NE TOUCHEZ PAS AUX ARMENIENS DE SYRIE
La Regle du Jeu
Lundi 27 aout 2012
France
Ara Toranian, Directeur de Nouvelles d'Armenie Magazine
Dans un Moyen-Orient où la presence armenienne, a l'image de celle
des autres chretiens, se reduit comme peau de chagrin, toute flambee
de violence est vecue avec apprehension par cette communaute. Plus
ou moins bien tolerees, en particulier en ces temps qui voient helas
les tensions politiques se polariser autour du facteur religieux,
les ultra-minorites non musulmanes sont les premières fragilisees
par les situations de conflit. La plupart des bouleversements qui
ont secoue la region depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale
ont systematiquement fini par se retourner contre elles. Le coup
d'Etat nasserien s'est traduit par une dissolution de la communaute
armenienne d'Egypte ; les putschs successifs en Syrie au debut des
annees 60 l'ont terriblement affaiblie ; la guerre civile au Liban
a fait perdre a ce bastion de l'identite politique et culturelle
armenienne une grande partie de sa superbe ; la revolution en Iran et
les conflits qui s'en sont suivi ont entraîne une forte emigration
des Armeniens de ce pays ; l'intervention americaine en Irak s'est
soldee par la quasi-disparition de leur presence.
Pourtant, il est difficile de ne pas s'interroger sur l'avenir des
Armeniens en Syrie, dont plusieurs milliers ont deja fui. Cette
inquietude est d'autant plus de mise, qu'ils ont ete victimes
d'attaques durant le mois d'août a Kessab et a Alep, et que leur
sort a fait l'objet de diverses manipulations d'origine douteuse
(communique menacant attribue a l'Armee Syrienne Libre le 24 août et
aussitôt dementi par son commandement comme une provocation du pouvoir
en place). De plus, l'ombre d'une Turquie hostile qui plane derrière
ces evenements n'a rien de rasserenant pour cette communaute formee
en très grande majorite par les rescapes du genocide de 1915. Se
pose donc la question legitime de son devenir, sachant qu'au-dela
de l'enjeu qu'elles constituent pour les Armeniens eux-memes, les
assurances a leur egard representent une pierre de touche eloquente
pour mesurer le degre d'ouverture des parties en presence.
Le regime dictatorial, mais laïque, du parti Baas se pretend en effet
garant de leur protection comme de celle des autres chretiens. Et
force est de constater que les 80 000 Armeniens de cette nation
y jouissaient de tous les attributs d'une vie civilisationnelle
epanouie. Avec toutefois les reserves d'usage en pays totalitaire :
toute revendication leur etait interdite et le pouvoir ne laissait
rien passer qui puisse contrarier Ankara, l'allie d'alors. Ainsi
les Armeniens ne pouvaient pas commemorer publiquement le genocide de
1915. Mais l'environnement autoritaire qui pèse sur les particularismes
identitaires dans la region, y compris parfois musulmans (cf le
sort des Kurdes de Turquie), ne permettait pas a ce groupe, tolere
culturellement, mais bâillonne politiquement, de jouer les difficiles.
De son côte, l'Armee syrienne libre, traversee par de multiples
courants, dont les plus extremistes, se montre peu diserte sur
cette question. Et cette discretion n'est pas a porter a son
credit. Car les espoirs democratiques qu'elle se targue d'incarner
passent naturellement par son acceptation de l'alterite voire meme
la defense des minorites. Le flou a cet egard, en cette etape de la
lutte plus propice que toute autre a l'expression des utopies les plus
genereuses, entretient une incertitude du plus mauvais effet quant a
ses intentions. En temoigne, les interpellations sur le sujet de nos
plus brillants intellectuels francais (dont notre ami Bernard-Henri
Levy) qui se sont portes aux avant-postes de la solidarite a leur côte.
La periode dramatique que traverse la Syrie confirme en tout cas que
les minorites de cette region en perpetuelle ebullition n'ont pas
vocation a y jouer les avant-gardes. Pour elles, dans cette situation,
l'essence precède malheureusement l'existence. La precarite averee
de leur condition de base ne les rend pas loisibles d'autre choix
que celui de la neutralite. Est-ce trop esperer des belligerants que
de leur demander de la respecter, en ces temps de guerre totale qui
viole toutes les conventions internationales sur les civils?
Cette necessite se devrait en tout cas de figurer au cahier des
charges des Etats qui ambitionnent de peser sur ces evenements,
dans chaque camp. On attend en particulier beaucoup en l'espèce de la
gauche francaise au pouvoir, en depit du tropisme antichretien propre
au complexe colonial de l'homme blanc, particulièrement present en
ses rangs.
