bécaud, etc.). En quelques
    années, la France est totalement aznavourienne : il n'est pas un tour
    de chant dans lequel ne se trouve au minimum une chanson écrite par
    lui. Mais lorsqu'il se présente sur scène, il se heurte à des regards
    dédaigneux : son physique, sa voix, jugée " ingrate ". Les
    chansonniers le baptisent " qu'a l'son court ", se moquent de sa
    petite taille. Il prend des leçons de chant. En tendre amie et mentor,
    Edith Piaf lui conseille - lui impose - une intervention de chirurgie
    esthétique pour se faire raccourcir le nez.

    Toujours sans contrat, il encaisse, chante à l'entracte dans les
    salles de cinéma, au Crazy Horse Saloon, n'importe où, dans les
    cabarets, chez Patachou, à Montmartre. Il travaille. Au début des
    années 1960, pour ses tours de chant, il met au point une technique "
    à l'américaine " : c'est en chantant sa première chanson (souvent Je
    m'voyais déjà) qu'il finissait de s'habiller. Il nouait sa cravate, il
    enfilait sa veste.

    Le succès arrive, et il n'y a pas de meilleure thérapie contre le
    complexe. Vaneragh Aznavourian écrit Tu te laisses aller, Il faut
    savoir, Trousse-Chemise, Les Comédiens, For me formidable, Et
    pourtant... mais il n'est pas satisfait. La presse britannique
    continue de le surnommer " Aznovoice ". Lui veut être numéro un
    partout, à Rio, à New York, à Moscou.

    Dans son salon de Mouriès trône la statue en pltre d'un gamin noir,
    déluré, rigolard, malin, très jazzy. En passant, l'Arménien de France
    le regarde comme un miroir. En 1963, entraîné par la réputation du
    film de François Truffaut, Tirez sur le pianiste, il triomphe à New
    York. Charles Aznavour valait 4 000, il vaudra 40 000 : il investit
    sur lui-même, comme plus tard sur ses oliviers, il multiplie sa valeur
    par dix.

    Personne ne l'attend aux Etats-Unis, il travaille. A son arrivée, il
    placarde des affiches à travers la ville pour annoncer son spectacle.
    Eddie Barclay, son nouveau producteur, amène en avion depuis Paris une
    centaine de personnes, pour la première au Carnegie Hall.

    Charles Aznavour apporte cent trente bouteilles de champagne français,
    " en bon ambassadeur ". Il déduit ces frais généraux de ses impôts,
    tout comme les mouchoirs qu'il jette chaque fois au public à la fin de
    La Bohème. En 1972, le fisc lui tombe dessus, pour cela et d'autres
    choses. " C'est une banque suisse qui m'a prêté de l'argent pour que
    je remonte la pente. J'ai pris douze musiciens anglais et j'ai fait le
    tour du monde, j'ai mis quinze ans pour être à l'aise. Je suis
    optimiste. "

    Charles Aznavour ne l'a toujours pas avalé. Il précise qu'il travaille
    en France et y paie les impôts de sa société d'édition, Raoul Breton
    (Piaf, Trenet, Grand Corps Malade, etc.). Il est contre les
    profiteurs, pour la taxation des hauts revenus (" 3 % n'est pas
    suffisant ", a-t-il déclaré sur RTL fin août). La TVA sur l'huile
    d'olive est de 5,5 %, le disque est toujours soumis au taux de 19,6 %.

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