Le Monde, France
29 nov 2012
Le doudouk arménien à la conquête d'Hollywood
C'est un peu l'histoire de la grenouille qui devient aussi grosse que
le boeuf. En version musicale. Le doudouk, à l'honneur cette semaine à
la Cité de la musique de Paris, est passé, en deux décennies, du
statut d'obscur instrument folklorique à celui de coqueluche
d'Hollywood.
Il a accompagné les souffrances de Russell Crowe dans Gladiator, les
aventures d'Audrey Tautou dans Le Da Vinci Code, et celles du
capitaine Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes III. On l'entend
partout. Une vraie « doudoukmania ». Au point que certains puristes le
considèrent dévoyé. Victime de son succès ?
Le doudouk, inconnu en Occident il y a une vingtaine d'années, possède
tous les atouts du succès. En particulier, son timbre. Un son grave et
chaud, lancinant et mélancolique, qui rappelle le registre bas de la
clarinette, le son du cor anglais, voire de la flûte de pan.
« Le son du doudouk est très particulier », explique le musicien Araik
Bakhtikian, « c'est la continuité de la voix humaine ». Et « pour
l'oreille humaine, il n'y a rien de plus fascinant que la voix humaine
», rappelle le compositeur de musiques de films et de séries Jon
Ehrlich, qui utilise du doudouk dans ses créations.
A cela s'ajoute l'exotisme de cet instrument. Originaire d'Arménie,
mais répandu dans l'ensemble du Caucase, le doudouk y est
originellement un instrument traditionnel, rituel. La musique des
enterrements, mais aussi des baptêmes et des fêtes.
« Jusqu'aux années 1950, dans les mariages, on faisait pleurer la
mariée au son du doudouk, pour lui rappeler qu'elle quittait le foyer
de ses parents », se souvient Gérard Madilian, joueur de doudouk et
auteur d'un ouvrage sur la musique arménienne. On imagine sans mal la
scène, tant le son est mélancolique, envoûtant.
Instrument populaire par excellence, le doudouk se révèle au reste du
monde à la fin des années 1990. L'Arménie possède alors un riche
patrimoine musical, généreusement financé par le régime communiste de
l'époque. Et la pérestroïka permet une relative ouverture sur le
monde. Le doudouk est prêt à prendre son envol. Il ne lui manque d'un
tremplin.
C'est une catastrophe naturelle qui lui donnera ce coup de pouce. En
1988, un tremblement de terre ravage le pays, faisant près de 30 000
morts. « Ce petit pays se retrouve soudain au centre de l'attention
mondiale. De nombreux pays vont alors aider l'Arménie. Parmi les gens
qui s'y rendent, beaucoup découvrent le doudouk, et c'est comme cela
que cet instrument va devenir célèbre », explique Gérard Madilian.
Presque simultanément, « La dernière tentation du Christ », de Martin
Scorcese, inclut cet instrument dans sa bande originale. Le doudouk
est lancé.
Après cette première prestation, l'instrument disparaît des écrans.
Comme toute star hollywoodienne qui se respecte, il se laisse désirer
pendant dix ans avant de faire son « come-back ». Dix années durant
lesquelles de nombreux musiciens de doudouk quittent l'Arménie, mise à
mal par une difficile transition post-communiste, pour l'Occident. Les
Etats-Unis, en particulier. Où l'attention se porte de plus en plus
sur cet étrange instrument, qui devient un incontournable des
bandes-son dans les années 2000.
Aujourd'hui, le doudouk est un classique des musiques de films, de
séries télévisées, et même de jeux vidéo. Le son de ce hautbois
arménien, formé d'un corps en bois d'abricotier - un bois qui durcit
avec le temps - et d'une anche double taillée dans un seul morceau de
roseau, ne surprend plus.
Pour autant, les oreilles occidentales ne connaissent pas vraiment le
doudouk. Hollywood, en le popularisant, l'a enfermé dans une case, lui
a assigné un cliché. Celui d'instrument « triste », de musique
d'ambiance, pour ne pas dire neurasthénique. Un comble pour les
musiciens arméniens, frustrés de voir le doudouk réduit à cette seule
interprétation. Le doudouk est mélancolique, certes, mais pas triste.
Et la différence est importante.
« Ce cliché du doudouk `'dépressif'' provient d'une incompréhension
culturelle », explique Gérard Madilian. « L'oreille occidentale est
habituée au mode majeur. Quand un occidental entend une musique jouée
en mode mineur, il trouve cela `'triste''. Alors que ça n'est pas le
cas, pas du tout ! ». Le doudouk fait pleurer les mariées, mais les
fait aussi danser.
Malgré le cliché, la popularisation du doudouk a éveillée une vraie
curiosité musicale pour cet instrument. De plus en plus de formations
musicales de tous genres - polyphoniques, jazz, rock - le recherchent
et l'incluent. Et les professeurs de doudouk sont de plus en plus
sollicités. Le petit hautbois arménien est bel est bien en train de
devenir grand.
http://emiliennemalfatto.blog.lemonde.fr/2012/11/29/le-doudouk-armenien-a-la-conquete-dhollywood/
From: A. Papazian
29 nov 2012
Le doudouk arménien à la conquête d'Hollywood
C'est un peu l'histoire de la grenouille qui devient aussi grosse que
le boeuf. En version musicale. Le doudouk, à l'honneur cette semaine à
la Cité de la musique de Paris, est passé, en deux décennies, du
statut d'obscur instrument folklorique à celui de coqueluche
d'Hollywood.
