ENTRETIEN MICHEL MARIAN, ENSEIGNANT A L'INSTITUT D'ETUDES POLITIQUES DE PARIS : " EN TURQUIE, LA QUESTION ARMENIENNE EST LIEE A UN COMBAT POUR LES DROITS DE L'HOMME "
La Croix
Lundi 23 Janvier 2012
France
Michel Marian est l'auteur, avec l'intellectuel turc Ahmet Insel,
du Dialogue sur le tabou armenien (1). Il analyse l'evolution de la
societe turque sur la question armenienne et se prononce sur le debat
en France.
Michel Marian, enseignant a l'Institut d'etudes politiques de Paris :
Depuis la parution de votre livre, les intellectuels turcs ont-ils
evolue sur la question du genocide ?
Michel Marian : Ce livre etait une sorte d'acte politique qui a eu
un retentissement en France, dans les communautes armeniennes, mais
aussi parmi les Turcs. Il a ete traduit en turc et en armenien. Autant
d'occasions de mettre a l'epreuve notre capacite de dialogue, au-dela
des mots que nous avions soupeses pour les faire passer a l'ecrit. Il y
a eu entre Ahmet Insel et moi un rapport de confiance et d'amitie qui
a grandi. Au debut, les communautes armeniennes n'accordaient qu'un
credit limite a Ahmet Insel, dans la mesure où il ne souhaitait pas
utiliser le terme de genocide. Au fur et a mesure de nos rencontres
avec le public, son attitude et la facon dont il l'a explicitee ont
montre qu'il n'avait pas de gene intellectuelle par rapport a ce
concept. L'evolution est venue aussi de la petition de pardon aux
Armeniens lancee par 200 intellectuels turcs en 2009.
Aujourd'hui, en Turquie, la question armenienne est liee a un combat
plus large pour les droits de l'homme, ce qui lui donne une vraie
credibilite.
Ne faites-vous pas davantage confiance a la societe civile pour
maintenir le fil entre les deux communautes ?
M. M. : La modernisation de la societe civile s'est averee essentielle,
elle est a l'origine de ce mouvement. Depuis les annees 2003-2004,
elle fait preuve d'un souci croissant pour les droits de l'homme et la
question armenienne. Cela s'est manifeste par un colloque en Turquie,
les obsèques du journaliste d'origine armenienne Hrant Dink, assassine
en 2007, les poursuites contre l'ecrivain turc Orhan Pamuk ou encore
les rassemblements dans la rue a l'occasion du 24 avril, journee
de commemoration de la rafle, le 24 avril 1915, des personnalites
armeniennes intellectuelles et politiques de Constantinople.
Du côte individuel, les exemples de Turcs decouvrant leurs origines
armeniennes, illustres par le premier, puis le second livre de Fethiye
Cetin, se multiplient. Ce mouvement est irreversible. Par exemple,
dans les debats televises en Turquie, on prend soin d'inviter une
personne qui represente le point de vue, non pas forcement de la
reconnaissance du genocide, mais de l'importance du travail historique
sur la question armenienne.
Mais si les conditions politiques sont defavorables, la prise en compte
de cette question ne pourra avancer que lentement. Il y a des zones
entières du territoire turc, où les Armeniens avaient eu une presence
historique importante, comme dans le Nord-Est, qui sont quasiment
tenues a l'ecart de cette evolution. D'autres regions, a l'inverse,
sont sensibles a cette question, comme a Adana, où l'anniversaire du
grand massacre de 1909 a ete l'occasion d'un colloque en 2009.
Une loi francaise ne risque-t-elle pas de detruire ces avancees ?
M. M. : La position des intellectuels turcs est moins hostile au
projet de loi actuel qu'a celui de 2006. Personnellement, cette loi
me gene car elle penalise l'expression, c'est une loi de censure,
surtout dans la formulation, lorsqu'elle utilise des expressions
comme " la minimisation outrancière ". Où est-ce que ca commence,
où est-ce que ca finit ?
Mais est-ce au parlement francais de se prononcer ?
M. M. : Une pression externe et politique n'est pas en soi illegitime.
Qu'elle se produise dans les deux principaux pays, France et
Etats-Unis, où les Armeniens ont trouve refuge et ont fait souche,
cela ne me choque pas. Il est bon que la classe politique francaise
rappelle a la Turquie son obligation morale, d'autant qu'elle est
candidate a l'entree dans l'Union europeenne. Mais j'aurais prefere
une resolution du Parlement francais ou europeen, ou une commemoration
du genocide armenien a l'occasion de la journee du 11 novembre.
