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La lancinante question de la démocratisation de la Turquie

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    La lancinante question de la démocratisation de la Turquie

    http://eurotopie.leylekian.eu/2012/12/la-lancinante-question-de-la.html
    SAMEDI 15 DÉCEMBRE 2012

    C'est un évènement rare qui a eu lieu à l'Ecole des Hautes Etudes en
    Sciences Sociales (EHESS) ce mercredi 12 décembre, où Ragip Zarakolu
    est venu donner une conférence sur la situation actuelle de son pays
    en matière de respect des libertés fondamentales et notamment de
    liberté d'opinion et d'expression. Cette manifestation était
    conjointement organisée par la section française du Groupement
    Internationale sur la Turquie (GIT) représentée par son président,
    Vincent Duclert, et par le Conseil de Coordination des Organisations
    Arméniennes de France (CCAF) représenté par son coprésident Ara
    Toranian. Notons qu'à l'initiative du GIT, Ragip Zarakolu est proposé
    depuis quelque temps pour le prix Nobel de la Paix.


    De gauche à droite, Hamit Bozarslan, Vincent Duclert, Ragip Zarakolu
    et Erol Özköray
    Dans son introduction, Vincent Duclert a rappelé que Ragip Zarakolu a
    été emprisonné du 28 octobre 2011 au 10 avril 2012 pour des
    allégations fantaisistes de complicité avec un mouvement terroriste et
    que son fils Deniz goûte depuis quatorze mois aux geôles du « modèle
    turc tant vanté par les médias » pour avoir parlé publiquement de La
    politique d'Aristote ! Depuis lors, comme il l'a lui-même évoqué,
    Ragip Zarakolu est contraint de se murer dans une « protestation
    muette » et se garde bien de toute déclaration qui pourrait le
    renvoyer derrière les barreaux dans un pays redevenu en quelques
    années la plus grande prison de journalistes du monde.



    Pour mémoire, Ragip Zarakolu est un éditeur dont l'`uvre de
    publication donne depuis près de quarante ans des aigreurs d'estomac
    aux gardiens impavides de la politique d'Etat de la Turquie et de ses
    tabous : génocide arménien, question kurde, invasion de Chypre, poids
    inconsidéré des militaires sur la scène politique, etc. On peut dire
    sans exagération qu'à eux seules, Ragip Zarakolu et son épouse Aysenur
    depuis lors décédée ont rendu possible en Turquie la germination d'une
    pensée réfractaire à la propagande d'Etat ; ou, comme l'a rappelé en
    incise Hamit Bozarslan, un spécialiste de la Turquie de l'EHESS, Ragip
    Zarakolu et ses éditions Belge (documents) ont puissamment contribué à
    « restructurer l'ensemble des sciences sociales » dans leur pays en
    faisant passer certaines problématiques du statut de « notes de bas de
    page à celui d'ouvrages complets ».

    Pour la circonstance, le témoignage de Ragip Zarakolu était appuyé par
    celui d'Erol Özköray, un autre dissident dont le parcours politique
    symbolise les lignes rouges à ne pas franchir outre Bosphore. De
    conseiller politique du CHP, le parti kémaliste au pouvoir, Erol
    Özköray fut brutalement réduit à néant et dut même se réfugier à
    l'étranger pour avoir un jour questionné le rôle des militaires et le
    caractère antidémocratique des processus politiques qui président aux
    destinées de ce pays. Erol Özköray a détaillé pour les déplorer les
    nombreux procès qu'il a dû endurer, les cinquante ans de prison requis
    contre lui par les dignitaires de l'Etat-major qu'étaient Yasar
    Büyükanit et Ilker Basbug, la fermeture de son magazine Idea Politika
    et de Nokta, et surtout le lchage dont il a fait l'objet de la part
    de certains intellectuels finalement bien trop proches de l'appareil
    d'Etat.

    Après avoir refait l'historique de la répression antidémocratique qui
    sévit en Turquie depuis les années 70, MM. Zarakolu et Özköray en sont
    arrivés à la conclusion que depuis près de quarante ans, l'Etat y
    déploie une politique de « nettoyage académique » (academic cleansing)
    après avoir mis en `uvres des politiques de nettoyage ethnique contre
    ses minorités (génocide des Arméniens et des Assyro-Chaldéens de 1915
    à_ 1916, massacre et expulsion des Grecs en 1921, massacres du Dersim
    en 1923 et des Kurdes à partir des années 30, pogroms contre les Grecs
    d'Istanbul en 1955).


