APARNA KOLAR - RéCITS PERSONNELS D'APPARTENANCE
Collectif VAN
www.collectifvan.org
28-09-2011
Le Collectif VAN vous invite a lire cette information traduite par
Georges Festa et publiée sur le site 'Armenian Trends - Mes Arménies'
le 25 septembre 2011.
Armenian Trends - Mes Arménies
dimanche 25 septembre 2011
Exposition Paris-Delhi-Bombay, 25.05 - 19.09.2011 ©
www.centrepompidou.fr
Récits personnels d'appartenance par Aparna Kolar
www.opendemocracy.net
Je suis frappée de voir que la plupart des conversations que j'ai
eues récemment lors de rencontres semblent avoir pour racines ces
quatre questions centrales d'identité : Â" Qui suis-je ? Où suis-je
? De qui suis-je ? D'où suis-je ? Â" Ces conversations ne sont pas
révélatrices en soi, mais elles expriment un sentiment croissant
d'insécurité, lequel découle d'une incapacité a répondre a ces
questions de manière précise et dénuée de contradictions. Même
s'il me semble commode de répondre 'Je ne sais pas', nous ressentons
tous l'urgence de bâtir notre identité dans des termes qui paraissent
relativement constants, telle la nation, le métier ou l'organisation
pour qui l'on travaille, ou nos croyances religieuses. Autant de
groupements qui s'efforcent aujourd'hui de nous apporter l'airbag
identitaire dont nous sommes en quête.
En tant qu'animaux sociaux, nous donnons du sens au monde qui nous
entoure en considérant autrui, en négociant collectivement les
règles d'interaction, constituant ainsi des groupes où l'on se
sente en sécurité et protégé. Néanmoins, le niveau d'affiliation
dont on est porteur vis-a-vis de son groupe peut grandement varier a
titre individuel. Par exemple, si je change de profession, passant
de danseuse professionnelle a responsable de programme dans une
organisation de mécénat artistique, a étudiante en commerce
international, pour aspirer maintenant a devenir chercheure
en géographie humaine, tout cela en l'espace de douze ans, mon
partenaire qui a travaillé chez Philips, onze années durant, comme
ingénieur développement produit, aura clairement un sentiment plus
fort d'identité professionnelle.
Ces niveaux variés d'affiliation dépendent peut-être de
l'aptitude de tel ou tel groupe a répondre aux désirs et aux
besoins d'untel, par opposition au choix d'appartenir ou d'être
interdépendant a l'égard d'autres groupes. Et c'est la où réside
la complexité. Aujourd'hui, nous sommes pour la plupart directement ou
indirectement influencés et interdépendants par rapport a des groupes
que nous avons été accoutumés a penser comme l' Â" Autre Â". Dans
un monde en voie de globalisation, nos groupes de différenciation
identitaire - que ce soit des groupes organisationnels religieux,
culturels, nationaux, universitaires ou officiels - doivent entrer
davantage en contact afin de répondre a nos désirs et a nos besoins.
Comment s'engager, négocier, décrire et développer une
réelle compréhension de qui nous sommes dans ce monde en voie de
globalisation ? Un bon point de départ serait de cartographier ma
propre identité. En retracant la géographie de mes affiliations,
une réponse plus claire a ces quatre questions émergera peut-être.
Frontières géographiques d'identité
Si je me demande a quel lieu j'appartiens, je rencontre plus de
questions que de réponses. Appartiens-je a Bangalore où je suis née,
où j'ai grandi et vécu durant vingt-cinq années ? Appartiens-je
a Groningue, où je vis actuellement et où je me sens chez moi ?
Appartiens-je a l'Inde, ma nation, mon pays d'origine ? Ou bien
appartiens-je aux Pays-Bas où j'ai vécu cinq années très intenses
de ma vie ? Ou bien encore appartiens-je a tout cela a la fois
? La recherche des 'racines' de mon identité actuelle nécessite
peut-être de considérer les 'routes' que j'ai empruntées pour
arriver ici, étant donné la difficulté de fixer un grand discours
sur la nationalité avec lequel m'identifier.