(1) Paru en 2009, anime par Ariane Bonzon, Ed. Liana Levi, 150 p.,
15 EUR.
La Croix
Lundi 23 Janvier 2012
France
Michel Marian est l'auteur, avec l'intellectuel turc Ahmet Insel,
du Dialogue sur le tabou armenien (1). Il analyse l'evolution de la
societe turque sur la question armenienne et se prononce sur le debat
en France.
Michel Marian, enseignant a l'Institut d'etudes politiques de Paris :
Depuis la parution de votre livre, les intellectuels turcs ont-ils
evolue sur la question du genocide ?
Michel Marian : Ce livre etait une sorte d'acte politique qui a eu
un retentissement en France, dans les communautes armeniennes, mais
aussi parmi les Turcs. Il a ete traduit en turc et en armenien. Autant
d'occasions de mettre a l'epreuve notre capacite de dialogue, au-dela
des mots que nous avions soupeses pour les faire passer a l'ecrit. Il y
a eu entre Ahmet Insel et moi un rapport de confiance et d'amitie qui
a grandi. Au debut, les communautes armeniennes n'accordaient qu'un
credit limite a Ahmet Insel, dans la mesure où il ne souhaitait pas
utiliser le terme de genocide. Au fur et a mesure de nos rencontres
avec le public, son attitude et la facon dont il l'a explicitee ont
montre qu'il n'avait pas de gene intellectuelle par rapport a ce
concept. L'evolution est venue aussi de la petition de pardon aux
Armeniens lancee par 200 intellectuels turcs en 2009.
Aujourd'hui, en Turquie, la question armenienne est liee a un combat
plus large pour les droits de l'homme, ce qui lui donne une vraie
credibilite.
Ne faites-vous pas davantage confiance a la societe civile pour
maintenir le fil entre les deux communautes ?
M. M. : La modernisation de la societe civile s'est averee essentielle,
elle est a l'origine de ce mouvement. Depuis les annees 2003-2004,
elle fait preuve d'un souci croissant pour les droits de l'homme et la
question armenienne. Cela s'est manifeste par un colloque en Turquie,
les obsèques du journaliste d'origine armenienne Hrant Dink, assassine
en 2007, les poursuites contre l'ecrivain turc Orhan Pamuk ou encore
les rassemblements dans la rue a l'occasion du 24 avril, journee
de commemoration de la rafle, le 24 avril 1915, des personnalites
armeniennes intellectuelles et politiques de Constantinople.
Du côte individuel, les exemples de Turcs decouvrant leurs origines
armeniennes, illustres par le premier, puis le second livre de Fethiye
Cetin, se multiplient. Ce mouvement est irreversible. Par exemple,
dans les debats televises en Turquie, on prend soin d'inviter une
personne qui represente le point de vue, non pas forcement de la
reconnaissance du genocide, mais de l'importance du travail historique
sur la question armenienne.
Mais si les conditions politiques sont defavorables, la prise en compte
de cette question ne pourra avancer que lentement. Il y a des zones
entières du territoire turc, où les Armeniens avaient eu une presence
historique importante, comme dans le Nord-Est, qui sont quasiment
tenues a l'ecart de cette evolution. D'autres regions, a l'inverse,
sont sensibles a cette question, comme a Adana, où l'anniversaire du
grand massacre de 1909 a ete l'occasion d'un colloque en 2009.
Une loi francaise ne risque-t-elle pas de detruire ces avancees ?
M. M. : La position des intellectuels turcs est moins hostile au
projet de loi actuel qu'a celui de 2006. Personnellement, cette loi
me gene car elle penalise l'expression, c'est une loi de censure,
surtout dans la formulation, lorsqu'elle utilise des expressions
comme " la minimisation outrancière ". Où est-ce que ca commence,
où est-ce que ca finit ?
Mais est-ce au parlement francais de se prononcer ?
M. M. : Une pression externe et politique n'est pas en soi illegitime.
Qu'elle se produise dans les deux principaux pays, France et
Etats-Unis, où les Armeniens ont trouve refuge et ont fait souche,
cela ne me choque pas. Il est bon que la classe politique francaise
rappelle a la Turquie son obligation morale, d'autant qu'elle est
candidate a l'entree dans l'Union europeenne. Mais j'aurais prefere
une resolution du Parlement francais ou europeen, ou une commemoration
du genocide armenien a l'occasion de la journee du 11 novembre.
(1) Paru en 2009, anime par Ariane Bonzon, Ed. Liana Levi, 150 p.,
15 EUR.