Il a accompagné les souffrances de Russell Crowe dans Gladiator, les
aventures d'Audrey Tautou dans Le Da Vinci Code, et celles du
capitaine Jack Sparrow dans Pirates des Caraïbes III. On l'entend
partout. Une vraie « doudoukmania ». Au point que certains puristes le
considèrent dévoyé. Victime de son succès ?
Le doudouk, inconnu en Occident il y a une vingtaine d'années, possède
tous les atouts du succès. En particulier, son timbre. Un son grave et
chaud, lancinant et mélancolique, qui rappelle le registre bas de la
clarinette, le son du cor anglais, voire de la flûte de pan.
« Le son du doudouk est très particulier », explique le musicien Araik
Bakhtikian, « c'est la continuité de la voix humaine ». Et « pour
l'oreille humaine, il n'y a rien de plus fascinant que la voix humaine
», rappelle le compositeur de musiques de films et de séries Jon
Ehrlich, qui utilise du doudouk dans ses créations.
A cela s'ajoute l'exotisme de cet instrument. Originaire d'Arménie,
mais répandu dans l'ensemble du Caucase, le doudouk y est
originellement un instrument traditionnel, rituel. La musique des
enterrements, mais aussi des baptêmes et des fêtes.
« Jusqu'aux années 1950, dans les mariages, on faisait pleurer la
mariée au son du doudouk, pour lui rappeler qu'elle quittait le foyer
de ses parents », se souvient Gérard Madilian, joueur de doudouk et
auteur d'un ouvrage sur la musique arménienne. On imagine sans mal la
scène, tant le son est mélancolique, envoûtant.
Instrument populaire par excellence, le doudouk se révèle au reste du
monde à la fin des années 1990. L'Arménie possède alors un riche
patrimoine musical, généreusement financé par le régime communiste de
l'époque. Et la pérestroïka permet une relative ouverture sur le
monde. Le doudouk est prêt à prendre son envol. Il ne lui manque d'un
tremplin.
C'est une catastrophe naturelle qui lui donnera ce coup de pouce. En
1988, un tremblement de terre ravage le pays, faisant près de 30 000
morts. « Ce petit pays se retrouve soudain au centre de l'attention
mondiale. De nombreux pays vont alors aider l'Arménie. Parmi les gens
qui s'y rendent, beaucoup découvrent le doudouk, et c'est comme cela
que cet instrument va devenir célèbre », explique Gérard Madilian.
Presque simultanément, « La dernière tentation du Christ », de Martin
Scorcese, inclut cet instrument dans sa bande originale. Le doudouk
est lancé.
Après cette première prestation, l'instrument disparaît des écrans.
Comme toute star hollywoodienne qui se respecte, il se laisse désirer
pendant dix ans avant de faire son « come-back ». Dix années durant
lesquelles de nombreux musiciens de doudouk quittent l'Arménie, mise à
mal par une difficile transition post-communiste, pour l'Occident. Les
Etats-Unis, en particulier. Où l'attention se porte de plus en plus
sur cet étrange instrument, qui devient un incontournable des
bandes-son dans les années 2000.
Aujourd'hui, le doudouk est un classique des musiques de films, de
séries télévisées, et même de jeux vidéo. Le son de ce hautbois
arménien, formé d'un corps en bois d'abricotier - un bois qui durcit
avec le temps - et d'une anche double taillée dans un seul morceau de
roseau, ne surprend plus.
Pour autant, les oreilles occidentales ne connaissent pas vraiment le
doudouk. Hollywood, en le popularisant, l'a enfermé dans une case, lui
a assigné un cliché. Celui d'instrument « triste », de musique
d'ambiance, pour ne pas dire neurasthénique. Un comble pour les
musiciens arméniens, frustrés de voir le doudouk réduit à cette seule
interprétation. Le doudouk est mélancolique, certes, mais pas triste.
Et la différence est importante.
« Ce cliché du doudouk `'dépressif'' provient d'une incompréhension
culturelle », explique Gérard Madilian. « L'oreille occidentale est
habituée au mode majeur. Quand un occidental entend une musique jouée
en mode mineur, il trouve cela `'triste''. Alors que ça n'est pas le
cas, pas du tout ! ». Le doudouk fait pleurer les mariées, mais les
fait aussi danser.
Malgré le cliché, la popularisation du doudouk a éveillée une vraie
curiosité musicale pour cet instrument. De plus en plus de formations
musicales de tous genres - polyphoniques, jazz, rock - le recherchent
et l'incluent. Et les professeurs de doudouk sont de plus en plus
sollicités. Le petit hautbois arménien est bel est bien en train de
devenir grand.
http://emiliennemalfatto.blog.lemonde.fr/2012/11/29/le-doudouk-armenien-a-la-conquete-dhollywood/
From: A. Papazian