POURQUOI ON NE PEUT TOLERER LA NEGATION DU GENOCIDE ARMENIEN
Stephane
armenews.com
vendredi 3 fevrier 2012
Sarkis Shahinian
Après avoir rappele sur un ton grave qu'il sait, " par experience
personnelle,combien il est douloureux d'entendre denier la realite
d'un genocide qui a englouti vos proches les plus chers ", Robert
Badinter se lance, dans son article paru le 19 janvier dans Le Temps,
dans un raisonnement obscur visant a demontrer que la proposition de
loi penalisant la negation du genocide des Armeniens est inapplicable.
Selon lui, la Shoah est d'un degre de reconnaissance juridique
superieure, ayant recu du Tribunal de Nuremberg la qualification de
crime contre l'humanite. C'est oublier que le massacre des Armeniens,
dès le mois de mai 1915,etait qualifie de " crime contre l'humanite
et les civilisations "par les puissances de l'Entente. C'est oublier
aussi que le juriste polonais Raphaël Lemkin, père de la Convention
de l'ONU de 1948 sur le genocide, avait pris le massacre des
Armeniens comme modèle pour les crimes d'Etat punissables. En outre,
l'incrimination telle qu'elle est prevue dans la proposition de loi,
n'est pas tributaire d'une reconnaissance internationale prealable du
genocide des Armeniens (ref. a l'audition au Senat de V. Coussirat-
Coustère et R. Kalfayan, le 18 janvier 2012).
Le caractère genocidaire du crime commis a l'encontre des Armeniens
fait l'objet d'un consensus general,notammentde la communaute
scientifique internationale, consensus auquel adhère egalement le
droit suisse (ATF 6B_398/2007/rod).
Il faut rappeler que les valeurs protegees par la loi Gayssot,
correspondant a l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur
la liberte de la presse, sont les memes que celles de la nouvelle
proposition de loi (l'article 24ter modifiant la meme loi de 1881).
Face aux negationnistes dont l'objectif est, selon Christian Godin
(Negationnisme et Totalitarisme, Pleins Feux, 2000), " de priver les
hommes - et d'abord les descendants de ceux qui ont eu a souffrir le
genocide - de leur memoire ", la loi Gayssot consacre dans le droit un
veritable devoir : celui de proteger l'ordre public, la morale, les
fondements d'une societe democratique et la memoire des victimes. Si
la loi Gayssot est constitutionnelle, alors le nouvel article adopte
par le parlement francais ne peut etre lui aussi que constitutionnel.
Au cours des discussions a l'Assemblee nationale et au Senat, ni
la realite, ni la qualification du genocide des Armeniens n'ont ete
remises en cause. Le nouvel article prevoit de sanctionner " ceux qui
ont conteste ou minimise de facon outrancière [...] l'existence d'un
ou plusieurs crimes de genocide definis a l'article 211-1 du Code
penal et reconnus comme tels par la loi francaise ". Cela signifie
qu'en cas d'incrimination, il reviendrait au Juge d'apprecier si le
crime juge corresponda la definition de genocide donnee a l'article
211-1 du Code penal francais. Curieusement, M. Badinter ne cite
aucunement la reference au Code penal dans son article. Aussi ne
peut-on suivre l'ancien senateur lorsqu'il evoque la violation des
droits fondamentaux que sont les libertes d'opinion et d'expression.
Car la loi sur la presse les restreint depuis plus d'un siècle
et cela n'a fait l'objet, jusqu'a aujourd'hui, d'aucun grief
d'inconstitutionnalite. Parce que le nouvel article serait depourvu
de l'element essentiel d'incitation a la haine que doit comporter la
negation du genocide contre une communaute ou sesmembres, M. Badinter
soutient que la nouvelle proposition de loi n'est pas conforme a
la decision cadre de l'UE de 2008, qui appelle les Etats membres a
transcrire dans leur droit la repression " de l'apologie, la negation,
ou la banalisation grossière publique des crimes de genocide [...].