J'appartiens manifestement a l'Inde, une région où je puis voyager,
vivre et travailler librement, privilèges qui sont liés au statut
juridique 'être Indienne'. J'appartiens a l'Inde qui m'apporte le
vocabulaire nécessaire pour articuler mon identité aux autres.
J'appartiens a l'Inde qui peuple l'imagination d'un milliard deux cent
millions d'habitants. J'appartiens a l'Inde qui peuple l'imagination
de tous les autres habitants dans ce monde. J'appartiens a l'histoire
du peuple de cette région. Et pourtant je n'ai pas l'impression
d'appartenir a l'Inde - appartenance que me rappelle mon passeport -
du fait des chevauchements culturels que j'observe entre les groupes
a l'intérieur et a l'extérieur des territoires officiels de cette
nation.
Mon identité nationale est donc personnelle et opère différemment
en fonction de la situation, des gens que je croise. Ce qui parfois
me trouble, en particulier dans des situations où je suis censée
défendre mon identité fondée sur ma nationalité. Je bégaie et
balbutie en livrant une image claire d' 'indianité', lorsqu'on me
pose la question. Mon identité nationale s'est très sensiblement
développée depuis que j'ai quitté son territoire officiel : dans
des situations où je pourrais ne pas m'identifier comme Indienne,
je suis identifiée comme telle. Ma nationalité prend le pas sur mon
'identité de lieu', mon sentiment intérieur d'incarner les lieux
où je vis, y compris dans mon quotidien - que ce soit le fait de
solliciter un permis officiel ou lors de discussions avec des gens
issus d'autres pays. Le fait d'être Indienne est devenu un aspect
plus fort de mon identité via le processus d'auto-définition dans
une région géographique qui en est éloignée et, parallèlement, je
m'identifie de moins en moins de l'intérieur avec la région et ses
habitants, et de plus en plus de l'extérieur, du fait précisément
de cette distance.
J'appartiens aussi aux Pays-Bas, une région où j'ai trouvé ma
résidence. C'est dans ce pays que je suis venue vivre de moi-même
pour la première fois, où j'ai éprouvé la saveur agréable de
l'indépendance et de la responsabilité. J'appartiens aux Pays-Bas :
une région où je puis librement me déplacer et où l'infrastructure
socio-physique m'est relativement familière après y avoir vécu
quelque cinq années. Les voies cyclables impeccables, le réseau
ferroviaire très ponctuel, la langue que je peux utiliser maintenant
pour lancer une conversation, le système 'afspraak' [rencontre] pour
planifier a l'avance des réunions avec des collègues ou des amis
commence a être ce que j'en fais, et pas simplement ce qu'en font
les autres. Quand ai-je donc l'impression d'être hollandaise ? Pas au
sens d'appartenir, d'être 'Hollandaise', comme certains l'affirment
haut et fort, peut-être parce que je sens que je ne partage pas une
longue histoire commune avec les gens de cette région. En viendrai-je
a me sentir Hollandaise ? Est-ce simplement un problème lié au fait
d'apprendre la langue et d'avoir vécu ici suffisamment longtemps
? Ou bien d'entrer dans le moule de ce que l'Etat définit comme
une ressortissante 'Hollandaise' ? Puis-je apprendre les valeurs
du système ou est-il trop éloigné de mon identité géographique
centrale ? Auquel cas, vaudrait-il mieux que je m'intègre a d'autres
groupes d'immigrés indiens aux Pays-Bas ? Bon.
Quand je fais la queue avec d'autres Indiens vivant aux Pays-Bas a
l'ambassade de l'Inde a La Haye, cherchant désespérément ces traits
communs que l'on est censé partager avec ses compatriotes, je réalise
que la chose n'est pas moins complexe. Les histoires individuelles
de chacun d'entre nous, présents ici, sont tellement variées que
je suis confrontée a la complexité de cette tâche. Devant moi,
un couple qui a quitté le pays a la fin des années 1940, lors
des émeutes durant la Partition (1), converse principalement en
panjÄ~AbÄ", langue que je ne parle pas couramment ; derrière moi,
un jeune homme, qui est né et a grandi aux Pays-Bas, qui ne parle
qu'anglais et hollandais et qui n'est jamais allé au pays. Et
moi entre eux. Même si nous n'avons en commun que notre statut
juridique, ce dernier semble lui aussi varier dans son libellé,
allant de ressortissant indien a PIO, 'Person of Indian Origin'
[Personne d'origine indienne]. Plus important encore, je suis frappé
de voir que ce qui nous rassemble, en tant qu'individus différents,
dans ce cas, n'est pas nécessairement une même appartenance a telle
région géographique de l'Inde, mais nos obligations juridiques
d'obtenir une identité nationale officielle. La nationalité semble
être moins une question de particularités en partage que celle
d'une nécessité fonctionnelle, et je réalise alors que chercher
mon indianité parmi de soi-disant Indiens n'est pas moins complexe
que chercher ma néerlandité parmi de soi-disant Néerlandais.
