Tribune de Genève, Suisse
23 sept 2011
1991?L'Arménie s'émancipe et gagne son indépendance
| Elle avait à peine 15?ans. La délivrance était semée d'embûches,
mais Astrig Marandjian, alors scotchée devant sa télé, s'en souvient
comme d'un rêve
Feriel Mestiri | 23.09.2011 | 23:59
Elle a quitté son pays il y a trois ans pour s'installer sur les rives
du Léman. A notre grande surprise, Astrig Marandjian, 35?ans,
s'exprime dans un français parfait, coloré d'un léger accent dont on
ne saurait identifier la provenance. Elle se présente devant le Centre
arménien de Genève, qui fête ce week-end les 20?ans de l'indépendance
de l'Arménie. Au programme, manifestations culturelles, lectures de
contes pour enfants, puis soirée dansante avec DJ. Un moment bien plus
festif, selon elle, que le jour J, en 1991. Ce dernier était «une
formalité sans surprise». En effet, l'éclatement de l'URSS a provoqué
de fait l'indépendance de l'Arménie. Mais cette «formalité» a été
l'aboutissement de nombreux meetings et le commencement de sérieuses
revendications. Et ce sont ces moments qui se sont forgés dans sa
mémoire.
C'est en 1987 que l'Arménie a commencé Ã évoquer un rattachement avec
le Karabagh, une enclave au sud-ouest de l'Azerbaïdjan peuplée
majoritairement d'Arméniens. «A ce moment, nous avons commencé Ã
parler d'indépendance. C'est pour cela qu'on prétend être les
précurseurs de la chute de l'Union soviétique», ironise-t-elle. Ses
parents l'emmènent avec ses deux frères aînés aux meetings. Et malgré
son jeune âge (11?ans), elle en devine les enjeux, qu'elle compare Ã
ceux des jeunes de la révolution arabe: «Nous avions les mêmes idéaux,
nous voulions nous débarrasser du totalitarisme. Sans réellement
comprendre ce que c'était.» Scotchée devant la télé, Astrig écoute les
discours des représentants du mouvement nationaliste. «Je pleurais
quand notre futur président prenait la parole. Nous en étions tous
amoureux.» Pourtant, elle n'a pas réellement connu le quotidien du
régime soviétique. «J'étais trop jeune. L'indépendance, je la vivais
comme un rêve, sans penser à ce qu'il y aurait après.»
Guerre et tremblement de terre
En décembre 1988, un séisme dévaste la quasi-totalité de sa ville,
Gumri. Ses deux parents y perdent la vie. Elle sera recueillie par son
oncle. En parallèle, la guerre pour le Karabagh éclate entre l'Arménie
et l'Azerbaïdjan. «Le processus d'indépendance était chamboulé. Un
blocus a été imposé par la Turquie, pays voisin et grand frère de
l'Azerbaïdjan. Ils nous ont coupé le gaz, l'électricité, le chauffage¦
Nous n'avions plus rien. Nous recevions une aide alimentaire. Il y
avait des haricots qu'on ne pouvait pas cuire, ou seulement pendant
les deux heures quotidiennes d'électricité. Toute la journée, mes
frères faisaient la queue à tour de rôle pour du pain.» Et cette
situation surréaliste a duré trois ans. «Il y avait une grande
solidarité. Par exemple, lorsque le trolleybus tombait en panne de
courant, les hommes descendaient pour le pousser. Pour les adultes qui
avaient des responsabilités, c'était très dur. Mais mes frères et moi
étions jeunes. On allumait des bougies, on jouait du piano et tout le
monde chantait. C'était romantique. C'est le souvenir que j'en garde.»
Suite au tremblement de terre, la diaspora arménienne s'est mobilisée
pour aider les victimes. En tant qu'orpheline, Astrig bénéficie de ce
soutien et part en séjour à Paris. Ce sera le tournant de sa vie: «J'y
ai rencontré la femme qui deviendra ma marraine. J'ai étudié le
français en Arménie puis l'ai enseigné aux enfants à travers l'ONG
Solidarité protestante France-Arménie.» A l'âge de 24?ans, elle en
devient directrice puis fonde
Miassine
, une organisation pour le tourisme solidaire. «Je devais aider les
autres, car j'avais été aidée. Je suis resté l'idéaliste de 1991.»
Mais elle sait que l'Arménie indépendante n'a pas comblé tout le
monde. «Si quelqu'un d'autre était assis à ma place, il n'aurait
peut-être pas la même version de l'histoire.» A commencer par son
oncle, qui a immédiatement perdu son travail dans la police. «Avec
l'indépendance, on a rencontré des problèmes qu'on n'imaginait pas.
Mon frère, lui, se préparait pour étudier le droit. Après 1991, les
études sont devenues payantes. Le droit, comme la médecine, était
réservé aux plus riches. Il dit souvent que son destin s'est brisé,
qu'il est tombé au mauvais endroit, au mauvais moment.»
