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Genocide Armenien: L'Honneur Des "Justes"

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    GENOCIDE ARMENIEN: L'HONNEUR DES "JUSTES"

    L'Express
    http://www.lexpress.fr/actualite/monde/europe/genocide-armenien-l-honneur-des-justes_1108767.html
    26 avril 2012
    France

    Dans l'Empire ottoman, certains se sont opposes au genocide des
    Armeniens. Leur action sort aujourd'hui de l'oubli et pourrait
    contribuer a faire evoluer la societe. Pour que soit enfin reconnu
    un evenement occulte par la memoire collective.

    Annee après annee, le tabou sur les massacres d'Armeniens perpetres
    sur ordre des Jeunes-Turcs au pouvoir en 1915, se lève en Turquie. De
    nombreuses publications ont paru sur le sujet. Des intellectuels ont
    lance une campagne en faveur d'une demande de "pardon" aux Armeniens.

    Et, le 24 avril, jour anniversaire du debut du genocide de 1915,
    fait desormais l'objet de commemorations en plein coeur d'Istanbul.

    Certes, le pays est encore loin d'un veritable questionnement sur son
    histoire. La majorite de la population ignore toujours ce qui s'est
    reellement passe a l'epoque et prefère croire, selon l'expression
    consacree, que ses "ancetres n'ont pu commettre un tel crime". De
    nombreux boulevards, places et ecoles portent encore le nom de
    responsables des massacres. Et la politique officielle d'Ankara
    persiste dans le deni.

    Dès 1915, pourtant, dans l'Empire ottoman, des voix s'etaient elevees
    pour denoncer ce crime contre l'humanite. Des dizaines de hauts
    fonctionnaires, d'elus, de chefs religieux et de tribus, et un nombre
    d'anonymes que l'on ne peut evaluer s'etaient opposes aux ordres et
    refuse de deporter ou de massacrer les Armeniens. Au risque de perdre
    leur poste ou, pour certains, leur vie. Celal Bey, gouverneur de Konya,
    fut demis de ses fonctions parce qu'il avait empeche le depart des
    convois de deportes ; Huseyin Nesimi, sous-prefet de Lice (sud-est
    du pays), fut assassine par des soldats depeches par le prefet de
    Diyarbakir car il avait refuse de faire executer ses administres ;
    Mustafa Aga, maire de Malatya (Anatolie), fut tue par son propre fils,
    qui n'avait pas supporte que son père vienne en aide aux "mecreants".

    "Briser l'enfermement encourage par l'Etat"

    Tombee dans l'oubli, l'histoire de ces "Justes" pourrait, cependant,
    jouer un rôle crucial pour la societe turque dans sa confrontation
    avec sa propre histoire. "Un des obstacles majeurs pour les Turcs
    est la difficulte d'admettre que leurs grands-parents aient pu
    commettre ces atrocites, explique Rober Koptas, redacteur en chef
    d'Agos, hebdomadaire publie en armenien et en turc. Derrière le mot
    "genocide", ils entendent une accusation collective les visant tous,
    alors ils se retranchent derrière une position defensive. Rappeler
    l'histoire des Justes, c'est briser l'enfermement encourage par
    l'Etat. Les simples citoyens pourront ainsi voir que les responsables
    du genocide appartiennent a une epoque et a une ideologie precises. Au
    lieu de venerer les coupables, chacun pourra s'approprier des figures
    positives."

    Fonde par Hrant Dink, journaliste armenien de Turquie assassine en 2007
    par un ultranationaliste, Agos publie regulièrement des articles sur
    les Justes. "Hrant Dink a ete un des premiers a chercher un nouveau
    langage afin qu'un plus grand nombre de ses concitoyens puissent
    comprendre ce qui s'est passe en 1915, souligne Rober Koptas.

    L'histoire des Justes permet de l'etablir." Sans pour autant
    effacer les responsabilites ni soulager les consciences. "Parler
    des survivants ne minimise pas la catastrophe. estime Betul Tanbay,
    de la Fondation Hrant-Dink. Mais ces histoires permettent de mieux
    la comprendre." Creee après l'assassinat du journaliste, la fondation
    soutient depuis 2010 les recherches universitaires sur les Justes. Et
    prend position. "Les noms de responsables du genocide, comme Talaat
    Pacha, ne doivent plus apparaître sur les boulevards", juge Betul
    Tanbay.

    Journaliste a Radikal, Oral Calislar est un des rares chroniqueurs
    a consacrer ses colonnes a ce sujet. "Nous avons ete eleves dans
    l'illusion d'une histoire nationale sans tache, dit-il. Nous comprenons
    maintenant que c'etait un mensonge." Pour lui, la Turquie est sur
    la bonne voie : "30 000 petitionnaires pour la "demande de pardon",
    c'est une revolution, ici."