Si les nations et l'identité nationale sont de plus en plus
complexes et abstraites au sein d'un monde en voie de globalisation,
l'expérience physique immédiate d'un lieu chez chacun doit être
plus aisée a fixer. Appartiens-je ainsi davantage aux spécificités
de Bangalore et de Groningue, qu'a l'Inde ou aux Pays-Bas ?
Certes, j'appartiens en grande partie a Bangalore, mon lieu de
naissance, la où j'ai grandi durant une bonne partie de mon existence.
J'appartiens a la Bangalore anglicisée des institutions et
des églises catholiques anglophones, dans lesquelles j'ai été
éduquée en bonne et due forme durant les vingt et une premières
années de ma vie. Mais j'ai aussi le sentiment d'appartenir a la
communauté locale où j'ai grandi - essentiellement un quartier
de classe moyenne, parlant le kannada (2), où science et mythe
tissent ensemble une conception quotidienne du sens et où les
gens sont a la fois individualistes et collectivistes selon les
nécessités du moment. Deux langues, deux géographies, mais un
cantonnement britannique, la vieille ville, l'église et le temple
constituent des frontières tangibles qui s'estompent, pour moi
et en moi. S'agissant d'une ville d'immigration où de nombreuses
langues de l'Inde sont parlées, j'éprouve aussi un sentiment
fort d'appartenance a l'environnement multiculturel, tolérant et
cosmopolite de Bangalore. Mais je n'ai plus le sentiment d'appartenir
a la Bangalore physique - les rues, les boutiques, l'environnement
architectural, sa vie quotidienne trépidante - je n'y vis plus,
si bien que sa proximité quotidienne s'éloigne. J'en suis partie
depuis trop longtemps et la ville elle-même change rapidement.
Je ne partage plus mes rêves avec les gens que je connais dans cette
ville et pourtant je la porte très fort en moi où que j'aille,
elle s'exprime dans mes échanges avec autrui. J'ai le sentiment de
porter les valeurs, les rituels et l'esthétique des gens avec qui
j'ai grandi la-bas.
Je n'appartiens pas au paysage urbain dynamique de cette ville en
mutation rapide, et pourtant je me sens connectée a lui. Mon rapport
avec Bangalore est devenu un processus individuel d'élaboration
de sens, tandis que je fais de moins en moins partie de l'activité
collective d'appartenance et d'élaboration de sens liée directement
a la géographie de cette ville, en cours dans sa région. Dans un
sens, j'appartiens a ma Bangalore a moi, un lieu lié uniquement de
facon indirecte a mes expériences dans cet ensemble urbain plus vaste.
Aujourd'hui, cette ville, ma Bangalore, est bien davantage inscrite
dans mon présent - a Groningue, une ville au nord des Pays-Bas.
Ce qui me ramène a Groningue où je vis actuellement et où j'ai
trouvé ma première résidence étrangère, si je puis dire. J'ai
vraiment le sentiment d'appartenir a cette résidence, aux rues de
Groningue et a mes amis ici, dans cette ville. Même si je n'éprouve
pas un sentiment d'appartenance avec les gens en dehors de mon réseau
social, je me sens très liée aux habitants de cette ville qui font
physiquement partie de ma vie quotidienne. Ce sentiment d'appartenance
et pourtant de non appartenance me donne le sentiment d'être a la
fois étrangère et originaire du coin. D'être impliquée, mais pas
totalement enracinée, d'être connectée et pourtant distanciée.
