POURQUOI PENALISER LA NEGATION DU GENOCIDE ARMENIEN ETAIT DAVANTAGE UNE NECESSITE PSYCHOLOGIQUE QUE POLITIQUE
Atlantico.fr
http://www.atlantico.fr/decryptage/senat-vote-loi-penalisation-deni-genocide-armenie-turquie-helene-politique-psychologie-peuples-piralian-simonyan-2776
31 janvier 2012
France
Le Senat a adopte la semaine dernière une loi penalisant la
negation des genocides. Si beaucoup d'Armeniens se felicitent de
cette decision, la Turquie a condamne fermement le vote denoncant un
"acte irresponsable". Preuve que la question depasse le simple cadre
historique.
Le Senat, a la suite de l'Assemblee nationale, vient de voter la loi
qui penalise " la contestation ou la minimisation outrancière d'un
genocide ". En cela elle ne fait que completer, en ce qui concerne
le genocide des Armeniens, la loi de 2001 qui le reconnaissait sans
toutefois penaliser sa negation. Cette penalisation de la negation
des genocides s'aligne ainsi sur la loi Gayssot qui reconnaissait et
penalisait la negation du genocide des Juifs. Cependant, le genocide
des Armeniens etant le seul a etre reconnu en dehors de celui des
Juifs, cette nouvelle loi ne concerne pour l'instant que lui. Cela
dit, cette question ayant ete largement rapportee et debattue dans
les medias nous n'y reviendrons pas.
Cependant, on ne peut comprendre les enjeux d'un tel vote, qui pour
certains concernerait un passe revolu, que si l'on comprend que,
justement, ce passe n'est pas revolu et qu'au contraire, loin de
passer, ses effets psychiques destructeurs ne font que s'amplifier avec
le temps et ceci meme s'ils restent largement inconscients. En effet,
la negation d'un genocide maintient au present le meurtre genocidaire
qui reste toujours en activite, et se poursuit pour ses descendants
tant qu'il n'a pas ete reconnu par le pays qui l'a perpetre et, a
defaut, des tiers. Tiers qui, dans ce cas, deviennent plus que des
temoins, des garants de l'existence comme de la destruction de ceux
qui ont ete extermines et dont on a voulu faire disparaître a la fois
les traces et les corps, pour les effacer du present mais aussi du
passe donc du futur.
D'où sans doute face a cela l'obsession, l'acharnement des rescapes
a vouloir temoigner et la hantise de la mort du dernier temoin vivant
qui signifierait alors le risque de la disparition et la chute dans le
neant de tout le groupe. Comme si tant que quelqu'un pouvait encore
temoigner de cette volonte d'effacement des disparus, cet effacement
etait tenu en echec
Ce n'est donc que par cette reconnaissance que ces disparus peuvent,
en reapparaissant, etre reinstalles dans l'humanite et en redevenant
des humains qui, ont vecu, qu'ils peuvent devenir des morts ordinaires
pour leurs descendants. Des morts ordinaires dont il redevient alors
possible a la fois de se souvenir et de faire le deuil (lire a ce
sujet le livre de Daniel Mendelshon : Les disparus). Car nul ne peut
naître ni faire le deuil d'un inexistant.
A partir de la on peut aussi comprendre que la negation d'un
genocide ne puisse etre consideree comme une simple opinion mais
est veritablement un acte qui vient directement poursuivre l'acte
genocidaire sur les descendants de ceux qui furent extermines. Il
n'est donc pas possible de separer la reconnaissance d'un genocide
de la penalisation de sa negation.
N'est-ce pas le sens et ce qu'implique la notion d'imprescriptibilite
qui s'applique aux crimes genocidaires, soulignant ainsi l'atemporalite
de ce crime ?
Il n'en reste pas moins que la reconnaissance essentielle serait celle
de la Turquie. Par ailleurs il est important de ne pas perdre de vue
que si les heritiers des victimes du genocides des Armeniens perpetre
par le gouvernement des jeunes turcs en 1915, demandent et attendent
cette reconnaissance, elle n'est pas moins importante pour le peuple
de Turquie qui, lui, subit egalement les effets de la violence liee
a ce deni (lire le livre de Fethye Cetin : le livre de ma grand-mère).
C'est pourquoi après l'assassinat de Hrant Dink journaliste armeno-turc
assassine devant son journal, une partie de la population et notamment
des intellectuels turcs, s'est mobilisee pour que devienne possible
une prise de conscience collective et une information juste et libre en
Turquie sur cette question mais aussi sur toutes les autres questions
que cette negation entraîne.[1]
Des lors, peut-on dire de ces lois qui s'elaborent dans differents
pays a propos des genocides, qu'elles soient de reconnaissance ou de
penalisation et en l'attente des positions internationales communes,
qu'elles sont autant de rappels et de barrières contre la barbarie ?
Elles visent a briser la filiation des genocidaires pour que desormais
aucun genocidaire ne puisse affirmer comme Hitler le fit : " Qui
se souvient encore du massacre des Armeniens ? " et croire pouvoir,
en toute impunite poursuivre, son oeuvre de mort.
[1] Voir entre autres la constitution d'ungroupe international
de travail " Liberte de recherche et d'enseignement en Turquie "
www.gitfrance.fr en decembre 2011 et l'appel dans Liberation en
date du 25 janvier 2012 et signee conjointement par des chercheurs
Armeniens et Turcs.