    Erdal Eren, étudiant pendu à l'ge de 17 ans par
    la junte militaire en 1980. Un autre tabou turc
    Ils ont particulièrement insisté sur l'espoir déçu qu'a représenté
    l'arrivée au pouvoir de l'AKP, le parti islamiste ayant depuis lors
    remplacé les formations nationalistes aux affaires jusqu'en 2002.
    Evoquant une « nouvelle hégémonie », ils ont dénoncé le « contrôle de
    la pensée » mis en place par les nouveaux dignitaires du régime qui
    promeuvent l'Islam politique par le biais des mêmes instances que
    leurs prédécesseurs utilisaient pour promouvoir le kémalisme : le
    bureau du Premier Ministre, le Conseil de Sécurité Nationale dominé
    par les militaires, le Ministère de l'Education Nationale (YÖK) et
    celui de l'audiovisuelle (RTÜK).

    Revenant sur la question précise du génocide des Arméniens, Ragip
    Zarakolu a indiqué que la stratégie de l'Etat avait néanmoins changé :
    les grands éditeurs turcs - tels le groupe Hurriyet ou le groupe Dogan
    - ont désormais massivement investi le secteur, transformant les
    sections des librairies dévolus à la question arménienne en section
    négationniste. Le grand public qui était autrefois tenu dans
    l'ignorance des faits est maintenant puissamment endoctriné par
    Ankara, sans doute comme le seraient les Allemands actuels si Hitler
    avait gagné la seconde guerre mondiale.

    Parallèlement, il a indiqué qu'il n'existait aucun centre d'étude
    digne de ce nom sur les phénomènes génocidaires en Turquie - qu'il
    s'agisse de la Shoah, de l'Holodomor ou d'autres crimes de masse - de
    peur que cela n'ouvre une porte pour évoquer le sort fait par l'Etat à
    ses sujets arméniens.

    Répondant à une question venue de l'assistance sur les complicités de
    « mercenaires extérieurs » dont bénéficie la Turquie, Ragip Zarakolu
    s'est prononcé sans ambages pour la pénalisation du négationnisme, un
    appel à la haine qu'il considère ne pas relever de la liberté
    d'expression.

    En conclusion du débat, Vincent Duclert a interrogé les intervenants
    sur le sens de leur combat et sur sa signification dans le cadre de
    l'histoire politique turque. Le fondateur des éditions Belge a indiqué
    en réponse qu'il luttait contre un révisionnisme historique qui - loin
    de se cantonner au Génocide des Arméniens - visaient à oblitérer
    l'histoire de toute l'Anatolie et de sa diversité. Concluant en citant
    une impressionnante liste d'édifices historiques btis par des Grecs
    et des Arméniens, dont le palais de Dolmabahçe, et sans lesquels
    Istanbul ne serait pas ce qu'elle est, Ragip Zarakolu s'est
    malicieusement demandé si l'Etat allait finalement les détruire pour
    purifier l'histoire turque.


    Ragip Zarakolu à Bruxelles le 19 décembre prochain
    La venue en Europe de Ragip Zarakolu se prolongera par une autre
    conférence organisée par la Fédération européenne des journalistes,
    prévue à Bruxelles mercredi prochain. Elle s'inscrit dans un contexte
    particulièrement sombre pour les droits de l'Homme en Turquie. Les
    affaires Pinar Selek, Sevim Sevimli ou Mustafa Balbay ne constituent
    que les cas les plus emblématiques de ceux qui illustrent la
    formidable mansuétude dont bénéficie Ankara de la part des puissances
    occidentales. A cet égard, on peut raisonnablement s'interroger sur
    l'intelligence politique et sur l'intérêt à long terme qu'il y a à
    soutenir un Etat dont les régimes successifs n'ont finalement rien à
    envier à ceux d'autres régimes autoritaires. Ne vaudrait pas mieux, ne
    serait-ce que pour la crédibilité de l'Occident, soutenir les rares
    voix démocratiques de ce pays ?
    Publié par Laurent Leylekian à l'adresse 09:00
    Libellés : EHESS, Erol Özköray, GIT France, génocide arménien, Hami
    Bozarslan, nationalisme, négationnisme, Ragip Zarakolu, Turquie,
    Vincent Duclert




    From: A. Papazian
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