Mes routes traversent le fait d'être une Indienne en quête de son
indianité, collant a elle lorsque cela est commode, mais se sentant
actuellement chez elle aux Pays-Bas - une Bangalorienne 'se trouvant'
a Groningue. Cette géographie identitaire est devenue un processus de
négociation. Groupes et lieux ne se superposent pas clairement et ma
géographie personnelle ne cadre pas clairement avec une appréciation
exacte de la distance et de la proximité, qu'elle soit culturelle,
politique ou physique. Elle se manifeste plutôt au sein d'un réseau
de distances variées, parmi des gens et des lieux changeant a des
rythmes variés. La géographie de mon identité personnelle déborde
les frontières politiques des nations, en direction de réseaux
de gens qui traversent eux aussi les cultures. Elle se situe dans
des expériences physiques qui se déploient dans l'espace via des
routes existantes et qui se négocient via une grande variété de
groupes divers.
Réponse ?
Telle est l'histoire que je porte en moi, le cadre a travers lequel
j'interagis et je négocie avec d'autres groupes. Elle n'appartient
qu'a moi, comme pour chacun de nous. Mais elle est aussi mienne et
tienne, car la négociation est double : si je me définis vis-a-vis
de toi, tu te définis vis-a-vis de moi, et nous négocions nos
identités vis-a-vis de tous les autres. Chacun de nous, directement
ou indirectement, est influencé par l'échelle et les structures
changeantes des échanges humains. Ce qui nous renvoie sans cesse a la
condition, connue depuis longtemps et pourtant trop souvent oubliée,
de l'interdépendance des êtres humains, qu'on le veuille ou non.
Espérons que cela nous permette de surmonter les cadres
individualistes et collectivistes qui résistent avec force et
éloignent nos prochains de 'l'Autre'.
NdT
1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Partition_des_Indes
2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Kannada
______________
Source :
http://www.opendemocracy.net/aparna-kolar/personal-narratives-of-belonging
Article publié le 10.08.2011.
Traduction : © Georges Festa - 09.2011.
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Source/Lien : Armenian Trends - Mes Arménies
Collectif VAN
www.collectifvan.org
28-09-2011
Le Collectif VAN vous invite a lire cette information traduite par
Georges Festa et publiée sur le site 'Armenian Trends - Mes Arménies'
le 25 septembre 2011.
Armenian Trends - Mes Arménies
dimanche 25 septembre 2011
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www.centrepompidou.fr
Récits personnels d'appartenance par Aparna Kolar
www.opendemocracy.net
Je suis frappée de voir que la plupart des conversations que j'ai
eues récemment lors de rencontres semblent avoir pour racines ces
quatre questions centrales d'identité : Â" Qui suis-je ? Où suis-je
? De qui suis-je ? D'où suis-je ? Â" Ces conversations ne sont pas
révélatrices en soi, mais elles expriment un sentiment croissant
d'insécurité, lequel découle d'une incapacité a répondre a ces
questions de manière précise et dénuée de contradictions. Même
s'il me semble commode de répondre 'Je ne sais pas', nous ressentons
tous l'urgence de bâtir notre identité dans des termes qui paraissent
relativement constants, telle la nation, le métier ou l'organisation
pour qui l'on travaille, ou nos croyances religieuses. Autant de
groupements qui s'efforcent aujourd'hui de nous apporter l'airbag
identitaire dont nous sommes en quête.
En tant qu'animaux sociaux, nous donnons du sens au monde qui nous
entoure en considérant autrui, en négociant collectivement les
règles d'interaction, constituant ainsi des groupes où l'on se
sente en sécurité et protégé. Néanmoins, le niveau d'affiliation
dont on est porteur vis-a-vis de son groupe peut grandement varier a
titre individuel. Par exemple, si je change de profession, passant
de danseuse professionnelle a responsable de programme dans une
organisation de mécénat artistique, a étudiante en commerce
international, pour aspirer maintenant a devenir chercheure
en géographie humaine, tout cela en l'espace de douze ans, mon
partenaire qui a travaillé chez Philips, onze années durant, comme
ingénieur développement produit, aura clairement un sentiment plus
fort d'identité professionnelle.
