LIVRE " UNE ETHIQUE DU REGARD" DE SYLVIE ROLLET
Stephane
armenews.com
mercredi 8 fevrier 2012
Donner a imaginer ce que le regard a manque : une demarche qui fonde
une ethique dans les sept films analyses par Sylvie Rollet.
Article de Josselin Naszalyi
Que peut le cinema face a l'impensable ? Posee a une constellation
de films ayant traite de certains des grands episodes genocidaires
du XXème siècle (Shoah, Armenie, Cambodge), chacun suivant des
propositions esthetiques aussi diverses que stimulantes, cette
question constitue le socle du travail d'analyse de Sylvie Rollet,
qui lui fait decortiquer avec le plus grand soin les ~\uvres d'Alain
Resnais (Nuit et brouillard), Harun Farocki (En sursis, Images du
monde et inscription de la guerre), Claude Lanzmann (Shoah), Atom
Egoyan (Calendar, Ararat) et Rithy Panh (S21).
A celui de genocide, l'auteure prefère l'utilisation du terme
" catastrophe ". Par celui-ci, elle entend designer la " cesure
anthropologique " (p 245) attachee au fait historique, son revers, son
boulet, le caractère fondamentalement insaisissable de " la volonte
genocidaire de separer l'humanite d'elle-meme " (p 14). L'enjeu est
alors, par la description des strategies mises en ~\uvre dans les films
choisis, de faire ressortir ce qu'ils partagent, ce par quoi ils sont
travailles et qu'elle nomme " poetique de la Catastrophe " (p 247) :
la demonstration par la mise en scène et le montage de cet impensable.
Le rappel d'une faillite du regard (exemple emblematique retranscrit
dans Images du monde et inscription de la guerre des photos aeriennes
du camp d'Auschwitz prises en 1944, dont les analystes militaires
manquèrent l'identification, ne voyant que les installations
industrielles et logistiques alentours). L'evenement catastrophique y
apparaît alors comme une sorte de trou noir. Mais autour de celui-ci,
quelque chose semble pouvoir se renouer. Rejouant l'impossibilite de
voir au present, les films analyses parviennent a jouer leur rôle de
machines a penser et a faire penser. Montages d'archives (Resnais,
Farocki), enquetes documentaires (Lanzmann, Rithy Panh) ou bien
fictions (Egoyan), ils se font les temoins (l'auteure les nomme "
films-temoins ") de l'existence de cet irreparable constitue par
l'evenement catastrophique.
S'appuyant sur une somme de references esthetiques, philosophiques
et historiques, Sylvie Rollet compose une synthèse qui conduit le
cinema sur le terrain d'une pensee politique. Elle place ainsi au
centre de sa reflexion la question de l'exercice du jugement face aux
constantes relances de ces images qui, plutôt que de pretendre definir
l'evenement, poussent a l'imaginer. Nuit et brouillard s'achevait sur
une très belle phrase de Jean Cayrol qu'il n'est jamais inutile de
rappeler : " Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme
si le vieux monstre concentrationnaire etait mort sous les decombres,
qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'eloigne,
comme si on guerissait de la peste concentrationnaire, nous qui
feignons de croire que cela est d'un seul temps et d'un seul pays,
et qui ne pensons pas a regarder autour de nous et qui n'entendons
pas qu'on crie sans fin. "
Tout autant preoccupes du passe que de leur present, les films analyses
vont et viennent entre l'un et l'autre, jouant avec le desir de sens
du spectateur pour tenter de repenser un monde commun. Ce passionnant
essai dessine egalement les contours d'une cinematographie exigeante,
heterogène, disparate, engagee dans un rapport a l'histoire loin
des fetiches et des lieux communs, impliquee dans son temps (voir
l'impact du film de Rithy Panh, qui organise la confrontation entre
bourreaux et victimes de S21 la où le non-dit regnait), guidee par
une ambition pedagogique et porteuse d'un souffle bienfaisant.
Une ethique du regard, Sylvie Rollet, Editions Hermann, collection
" Fictions pensantes ", 276 pages
http://www.iletaitunefoislecinema.com/livrescinema/4955/livreune-ethique-du-regard-de-sylvie-rollet
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress
Stephane
armenews.com
mercredi 8 fevrier 2012
Donner a imaginer ce que le regard a manque : une demarche qui fonde
une ethique dans les sept films analyses par Sylvie Rollet.