On comprend bien l'interet pour certaines forces proches de la
Turquie de pousser les Armeniens a s'eloigner encore un peu plus
de leur foyer national originel pour se dissoudre dans un occident
aux mains tendues ; mais la n'est pas la voie de la justice. Les
Armeniens ont suffisamment donne et perdu. Et a tous nous disons :
ne touchez plus a notre peuple, que ce soit a travers vos mauvais
pretextes ou au nom de vos bonnes causes.
http://laregledujeu.org/2012/08/27/10501/ne-touchez-pas-aux-armeniens-de-syrie/
La Regle du Jeu
Lundi 27 aout 2012
France
Ara Toranian, Directeur de Nouvelles d'Armenie Magazine
Dans un Moyen-Orient où la presence armenienne, a l'image de celle
des autres chretiens, se reduit comme peau de chagrin, toute flambee
de violence est vecue avec apprehension par cette communaute. Plus
ou moins bien tolerees, en particulier en ces temps qui voient helas
les tensions politiques se polariser autour du facteur religieux,
les ultra-minorites non musulmanes sont les premières fragilisees
par les situations de conflit. La plupart des bouleversements qui
ont secoue la region depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale
ont systematiquement fini par se retourner contre elles. Le coup
d'Etat nasserien s'est traduit par une dissolution de la communaute
armenienne d'Egypte ; les putschs successifs en Syrie au debut des
annees 60 l'ont terriblement affaiblie ; la guerre civile au Liban
a fait perdre a ce bastion de l'identite politique et culturelle
armenienne une grande partie de sa superbe ; la revolution en Iran et
les conflits qui s'en sont suivi ont entraîne une forte emigration
des Armeniens de ce pays ; l'intervention americaine en Irak s'est
soldee par la quasi-disparition de leur presence.
Pourtant, il est difficile de ne pas s'interroger sur l'avenir des
Armeniens en Syrie, dont plusieurs milliers ont deja fui. Cette
inquietude est d'autant plus de mise, qu'ils ont ete victimes
d'attaques durant le mois d'août a Kessab et a Alep, et que leur
sort a fait l'objet de diverses manipulations d'origine douteuse
(communique menacant attribue a l'Armee Syrienne Libre le 24 août et
aussitôt dementi par son commandement comme une provocation du pouvoir
en place). De plus, l'ombre d'une Turquie hostile qui plane derrière
ces evenements n'a rien de rasserenant pour cette communaute formee
en très grande majorite par les rescapes du genocide de 1915. Se
pose donc la question legitime de son devenir, sachant qu'au-dela
de l'enjeu qu'elles constituent pour les Armeniens eux-memes, les
assurances a leur egard representent une pierre de touche eloquente
pour mesurer le degre d'ouverture des parties en presence.
Le regime dictatorial, mais laïque, du parti Baas se pretend en effet
garant de leur protection comme de celle des autres chretiens. Et
force est de constater que les 80 000 Armeniens de cette nation
y jouissaient de tous les attributs d'une vie civilisationnelle
epanouie. Avec toutefois les reserves d'usage en pays totalitaire :
toute revendication leur etait interdite et le pouvoir ne laissait
rien passer qui puisse contrarier Ankara, l'allie d'alors. Ainsi
les Armeniens ne pouvaient pas commemorer publiquement le genocide de
1915. Mais l'environnement autoritaire qui pèse sur les particularismes
identitaires dans la region, y compris parfois musulmans (cf le
sort des Kurdes de Turquie), ne permettait pas a ce groupe, tolere
culturellement, mais bâillonne politiquement, de jouer les difficiles.
De son côte, l'Armee syrienne libre, traversee par de multiples
courants, dont les plus extremistes, se montre peu diserte sur
cette question. Et cette discretion n'est pas a porter a son
credit. Car les espoirs democratiques qu'elle se targue d'incarner
passent naturellement par son acceptation de l'alterite voire meme
la defense des minorites. Le flou a cet egard, en cette etape de la
lutte plus propice que toute autre a l'expression des utopies les plus
genereuses, entretient une incertitude du plus mauvais effet quant a
ses intentions. En temoigne, les interpellations sur le sujet de nos
plus brillants intellectuels francais (dont notre ami Bernard-Henri
Levy) qui se sont portes aux avant-postes de la solidarite a leur côte.
La periode dramatique que traverse la Syrie confirme en tout cas que
les minorites de cette region en perpetuelle ebullition n'ont pas
vocation a y jouer les avant-gardes. Pour elles, dans cette situation,
l'essence precède malheureusement l'existence. La precarite averee
de leur condition de base ne les rend pas loisibles d'autre choix
que celui de la neutralite. Est-ce trop esperer des belligerants que
de leur demander de la respecter, en ces temps de guerre totale qui
viole toutes les conventions internationales sur les civils?
Cette necessite se devrait en tout cas de figurer au cahier des
charges des Etats qui ambitionnent de peser sur ces evenements,
dans chaque camp. On attend en particulier beaucoup en l'espèce de la
gauche francaise au pouvoir, en depit du tropisme antichretien propre
au complexe colonial de l'homme blanc, particulièrement present en
ses rangs.
On comprend bien l'interet pour certaines forces proches de la
Turquie de pousser les Armeniens a s'eloigner encore un peu plus
de leur foyer national originel pour se dissoudre dans un occident
aux mains tendues ; mais la n'est pas la voie de la justice. Les
Armeniens ont suffisamment donne et perdu. Et a tous nous disons :
ne touchez plus a notre peuple, que ce soit a travers vos mauvais
pretextes ou au nom de vos bonnes causes.
http://laregledujeu.org/2012/08/27/10501/ne-touchez-pas-aux-armeniens-de-syrie/