Ces niveaux variés d'affiliation dépendent peut-être de
l'aptitude de tel ou tel groupe a répondre aux désirs et aux
besoins d'untel, par opposition au choix d'appartenir ou d'être
interdépendant a l'égard d'autres groupes. Et c'est la où réside
la complexité. Aujourd'hui, nous sommes pour la plupart directement ou
indirectement influencés et interdépendants par rapport a des groupes
que nous avons été accoutumés a penser comme l' Â" Autre Â". Dans
un monde en voie de globalisation, nos groupes de différenciation
identitaire - que ce soit des groupes organisationnels religieux,
culturels, nationaux, universitaires ou officiels - doivent entrer
davantage en contact afin de répondre a nos désirs et a nos besoins.
Comment s'engager, négocier, décrire et développer une
réelle compréhension de qui nous sommes dans ce monde en voie de
globalisation ? Un bon point de départ serait de cartographier ma
propre identité. En retracant la géographie de mes affiliations,
une réponse plus claire a ces quatre questions émergera peut-être.
Frontières géographiques d'identité
Si je me demande a quel lieu j'appartiens, je rencontre plus de
questions que de réponses. Appartiens-je a Bangalore où je suis née,
où j'ai grandi et vécu durant vingt-cinq années ? Appartiens-je
a Groningue, où je vis actuellement et où je me sens chez moi ?
Appartiens-je a l'Inde, ma nation, mon pays d'origine ? Ou bien
appartiens-je aux Pays-Bas où j'ai vécu cinq années très intenses
de ma vie ? Ou bien encore appartiens-je a tout cela a la fois
? La recherche des 'racines' de mon identité actuelle nécessite
peut-être de considérer les 'routes' que j'ai empruntées pour
arriver ici, étant donné la difficulté de fixer un grand discours
sur la nationalité avec lequel m'identifier.
J'appartiens manifestement a l'Inde, une région où je puis voyager,
vivre et travailler librement, privilèges qui sont liés au statut
juridique 'être Indienne'. J'appartiens a l'Inde qui m'apporte le
vocabulaire nécessaire pour articuler mon identité aux autres.
J'appartiens a l'Inde qui peuple l'imagination d'un milliard deux cent
millions d'habitants. J'appartiens a l'Inde qui peuple l'imagination
de tous les autres habitants dans ce monde. J'appartiens a l'histoire
du peuple de cette région. Et pourtant je n'ai pas l'impression
d'appartenir a l'Inde - appartenance que me rappelle mon passeport -
du fait des chevauchements culturels que j'observe entre les groupes
a l'intérieur et a l'extérieur des territoires officiels de cette
nation.
Mon identité nationale est donc personnelle et opère différemment
en fonction de la situation, des gens que je croise. Ce qui parfois
me trouble, en particulier dans des situations où je suis censée
défendre mon identité fondée sur ma nationalité. Je bégaie et
balbutie en livrant une image claire d' 'indianité', lorsqu'on me
pose la question. Mon identité nationale s'est très sensiblement
développée depuis que j'ai quitté son territoire officiel : dans
des situations où je pourrais ne pas m'identifier comme Indienne,
je suis identifiée comme telle. Ma nationalité prend le pas sur mon
'identité de lieu', mon sentiment intérieur d'incarner les lieux
où je vis, y compris dans mon quotidien - que ce soit le fait de
solliciter un permis officiel ou lors de discussions avec des gens
issus d'autres pays. Le fait d'être Indienne est devenu un aspect
plus fort de mon identité via le processus d'auto-définition dans
une région géographique qui en est éloignée et, parallèlement, je
m'identifie de moins en moins de l'intérieur avec la région et ses
habitants, et de plus en plus de l'extérieur, du fait précisément
de cette distance.