    Pour autant, ces avancees ne concernent qu'une partie infime de la
    population. "C'est un processus de longue haleine, autant creuser un
    puits avec une aiguille", resume Rober Koptas. "Il n'est pas facile
    de dire la verite si vous avez menti pendant quatre-vingt-dix ans,
    rencherit Taner Akcam. Surtout si vos heros nationaux risquent d'etre
    accuses d'assassinat ou de vol. Le premier obstacle a la reconnaissance
    du genocide est la continuite entre les elites ottomanes et celles qui
    ont fonde la Republique." Taner Akcam fut un des premiers historiens
    turcs a travailler sur le genocide et a oser cette qualification. Ses
    travaux publies dans les annees 1990 ont contribue a desserrer cet
    etau. Pour lui, les gouvernements successifs ont entretenu a dessein
    les peurs en evoquant d'eventuelles demandes d'indemnites au cas où la
    Turquie reconnaîtrait officiellement le genocide. "Il faut trouver
    un discours qui s'adresse a la conscience et au coeur des gens,
    croit-il. L'histoire des "Justes" peut y contribuer."

    Si les efforts des intellectuels et des ONG, qu'accompagne la
    democratisation du pays, ont ouvert le debat, le tournant a ete
    l'assassinat de Hrant Dink. Celèbre chroniqueur du quotidien Milliyet,
    Hasan Cemal fait partie de ceux dont les positions ont ete bouleversees
    par ce meurtre. "Avec l'assassinat de Hrant, j'ai vu tous les autres
    assassins de l'Histoire", resume-t-il. Lui, le petit-fils de Cemal
    Pacha, un des membres du triumvirat au pouvoir lors du genocide, est
    alle, en septembre 2008, deposer des fleurs au memorial du genocide
    a Erevan. Depuis, il enchaîne les conferences dans le monde entier
    et declare partager la douleur des Armeniens. Ce qui lui vaut d'etre
    qualifie de "traître" en Turquie. "La nevrose qui fut fatale a Hrant
    est le produit de cette Histoire que l'on n'a pas pu regarder en face,
    affirme-t-il. C'est le meme etat d'esprit qui a permis le massacre
    de Kurdes, d'Alevis ou de Grecs dans le passe.

    C'est l'origine de tous nos problèmes d'aujourd'hui."

    L'ouverture du debat sur le genocide ne risque-t-elle pas d'etre
    menacee par les atermoiements d'un gouvernement tente par l'exaltation
    du nationalisme a l'approche du 100e anniversaire du genocide, en
    2015 ? "Une fois le djinn sorti du flacon, il ne peut plus y rentrer,
    affirme Rober Koptas. Nous continuerons a ouvrir une faille dans le
    mur et a l'elargir avec patience. Cela vaut la peine, surtout quand
    je vois les nouvelles generations, plus pretes a entendre une autre
    version de l'histoire."

    ____ Ceux qui ont desobei On les appelle, en turc, les
    "Consciencieux". Depuis quelques annees, le terme designe ceux qui
    se sont opposes au genocide armenien par sens ethique ou conviction
    religieuse. Leur histoire se differencie des protections interessees,
    accordees a des femmes pour leur beaute et a des enfants adoptes
    pour servir de main-d'oeuvre ou juste monnayes. A la difference de
    ces "faux sauvetages", leurs actes impliquent une desobeissance,
    d'autant plus admirable que desesperee.

    "Ma situation a Konya ressemblait a celle d'un homme qui se tient
    au bord d'une rivière sans avoir aucun moyen de sauver ceux qui sont
    emportes par l'eau, ecrit dans ses Memoires Celal Bey, gouverneur de
    Konya, qui refusa d'appliquer les ordres de deportation. [...] J'ai
    sauve ceux que je pouvais attraper avec mes mains et mes ongles. Les
    autres sont partis sans possibilite de retour." Il a desobei par
    humanisme et patriotisme: "Reunis, nos ennemis du monde entier
    n'auraient pas pu nous faire autant de mal."

    D'autres "Justes", comme de rares chefs de tribus kurdes, ont cache
    leurs voisins armeniens ou les ont aides a fuir vers la Russie. Les
    habitants de Dersim auraient ainsi contribue a ce que 20 000 personnes
    soient epargnees. Au total, Hrant Dink estimait a 300 000 le nombre
    de personnes sauvees par ces actions.




    From: A. Papazian
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