From: A. Papazian
Atlantico.fr
http://www.atlantico.fr/decryptage/senat-vote-loi-penalisation-deni-genocide-armenie-turquie-helene-politique-psychologie-peuples-piralian-simonyan-2776
31 janvier 2012
France
Le Senat a adopte la semaine dernière une loi penalisant la
negation des genocides. Si beaucoup d'Armeniens se felicitent de
cette decision, la Turquie a condamne fermement le vote denoncant un
"acte irresponsable". Preuve que la question depasse le simple cadre
historique.
Le Senat, a la suite de l'Assemblee nationale, vient de voter la loi
qui penalise " la contestation ou la minimisation outrancière d'un
genocide ". En cela elle ne fait que completer, en ce qui concerne
le genocide des Armeniens, la loi de 2001 qui le reconnaissait sans
toutefois penaliser sa negation. Cette penalisation de la negation
des genocides s'aligne ainsi sur la loi Gayssot qui reconnaissait et
penalisait la negation du genocide des Juifs. Cependant, le genocide
des Armeniens etant le seul a etre reconnu en dehors de celui des
Juifs, cette nouvelle loi ne concerne pour l'instant que lui. Cela
dit, cette question ayant ete largement rapportee et debattue dans
les medias nous n'y reviendrons pas.
Cependant, on ne peut comprendre les enjeux d'un tel vote, qui pour
certains concernerait un passe revolu, que si l'on comprend que,
justement, ce passe n'est pas revolu et qu'au contraire, loin de
passer, ses effets psychiques destructeurs ne font que s'amplifier avec
le temps et ceci meme s'ils restent largement inconscients. En effet,
la negation d'un genocide maintient au present le meurtre genocidaire
qui reste toujours en activite, et se poursuit pour ses descendants
tant qu'il n'a pas ete reconnu par le pays qui l'a perpetre et, a
defaut, des tiers. Tiers qui, dans ce cas, deviennent plus que des
temoins, des garants de l'existence comme de la destruction de ceux
qui ont ete extermines et dont on a voulu faire disparaître a la fois
les traces et les corps, pour les effacer du present mais aussi du
passe donc du futur.
D'où sans doute face a cela l'obsession, l'acharnement des rescapes
a vouloir temoigner et la hantise de la mort du dernier temoin vivant
qui signifierait alors le risque de la disparition et la chute dans le
neant de tout le groupe. Comme si tant que quelqu'un pouvait encore
temoigner de cette volonte d'effacement des disparus, cet effacement
etait tenu en echec
Ce n'est donc que par cette reconnaissance que ces disparus peuvent,
en reapparaissant, etre reinstalles dans l'humanite et en redevenant
des humains qui, ont vecu, qu'ils peuvent devenir des morts ordinaires
pour leurs descendants. Des morts ordinaires dont il redevient alors
possible a la fois de se souvenir et de faire le deuil (lire a ce
sujet le livre de Daniel Mendelshon : Les disparus). Car nul ne peut
naître ni faire le deuil d'un inexistant.
A partir de la on peut aussi comprendre que la negation d'un
genocide ne puisse etre consideree comme une simple opinion mais
est veritablement un acte qui vient directement poursuivre l'acte
genocidaire sur les descendants de ceux qui furent extermines. Il
n'est donc pas possible de separer la reconnaissance d'un genocide
de la penalisation de sa negation.
N'est-ce pas le sens et ce qu'implique la notion d'imprescriptibilite
qui s'applique aux crimes genocidaires, soulignant ainsi l'atemporalite
de ce crime ?
Il n'en reste pas moins que la reconnaissance essentielle serait celle
de la Turquie. Par ailleurs il est important de ne pas perdre de vue
que si les heritiers des victimes du genocides des Armeniens perpetre
par le gouvernement des jeunes turcs en 1915, demandent et attendent
cette reconnaissance, elle n'est pas moins importante pour le peuple
de Turquie qui, lui, subit egalement les effets de la violence liee
a ce deni (lire le livre de Fethye Cetin : le livre de ma grand-mère).
C'est pourquoi après l'assassinat de Hrant Dink journaliste armeno-turc
assassine devant son journal, une partie de la population et notamment
des intellectuels turcs, s'est mobilisee pour que devienne possible
une prise de conscience collective et une information juste et libre en
Turquie sur cette question mais aussi sur toutes les autres questions
que cette negation entraîne.[1]
Des lors, peut-on dire de ces lois qui s'elaborent dans differents
pays a propos des genocides, qu'elles soient de reconnaissance ou de
penalisation et en l'attente des positions internationales communes,
qu'elles sont autant de rappels et de barrières contre la barbarie ?
Elles visent a briser la filiation des genocidaires pour que desormais
aucun genocidaire ne puisse affirmer comme Hitler le fit : " Qui
se souvient encore du massacre des Armeniens ? " et croire pouvoir,
en toute impunite poursuivre, son oeuvre de mort.
[1] Voir entre autres la constitution d'ungroupe international
de travail " Liberte de recherche et d'enseignement en Turquie "
www.gitfrance.fr en decembre 2011 et l'appel dans Liberation en
date du 25 janvier 2012 et signee conjointement par des chercheurs
Armeniens et Turcs.
From: A. Papazian