J'appartiens aussi aux Pays-Bas, une région où j'ai trouvé ma
résidence. C'est dans ce pays que je suis venue vivre de moi-même
pour la première fois, où j'ai éprouvé la saveur agréable de
l'indépendance et de la responsabilité. J'appartiens aux Pays-Bas :
une région où je puis librement me déplacer et où l'infrastructure
socio-physique m'est relativement familière après y avoir vécu
quelque cinq années. Les voies cyclables impeccables, le réseau
ferroviaire très ponctuel, la langue que je peux utiliser maintenant
pour lancer une conversation, le système 'afspraak' [rencontre] pour
planifier a l'avance des réunions avec des collègues ou des amis
commence a être ce que j'en fais, et pas simplement ce qu'en font
les autres. Quand ai-je donc l'impression d'être hollandaise ? Pas au
sens d'appartenir, d'être 'Hollandaise', comme certains l'affirment
haut et fort, peut-être parce que je sens que je ne partage pas une
longue histoire commune avec les gens de cette région. En viendrai-je
a me sentir Hollandaise ? Est-ce simplement un problème lié au fait
d'apprendre la langue et d'avoir vécu ici suffisamment longtemps
? Ou bien d'entrer dans le moule de ce que l'Etat définit comme
une ressortissante 'Hollandaise' ? Puis-je apprendre les valeurs
du système ou est-il trop éloigné de mon identité géographique
centrale ? Auquel cas, vaudrait-il mieux que je m'intègre a d'autres
groupes d'immigrés indiens aux Pays-Bas ? Bon.
Quand je fais la queue avec d'autres Indiens vivant aux Pays-Bas a
l'ambassade de l'Inde a La Haye, cherchant désespérément ces traits
communs que l'on est censé partager avec ses compatriotes, je réalise
que la chose n'est pas moins complexe. Les histoires individuelles
de chacun d'entre nous, présents ici, sont tellement variées que
je suis confrontée a la complexité de cette tâche. Devant moi,
un couple qui a quitté le pays a la fin des années 1940, lors
des émeutes durant la Partition (1), converse principalement en
panjÄ~AbÄ", langue que je ne parle pas couramment ; derrière moi,
un jeune homme, qui est né et a grandi aux Pays-Bas, qui ne parle
qu'anglais et hollandais et qui n'est jamais allé au pays. Et
moi entre eux. Même si nous n'avons en commun que notre statut
juridique, ce dernier semble lui aussi varier dans son libellé,
allant de ressortissant indien a PIO, 'Person of Indian Origin'
[Personne d'origine indienne]. Plus important encore, je suis frappé
de voir que ce qui nous rassemble, en tant qu'individus différents,
dans ce cas, n'est pas nécessairement une même appartenance a telle
région géographique de l'Inde, mais nos obligations juridiques
d'obtenir une identité nationale officielle. La nationalité semble
être moins une question de particularités en partage que celle
d'une nécessité fonctionnelle, et je réalise alors que chercher
mon indianité parmi de soi-disant Indiens n'est pas moins complexe
que chercher ma néerlandité parmi de soi-disant Néerlandais.
Si les nations et l'identité nationale sont de plus en plus
complexes et abstraites au sein d'un monde en voie de globalisation,
l'expérience physique immédiate d'un lieu chez chacun doit être
plus aisée a fixer. Appartiens-je ainsi davantage aux spécificités
de Bangalore et de Groningue, qu'a l'Inde ou aux Pays-Bas ?
Certes, j'appartiens en grande partie a Bangalore, mon lieu de
naissance, la où j'ai grandi durant une bonne partie de mon existence.
J'appartiens a la Bangalore anglicisée des institutions et
des églises catholiques anglophones, dans lesquelles j'ai été
éduquée en bonne et due forme durant les vingt et une premières
années de ma vie. Mais j'ai aussi le sentiment d'appartenir a la
communauté locale où j'ai grandi - essentiellement un quartier
de classe moyenne, parlant le kannada (2), où science et mythe
tissent ensemble une conception quotidienne du sens et où les
gens sont a la fois individualistes et collectivistes selon les
nécessités du moment. Deux langues, deux géographies, mais un
cantonnement britannique, la vieille ville, l'église et le temple
constituent des frontières tangibles qui s'estompent, pour moi
et en moi. S'agissant d'une ville d'immigration où de nombreuses
langues de l'Inde sont parlées, j'éprouve aussi un sentiment
fort d'appartenance a l'environnement multiculturel, tolérant et
cosmopolite de Bangalore. Mais je n'ai plus le sentiment d'appartenir
a la Bangalore physique - les rues, les boutiques, l'environnement
architectural, sa vie quotidienne trépidante - je n'y vis plus,
si bien que sa proximité quotidienne s'éloigne. J'en suis partie
depuis trop longtemps et la ville elle-même change rapidement.