Article de Josselin Naszalyi
Que peut le cinema face a l'impensable ? Posee a une constellation
de films ayant traite de certains des grands episodes genocidaires
du XXème siècle (Shoah, Armenie, Cambodge), chacun suivant des
propositions esthetiques aussi diverses que stimulantes, cette
question constitue le socle du travail d'analyse de Sylvie Rollet,
qui lui fait decortiquer avec le plus grand soin les ~\uvres d'Alain
Resnais (Nuit et brouillard), Harun Farocki (En sursis, Images du
monde et inscription de la guerre), Claude Lanzmann (Shoah), Atom
Egoyan (Calendar, Ararat) et Rithy Panh (S21).
A celui de genocide, l'auteure prefère l'utilisation du terme
" catastrophe ". Par celui-ci, elle entend designer la " cesure
anthropologique " (p 245) attachee au fait historique, son revers, son
boulet, le caractère fondamentalement insaisissable de " la volonte
genocidaire de separer l'humanite d'elle-meme " (p 14). L'enjeu est
alors, par la description des strategies mises en ~\uvre dans les films
choisis, de faire ressortir ce qu'ils partagent, ce par quoi ils sont
travailles et qu'elle nomme " poetique de la Catastrophe " (p 247) :
la demonstration par la mise en scène et le montage de cet impensable.
Le rappel d'une faillite du regard (exemple emblematique retranscrit
dans Images du monde et inscription de la guerre des photos aeriennes
du camp d'Auschwitz prises en 1944, dont les analystes militaires
manquèrent l'identification, ne voyant que les installations
industrielles et logistiques alentours). L'evenement catastrophique y
apparaît alors comme une sorte de trou noir. Mais autour de celui-ci,
quelque chose semble pouvoir se renouer. Rejouant l'impossibilite de
voir au present, les films analyses parviennent a jouer leur rôle de
machines a penser et a faire penser. Montages d'archives (Resnais,
Farocki), enquetes documentaires (Lanzmann, Rithy Panh) ou bien
fictions (Egoyan), ils se font les temoins (l'auteure les nomme "
films-temoins ") de l'existence de cet irreparable constitue par
l'evenement catastrophique.
S'appuyant sur une somme de references esthetiques, philosophiques
et historiques, Sylvie Rollet compose une synthèse qui conduit le
cinema sur le terrain d'une pensee politique. Elle place ainsi au
centre de sa reflexion la question de l'exercice du jugement face aux
constantes relances de ces images qui, plutôt que de pretendre definir
l'evenement, poussent a l'imaginer. Nuit et brouillard s'achevait sur
une très belle phrase de Jean Cayrol qu'il n'est jamais inutile de
rappeler : " Il y a nous qui regardons sincèrement ces ruines comme
si le vieux monstre concentrationnaire etait mort sous les decombres,
qui feignons de reprendre espoir devant cette image qui s'eloigne,
comme si on guerissait de la peste concentrationnaire, nous qui
feignons de croire que cela est d'un seul temps et d'un seul pays,
et qui ne pensons pas a regarder autour de nous et qui n'entendons
pas qu'on crie sans fin. "
Tout autant preoccupes du passe que de leur present, les films analyses
vont et viennent entre l'un et l'autre, jouant avec le desir de sens
du spectateur pour tenter de repenser un monde commun. Ce passionnant
essai dessine egalement les contours d'une cinematographie exigeante,
heterogène, disparate, engagee dans un rapport a l'histoire loin
des fetiches et des lieux communs, impliquee dans son temps (voir
l'impact du film de Rithy Panh, qui organise la confrontation entre
bourreaux et victimes de S21 la où le non-dit regnait), guidee par
une ambition pedagogique et porteuse d'un souffle bienfaisant.
Une ethique du regard, Sylvie Rollet, Editions Hermann, collection
" Fictions pensantes ", 276 pages
http://www.iletaitunefoislecinema.com/livrescinema/4955/livreune-ethique-du-regard-de-sylvie-rollet
From: Emil Lazarian | Ararat NewsPress