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Genocide Armenien Et Grosses Ficelles Du Droit Constitutionnel

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    GENOCIDE ARMENIEN ET GROSSES FICELLES DU DROIT CONSTITUTIONNEL

    Le Huffington Post
    http://www.huffingtonpost.fr/dominique-chagnollaud/genocide-armenien_b_1265896.html?ref=france
    10 fev 2012

    Le texte de loi penalisant la negation du genocide armenien de 1915
    par la Turquie ottomane a ete definitivement adopte par le Parlement
    le 23 janvier dernier. Le Conseil constitutionnel en est saisi:
    une censure n'est jamais certaine mais elle est ici fort probable.

    Vraies et fausses lois "memorielles"

    Depuis l'appel de l'association Liberte pour l'histoire en decembre
    2005, il est d'usage plus que de coutume, de parler de lois
    "memorielles" dès lors qu'elle ont pour objet de satisfaire a un
    devoir de memoire mais aussi et de juger de faits historiques. Pour
    parer a cette multiplication de lois qui sont en realite pour la
    plupart des neutrons legislatifs, la commission Balladur avait
    propose l'institution de resolutions, consacrees par la revision
    constitutionnelle de juillet 2008. Les parlementaires peuvent ainsi,
    sans mettre en cause la responsabilite du gouvernement, les adopter
    aux fins d'emettre un v~\u, d'exprimer une opinion, certes a valeur
    declaratoire mais hautement symbolique. C'est dans cet esprit que le
    Parlement europeen avait adopte, le 15 novembre 2000 une resolution
    en faveur de la reconnaissance du genocide armenien. Le Bundestag en
    juin 2005 en a fait autant.

    Un paravent: la loi Gayssot

    L'expose des motifs de la proposition de loi entretient le parallèle
    avec la loi Gayssot. En realite, il s'agit d'un paravent. Comme l'a
    rappele Michel Troper le negationnisme "s'inscrit dans un mouvement
    antisemite et antidemocratique, qui n'a pas cesse avec le genocide
    lui-meme, et [il] l'alimente". Elle n'est pas une loi "memorielle"
    mais est adossee a des faits reconnus par une convention internationale
    ou par une juridiction nationale ou internationale.

    C'est pourquoi la Cour de cassation dans un arret du 7 mai 2010 a
    refuse de transmettre une question prioritaire de constitutionnalite
    la concernant au Conseil constitutionnel, decision contestable sur
    le principe. Peu importe: le Conseil constitutionnel appreciera,
    cette fois, par ricochet.

    Un habillage europeen: la transposition d'une decision-cadre pour
    donner vie a une loi inconstitutionnelle

    Pour ne pas donner le sentiment de desavouer le Constituant ,
    un habillage a ete trouve: se conformer aux exigences europeennes
    -qui ont toujours bon dos-, et donc transposer en droit interne
    la decision-cadre du 28 novembre 2008 relative a la lutte contre
    certaines formes et manifestations de racisme et de xenophobie au
    moyen du droit penal. Elle lie l'Etat quand au but a atteindre, lui
    laissant libre les moyens -et la forme- pour la mettre en oeuvre. On
    ne sait precisement si elle s'apparente a une directive dont le
    Conseil constitutionnel contrôle l'exactitude la transposition,
    sur le fondement de l'article 88-1 de la Constitution.

    Cette directive d'un genre nouveau sans l'etre completement n'est
    cependant pas une bonne a tout faire du droit europeen: dans sa
    generalite, la proposition de loi vise l'existence d'un ou plusieurs
    crimes de genocide reconnus comme tels par la loi, en realite seul
    le genocide armenien est reconnu par la loi du 29 janvier 2001. Cette
    transposition vient donc a point pour tenter de donner vie a une loi
    inconstitutionnelle. Il faut saluer ce tout de passe-passe inedit.

    Si differents pays ont adopte une legislation tendant a reprimer
    penalement la negation de la Shoah, aucun Etat -pas meme l'Armenie- n'a
    a ce jour rendu la contestation de l'existence du genocide armenien
    de 1915 passible de poursuites penales tandis qu'aucun des Etats
    de l'Union europeenne qui ont mis en ~\uvre cette decision-cadre
    ne l'ont reconnu. Le but de cette decision-cadre est de lutter
    contre la discrimination et non de faire ~\uvre de memoire. A
    cette meconnaissance plausible de l'exigence constitutionnelle
    de transposition d'une decision-cadre -au prix d'un detournement
    de procedure, viennent s'ajouter, au surplus,d'autres griefs
    d'inconstitutionnalite qui tombent sous le sens.

    Les risques d'inconstitutionnalite

    L'article 34 de la Constitution n'autorise pas le Parlement a qualifier
    un fait historique et de le condamner penalement. Ce faisant, le
    Parlement viole le principe de separation des pouvoirs legislatif
    et judiciaire, consacre tant par la Declaration de 1789 que comme
    principe fondamental reconnu par les lois de la Republique.

    Ce texte meconnaît aussi le principe de la legalite des delits et des
    peines: le fait de "contester ou de minimiser de facon outrancière"
    l'existence d'un genocide est une incrimination très floue, plus
    large que la seule negation. Il est aussi potentiellement contraire au
    principe de liberte d'opinion et d'expression consacre la Declaration
    des droits de l'homme et du citoyen et la Convention europeenne des
    droits de l'homme. Si cette liberte n'est pas absolue encore faut-il
    que ces restrictions soient proportionnees au regard des objectifs
    poursuivis (CEDH, 7 decembre 1976, affaire Handyside c. Royaume-Uni).

    Alors que la " loi Gayssot " ici encore, paraît compatible avec ce
    principe parce qu'elle tend a prevenir -aujourd'hui- la resurgence d'un
    discours antisemite troublant gravement l'ordre public (CEDH du 24 juin
    2003), qui peut serieusement considerer qu'a l'egal de l'antisemitisme,
    la contestation du genocide armenien presente ce risque?

    Enfin, le delit de contestation ou de minimisation d'evènements
    historiques qualifies de genocide par la loi ferait peser un risque
    certain sur les travaux scientifiques des historiens et porte atteinte
    au principe de liberte de la recherche. Imaginons d'ailleurs,
    le raisonnement n'est pas totalement absurde, que le Parlement
    reconnaisse notamment le "genocide vendeen" , le "genocide tzigane"
    pendant la Seconde guerre mondiale ou encore le "genocide ukrainien"
    de 1932-1933, sans compter avec les massacres d'indiens aux Etats-Unis
    ou dans le passe des Aztèques, et meme la Saint-Barthelemy...

    Une loi inutile

    Enfin, et c'est peut-etre le plus affligeant dans ce debat, cette
    loi est inutile. En premier lieu, l'apologie des genocides et autres
    crimes contre l'humanite est susceptible d'etre reprimee penalement,
    sur le fondement de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberte de la
    presse. La meme loi reprime la diffamation et l'injure raciale ou
    religieuse, ainsi que la provocation a la discrimination, a la haine
    ou a la violence a l'egard d'une personne ou d'un groupe de personnes
    en raison de leur origine ou de leur appartenance a une ethnie,
    une nation, une race ou une religion determinee.

    Certes, seule la negation de la Shoah peut donner lieu a des poursuites
    penales. Cependant, la contestation des autres genocides peut donner
    lieu a une action au civil. C'est ainsi qu'un historien a ete condamne
    en 1995 par le TGI de Paris a un franc de dommages et interets pour
    avoir affirme qu'il n'y avait pas de "preuve serieuse" du genocide
    armenien. Tout ca pour ca?

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