Je ne partage plus mes rêves avec les gens que je connais dans cette
ville et pourtant je la porte très fort en moi où que j'aille,
elle s'exprime dans mes échanges avec autrui. J'ai le sentiment de
porter les valeurs, les rituels et l'esthétique des gens avec qui
j'ai grandi la-bas.
Je n'appartiens pas au paysage urbain dynamique de cette ville en
mutation rapide, et pourtant je me sens connectée a lui. Mon rapport
avec Bangalore est devenu un processus individuel d'élaboration
de sens, tandis que je fais de moins en moins partie de l'activité
collective d'appartenance et d'élaboration de sens liée directement
a la géographie de cette ville, en cours dans sa région. Dans un
sens, j'appartiens a ma Bangalore a moi, un lieu lié uniquement de
facon indirecte a mes expériences dans cet ensemble urbain plus vaste.
Aujourd'hui, cette ville, ma Bangalore, est bien davantage inscrite
dans mon présent - a Groningue, une ville au nord des Pays-Bas.
Ce qui me ramène a Groningue où je vis actuellement et où j'ai
trouvé ma première résidence étrangère, si je puis dire. J'ai
vraiment le sentiment d'appartenir a cette résidence, aux rues de
Groningue et a mes amis ici, dans cette ville. Même si je n'éprouve
pas un sentiment d'appartenance avec les gens en dehors de mon réseau
social, je me sens très liée aux habitants de cette ville qui font
physiquement partie de ma vie quotidienne. Ce sentiment d'appartenance
et pourtant de non appartenance me donne le sentiment d'être a la
fois étrangère et originaire du coin. D'être impliquée, mais pas
totalement enracinée, d'être connectée et pourtant distanciée.
Mes routes traversent le fait d'être une Indienne en quête de son
indianité, collant a elle lorsque cela est commode, mais se sentant
actuellement chez elle aux Pays-Bas - une Bangalorienne 'se trouvant'
a Groningue. Cette géographie identitaire est devenue un processus de
négociation. Groupes et lieux ne se superposent pas clairement et ma
géographie personnelle ne cadre pas clairement avec une appréciation
exacte de la distance et de la proximité, qu'elle soit culturelle,
politique ou physique. Elle se manifeste plutôt au sein d'un réseau
de distances variées, parmi des gens et des lieux changeant a des
rythmes variés. La géographie de mon identité personnelle déborde
les frontières politiques des nations, en direction de réseaux
de gens qui traversent eux aussi les cultures. Elle se situe dans
des expériences physiques qui se déploient dans l'espace via des
routes existantes et qui se négocient via une grande variété de
groupes divers.
Réponse ?
Telle est l'histoire que je porte en moi, le cadre a travers lequel
j'interagis et je négocie avec d'autres groupes. Elle n'appartient
qu'a moi, comme pour chacun de nous. Mais elle est aussi mienne et
tienne, car la négociation est double : si je me définis vis-a-vis
de toi, tu te définis vis-a-vis de moi, et nous négocions nos
identités vis-a-vis de tous les autres. Chacun de nous, directement
ou indirectement, est influencé par l'échelle et les structures
changeantes des échanges humains. Ce qui nous renvoie sans cesse a la
condition, connue depuis longtemps et pourtant trop souvent oubliée,
de l'interdépendance des êtres humains, qu'on le veuille ou non.
Espérons que cela nous permette de surmonter les cadres
individualistes et collectivistes qui résistent avec force et
éloignent nos prochains de 'l'Autre'.
NdT
1. http://fr.wikipedia.org/wiki/Partition_des_Indes
2. http://fr.wikipedia.org/wiki/Kannada
______________
Source :
http://www.opendemocracy.net/aparna-kolar/personal-narratives-of-belonging
Article publié le 10.08.2011.
Traduction : © Georges Festa - 09.2011.
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