C'est pourtant ce qui est prevu a l'alinea 2 de l'article 24 de la meme
loi, sans oublier que la dite decision-cadre souligne qu'il appartient
a chaque Etat de decider des modalites d'application de tels principes.
Il n'y a aucun doute que " chaque projet d'extermination du XXe siècle
constitue un defi au droit ".C'est en partant de cette consideration
de l'ecrivain et philosophe Marc Nichanian(LeDroit et le Fait :
la campagne de 1994, Lignes, n° 26, Editions Hazan, 1995) que j'ai
developpe la presente reflexion. La negation d'un genocide n'est rien
d'autre que le prolongement et l'achèvement du projet d'aneantissement.
Elle fait partie de l'essence meme du crime. La situation deja
insoutenable dans laquelle se trouve le survivant, mais aussi le
descendant d'une generation successive a un genocide, est confrontee
a une entreprise systematique, repetee et universelle de denegation.
C'est la dignite de la personne qui est finalement visee, dans
une claire intention de la degrader (on rappelle ici le principe
constitutionnel de " sauvegarde de la dignite de la personne humaine
contre toute forme de degradation ", contenu dans le preambule de
la Constitution francaise du 27 octobre 1946). On peut se demander,
après l'intervention de l'ex-garde des Sceaux, si la dignite du peuple
armenien n'en subit pas une degradation intolerable.
J'aimerais conclure sur un point personnel. Depuis Paris, ou j'etais
alle pour assister a la discussion au Senat, j'ai annonce a ma femme
au telephone que la loi avait ete votee, lui expliquant surtout
les thèses des adversaires. Elle m'a stupefait avec cette reponse :
" Pourquoi nous obligent-ils a nous replonger dans notre peine ? On
nous demande toujours de justifier notre presence, notre survivance,
a nous refouler dans nos plaies, rabaissant ainsi notre dignite. Est-ce
que tout cela va s'arreter un jour pour enfin vivre heureux ? "
Secretaire general du Groupe parlementaire Suisse-Armenie et ancien
president de l'Association Suisse-Armenie
From: Baghdasarian
Stephane
armenews.com
vendredi 3 fevrier 2012
Sarkis Shahinian
Après avoir rappele sur un ton grave qu'il sait, " par experience
personnelle,combien il est douloureux d'entendre denier la realite
d'un genocide qui a englouti vos proches les plus chers ", Robert
Badinter se lance, dans son article paru le 19 janvier dans Le Temps,
dans un raisonnement obscur visant a demontrer que la proposition de
loi penalisant la negation du genocide des Armeniens est inapplicable.
Selon lui, la Shoah est d'un degre de reconnaissance juridique
superieure, ayant recu du Tribunal de Nuremberg la qualification de
crime contre l'humanite. C'est oublier que le massacre des Armeniens,
dès le mois de mai 1915,etait qualifie de " crime contre l'humanite
et les civilisations "par les puissances de l'Entente. C'est oublier
aussi que le juriste polonais Raphaël Lemkin, père de la Convention
de l'ONU de 1948 sur le genocide, avait pris le massacre des
Armeniens comme modèle pour les crimes d'Etat punissables. En outre,
l'incrimination telle qu'elle est prevue dans la proposition de loi,
n'est pas tributaire d'une reconnaissance internationale prealable du
genocide des Armeniens (ref. a l'audition au Senat de V. Coussirat-
Coustère et R. Kalfayan, le 18 janvier 2012).
Le caractère genocidaire du crime commis a l'encontre des Armeniens
fait l'objet d'un consensus general,notammentde la communaute
scientifique internationale, consensus auquel adhère egalement le
droit suisse (ATF 6B_398/2007/rod).
Il faut rappeler que les valeurs protegees par la loi Gayssot,
correspondant a l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur
la liberte de la presse, sont les memes que celles de la nouvelle
proposition de loi (l'article 24ter modifiant la meme loi de 1881).