A la fin de notre rencontre, et après qu'Astrig a vanté aussi bien les
paysages que l'hospitalité arméniens, elle insiste, sans lâcher prise,
pour régler la note des boissons: «Vous voyez, les Arméniens sont très
hospitaliers. Quand la vie te donne, il faut le prendre. Puis le
rendre.
http://www.tdg.ch/1991-armenie-emancipe-gagne-independance-2011-09-23
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
23 sept 2011
1991?L'Arménie s'émancipe et gagne son indépendance
| Elle avait à peine 15?ans. La délivrance était semée d'embûches,
mais Astrig Marandjian, alors scotchée devant sa télé, s'en souvient
comme d'un rêve
Feriel Mestiri | 23.09.2011 | 23:59
Elle a quitté son pays il y a trois ans pour s'installer sur les rives
du Léman. A notre grande surprise, Astrig Marandjian, 35?ans,
s'exprime dans un français parfait, coloré d'un léger accent dont on
ne saurait identifier la provenance. Elle se présente devant le Centre
arménien de Genève, qui fête ce week-end les 20?ans de l'indépendance
de l'Arménie. Au programme, manifestations culturelles, lectures de
contes pour enfants, puis soirée dansante avec DJ. Un moment bien plus
festif, selon elle, que le jour J, en 1991. Ce dernier était «une
formalité sans surprise». En effet, l'éclatement de l'URSS a provoqué
de fait l'indépendance de l'Arménie. Mais cette «formalité» a été
l'aboutissement de nombreux meetings et le commencement de sérieuses
revendications. Et ce sont ces moments qui se sont forgés dans sa
mémoire.
C'est en 1987 que l'Arménie a commencé Ã évoquer un rattachement avec
le Karabagh, une enclave au sud-ouest de l'Azerbaïdjan peuplée
majoritairement d'Arméniens. «A ce moment, nous avons commencé Ã
parler d'indépendance. C'est pour cela qu'on prétend être les
précurseurs de la chute de l'Union soviétique», ironise-t-elle. Ses
parents l'emmènent avec ses deux frères aînés aux meetings. Et malgré
son jeune âge (11?ans), elle en devine les enjeux, qu'elle compare Ã
ceux des jeunes de la révolution arabe: «Nous avions les mêmes idéaux,
nous voulions nous débarrasser du totalitarisme. Sans réellement
comprendre ce que c'était.» Scotchée devant la télé, Astrig écoute les
discours des représentants du mouvement nationaliste. «Je pleurais
quand notre futur président prenait la parole. Nous en étions tous
amoureux.» Pourtant, elle n'a pas réellement connu le quotidien du
régime soviétique. «J'étais trop jeune. L'indépendance, je la vivais
comme un rêve, sans penser à ce qu'il y aurait après.»
Guerre et tremblement de terre
En décembre 1988, un séisme dévaste la quasi-totalité de sa ville,
Gumri. Ses deux parents y perdent la vie. Elle sera recueillie par son
oncle. En parallèle, la guerre pour le Karabagh éclate entre l'Arménie
et l'Azerbaïdjan. «Le processus d'indépendance était chamboulé. Un
blocus a été imposé par la Turquie, pays voisin et grand frère de
l'Azerbaïdjan. Ils nous ont coupé le gaz, l'électricité, le chauffage¦
Nous n'avions plus rien. Nous recevions une aide alimentaire. Il y
avait des haricots qu'on ne pouvait pas cuire, ou seulement pendant
les deux heures quotidiennes d'électricité. Toute la journée, mes
frères faisaient la queue à tour de rôle pour du pain.» Et cette
situation surréaliste a duré trois ans. «Il y avait une grande
solidarité. Par exemple, lorsque le trolleybus tombait en panne de
courant, les hommes descendaient pour le pousser. Pour les adultes qui
avaient des responsabilités, c'était très dur. Mais mes frères et moi
étions jeunes. On allumait des bougies, on jouait du piano et tout le
monde chantait. C'était romantique. C'est le souvenir que j'en garde.»
Suite au tremblement de terre, la diaspora arménienne s'est mobilisée
pour aider les victimes. En tant qu'orpheline, Astrig bénéficie de ce
soutien et part en séjour à Paris. Ce sera le tournant de sa vie: «J'y
ai rencontré la femme qui deviendra ma marraine. J'ai étudié le
français en Arménie puis l'ai enseigné aux enfants à travers l'ONG
Solidarité protestante France-Arménie.» A l'âge de 24?ans, elle en
devient directrice puis fonde
Miassine
, une organisation pour le tourisme solidaire. «Je devais aider les
autres, car j'avais été aidée. Je suis resté l'idéaliste de 1991.»
Mais elle sait que l'Arménie indépendante n'a pas comblé tout le
monde. «Si quelqu'un d'autre était assis à ma place, il n'aurait
peut-être pas la même version de l'histoire.» A commencer par son
oncle, qui a immédiatement perdu son travail dans la police. «Avec
l'indépendance, on a rencontré des problèmes qu'on n'imaginait pas.
Mon frère, lui, se préparait pour étudier le droit. Après 1991, les
études sont devenues payantes. Le droit, comme la médecine, était
réservé aux plus riches. Il dit souvent que son destin s'est brisé,
qu'il est tombé au mauvais endroit, au mauvais moment.»
A la fin de notre rencontre, et après qu'Astrig a vanté aussi bien les
paysages que l'hospitalité arméniens, elle insiste, sans lâcher prise,
pour régler la note des boissons: «Vous voyez, les Arméniens sont très
hospitaliers. Quand la vie te donne, il faut le prendre. Puis le
rendre.
http://www.tdg.ch/1991-armenie-emancipe-gagne-independance-2011-09-23
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress