RAISON ET LOIS MEMORIELLES
Liberation
http://lazarus.blogs.liberation.fr/blog/2012/02/raison-et-lois-memorielles.html
02 fev 2012
France
On a beaucoup parle ces dernières semaines de la question des lois
memorielles suite a la proposition de loi sur la reconnaissance du
genocide armenien. A travers celles-ci, l'Etat impose un point de
vue officiel sur un fait historique, qu'il devient alors illegal de
contester. La France est devenue leader en la matière avec differentes
lois (reconnaissance des crimes contre l'humanite de la seconde
guerre mondiale, traite des esclaves, etc.) alors que la Belgique
s'est concentree essentiellement sur les crimes contre l'humanite
perpetres par les nazis.
On pourrait discuter longtemps des aspects politiques. Mais trois
faits, au moins, s'opposent ici a la Raison.
Tout d'abord, l'histoire est une science. Elle se pratique selon
des methodes que partagent tous ceux qui la pratiquent. Fournir
des elements verifiables et discutables qui permettent de produire
des hypothèses que l'on tentera ensuite d'etayer a partir d'autres
exemples. L'historien produit alors devant ses pairs le resultat
de ses recherches qui sera alors critique sur ses methodes et a la
lumière d'autres recherches.
Or, quelle est la competence d'un politicien qui siège dans une
assemblee? Tel le comedien en blouse blanche dans les publicites
pour dentifrice, il singe le savant dont il ignore de toute evidence
la methodologie.
Car un des premiers principes de la science est celui de
l'auto-correction. Toute methode rationnelle implique qu'une verite
scientifique n'est que provisoire et qu'elle peut etre contredite,
completee, amendee, reformulee.
Il est evidemment des cas où le fait est peu probable. Peu de
scientifiques s'attendent a ce que l'on remette en question les lois de
la pesanteur ou de la conservation d'energie. De meme, aucun historien
ne s'attend a ce que l'on doute un jour de l'existence des chambres
a gaz.
Mais peu importe. La science est avant tout une methode qui doit
s'imposer dans tous les cas, meme quand cela paraît absurde. Dans le
cas contraire, on parle de pseudo-sciences, donc de charlatanerie.
Le second fait qui choque la Raison est celui de l'opposition. En
effet, les lois memorielles semblent avoir ete rediges pour proteger
la memoire de ceux qui ont souffert. Mais parfois deux memoires
s'opposent. On ne cherche plus les faits mais l'emotion.
C'est ainsi qu'un article d'une loi francaise qui n'est plus en vigueur
reconnaissait le rôle positif de la presence francaise outre-mer,
notamment en Afrique du Nord. Cette fois, la victime disparaissait
de la memoire au profit de l'agresseur magnifie dans l'esprit du
legislateur. Celui-ci desirait meme imposer sa doxa dans les livres
scolaires.
Tantôt la victime, tantôt l'agresseur. La memoire revient donc a
celui a qui le pouvoir veut plaire. Dans un système où le dirigeant
est elu, on peut s'attendre a ce que celui-ci tente de s'attirer
la bienveillance electorale d'un groupe ou d'un autre, en dehors de
toute reflexion historique.
Troisièmement, la Raison, pour les raisons susmentionnees, nous
interdit donc de definir ce qui est definitivement vrai ou faux. Or les
lois memorielles, pour etre justes et n'oublier personne, devraient
permettre de tracer une ligne bien visible entre la verite et le
mensonge. Sauf a penser que certaines douleurs valent moins que
d'autres. Ou bien a definir un seuil de souffrance a partir duquel
on peut legiferer. On tombe dans l'absurde.
Face a des faits historiques, plutôt que d'indiquer au peuple ce
qu'il est definitivement bon de croire, ne serait-il pas plus utile
de lui indiquer la methode dans ces circonstances comme ailleurs? Le
scepticisme, le croisement des sources, la critique...
Mais cette idee expose le monde politique lui-meme a cette methode, qui
pourrait se retourner contre lui. Imaginons le peuple se demandant,
selon les memes principes, si les verites indiscutables a propos
de l'economie de marche, des systèmes bancaires, de la democratie
representative, de la croissance ou de l'inflation, si tout cela
n'est après tout pas egalement discutable, amendable...
Faut-il vraiment craindre les quelques dizaines de personnes qui
affirment que les chambres a gaz n'ont pas existe ou que l'esclavage
etait un parcours de sante? Faut-il craindre de s'entendre dire que la
terre est plate, que les aliens sont parmi nous ou que le 11-septembre
n'a pas eu lieu?
Lorsqu'un sujet fait le consensus parmi les scientifiques, sa remise
en question n'est plus qu'une potentialite theorique qui n'officie
alors plus que dans quelques sectes, a l'hôpital psychiatrique, voire
sur certaines chaînes de televisions a des heures de grande ecoute.
Ces delires, meme de masse, revetent alors une utilite imprevue,
ils nous forcent a la pedagogie. Ils obligent a ressortir les
plans d'Aushwitz, a relire les temoignages, a croiser les textes,
a demontrer la vanite des explications complotistes, a prouver qu'il
n'y a rien a cacher d'autre qu'un monde complexe dont les techniques
de comprehension demandent une methode qui libère de la croyance.
Si une verite existe, seule la Raison permet de s'en approcher. Jamais
aucune loi.
From: A. Papazian
Liberation
http://lazarus.blogs.liberation.fr/blog/2012/02/raison-et-lois-memorielles.html
02 fev 2012
France
On a beaucoup parle ces dernières semaines de la question des lois
memorielles suite a la proposition de loi sur la reconnaissance du
genocide armenien. A travers celles-ci, l'Etat impose un point de
vue officiel sur un fait historique, qu'il devient alors illegal de
contester. La France est devenue leader en la matière avec differentes
lois (reconnaissance des crimes contre l'humanite de la seconde
guerre mondiale, traite des esclaves, etc.) alors que la Belgique
s'est concentree essentiellement sur les crimes contre l'humanite
perpetres par les nazis.
On pourrait discuter longtemps des aspects politiques. Mais trois
faits, au moins, s'opposent ici a la Raison.
Tout d'abord, l'histoire est une science. Elle se pratique selon
des methodes que partagent tous ceux qui la pratiquent. Fournir
des elements verifiables et discutables qui permettent de produire
des hypothèses que l'on tentera ensuite d'etayer a partir d'autres
exemples. L'historien produit alors devant ses pairs le resultat
de ses recherches qui sera alors critique sur ses methodes et a la
lumière d'autres recherches.
Or, quelle est la competence d'un politicien qui siège dans une
assemblee? Tel le comedien en blouse blanche dans les publicites
pour dentifrice, il singe le savant dont il ignore de toute evidence
la methodologie.
Car un des premiers principes de la science est celui de
l'auto-correction. Toute methode rationnelle implique qu'une verite
scientifique n'est que provisoire et qu'elle peut etre contredite,
completee, amendee, reformulee.
Il est evidemment des cas où le fait est peu probable. Peu de
scientifiques s'attendent a ce que l'on remette en question les lois de
la pesanteur ou de la conservation d'energie. De meme, aucun historien
ne s'attend a ce que l'on doute un jour de l'existence des chambres
a gaz.
Mais peu importe. La science est avant tout une methode qui doit
s'imposer dans tous les cas, meme quand cela paraît absurde. Dans le
cas contraire, on parle de pseudo-sciences, donc de charlatanerie.
Le second fait qui choque la Raison est celui de l'opposition. En
effet, les lois memorielles semblent avoir ete rediges pour proteger
la memoire de ceux qui ont souffert. Mais parfois deux memoires
s'opposent. On ne cherche plus les faits mais l'emotion.
C'est ainsi qu'un article d'une loi francaise qui n'est plus en vigueur
reconnaissait le rôle positif de la presence francaise outre-mer,
notamment en Afrique du Nord. Cette fois, la victime disparaissait
de la memoire au profit de l'agresseur magnifie dans l'esprit du
legislateur. Celui-ci desirait meme imposer sa doxa dans les livres
scolaires.
Tantôt la victime, tantôt l'agresseur. La memoire revient donc a
celui a qui le pouvoir veut plaire. Dans un système où le dirigeant
est elu, on peut s'attendre a ce que celui-ci tente de s'attirer
la bienveillance electorale d'un groupe ou d'un autre, en dehors de
toute reflexion historique.
Troisièmement, la Raison, pour les raisons susmentionnees, nous
interdit donc de definir ce qui est definitivement vrai ou faux. Or les
lois memorielles, pour etre justes et n'oublier personne, devraient
permettre de tracer une ligne bien visible entre la verite et le
mensonge. Sauf a penser que certaines douleurs valent moins que
d'autres. Ou bien a definir un seuil de souffrance a partir duquel
on peut legiferer. On tombe dans l'absurde.
Face a des faits historiques, plutôt que d'indiquer au peuple ce
qu'il est definitivement bon de croire, ne serait-il pas plus utile
de lui indiquer la methode dans ces circonstances comme ailleurs? Le
scepticisme, le croisement des sources, la critique...
Mais cette idee expose le monde politique lui-meme a cette methode, qui
pourrait se retourner contre lui. Imaginons le peuple se demandant,
selon les memes principes, si les verites indiscutables a propos
de l'economie de marche, des systèmes bancaires, de la democratie
representative, de la croissance ou de l'inflation, si tout cela
n'est après tout pas egalement discutable, amendable...
Faut-il vraiment craindre les quelques dizaines de personnes qui
affirment que les chambres a gaz n'ont pas existe ou que l'esclavage
etait un parcours de sante? Faut-il craindre de s'entendre dire que la
terre est plate, que les aliens sont parmi nous ou que le 11-septembre
n'a pas eu lieu?
Lorsqu'un sujet fait le consensus parmi les scientifiques, sa remise
en question n'est plus qu'une potentialite theorique qui n'officie
alors plus que dans quelques sectes, a l'hôpital psychiatrique, voire
sur certaines chaînes de televisions a des heures de grande ecoute.
Ces delires, meme de masse, revetent alors une utilite imprevue,
ils nous forcent a la pedagogie. Ils obligent a ressortir les
plans d'Aushwitz, a relire les temoignages, a croiser les textes,
a demontrer la vanite des explications complotistes, a prouver qu'il
n'y a rien a cacher d'autre qu'un monde complexe dont les techniques
de comprehension demandent une methode qui libère de la croyance.
Si une verite existe, seule la Raison permet de s'en approcher. Jamais
aucune loi.
From: A. Papazian