Face aux negationnistes dont l'objectif est, selon Christian Godin
(Negationnisme et Totalitarisme, Pleins Feux, 2000), " de priver les
hommes - et d'abord les descendants de ceux qui ont eu a souffrir le
genocide - de leur memoire ", la loi Gayssot consacre dans le droit un
veritable devoir : celui de proteger l'ordre public, la morale, les
fondements d'une societe democratique et la memoire des victimes. Si
la loi Gayssot est constitutionnelle, alors le nouvel article adopte
par le parlement francais ne peut etre lui aussi que constitutionnel.
Au cours des discussions a l'Assemblee nationale et au Senat, ni
la realite, ni la qualification du genocide des Armeniens n'ont ete
remises en cause. Le nouvel article prevoit de sanctionner " ceux qui
ont conteste ou minimise de facon outrancière [...] l'existence d'un
ou plusieurs crimes de genocide definis a l'article 211-1 du Code
penal et reconnus comme tels par la loi francaise ". Cela signifie
qu'en cas d'incrimination, il reviendrait au Juge d'apprecier si le
crime juge corresponda la definition de genocide donnee a l'article
211-1 du Code penal francais. Curieusement, M. Badinter ne cite
aucunement la reference au Code penal dans son article. Aussi ne
peut-on suivre l'ancien senateur lorsqu'il evoque la violation des
droits fondamentaux que sont les libertes d'opinion et d'expression.
Car la loi sur la presse les restreint depuis plus d'un siècle
et cela n'a fait l'objet, jusqu'a aujourd'hui, d'aucun grief
d'inconstitutionnalite. Parce que le nouvel article serait depourvu
de l'element essentiel d'incitation a la haine que doit comporter la
negation du genocide contre une communaute ou sesmembres, M. Badinter
soutient que la nouvelle proposition de loi n'est pas conforme a
la decision cadre de l'UE de 2008, qui appelle les Etats membres a
transcrire dans leur droit la repression " de l'apologie, la negation,
ou la banalisation grossière publique des crimes de genocide [...].
C'est pourtant ce qui est prevu a l'alinea 2 de l'article 24 de la meme
loi, sans oublier que la dite decision-cadre souligne qu'il appartient
a chaque Etat de decider des modalites d'application de tels principes.
Il n'y a aucun doute que " chaque projet d'extermination du XXe siècle
constitue un defi au droit ".C'est en partant de cette consideration
de l'ecrivain et philosophe Marc Nichanian(LeDroit et le Fait :
la campagne de 1994, Lignes, n° 26, Editions Hazan, 1995) que j'ai
developpe la presente reflexion. La negation d'un genocide n'est rien
d'autre que le prolongement et l'achèvement du projet d'aneantissement.
Elle fait partie de l'essence meme du crime. La situation deja
insoutenable dans laquelle se trouve le survivant, mais aussi le
descendant d'une generation successive a un genocide, est confrontee
a une entreprise systematique, repetee et universelle de denegation.
C'est la dignite de la personne qui est finalement visee, dans
une claire intention de la degrader (on rappelle ici le principe
constitutionnel de " sauvegarde de la dignite de la personne humaine
contre toute forme de degradation ", contenu dans le preambule de
la Constitution francaise du 27 octobre 1946). On peut se demander,
après l'intervention de l'ex-garde des Sceaux, si la dignite du peuple
armenien n'en subit pas une degradation intolerable.
J'aimerais conclure sur un point personnel. Depuis Paris, ou j'etais
alle pour assister a la discussion au Senat, j'ai annonce a ma femme
au telephone que la loi avait ete votee, lui expliquant surtout
les thèses des adversaires. Elle m'a stupefait avec cette reponse :
" Pourquoi nous obligent-ils a nous replonger dans notre peine ? On
nous demande toujours de justifier notre presence, notre survivance,
a nous refouler dans nos plaies, rabaissant ainsi notre dignite. Est-ce
que tout cela va s'arreter un jour pour enfin vivre heureux ? "
Secretaire general du Groupe parlementaire Suisse-Armenie et ancien
president de l'Association Suisse-Armenie
From: Baghdasarian